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14e Congrès de l’ISA: Renforcer la clarté politique et l’unité d’action

Du 21 au 26 novembre, l’International Socialist Alternative (ISA) a tenu son 14e congrès mondial. Il a été organisé à Kiel, en Allemagne, site de la mutinerie de marins de 1918 ayant donné le coup d’envoi de la révolution allemande qui a mis fin à la Première Guerre mondiale. Les personnes déléguées et en visite provenant du monde entier se sont réunies pour discuter de l’analyse, du programme et de la stratégie nécessaires à la construction d’un mouvement marxiste révolutionnaire aujourd’hui.

Le congrès s’est déroulé dans un contexte de turbulences internationales pour le système capitaliste. La période précédant le congrès lui-même en a témoigné: victoire électorale décisive de Trump, effondrement du gouvernement allemand et nouvelle crise des missiles menant la guerre en Ukraine à une étape supérieure. La conférence de la COP29 en Azerbaïdjan, qui a coïncidé avec notre Congrès mondial, a également illustré la façon dont les rivalités inter-impérialistes et l’instabilité économique et politique prédominent pendant que notre planète brûle.

Cette agitation mondiale a entraîné un certain nombre de défis, de débats et de crises au sein de la gauche, y compris au sein de notre propre organisation. Tirer les leçons de ces débats et renforcer notre travail grâce à ces enseignements a été un élément clé de ce congrès.

Conflit inter-impérialiste

Développer l’analyse de l’ISA du monde dans lequel nous vivons a été un point clé de notre travail depuis le début de la nouvelle période. Ce n’est que sur la base d’une compréhension claire du monde que nous pouvons tracer une voie tout aussi claire pour la lutte de la classe ouvrière. Nos perspectives influencent nos tactiques, nos priorités et le programme que nous mettons en avant dans une période donnée.

Au cours des dernières années, l’ISA a élaboré en détail la dynamique du conflit inter-impérialiste croissant entre d’une part, l’impérialisme chinois et ses alliés, et, d’autre part, le bloc rival dominé par les États-Unis. La plupart des groupes de gauche n’ont pas réussi à saisir l’importance de ce conflit et la nouvelle étape qu’il représente pour le capitalisme mondial. Alors que certains ont été désorientés par l’idée d’un ordre mondial «multipolaire» ou n’ont pas reconnu la nature impérialiste des régimes chinois ou russe, nous avons expliqué la nature «bipolaire» et impérialiste de ce conflit. Nous avons proposé une approche autonome et internationaliste pour que la classe ouvrière s’oppose à ces conflits.

La présentation d’ouverture sur les perspectives mondiales a mis en évidence les façons dont le conflit inter-impérialiste entre les deux principaux blocs du monde n’a fait que s’intensifier depuis notre précédent Congrès mondial en 2023. En témoignent la guerre génocidaire contre Gaza, qui s’est transformée en une guerre régionale dans tout le Moyen-Orient, ainsi que la guerre en Ukraine, qui a continué à s’intensifier avec l’utilisation de missiles à longue portée britanniques et américains, alors que des milliers de soldats nord-coréens sont entrés dans le conflit.

Le congrès a souligné et réaffirmé l’interprétation que fait l’ISA de la nouvelle période caractérisée par ce conflit entre blocs impérialistes. Il a également analysé la toile de fond économique de ce conflit, à savoir la faible croissance de l’économie mondiale, freinée par des niveaux d’endettement massifs et encore plus entravée par le protectionnisme et les guerres commerciales.

L’accent a été mis sur la crise du capitalisme chinois, dont l’économie criblée de dettes est entrée dans une période de stagnation et de déclin, que nous avons précédemment décrite comme une «japonisation» (en référence à la longue crise déflationniste du Japon). Cela aura un effet profond sur le reste de l’économie mondiale. Cette dernière ne pourra pas compter sur la croissance chinoise alimentée par la dette pour échapper aux futurs ralentissements économiques comme cela a été le cas après la «grande récession» de 2008.

Ces processus propulsent la politique capitaliste encore plus loin dans la crise et la polarisation, comme le montre de manière spectaculaire le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Son approche de «faucon» à l’égard de la Chine et les menaces de droits de douane importants sèmeront à leur tour les graines de conflits et d’une crise économique future.

