À entendre certain·e·s gauchistes, il ne faudrait, en tant que socialistes, ne militer que pour les causes qui risquent de mener à l’avènement immédiat du socialisme. La question nationale ne serait qu’une diversion de ce chemin vertueux vers le communisme intégral. Les propos récents de Pablo Iglesias, dirigeant du parti Podemos en Espagne, en sont un exemple: celui-ci a décidé de ne pas supporter la déclaration unilatérale d’indépendance de la Catalogne, préférant rêver à une entente éventuelle entre la Catalogne et l’Espagne. Heureusement, les membres de la section catalane de Podemos (Catalunya en Comú) tiennent tête au chef espagnol et continuent de combattre pour l’indépendance.
En effet, nous, révolutionnaires, luttons contre tout ce opprime les travailleuses et les travailleurs. À travers l’histoire, les socialistes ont lutté pour le suffrage universel, pour la fin des guerres impérialistes, pour les droits des personnes trans, même si ces mesures n’amènent pas immédiatement à l’avènement d’un monde socialiste. Le cas de la Catalogne n’est pas différent: l’indépendance catalane n’est pas synonyme de communisme, mais nous ne pouvons soutenir le statu quo qui enferme la classe travailleuse catalane dans une fédération qui brime ses droits démocratiques. Nous ne pouvons cracher sur une lutte populaire qui vise à libérer un territoire de l’oppression d’un État contrôlé par des ex-franquistes[1]. Nous devons appuyer l’autodétermination des peuples en théorie, mais surtout en pratique: contre la répression étatique fédérale, l’indépendance nationale est l’arme que nous devons utiliser.
Les progressistes catalan·e·s doivent cependant faire face à divers problèmes que nous connaissons bien au Québec. Le mouvement pour l’indépendance ne doit ainsi pas tomber dans les mains de la droite, ni la droite xénophobe ni la droite économique (le Parti Québécois a aujourd’hui réussi avec brio à réunir ces deux caractéristiques). Cette dernière aurait vite fait de réaliser une semi-indépendance en oubliant de réaliser l’indépendance économique du nouveau pays. La souveraineté-association de Lévesque avait ce problème majeur. Le PQ voulait d’une séparation cosmétique (un bel hymne national, un beau drapeau) qui maintiendrait la domination économique du Canada sur le peuple québécois.
Quant à la droite xénophobe, celle-ci utilisera toutes les occasions possibles pour saborder la volonté d’émancipation populaire et en faire une question ethnique. Inutile de donner trop d’exemples quant à celle qui agit au Québec: elle s’est toute entière retrouvée dans les rues de Québec le 25 novembre dernier. En Catalogne, la situation est peut-être meilleure: la majorité des fascistes sont des nostalgiques de Franco, donc opposés à l’indépendance catalane. Néanmoins, les groupes de gauche font attention à faire déguerpir aussi vite que possible tout groupe raciste qui tente de s’immiscer dans le mouvement indépendantiste.
La section catalane du CIO, Esquerra Revolucionaria, a comme mot d’ordre «Pour la république socialiste catalane!». Cela ne veut pas dire que les marxistes ne lutteront pour l’indépendance que si celle-ci mène indubitablement au socialisme à court terme: aussi bien rester chez soi à attendre le Grand soir! Au contraire, les socialistes doivent lutter pour l’indépendance tout en maintenant à tout moment que celle-ci ne sera réellement effective que lorsque les travailleur·euse·s contrôleront la société sur le plan économique comme politique. Cela signifie que les révolutionnaires doivent lutter pour que la souveraineté soit accompagnée de nationalisations. Cela signifie aussi que les révolutionnaires doivent lutter pour ce soit les masses qui dirigent réellement la lutte, et pas des organisations qui plieront l’échine au premier obstacle. C’est la population catalane qui a amené le président Puigdemont à déclarer l’indépendance!
Pour Alternative socialiste, le socialisme et l’indépendance sont indissociables. La lutte pour l’un est la lutte pour l’autre. Dans l’histoire, des luttes pour des droits démocratiques se sont transformées en luttes pour le socialisme. Nous n’avons qu’à regarder l’exemple du Burkina Faso ou de l’Algérie. La lutte pour l’indépendance catalane, et éventuellement pour celle du Québec, peuvent suivre ce même chemin: une rupture dans l’ordre capitaliste fédéral, créée par les travailleuses et les travailleurs déterminé·e·s à en finir avec l’ordre établi, est la première étape pour la prise du pouvoir.
Il faut en finir avec le fédéralisme «de gauche», soumis au statu quo monarchiste et impérialiste. Il faut en finir avec le nationalisme de droite, qui ne veut pas vraiment la libération du peuple. Luttons pour le socialisme et l’indépendance. Appuyons le peuple catalan dans sa lutte. Visca Catalunya lliure! Visca la republica socialista catalana!
André-Philippe Doré
1 Le Parti populaire, actuellement au pouvoir, est la continuation de l’Alliance populaire, fondée par sept politiciens franquistes.