Joe Biden et Kamala Harris au Democratic National Committee de 2023 à Philadelphie. Photo: AP Photo/Patrick Semansky

Pour un nouveau parti, pas une autre démocrate

La campagne présidentielle de 2024 a pris une tournure sans précédent. Le 21 juillet, Joe Biden a annoncé qu’il met un terme à sa campagne de réélection et soutient la vice-présidente Kamala Harris comme candidate présidentielle démocrate. Ce cycle électoral, qui promettait à l’origine une répétition peu enthousiasmante du duel Biden-Trump, a été secoué par des événements historiques au cours du mois dernier: d’un débat angoissant à une tentative d’assassinat, et maintenant le premier président sortant à se retirer depuis plus d’un demi-siècle.

Les partis et les institutions capitalistes traditionnels sont en crise partout dans le monde. Au Royaume-Uni, les conservateurs viennent de subir leur pire défaite depuis 190 ans. Les élections anticipées en France ont vu la montée en puissance de la gauche et de la droite, les électrices et les électeurs ayant abandonné le président Emmanuel Macron et les «centristes». Au Kenya, des manifestations de masse ont fait échouer un plan d’austérité parrainé par le Fonds Monétaire International (FMI). Les travailleuses et les travailleurs sont impatients d’aller de l’avant. Les partis, les politiciens et les politiciennes de l’establishment n’ont rien à offrir. La folie de l’élection présidentielle américaine de 2024 s’insère dans le cadre de cette tendance mondiale.

Jusqu’à récemment, la direction du parti démocrate a misé sur Biden, le seul candidat capable de battre Trump. Il est vrai que les candidatures sortantes remportent généralement la nomination de leur parti. Mais la véritable raison pour laquelle les élites dirigeantes ont soutenu Biden, en plus d’éviter le tenue d’une primaire présidentielle, c’était pour repousser la possibilité même qu’une contestation progressiste s’oppose à lui. Cela aurait menacé de révéler la servitude totale de Biden envers les entreprises. Face à Biden comme seule option, plus de 650 000 électrices et électeurs ont choisi de rester «sans engagement», tandis que d’autres ont déposé des votes de protestation en écrivant ou en laissant leur bulletin blanc. Dans de nombreux États, le principal opposant à Biden était essentiellement un espace vide.

Le Parti républicain est encore plus énergique et uni derrière Donald Trump à l’issue de sa convention nationale et de la tentative d’assassinat. Pendant ce temps, les démocrates se démènent pour convaincre leur chef de 81 ans de se retirer et sont maintenant obligé·es de trouver un candidat moins d’un mois avant leur propre convention. Mais qui va choisir ce nouveau candidat? Comme toujours, le parti est porté par les gros capitaux et les donateurs du secteur privé qui veulent exercer leur contrôle sur le processus politique.

Après le débat raté de Biden, les sondages ont immédiatement montré que d’autres candidatures s’en sortaient mieux face à Trump. Mais ce n’est que lorsque certains des plus gros donateurs du parti démocrate ont commencé à retenir leurs chèques que Biden a finalement jeté l’éponge, comprenant que, du point de vue du parti, une campagne viable est celle qui peut convaincre les donateurs. Dans un exemple nauséabond de l’influence des méga-donateurs sur le processus politique, le super PAC Future Forward a retenu 90 millions de dollars de financement, y compris plusieurs engagements de plus de 10 millions de dollars, jusqu’à ce que Biden se retire.

Après avoir reçu le soutien de Biden, Kamala Harris s’est immédiatement mise au travail pour galvaniser les soutiens, en organisant une série de conversations privées avec des personnes fortunées, notamment des dirigeants de la Silicon Valley, le cofondateur de LinkedIn Reid Hoffman et les méga-philanthropes de Wall Street George et Alex Soros. La campagne de Harris met déjà en avant avec insistance sa collecte de fonds record auprès d’un grand nombre de petits donateurs qui ont donné à la campagne dans ses premières heures.

Mais lorsqu’elle dit qu’elle compte «gagner et remporter la nomination», la vice-présidente sait que cela signifie courtiser les méga-riches. En 2019, Kamala Harris a connu un succès précoce en exploitant les «bundlers» d’Obama et de Clinton, des personnes très riches qui collectent des fonds auprès de leurs réseaux afin de transmettre d’importants dons à six ou sept chiffres. Ce sont ces personnes envers lesquelles Harris doit vraiment rendre des comptes, et non pas envers les électrices et les électeurs démocrates de la classe ouvrière.

Harris est-elle meilleure que Biden?