Dans cette nouvelle période de crise et d’instabilité, la classe dirigeante a été contrainte de s’appuyer sur le nationalisme, la haine anti-migrants, la répression étatique, les efforts redoublés pour promouvoir les rôles «traditionnels» des hommes et des femmes, et les attaques contre les droits démocratiques. En Italie, le gouvernement de droite a adopté de nouvelles séries de restrictions au droit de manifester, tandis qu’en Grande-Bretagne, des dizaines de militantes et de militants pour le climat sont emprisonné⋅es. Dans la période actuelle, les méthodes bonapartistes de domination et toutes les caractéristiques les plus horribles de ce système sont de plus en plus mises en avant.

Combattre la droite et construire une nouvelle gauche

L’une de ces caractéristiques a été la montée de la droite, qui a remporté des victoires électorales ou réalisé des gains dans un certain nombre de pays, des États-Unis à l’Allemagne, en passant par l’Argentine, l’Inde, la Roumanie et d’autres encore. Dans de nombreux cas, ces victoires représentent une réaction contre l’establishment capitaliste. Mais, parallèlement, on assiste à un dangereux durcissement des idées de droite dans certaines couches de la société, comme en témoigne le soutien apporté à des personnalités telles que Trump aux États-Unis et Bolsonaro au Brésil. En ce sens, il existe une différence entre la victoire électorale de Trump en 2016 et celle de 2024. Cette dernière reflète un glissement plus dangereux vers la droite. L’analyse et la compréhension de ces tendances, ainsi que la manière dont nous pouvons les combattre, ont été des thèmes abordés tout au long de la semaine, y compris lors d’une commission sur la lutte contre la droite et durant les discussions plus larges sur les perspectives.

La montée de la droite s’inscrit dans le contexte de la faiblesse persistante de la gauche et du mouvement syndical. Ce dernier n’en est encore qu’aux premiers stades de son rétablissement, après des décennies de néolibéralisme et l’effondrement du stalinisme. De nombreux jeunes tirent des conclusions anticapitalistes radicales, s’identifiant aux idées du socialisme et du communisme, et une partie encore plus large de la société est prête à descendre dans la rue pour protester. On l’a vu durant le mouvement contre la guerre génocidaire à Gaza ainsi que dans l’élan massif de solidarité contre l’extrême droite durant la vague d’émeutes au Royaume-Uni en août.

En même temps, l’absence de leadership, de stratégie claire et les idées confuses dans les mouvements ont souvent limité leur capacité à remporter des victoires concrètes et à montrer la voie à suivre face aux fausses promesses des politiciennes et des politiciens de droite. Malgré de nombreux mouvements de masse depuis la crise financière de 2008, trouvant souvent leur expression dans de nouvelles formations de gauche, la classe ouvrière n’a pas encore remporté de victoire décisive contre la classe dirigeante. Cela a permis à la réaction de prendre le dessus au cours de la période récente. Cependant, les forces de droite qui incarnent la décomposition de ce système n’ont pas non plus été en mesure de vaincre les masses laborieuses de manière décisive. Pour sortir de cette relative impasse et renverser la vapeur contre la droite, il sera nécessaire de reconstruire de puissantes organisations de la classe ouvrière, sur la base des leçons tirées des luttes récentes.

Le mouvement ouvrier et syndical

Le congrès a débattu de la réaffirmation actuelle du mouvement syndical au niveau international, notamment de la vague de syndicalisation et d’actions ouvrières aux États-Unis, de l’impact de la vague de grèves de 2022-23 en Grande-Bretagne et d’autres luttes en Allemagne, en Argentine, en Inde et ailleurs. Une commission spéciale sur notre travail au sein du mouvement syndical a mis en évidence dans plusieurs pays la volonté accrue des travailleuses et des travailleurs de lutter et de rejeter les mauvais contrats de travail proposés par les directions syndicales bureaucratiques.

La montée en puissance du mouvement syndical aux États-Unis a été au centre de plusieurs discussions. Les travailleuses et les travailleurs de Boeing ont obtenu une augmentation de salaire de 38% cet automne après avoir rejeté un accord négocié par la direction du syndicat. À leur tour, certains syndicats ont vu émerger de nouveaux dirigeants et dirigeantes syndicales de gauche, s’appuyant sur une section plus militante de membres et de leaders. Il s’agit d’une tendance qui se reflète également dans les deux plus grands syndicats britanniques. En même temps, de nouveaux groupes d’opposition de base se sont développés parmi certaines catégories de travailleuses et de travailleurs, comme au sein du syndicat américain des postes, où Socialist Alternative a joué un rôle important. Chez de nombreuses personnes, la volonté d’agir dans leur milieu de travail se mêle au soutien à des personnalités telles que Donald Trump, ce qui pose de nouveaux défis aux socialistes dans les syndicats.

