La misogynie des immortels

La mission de l’académie française est de fixer les règles du français. De déterminer ce qui se dit, ce qui s’écrit, de rendre la langue pure et uniforme. Véritable instrument de pouvoir aux mains de la monarchie puis de la République française, la langue a été et est encore un enjeu éminemment politique. Le cardinal de Richelieu, sous Louis XIII, crée donc cette institution française pour remplir cette mission en 1634. On note l’absence de femmes de l’académie jusqu’en 1980 lors de l’élection de Marguerite Yourcenar. Seulement huit femmes ont été élues à l’académie sur les 729 membres depuis sa création. Fait cocasse, elles sont “exemptées” de porter le célèbre habit vert et l’épée, tout comme les curés d’ailleurs.

C’est l’académie française qui a déterminé que le masculin devait l’emporter sur le féminin, contrairement à la pratique qui était en vigueur à l’époque. En effet, avant la mise en place de l’accord en fonction du “genre le plus noble”, la règle était d’utiliser l’accord de proximité, c’est à dire d’accorder en genre et en nombre avec le nom commun le plus proche. Avant l’imposition d’une règle misogyne par un groupe d’hommes grisonnants, des mots comme autrice ou philosophesse étaient d’usage courant. Ces nouvelles règles ont pris du temps à s’imposer, puisqu’on retrouve des accords de proximités dans des textes jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Le combat est largement passé par la masculinisation systématique des métiers considérés comme plus prestigieux: le mot “agricultrice” ne choque personne, mais “écrivaine” dérange. En effaçant petit à petit les femmes du vocabulaire, elles sont reléguées à des tâches subalternes (en témoigne la différence de sens entre un secrétaire et une secrétaire) ou jugées comme féminines.

De nos jours, le combat pour revenir à une langue qui reconnaît la place des femmes n’est pas gagné. On parle encore souvent des “droits de l’Homme”, comme si mettre le H en majuscule rendait le mot plus neutre, plutôt que des “droits humains”. Comme si les femmes devaient automatiquement se sentir concernées – soit disant parce que “hommes” ou “gars”, ça veut dire tout le monde. En même temps, les groupes masculins à qui on réfère en disant “les filles” se sentent insultés! La belle ironie!

Heureusement, de nombreuses féministes travaillent sans relâche pour rendre aux femmes leur place dans la langue française. Les principes d’écriture inclusive, de langue neutre et de féminisation commencent à être largement adoptés. Évidemment, des entreprises et institutions réactionnaires résistent. L’académie française ne fait pas exception.

Dans une déclaration du 26 octobre 2017, la célèbre Académie déclare pompeusement que cette “aberration inclusive” place la langue française en “péril mortel”. Il semble que cette déclaration ait été adoptée à l’unanimité par les académicien·nes. Notez que le terme “académicien” est ici féminisé, contribuant, semblerait-il, à planter un clou supplémentaire dans le cercueil de notre langue.

Péril mortel, vraiment? Le français est une langue vivante, parlée par plus de 100 millions d’hommes et de femmes. On y ajoute des mots, on en oublie d’autres. Le français s’adapte à la réalité des différentes régions où on le parle, il évolue selon les percées scientifiques et les contextes sociaux. Le langage neutre, féminisé et épicène ne sont que des évolutions logiques d’une langue bien vivante.

Les femmes, les communautés LGBTQIA+, les travailleuses et travailleurs n’ont pas besoin d’académicien·nes cachés dans leur tour d’ivoire pour dicter des règles passéistes qui ont pour but d’effacer les réalités qui dérangent. Une langue inclusive permet d’identifier les gens, de reconnaître les différentes oppressions auxquelles font face les groupes marginalisés. Il est essentiel, pour combattre le capital, de nommer les gens correctement et de s’assurer de l’inclusion de toutes et tous.

Chantal I.

 

http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive
http://www.elianeviennot.fr/Langue-prec.html


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