Pavillon B du Cégep de Saint-Laurent à Montréal fermé pour cause de délabrement. Photo: Adil Boukind, Le Devoir

L’austérité dans les cégeps n’est pas une fatalité

Le gouvernement de la CAQ a annoncé, en plein été, des compressions budgétaires majeures dans le réseau collégial. Les impacts se font déjà sentir. Comment combattre cette nouvelle vague d’austérité, alors que les syndicats du secteur public ne peuvent plus exercer de moyens de pression sérieux?

À la mi-juillet, le gouvernement Legault a décidé de couper plus de 400 millions $ dans l’enveloppe destinée au maintien des bâtiments collégiaux pour 2024-2025. Il s’agit d’une baisse de 22% par rapport à l’an dernier. Or, le réseau collégial du Québec a vu ses besoins financiers en entretien des immeubles doubler en trois ans, pour atteindre 700 millions $.

Le 31 juillet, les membres de la direction des cégeps – pour la plupart en vacances – ont reçu une lettre de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, dans laquelle elle leur impose un plafonnement des dépenses destinées à la réfection de leurs bâtiments et à l’achat de matériel. Plusieurs cégeps voient ainsi leur budget fondre de moitié au moment de la rentrée d’automne, alors que les dépenses ont déjà été approuvées par les conseils d’administration.

À cette période de l’année, les budgets sont déjà faits et les grands travaux, déjà entamés. L’été est le meilleur moment pour effectuer des travaux majeurs. Pour plusieurs établissements, les dépenses maximales sont déjà atteintes à la rentrée scolaire. Avec la nouvelle directive, de nombreux projets majeurs seront suspendus.

Cette annonce survient quelques mois à peine après le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public. Dans les corridors de cégep, on entend certains employés dire avec lassitude: «On dirait que le gouvernement nous fait payer le Front commun et notre maigre augmentation de salaire».

Cégeps délabrés

En mars dernier, des syndicats ont décrié l’état vétuste de la majorité des établissements collégiaux du Québec. Près de 65% des bâtiments du réseau sont considérés en mauvais état par le gouvernement. Des cégeps, comme celui de Saint-Laurent, ont fermé des pavillons par mesure de sécurité. D’autres établissements ont installé des «classes modulaires», c’est-à-dire des roulottes, pour compenser le manque d’espace.

De plus, de nombreux aménagements physiques sont déjà mésadaptés aux personnes à mobilité réduite. Les coupures affectent l’achat de matériel spécialisé pour les étudiants et les étudiantes avec un handicap ainsi que l’ensemble des services offerts qui vont au-delà de la pédagogie. Une technicienne en travail social nous a signalé le non-sens des demandes du gouvernement: «On a créé une politique en santé mentale à la demande du ministère, mais le même gouvernement est en train de nous enlever les moyens de la mettre en place! C’est complètement absurde!»

Inscriptions en hausse

S’additionne aux problèmes de financement des bâtiments collégiaux la plus forte hausse annuelle des inscriptions dans les cégeps du Québec (+5,3%) en 25 ans, selon la Fédération des cégeps. C’est surtout en région que les hausses sont les plus importantes: +10% dans les cégeps de Lanaudière, +7,1% dans ceux des Laurentides et +8,7% dans ceux de Chaudière-Appalaches. La présence d’étudiantes et d’étudiants étrangers en région explique principalement cette hausse.

À lui seul, ce groupe étudiant a augmenté de +14,4% en un an. La présidente-directrice générale de la Fédération des cégeps, Marie Montpetit, a précisé au Devoir que son organisation a recruté des personnes immigrantes pour combler la «pénurie de main-d’œuvre», surtout pour les programmes en santé.

Par exemple, le Québec a recruté près de 1 000 infirmières en Afrique, notamment au Cameroun, au Maroc et en Côte-d’Ivoire, depuis les deux dernières années. Ce programme de recrutement a coûté 65 millions $.

Toutes ces nouvelles inscriptions exigent plus de locaux, plus d’équipement ainsi que davantage de personnel de soutien, professionnel et enseignant. Mais voilà que la CAQ coupe elle-même dans les investissements nécessaires à la formation collégiale, incluant pour les étudiantes et étudiants de l’étranger si «vitaux» à ses plans économiques.

Privatisation rampante 

Pendant ce temps, le gouvernement débloque 54 millions $ sur trois ans à Alloprof pour le développement d’une nouvelle plateforme dédiée à l’apprentissage du français pour les élèves du primaire et du secondaire. Cette plateforme est utile à la fois pour les études et pour les parents qui accompagnent leurs enfants dans leurs devoirs. Mais le corps enseignant contractuel qui travaille pour cet organisme à but non lucratif privé n’est généralement ni syndiqué ni couvert par les conventions collectives de la fonction publique québécoise.

Investir de l’argent public pour des organismes éducatifs privés est une façon de privatiser le secteur de l’éducation petit à petit.