Les participants et les participantes du congrès de l’ISA ont discuté de notre rôle dans les syndicats et de la manière dont nous nous situons par rapport à ces développements. Les discussions ont porté sur la construction d’une base de soutien pour les marxistes dans les milieux de travail, en particulier parmi les travailleuses et les travailleurs de la base, ainsi que sur la tâche de transformer les syndicats en organisations de combat de la classe ouvrière.

Moyen-Orient

Le mouvement de masse contre l’assaut génocidaire à Gaza et l’escalade de la guerre au Moyen-Orient est l’un des théâtres de conflit les plus importants au monde. Il a conduit au plus grand mouvement de masse international depuis des années. L’ISA s’est rapprochée de ce mouvement au cours de l’année écoulée en se joignant à des manifestations massives à l’échelle internationale ainsi qu’à des campements étudiants et en lançant un appel à l’action contre la guerre aux travailleuses et travailleurs syndiqués.

Une commission sur la situation au Moyen-Orient, le mouvement anti-guerre et nos interventions a discuté de la manière dont nous pouvons faire avancer ce travail au cours de la prochaine période. Nous avons aussi abordé le travail de notre section en Israël/Palestine, qui se bat sur le terrain pour un changement socialiste et la fin des massacres.

Programme de transition

Une partie cruciale du congrès a été la réaffirmation claire et l’affinement de notre compréhension de la méthode permettant de relier les luttes d’aujourd’hui à la nécessité d’une transformation socialiste de la société – celle du Programme de transition de Trotsky. Les discussions au sein de l’ISA au cours de la dernière période ont souligné l’importance d’une compréhension claire de la méthode transitoire pour mettre en avant une approche marxiste et révolutionnaire claire afin de faire avancer les luttes des travailleuses, des travailleurs, des jeunes et des personnes opprimées. Pour ce faire, les socialistes doivent être prêtes et prêts à intervenir avec audace dans des luttes plus larges tout en délimitant clairement notre propre profil et notre propre stratégie afin de convaincre une couche plus large de personne de la pertinence d’un programme marxiste.

Comme les camarades l’ont souligné, notre programme est enraciné dans notre compréhension de la «situation objective» – les développements plus larges dans l’organisation de la classe ouvrière, l’économie, le contexte politique, etc. Si la manière dont nous présentons nos revendications doit être basée sur les luttes et les revendications de la classe ouvrière et des personnes opprimées d’aujourd’hui, notre programme est aussi «scientifique», c’est-à-dire qu’il est fondé sur une analyse concrète de ce qui est nécessaire de réaliser dans la période actuelle. Il n’est pas simplement basé sur les idées qui sont populaires à un moment donné. Au cours de la période à venir, nous produirons davantage de matériel sur l’importance d’un programme de transition et sur l’élaboration d’un tel programme pour les mouvements d’aujourd’hui.

Une approche marxiste de la lutte contre l’oppression

Notre interprétation de la lutte contre toutes les formes d’oppression a été un autre aspect qui a caractérisé notre congrès, tout comme les nombreux débats et discussions au sein de l’ISA. Il a été convenu que nous devions continuer à approfondir notre compréhension marxiste de l’oppression de genre, y compris la lutte pour la libération des personnes trans, dans le cadre d’une session consacrée au féminisme socialiste.

D’importantes luttes pour l’autonomie corporelle et contre la violence fondée sur le genre ont eu lieu dans le monde entier – notamment des grèves et des manifestations de masse en Inde à la suite du viol et du meurtre d’une jeune femme médecin, des manifestations de milliers de personnes au Kenya contre les féminicides et des manifestations féministes de masse en Argentine contre le gouvernement réactionnaire de Milei. Mais aujourd’hui, la vague féministe se trouve également confrontée à une réaction de la droite. Dans ce contexte, une approche riposte féministe socialiste claire est plus essentielle que jamais.

Dans ce contexte, le congrès a discuté de la préparation de la Journée internationale de la femme le 8 mars 2025, alors que nous préparons une campagne internationale comprenant des déclarations communes et du matériel pour construire une lutte féministe socialiste contre la réaction de la droite et l’oppression des femmes et des personnes LGBTQ+.

