Les crimes de SNC-Lavalin

Le scandale politique de l’année est en train de se dénouer. Les grosses pointures politiques canadiennes sont à l’aune de toutes couvertures médiatiques: Justin Trudeau, son ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, et son conseiller politique en chef, Gerald Butts. Ce qui semble attirer l’intérêt des médias réside dans les spéculations autour du « scandale » : Qui a mis de la pression sur qui? Qui exprime la vérité? Qui essaie de se couvrir?

Ce qui retient moins d’attention, c’est la problématique centrale: qu’une des plus importantes firmes gestionnaires de projets d’ingénierie et de construction, SNC-Lavalin (SNC-L) – qui a 50 000 employé·e·s dans plus de 50 pays différents et des opérations dans trois fois plus de pays – s’est enlisée dans des tractations douteuses et criminelles.

Des accusations criminelles sérieuses ont été portées contre l’entreprise : fraude et corruption. La réponse de SNC-Lavalin : ces accusations ont plus de 10 ans, ça s’est passé dans ce pays lointain qu’est la Libye, et, semble-t-il, tout le monde comprend que c’est comme ça qu’on fait des affaires. Mais, ça ressemble à un scandale au Canada.

L’histoire sordide de SNC-Lavalin au Canada

D’après un article de La Presse paru le 1er février 2019, les procureurs généraux du Québec et la GRC coopèrent dans une enquête nommée Agrafe concernant des accusations criminelles possibles contre SNC-Lavalin au sujet d’un contrat octroyé aux débuts des années 2000 pour la réparation du pont Jacques-Cartier.

SNC-L a été l’entreprise principale d’un partenariat public-privé devant construire la ligne de métro rapide Canada Line à Vancouver. Des travailleurs et des travailleuses étrangères ont été engagé·e·s pour le projet de construction et ont été payé·e·s environ la moitié du salaire des autres employé·e·s du chantier. Il a fallu une lutte de cinq ans par le Labourers’ Union pour que ces employé·e·s soient rémunéré·e·s de manière équitable. Une filiale de SNC-L a ensuite été responsable des opérations après la construction. En 2018, cette filiale s’est débarrassée de ses employé·e·s de maintenance syndiqué·e·s pour les remplacer par des emplois précaires et sans avantages sociaux.

En 2015, des documents internes provenant de SaskPower (la principale compagnie qui distribue l’électricité en Saskatchewan) ont dévoilé de « sérieux problèmes de conception » dans le système de capture et de stockage du carbone situé à l’une de ses installations, causant des défaillances mécaniques et techniques qui ont réduit la productivité de cette installation à 40 % de sa capacité. SNC-L a eu le contrat d’ingénierie, d’achats et de construction de la station. Les documents révèlent que SNC-L « n’avait ni la volonté ni la capacité de résoudre ces problèmes ». Le faible rendement de la centrale n’a permis à SaskPower que de vendre la moitié des 800 000 tonnes de dioxyde de carbone qu’elle s’était engagée à livrer par contrat. En plus des ventes perdues, en 2014, SaskPower a eu à débourser 12 millions $ en pénalités à la compagnie qui a acheté ce carbone capturé. En septembre 2018, le processus de médiation complété, SaskPower et SNC-L se dirigent vers l’arbitrage exécutoire. SaskPower avait déjà annoncé qu’elle n’allait pas moderniser deux de ses autres installations vieillissantes avec la technologie de capture et de stockage de carbone. D’après un article de CBC News, SNC-L a reçu environ 765 800 000 $ en contrats du gouvernement de la Saskatchewan entre 2009 et 2018.

Les autorités québécoises ont décrit les pots-de-vin en lien avec la construction du Centre Universitaire de Santé McGill (CUSM) comme étant le plus grand cas de corruption dans l’histoire du Canada. Plusieurs hauts dirigeant·e·s incluant l’ancien directeur général de SNC-L ont été accusés de corruption. Les gestionnaires de SNC-L ont participé a des opérations de fraude et de contrefaçon liées à des pots-de-vin de 22,5 millions $ décrit comme des « frais de consultations » offerts à l’ancien directeur général et autres cadres supérieurs du CUSM. Ces pots-de-vin sont reliés au contrat de construction du CUSM qui lui s’élevait à 1,3 milliard $. SNC-L a obtenu le contrat même si son offre dépassait de 60 millions $ celle de leurs concurrents. Suite à la forte pression publique, le PDG du CUSM s’est retiré de ses fonctions, pour ensuite se faire arrêter au Panama sous des accusations de fraude en 2013. Mais, il maintient que le paiement de 22,5 millions $ était parfaitement légitime. Le PDG de SNC-L, Pierre Duhaime, a été arrêté pour fraude au mois de novembre 2012, et a depuis plaidé coupable.