Si plusieurs sont soulagé·es de constater que le Parti démocrate ne fonde plus ses espoirs sur un «vieil homme à la mémoire défaillante», l’âge de Biden n’a jamais été le principal problème. Le véritable problème est son bilan pro-entreprises et pro-guerre en tant que président, et l’impasse du Parti démocrate dans son ensemble. L’administration actuelle a financé une offensive génocidaire menée par un gouvernement israélien de droite. Elle n’a pas réussi à résoudre une crise historique du coût de la vie. Elle a poursuivi la politique d’immigration de l’ère Trump et a intensifié le conflit inter-impérialiste avec la Chine. Elle a abandonné complètement toute prétention à lutter pour l’action climatique ou la réforme des soins de santé. Elle a révoqué le droit de grève des cheminots peu avant qu’un déraillement de train ne provoque une catastrophe chimique dans l’Ohio. Elle a augmenté les forages pétroliers sur les terres publiques. Voilà ce que représentent les démocrates.

Une partie de la base du Parti démocrate est revigorée par le passage à Harris, prête à investir du temps et de l’argent pour la faire élire. Les démocrates ont maintenant l’occasion de relancer leur campagne en difficulté. Ils et elles pourraient ainsi connaître un certain succès auprès des électrices et des électeurs qui n’aiment pas Trump, mais qui n’avaient pas l’intention d’aller voter pour un Joe Biden en déclin évident. La question est de savoir si cet enthousiasme initial se traduira par un ticket présidentiel capable de dépasser les échecs de l’administration Biden et la capacité de Trump à se présenter comme un outsider de Washington capable de briser le système.

Le véritable problème avec Kamala Harris est que, tout comme Biden, elle est une démocrate pro entreprise dans l’âme, avec un historique de promotion de politiques anti-travailleurs et pro-milliardaires.

Harris, qui s’est autoproclamée «meilleure policière» (Top Cop) de Californie de 2011 à 2017, a mené un mandat controversé et souvent contradictoire en tant que procureure générale. Elle s’est toujours présentée comme une progressiste, militant pour le droit à l’avortement et l’abolition de la peine de mort. Mais dans la pratique, elle s’est alliée aux élites au détriment des besoins des citoyennes et des citoyens ordinaires. Bien qu’elle ait lancé des programmes visant à aider les délinquants à trouver un emploi plutôt qu’à les envoyer en prison, son bureau a maintenu des innocents en détention pour des raisons techniques.

Elle a présidé à une vague de condamnations pour des délits non violents liés à la drogue, qui ont alimenté l’incarcération de masse (dont l’architecte, Bill Clinton, a déjà soutenu Harris). Elle a également mené une campagne de plusieurs années pour pénaliser les parents dont les enfants s’absentent des cours, promettant qu’ils «feraient face à toute la force et aux conséquences de la loi» avec des amendes ou des peines de prison. L’absentéisme est essentiellement un «crime de pauvreté», qui touche de manière disproportionnée les familles de la classe ouvrière à faible revenu et est souvent lié à des problèmes de logement, de garde d’enfants, de transport ou de santé physique et mentale.

Les avocats et avocates de son équipe se sont vivement opposés à la libération de prisonniers non violents qui recevaient des salaires de 8 à 37 cents de l’heure, affirmant que cela diminuerait un important bassin de main-d’œuvre . Harris a mis en place une formation contre les préjugés raciaux, mais a également défendu les agents des forces de l’ordre accusés de mauvaise conduite et n’a pas enquêté sur les meurtres commis par la police. Elle a notamment obtenu des indemnités plus élevées de la part des banques responsables de la crise des prêts hypothécaires, mais a refusé de poursuivre les banques coupables comme OneWest, dont le PDG Steven Mnuchin deviendrait plus tard secrétaire au Trésor sous Donald Trump.

Ces exemples ne visent pas seulement à ternir le bilan de Harris. Les mêmes contradictions qui existaient il y a des décennies continuent de ternir Harris et le Parti démocrate dans son ensemble, qui a montré à maintes reprises qu’il n’était pas disposé à se battre pour les travailleuses et travailleurs. En tant que vice-président, Harris était principalement chargée de superviser la réforme de l’immigration, mais cela ne s’est pas fait par le biais de mesures législatives progressistes ou en s’opposant à la droite.

Au lieu de cela, Harris s’est concentrée sur la sécurisation des investissements du secteur privé dans les pays d’Amérique centrale, tout en disant aux migrantes et migrants guatémaltèques en quête de conditions plus sûres et plus stables de simplement «ne pas venir». Cette décision est d’autant plus grotesque si l’on tient compte du rôle joué par l’impérialisme américain dans la création de ces conditions économiques et sociales désastreuses en Amérique centrale, à travers des décennies d’accords commerciaux, la « guerre contre la drogue » et le soutien direct aux coups d’État visant à affaiblir les gouvernements de gauche. Dans l’ensemble, l’administration Biden a promis une approche plus humaine, mais a poursuivi les politiques de l’ère Trump comme le Titre 42. Elle a conduit les personnes migrantes dans un système juridique fondamentalement défaillant tout en augmentant considérablement les arrestations et les expulsions aux frontières.