Cependant, le féminisme socialiste, bien qu’il soit une partie cruciale intégrée de notre programme plus large, n’est qu’un des piliers de notre programme socialiste révolutionnaire visant à mettre fin à toutes les formes d’oppression enracinées dans ce système. La nécessité d’approfondir notre compréhension de l’oppression raciale, dans le cadre de la préparation aux luttes de cette période, a également été soulignée.

Nous avons également discuté de la manière dont nous pouvons renforcer dans la pratique la lutte de l’ISA contre l’oppression. La protection des membres au sein de notre mouvement a été un élément important des discussions de l’ISA au cours de la dernière période. Avoir une approche forte de la lutte contre toutes les manifestations d’oppression au sein du mouvement ouvrier et socialiste, dans le cadre de notre lutte pour unir la classe ouvrière dans toute sa diversité, est une priorité cruciale pour nous. Cela implique de dresser un bilan de ce travail, notamment en identifiant les erreurs et en s’efforçant d’améliorer notre pratique, ce qui était une tâche essentielle de ce Congrès mondial. Suite à ces discussions, le congrès a approuvé un certain nombre de mises à jour importantes de notre code de conduite international et a élu une nouvelle équipe de responsables de la protection des membres pour s’occuper de ce domaine de travail.

Construire une internationale révolutionnaire

À l’issue du Congrès mondial, l’ISA travaillera sans relâche au renforcement de ses sections dans le monde, ainsi qu’à leur intégration dans une organisation véritablement internationale, luttant pour un monde socialiste. Nous avons convenu d’approfondir la coordination autour de la campagne antimilitariste dans le contexte d’escalade du conflit des blocs impérialistes ainsi que de poursuivre le travail important de notre campagne de solidarité avec le Nigéria. Un nouveau comité international (qui dirige l’ISA entre les congrès mondiaux) a également été élu, intégrant une nouvelle génération de dirigeants et de dirigeantes.

Une priorité cruciale pour nous sera d’affiner notre compréhension marxiste des événements mondiaux et des méthodes nécessaires pour changer la société. Cela inclut la relance de notre revue politique internationale, ainsi que la poursuite des discussions au cours de l’année à venir. Ce congrès était, à bien des égards, la «première partie» d’un processus de discussion plus large, comprenant des événements internationaux en 2025 et un autre congrès mondial pour l’été 2026. À l’issue de ces discussions, nous aspirons à une clarté et à une unité politiques renouvelées, sur la base d’un débat ouvert, clair et démocratique à tous les niveaux de notre organisation. Une partie de ce processus sera l’élaboration et l’accord d’un programme international pour l’époque actuelle, enraciné dans les tâches clés auxquelles sont confrontés les révolutionnaires et les masses laborieuses dans leur ensemble.

Nos forces sont bien inférieures à ce qui est nécessaire pour lutter pour le changement révolutionnaire dont nous avons besoin. Cependant, sur la base d’une compréhension et d’une approche communes et claires, nous sommes convaincus que nous pouvons faire de nouveaux pas en avant alors que la classe ouvrière se réarme face à cette nouvelle ère de crise et de guerres impérialistes.

Nous publierons d’autres documents et rapports en temps voulu. Si vous souhaitez contribuer à la construction d’une force révolutionnaire internationale contre la crise capitaliste, la guerre et l’oppression, rejoignez-nous!

Joe Biden et Kamala Harris au Democratic National Committee de 2023 à Philadelphie. Photo: AP Photo/Patrick Semansky

Pour un nouveau parti, pas une autre démocrate

La campagne présidentielle de 2024 a pris une tournure sans précédent. Le 21 juillet, Joe Biden a annoncé qu’il met un terme à sa campagne de réélection et soutient la vice-présidente Kamala Harris comme candidate présidentielle démocrate. Ce cycle électoral, qui promettait à l’origine une répétition peu enthousiasmante du duel Biden-Trump, a été secoué par des événements historiques au cours du mois dernier: d’un débat angoissant à une tentative d’assassinat, et maintenant le premier président sortant à se retirer depuis plus d’un demi-siècle.