Les coupures dans les services n’entraînent pas la coupure des besoins pour autant. C’est ce qu’une technicienne en documentation d’un cégep de Montréal a rapporté: «D’habitude on commande des livres obligatoires pour les étudiants, que ce soit en littérature ou des livres de références en sciences pures. Ça pénalise directement les étudiants qui devront s’acheter les livres maintenant.»

Annulation de formations

À la mi-septembre, Québec a annulé plusieurs attestations d’études collégiales (AEC), dont cinq au Cégep du Vieux Montréal, qui ne s’inscrivaient pas dans les priorités de son Opération main-d’œuvre. On parle des formations en communication et études sourdes, en métiers d’art du patrimoine bâti, en gestion immobilière, en assurances, en médiation culturelle et en transformation des aliments.

Les personnes inscrites ont été avisées à la dernière minute. Cette annonce a un impact direct sur leur cheminement professionnel, sur les secteurs liés et sur les enseignants et les enseignantes qui se retrouvent sans cours à donner cette année.

Le gouvernement a tenté de réallouer ces ressources vers les programmes couverts par son Opération main-d’œuvre, dont l’objectif consiste à répondre aux pénuries dans des secteurs comme la santé et l’éducation.

Si le gouvernement souhaite réellement que les études collégiales contribuent à la formation de la main-d’œuvre de demain, il n’aura pas le choix d’investir! C’est aussi vrai pour des mises à jour des programmes, comme celui de sciences pures dont la refonte mise davantage sur les biotechnologies. Une technicienne en travaux pratiques raconte: «On a des outils désuets et on n’a même pas les moyens d’acheter le matériel nécessaire pour appliquer la refonte du programme!»

Les autorités ne parlent pas d’austérité ou de coupures en éducation, mais de «réévaluation des services». Difficile de voir comment la désuétude des infrastructures ou le manque de matériel adapté aux programmes peuvent favoriser la formation de cette «main-d’œuvre». Les coupures risquent plutôt d’en pousser plusieurs hors du réseau collégial, vers le privé ou vers le marché du travail.

De l’argent, il y en a… pour les multinationales

On voit ici toute l’hypocrisie de la gestion capitaliste du réseau de l’éducation. D’un côté, le gouvernement pleure le manque d’infirmières et de personnel enseignant, mais coupe dans leur formation, dans les dépenses d’établissement collégiaux et signe des conventions collective qui garantisse l’appauvrissement des employé་es du secteur public.

De l’autre côté, le gouvernement octroie des milliards $ à des multinationales étrangères afin qu’elles exploitent à rabais les mines du Québec et les employé་es de la filière batterie (par exemple ceux et celles des usines d’anodes, de cathodes, de batteries et de véhicules électriques). Le gouvernement espère de potentielles retombées économiques positives dans un contexte de concurrence mondiale qui rend les marchés très volatils. On l’observe avec le ralentissement des activités de Northvolt au Québec.

Ce qui est certain à l’heure actuelle, c’est la pollution, les problèmes de santé et la baisse de la qualité de l’éducation au Québec.

Pour une riposte dans la rue et dans les urnes

La lutte pour une éducation publique gratuite, accessible et de qualité, de l’enfance à l’âge adulte, impose une lutte sérieuse non seulement contre cette vague d’austérité, mais contre toute la vision caquiste de la société.

Les espérances quant aux possibilités de voir les partis d’austérité capitaliste prendre d’eux-mêmes des décisions dans l’intérêt de la classe des travailleuses et des travailleurs sont vouées à l’échec. L’espoir de voir la CAQ opter pour un virage massif pour le système public est déphasé d’avec la réalité de ses six années de règne.

Toutefois, un grand mouvement contre l’austérité en éducation, mais aussi en santé et dans les services publics en général, qui regrouperait syndicats, associations étudiantes et groupes politiques seraient en mesure de faire reculer le gouvernement en utilisant les stratégies qui font mal à son économie.

On le voit avec les grèves dans les chemins de fer ou les ports: les gouvernements et les capitalistes sont terrorisés par leurs effets et répriment les actions syndicales immédiatement.

Plusieurs grands syndicats déploient actuellement des campagnes de relations publiques visant à faire pression sur le gouvernement en faveur du secteur public. La gravité de la situation nécessite d’aller beaucoup plus loin, ne serait-ce que pour «ralentir» les coupures.

Il est temps de créer des solidarités parmi toutes les couches de la classe travailleuse, dans le privé comme dans le public, et d’utiliser la force gréviste des uns et des autres pour empêcher les plans de nos ennemis communs, le patronat et ses gouvernements.

Les décisions se prennent dans une sphère où le mouvement syndical est absent: celui de la politique parlementaire. Il est temps de réaliser que sans des candidatures politiques issues des luttes populaires, les gouvernements auront toujours le gros bout du bâton pour dicter nos conditions d’études et de travail. Organisons-nous autant pour des actions directes que pour déloger les capitalistes du pouvoir politique!