Punir SNC-Lavalin

L’enjeu principal est de décider comment SNC-L devrait être « puni ». Il y a deux scénarios possibles :

1. Une poursuite pénale s’entame couvrant le cas de la Libye où SNC-L est accusé de fraude et de corruption en lien avec au moins 48 millions $ de paiement fait à certains membres du gouvernement libyen entre 2001 et 2011. Cet argent devait servir à l’obtention de contrats, incluant la construction d’une prison, qui, sous le régime Kadhafi, aurait servi comme lieu de torture. Si SNC-L est reconnu coupable, ils pourraient faire face à une interdiction de dix ans sur les appels d’offres du gouvernement canadien. Il s’agit du scénario privilégié par le directeur des poursuites du gouvernement fédéral et vraisemblablement par la ministre au centre de cette affaire, Jody Wilson-Raybould. Comme procureur général, elle avait le pouvoir d’adopter ou d’abroger la décision du procureur.

Ou

2. On devrait autoriser SNC-L à négocier un plaidoyer pour que le gouvernement du Canada leur donne un statut de « poursuite différée », ce qui voudrait dire que SNC-L s’en sortirait sans perdre trop de plumes. Ils devraient admettre leur culpabilité et payer ce qui semble être une amende salée (300 millions $), mais, considérant que leur revenu de 2018 était de 9,3 milliards, une amende de 300 millions $ ne serait qu’une tape sur les doigts. Les pots-de-vin en Libye ne sont pas un cas unique : SNC-L a, à plusieurs reprises, bénéficié de pots-de-vin au Canada et à l’international. En 2013, SNC-L a été interdit de pouvoir soumissionner pour tout projet de construction appuyé par la Banque Mondiale, en raison de cas de corruption au Bangladesh et au Cambodge.

En « défense » de SNC-Lavalin

Les défenseurs de SNC-Lavalin mettent deux éléments de l’avant :

La compagnie québécoise est « trop grande pour faire faillite ». Le même argument a été utilisé en 2008 durant la crise financière pour justifier le sauvetage financier de GM, Lehman Brothers et quelques autres. Une poursuite criminelle victorieuse, avec comme pénalité de ne pas pouvoir soumissionner sur des projets gouvernementaux pendant 10 ans, risquerait de faire fermer la compagnie, ce qui entraînerait la perte de 8000 emplois au Québec. Cependant, il faut bien se rappeler que pendant la période de 2002 à 2012, lorsque la majorité des cas de corruption ont été exécutés, environ 10 000 employés canadiens ont quitté la compagnie.

Deuxièmement, on explique qu’ils ne devraient pas faire face à des accusations puisque celles-ci ont plus de sept ans et que durant ce temps les hauts dirigeants de l’entreprise ont fait le ménage en se débarrassant des employé·e·s qui avaient fait partie de ces complots de corruption. La compagnie aurait, d’après eux, revu leurs « normes d’éthiques et de conformité ». Cet argument est comparable à un tueur en série qui plaiderait que ses crimes ont été commis il y a longtemps et que depuis il aurait suivi des ateliers de gestion de la colère. Ainsi, la sentence devrait être réduite à des travaux communautaires.

Le parti libéral et les relations d’affaires

Après presque quatre ans à la tête du gouvernement, peu de gens nient que le parti libéral est le parti des grandes entreprises. Non seulement SNC-L est un grand joueur dans le monde des affaires au Québec, mais elle est la source de grandes contributions pour le parti libéral.

En 2016, SNC-Lavalin a admis avoir participé à un complot de contributions illégales impliquant certains anciens cadres supérieurs. Ces cadres encourageaient des employé·e·s à faire des dons à certains partis politiques fédéraux pour ensuite se faire rembourser par la compagnie à travers de faux comptes de dépenses ou de bonus imaginaires. D’après la loi fédérale sur les élections, les compagnies n’ont pas le droit de faire des dons à des partis où des candidat·e·s. Toutefois, ces manœuvres ont permis à SNC-L de contourner la loi en effectuant des dons indirectement à travers leurs employé·e·s. La grande majorité des dons de SNC-L durant la période de 2004 à 2011 sont allés à des candidat·e·s du parti libéral du Canada. SNC-L a d’ailleurs admis avoir donné 83 534 $ au parti libéral du Canada. L’entreprise aurait aussi donné 13 552 $ à différentes associations de circonscriptions libérales.