Les partis et les institutions capitalistes traditionnels sont en crise partout dans le monde. Au Royaume-Uni, les conservateurs viennent de subir leur pire défaite depuis 190 ans. Les élections anticipées en France ont vu la montée en puissance de la gauche et de la droite, les électrices et les électeurs ayant abandonné le président Emmanuel Macron et les «centristes». Au Kenya, des manifestations de masse ont fait échouer un plan d’austérité parrainé par le Fonds Monétaire International (FMI). Les travailleuses et les travailleurs sont impatients d’aller de l’avant. Les partis, les politiciens et les politiciennes de l’establishment n’ont rien à offrir. La folie de l’élection présidentielle américaine de 2024 s’insère dans le cadre de cette tendance mondiale.

Jusqu’à récemment, la direction du parti démocrate a misé sur Biden, le seul candidat capable de battre Trump. Il est vrai que les candidatures sortantes remportent généralement la nomination de leur parti. Mais la véritable raison pour laquelle les élites dirigeantes ont soutenu Biden, en plus d’éviter le tenue d’une primaire présidentielle, c’était pour repousser la possibilité même qu’une contestation progressiste s’oppose à lui. Cela aurait menacé de révéler la servitude totale de Biden envers les entreprises. Face à Biden comme seule option, plus de 650 000 électrices et électeurs ont choisi de rester «sans engagement», tandis que d’autres ont déposé des votes de protestation en écrivant ou en laissant leur bulletin blanc. Dans de nombreux États, le principal opposant à Biden était essentiellement un espace vide.

Le Parti républicain est encore plus énergique et uni derrière Donald Trump à l’issue de sa convention nationale et de la tentative d’assassinat. Pendant ce temps, les démocrates se démènent pour convaincre leur chef de 81 ans de se retirer et sont maintenant obligé·es de trouver un candidat moins d’un mois avant leur propre convention. Mais qui va choisir ce nouveau candidat? Comme toujours, le parti est porté par les gros capitaux et les donateurs du secteur privé qui veulent exercer leur contrôle sur le processus politique.

Après le débat raté de Biden, les sondages ont immédiatement montré que d’autres candidatures s’en sortaient mieux face à Trump. Mais ce n’est que lorsque certains des plus gros donateurs du parti démocrate ont commencé à retenir leurs chèques que Biden a finalement jeté l’éponge, comprenant que, du point de vue du parti, une campagne viable est celle qui peut convaincre les donateurs. Dans un exemple nauséabond de l’influence des méga-donateurs sur le processus politique, le super PAC Future Forward a retenu 90 millions de dollars de financement, y compris plusieurs engagements de plus de 10 millions de dollars, jusqu’à ce que Biden se retire.

Après avoir reçu le soutien de Biden, Kamala Harris s’est immédiatement mise au travail pour galvaniser les soutiens, en organisant une série de conversations privées avec des personnes fortunées, notamment des dirigeants de la Silicon Valley, le cofondateur de LinkedIn Reid Hoffman et les méga-philanthropes de Wall Street George et Alex Soros. La campagne de Harris met déjà en avant avec insistance sa collecte de fonds record auprès d’un grand nombre de petits donateurs qui ont donné à la campagne dans ses premières heures.

Mais lorsqu’elle dit qu’elle compte «gagner et remporter la nomination», la vice-présidente sait que cela signifie courtiser les méga-riches. En 2019, Kamala Harris a connu un succès précoce en exploitant les «bundlers» d’Obama et de Clinton, des personnes très riches qui collectent des fonds auprès de leurs réseaux afin de transmettre d’importants dons à six ou sept chiffres. Ce sont ces personnes envers lesquelles Harris doit vraiment rendre des comptes, et non pas envers les électrices et les électeurs démocrates de la classe ouvrière.

Harris est-elle meilleure que Biden?

Si plusieurs sont soulagé·es de constater que le Parti démocrate ne fonde plus ses espoirs sur un «vieil homme à la mémoire défaillante», l’âge de Biden n’a jamais été le principal problème. Le véritable problème est son bilan pro-entreprises et pro-guerre en tant que président, et l’impasse du Parti démocrate dans son ensemble. L’administration actuelle a financé une offensive génocidaire menée par un gouvernement israélien de droite. Elle n’a pas réussi à résoudre une crise historique du coût de la vie. Elle a poursuivi la politique d’immigration de l’ère Trump et a intensifié le conflit inter-impérialiste avec la Chine. Elle a abandonné complètement toute prétention à lutter pour l’action climatique ou la réforme des soins de santé. Elle a révoqué le droit de grève des cheminots peu avant qu’un déraillement de train ne provoque une catastrophe chimique dans l’Ohio. Elle a augmenté les forages pétroliers sur les terres publiques. Voilà ce que représentent les démocrates.

Une partie de la base du Parti démocrate est revigorée par le passage à Harris, prête à investir du temps et de l’argent pour la faire élire. Les démocrates ont maintenant l’occasion de relancer leur campagne en difficulté. Ils et elles pourraient ainsi connaître un certain succès auprès des électrices et des électeurs qui n’aiment pas Trump, mais qui n’avaient pas l’intention d’aller voter pour un Joe Biden en déclin évident. La question est de savoir si cet enthousiasme initial se traduira par un ticket présidentiel capable de dépasser les échecs de l’administration Biden et la capacité de Trump à se présenter comme un outsider de Washington capable de briser le système.

Le véritable problème avec Kamala Harris est que, tout comme Biden, elle est une démocrate pro entreprise dans l’âme, avec un historique de promotion de politiques anti-travailleurs et pro-milliardaires.

Harris, qui s’est autoproclamée «meilleure policière» (Top Cop) de Californie de 2011 à 2017, a mené un mandat controversé et souvent contradictoire en tant que procureure générale. Elle s’est toujours présentée comme une progressiste, militant pour le droit à l’avortement et l’abolition de la peine de mort. Mais dans la pratique, elle s’est alliée aux élites au détriment des besoins des citoyennes et des citoyens ordinaires. Bien qu’elle ait lancé des programmes visant à aider les délinquants à trouver un emploi plutôt qu’à les envoyer en prison, son bureau a maintenu des innocents en détention pour des raisons techniques.

Elle a présidé à une vague de condamnations pour des délits non violents liés à la drogue, qui ont alimenté l’incarcération de masse (dont l’architecte, Bill Clinton, a déjà soutenu Harris). Elle a également mené une campagne de plusieurs années pour pénaliser les parents dont les enfants s’absentent des cours, promettant qu’ils «feraient face à toute la force et aux conséquences de la loi» avec des amendes ou des peines de prison. L’absentéisme est essentiellement un «crime de pauvreté», qui touche de manière disproportionnée les familles de la classe ouvrière à faible revenu et est souvent lié à des problèmes de logement, de garde d’enfants, de transport ou de santé physique et mentale.

Les avocats et avocates de son équipe se sont vivement opposés à la libération de prisonniers non violents qui recevaient des salaires de 8 à 37 cents de l’heure, affirmant que cela diminuerait un important bassin de main-d’œuvre . Harris a mis en place une formation contre les préjugés raciaux, mais a également défendu les agents des forces de l’ordre accusés de mauvaise conduite et n’a pas enquêté sur les meurtres commis par la police. Elle a notamment obtenu des indemnités plus élevées de la part des banques responsables de la crise des prêts hypothécaires, mais a refusé de poursuivre les banques coupables comme OneWest, dont le PDG Steven Mnuchin deviendrait plus tard secrétaire au Trésor sous Donald Trump.

Ces exemples ne visent pas seulement à ternir le bilan de Harris. Les mêmes contradictions qui existaient il y a des décennies continuent de ternir Harris et le Parti démocrate dans son ensemble, qui a montré à maintes reprises qu’il n’était pas disposé à se battre pour les travailleuses et travailleurs. En tant que vice-président, Harris était principalement chargée de superviser la réforme de l’immigration, mais cela ne s’est pas fait par le biais de mesures législatives progressistes ou en s’opposant à la droite.

Au lieu de cela, Harris s’est concentrée sur la sécurisation des investissements du secteur privé dans les pays d’Amérique centrale, tout en disant aux migrantes et migrants guatémaltèques en quête de conditions plus sûres et plus stables de simplement «ne pas venir». Cette décision est d’autant plus grotesque si l’on tient compte du rôle joué par l’impérialisme américain dans la création de ces conditions économiques et sociales désastreuses en Amérique centrale, à travers des décennies d’accords commerciaux, la « guerre contre la drogue » et le soutien direct aux coups d’État visant à affaiblir les gouvernements de gauche. Dans l’ensemble, l’administration Biden a promis une approche plus humaine, mais a poursuivi les politiques de l’ère Trump comme le Titre 42. Elle a conduit les personnes migrantes dans un système juridique fondamentalement défaillant tout en augmentant considérablement les arrestations et les expulsions aux frontières.