Trudeau tente de nous convaincre qu’il est le porte-étendard du droit et de la justice. La commission Charbonneau a clairement indiqué ce qu’est l’enjeu : personne ne devrait être au-dessus des lois, incluant ceux et celles qui ont du pouvoir politique. L’objectif est aussi de protéger les citoyens et citoyennes contre l’arbitraire des autorités publiques : l’État ne peut pas forcer un individu à faire quelque chose sans avoir l’autorité statutaire de le faire. D’un côté, Trudeau dit vouloir maintenir la loi, mais de l’autre, il nous démontre que si, par malheur, cette même loi prend des personnes riches en faute, ils peuvent s’en sortir sans trop souffrir.

Le mécanisme

Andrew Nikiforuk décrit dans The Tyee la toile de corruption qui affecte les mégas projets de construction partout dans le monde :

Puisque ces projets sont si immenses et qu’il est si facile de corrompre, il est plus que probable que ces compagnies achètent des fonctionnaires de bas niveau avec des cadeaux et des faveurs, fassent des pots-de-vin à d’autres compagnies et fassent des contributions illégales aux hauts dirigeants du gouvernement avec comme but d’avoir de l’influence sur l’élaboration de politiques publiques.

Le cinéaste brésilien José Padilha a un nom pour ce type de collusion et corruption. Il appelle ça « le mécanisme» et dit qu’il n’a pas d’idéologie. Les partis de gauche et de droite peuvent y recourir pour avoir accès à plusieurs privilèges.

Le mécanisme fonctionne par lui-même et pour lui-même. Les compagnies qui travaillent pour les gouvernements font des contributions et en retour reçoivent des contrats qui valent plusieurs fois le montant de l’argent investi. Une portion de l’argent obtenu par ces contrats revient en dons vers ce même parti, et la roue continue à tourner.

Nikiforuk ajoute que plusieurs Canadiens et Canadiennes sous-estiment à quel point le mécanisme est enraciné dans notre démocratie libérale capitaliste. Mais, dès que ces partis sont à la recherche de fonds pour leurs campagnes, le mécanisme se met en marche.

En réalité, il y a d’autres formes de mécanisme qui opèrent au Canada en plus de ceux reliés aux grands projets d’infrastructures. Regardons simplement les révélations des Paradise Papers il y a deux ans, révélations qui exposent un réseau endémique de comptes bancaires à l’étranger pour éviter de payer des taxes. Il y avait 3400 noms canadiens dans ces documents, mais Revenu Canada n’a identifié que 100 personnes pour un audit sans qu’aucune d’entre elles ne subisse des procédures judiciaires au criminel pour évasion fiscale.

Le mécanisme socialiste

Les socialistes ont un autre «mécanisme» pour faire face à ces problèmes. Nous ne somme pas heureux ou heureuses de voire l’écroulement de SNC-Lavalin. Nous prenons très au sérieux le sort des travailleurs et travailleuses ainsi que leurs moyens de subsistance, tout comme nous l’avons fait il y a 11 ans lorsque GM et d’autres compagnies automobiles menaçaient de fermer. Mais, il ne s’agit pas de donner une autre chance aux propriétaires de ces compagnies. Le sauvetage d’un milliard de $ à GM n’a aucunement protégé les travailleurs et les travailleuses d’Oshawa. Un accord judiciaire ou un plaidoyer de culpabilité ne sauveront pas ceux et celles de SNC-L de manière durable. SNC-L n’a pas un historique très prometteur pour la sauvegarde d’emplois ou le respect des conditions de travail.

Pour les socialistes, les abus financiers, légaux et moraux du patronat font partie du capitalisme et de la manière dont la classe possédante fonctionne. Les travailleurs et les travailleuses ne devraient pas avoir à payer pour les crimes de leurs boss.

Nous reconnaissons que le cas de SNC-L, bien que pire que d’autres, n’est pas une aberration, mais bien un comportement naturel inhérent au système capitaliste. Alors, oui, il faut amener les patrons de SNC-L en Cour pour ce qu’ils ont fait en Libye et ailleurs. Entre temps, nationalisons la compagnie pour la mettre sous contrôle démocratique de ses travailleurs et travailleuses. Pendant que nous y sommes, faisons de même pour les banques, les compagnies d’assurance et les autres monopoles de grande envergure dans le Canada et dans le monde entier.

 

Source : Crimes of SNC-LAVALIN, Tim Heffernan, Socialist Alternative Canada,
Traduction : Simon-Pierre L.

 


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