Si Kamala Harris remporte la nomination et bat Trump en novembre, les États-Unis auront élu non seulement leur première femme, mais aussi la première personne d’origine noire caribéenne et indienne à la Maison Blanche. Bien que ce soit une étape historique, serait-ce suffisant pour créer le changement dont les travailleuses et les travailleurs ont besoin ou pour freiner la montée de la droite? Nous avons vu à maintes reprises les limites de la politique basée sur les identités. Être jeune ou être une personne de couleur ne signifie pas en soi que l’on a à cœur les intérêts des travailleuses et des travailleurs.

Pour illustrer cela, nous pouvons tirer des leçons de l’activité de l’aile gauche du Parti démocrate. Alexandra Ocasio-Cortez (AOC) et le Squad ont été élus dans le sillage d’une vague d’organisations dans la classe ouvrière visant à «réformer le Parti démocrate» en lui donnant une image plus jeune et plus diversifiée. Mais jusqu’à présent, elles ont été complètement corrompues et poursuivent une stratégie sans issue consistant à changer le système de l’intérieur. Elles se sont éloignées d’une approche de construction de mouvement à la base pour se tourner vers des négociations en coulisses. Cela a finalement servi de couverture à l’establishment du parti.

Deux jours seulement avant que Biden n’annonce son retrait, AOC a donné un monologue d’une heure en direct sur Instagram, soutenant pleinement le président, en s’appuyant sur des arguments alarmistes et légalistes pour expliquer pourquoi il ne devrait pas être remplacé. Pendant ce temps, Bernie Sanders a écrit un éditorial dans le New York Times intitulé Biden for President. Ils soutenaient Biden alors que même les riches donateurs n’en voulaient plus! La position où ont atterri Bernie et le Squad est la conclusion logique de leur tentative de réformer le Parti démocrate. Ce n’est pas vous qui changez le Parti démocrate, mais le Parti démocrate qui vous change. Cette vague éphémère de démocrates de gauche réformistes a pris fin de manière décisive, laissant des millions d’électrices et d’électeurs mécontents, se sentant trahis et vulnérables face à la posture «pro-travailleurs» de l’aile droite.

Harris peut-elle battre la droite?

Avec Kamala Harris en tête de liste, les démocrates devraient s’en sortir mieux en novembre, mais il leur sera toujours extrêmement difficile de battre Trump. Kamala Harris ne s’écartera pas de l’approche générale de la campagne de Biden Elle devra défendre son administration très impopulaire.

Trump est une menace réelle et terrifiante. Il suffit de jeter un œil au contenu du Projet 2025 pour s’en rendre compte. Cette proposition, créée par la Heritage Foundation, prévoit d’étendre les pouvoirs du président pour créer un régime autoritaire, ainsi que de démanteler le ministère de l’Éducation, d’abolir le droit à l’avortement et de remplacer des milliers de fonctionnaires par des conservateurs radicaux. Les démocrates comptent sur cette peur pour faire avancer leur campagne.

Mais c’est le programme pro-entreprise des démocrates qui a permis à la droite de se développer, depuis qu’Obama a renfloué Wall Street alors que des millions de familles ouvrières perdaient leur maison à la suite de la récession de 2008. La droite prétend proposer des réponses aux problèmes très réels auxquels sont confrontés les travailleurs et les travailleuses aujourd’hui. Ce sont les mauvaises réponses, mais pour des millions d’Américains et d’Américaines, cela peut paraître mieux que ce qu’ils et elles obtiennent des démocrates, qui répètent sans cesse que l’économie va bien, mais que vous êtes trop bêtes pour le voir.

Une candidature qui  voudrait vaincre Trump de manière décisive devra rompre de manière décisive avec la politique capitaliste des démocrates et proposer aux travailleuses, aux travailleurs et aux jeunes des solutions concrètes. Cela signifie aller à l’encontre des intérêts des donateurs milliardaires du Parti démocrate et à l’encontre des intérêts du système capitaliste, qui exige que le reste d’entre nous travaille de longues heures pour maintenir au sommet une petite minorité incroyablement riche.

Les démocrates ne peuvent pas arrêter la droite, précisément à cause de leur politique pro entreprise et de leur incapacité à rompre avec le capitalisme. Ils sont l’un des deux principaux partis capitalistes. Cela signifie non seulement qu’ils ne combatteront pas la droite, mais surtout qu’ils ne peuvent fondamentalement pas le faire. Cela signifie que les travailleuses, les travailleurs et les gens ordinaires ne peuvent pas continuer à voter pour les démocrates comme le «moindre mal» et espérer que cela suffira. Même une victoire de Harris basée sur la peur de Trump donnera à la droite populiste de nouvelles opportunités basées sur la poursuite des politiques démocrates.

Comme l’a souligné Socialist Alternative dans des articles précédents, le fait que les démocrates ne proposent pas de véritables solutions aux travailleuses et aux travailleurs n’est pas seulement insuffisant, cela encourage et fait grandir la droite. Harris peut bien parler de son soutien au droit à l’avortement. Mais les gens ordinaires ont été témoins de sa réticence – et de celle de son parti – à codifier l’arrêt Roe v. Wade ou à faire quoi que ce soit pour reconquérir les droits depuis son annulation.

Malgré des déclarations creuses de solidarité, les démocrates n’ont pris aucune mesure concrète pour freiner l’assaut des projets de loi anti-LGBTQ proposés à travers le pays, y compris les centaines de projets de loi anti-trans proposés pour la seule année 2023. Le Parti démocrate est en crise, faiblement soudé par la peur de Trump, et incapable de proposer une stratégie gagnante pour le battre et résoudre la myriade de crises auxquelles sont confrontés les travailleuses et les travailleurs.

Nous avons besoin d’un nouveau parti, pas d’une nouvelle démocrate

L’aile gauche du Parti démocrate ne viendra pas sauver les travailleuses, les travailleurs et les jeunes. Il est temps d’abandonner complètement ce parti et de construire quelque chose de nouveau. Les États-Unis sont le seul pays capitaliste avancé au monde qui n’a jamais eu de parti ouvrier.

Alors que la société passe d’une catastrophe à une autre, les travailleuses et les travailleurs se rendent compte plus clairement que les ultra-riches et leurs serviteurs politiques n’ont aucune réponse aux crises constantes du capitalisme. La montée de la droite n’est pas un phénomène arbitraire dont nous pouvons attendre la disparition, à la manière d’un pendule qui fera automatiquement revenir la société plus «à gauche». La montée de la droite, c’est l’expression de travailleuses, de travailleurs et de jeunes désabusé·es et privé·es de leurs droits et privé·es d’une force organisée qui puisse montrer la voie à suivre pour déraciner ce système pourri et construire un avenir basé sur les besoins des gens, pas sur le profit.

Les travailleuses, les travailleurs et les jeunes doivent s’organiser de toute urgence pour construire un parti indépendant qui luttera réellement pour nos besoins, sur une base de classe, contre les capitalistes. Cela signifie une rupture définitive avec le Parti démocrate. Cela signifie se concentrer plutôt sur la construction de mouvements autour des syndicats, contre la guerre à Gaza ainsi que soutenir et initier des luttes autour d’autres questions qui préoccupent les travailleuses et les travailleurs. Nous pourrions utiliser les campagnes électorales de ce nouveau parti, menées par de véritables candidatures de gauche, opposées à la guerre, pour construire ces mouvements, au lieu de soutenir le système bipartisan agonisant actuel.

Un nouveau parti se heurtera aux limites de ce qui est possible dans le cadre du capitalisme. Il devra adopter un programme socialiste pour répondre aux besoins de notre classe. Le capitalisme créera inévitablement des crises qui donneront à l’extrême droite un terrain fertile pour se développer, si la gauche n’offre pas une voie à suivre. Ultimement, nous devons déraciner le système capitaliste qui nous d’un désastre à l’autre.

Ce que nous demandons:

  • Pour une lutte de masse contre le trumpisme et la droite, pas seulement Trump lui-même. Pour la construction d’une alternative de gauche viable dans les rues, les écoles et les milieux de travail.
  • Pas de vote pour les démocrates! Inscrivez un vote de protestation en faveur de candidatures indépendantes de gauche et anti-guerre telles Jill Stein ou Cornel West.
  • Au lieu de flirter avec les grands donateurs républicains au RNC ou de soutenir les démocrates, les leaders syndicaux comme Sean O’Brien et Shawn Fain devraient convoquer une conférence cet automne pour lancer un nouveau parti pro-syndical et anti-guerre!
  • Socialist Alternative manifestera à la Convention nationale démocrate à Chicago, et vous devriez nous y rejoindre!