Si Kamala Harris remporte la nomination et bat Trump en novembre, les États-Unis auront élu non seulement leur première femme, mais aussi la première personne d’origine noire caribéenne et indienne à la Maison Blanche. Bien que ce soit une étape historique, serait-ce suffisant pour créer le changement dont les travailleuses et les travailleurs ont besoin ou pour freiner la montée de la droite? Nous avons vu à maintes reprises les limites de la politique basée sur les identités. Être jeune ou être une personne de couleur ne signifie pas en soi que l’on a à cœur les intérêts des travailleuses et des travailleurs.

Pour illustrer cela, nous pouvons tirer des leçons de l’activité de l’aile gauche du Parti démocrate. Alexandra Ocasio-Cortez (AOC) et le Squad ont été élus dans le sillage d’une vague d’organisations dans la classe ouvrière visant à «réformer le Parti démocrate» en lui donnant une image plus jeune et plus diversifiée. Mais jusqu’à présent, elles ont été complètement corrompues et poursuivent une stratégie sans issue consistant à changer le système de l’intérieur. Elles se sont éloignées d’une approche de construction de mouvement à la base pour se tourner vers des négociations en coulisses. Cela a finalement servi de couverture à l’establishment du parti.

Deux jours seulement avant que Biden n’annonce son retrait, AOC a donné un monologue d’une heure en direct sur Instagram, soutenant pleinement le président, en s’appuyant sur des arguments alarmistes et légalistes pour expliquer pourquoi il ne devrait pas être remplacé. Pendant ce temps, Bernie Sanders a écrit un éditorial dans le New York Times intitulé Biden for President. Ils soutenaient Biden alors que même les riches donateurs n’en voulaient plus! La position où ont atterri Bernie et le Squad est la conclusion logique de leur tentative de réformer le Parti démocrate. Ce n’est pas vous qui changez le Parti démocrate, mais le Parti démocrate qui vous change. Cette vague éphémère de démocrates de gauche réformistes a pris fin de manière décisive, laissant des millions d’électrices et d’électeurs mécontents, se sentant trahis et vulnérables face à la posture «pro-travailleurs» de l’aile droite.

Harris peut-elle battre la droite?

Avec Kamala Harris en tête de liste, les démocrates devraient s’en sortir mieux en novembre, mais il leur sera toujours extrêmement difficile de battre Trump. Kamala Harris ne s’écartera pas de l’approche générale de la campagne de Biden Elle devra défendre son administration très impopulaire.

Trump est une menace réelle et terrifiante. Il suffit de jeter un œil au contenu du Projet 2025 pour s’en rendre compte. Cette proposition, créée par la Heritage Foundation, prévoit d’étendre les pouvoirs du président pour créer un régime autoritaire, ainsi que de démanteler le ministère de l’Éducation, d’abolir le droit à l’avortement et de remplacer des milliers de fonctionnaires par des conservateurs radicaux. Les démocrates comptent sur cette peur pour faire avancer leur campagne.

Mais c’est le programme pro-entreprise des démocrates qui a permis à la droite de se développer, depuis qu’Obama a renfloué Wall Street alors que des millions de familles ouvrières perdaient leur maison à la suite de la récession de 2008. La droite prétend proposer des réponses aux problèmes très réels auxquels sont confrontés les travailleurs et les travailleuses aujourd’hui. Ce sont les mauvaises réponses, mais pour des millions d’Américains et d’Américaines, cela peut paraître mieux que ce qu’ils et elles obtiennent des démocrates, qui répètent sans cesse que l’économie va bien, mais que vous êtes trop bêtes pour le voir.

Une candidature qui  voudrait vaincre Trump de manière décisive devra rompre de manière décisive avec la politique capitaliste des démocrates et proposer aux travailleuses, aux travailleurs et aux jeunes des solutions concrètes. Cela signifie aller à l’encontre des intérêts des donateurs milliardaires du Parti démocrate et à l’encontre des intérêts du système capitaliste, qui exige que le reste d’entre nous travaille de longues heures pour maintenir au sommet une petite minorité incroyablement riche.

Les démocrates ne peuvent pas arrêter la droite, précisément à cause de leur politique pro entreprise et de leur incapacité à rompre avec le capitalisme. Ils sont l’un des deux principaux partis capitalistes. Cela signifie non seulement qu’ils ne combatteront pas la droite, mais surtout qu’ils ne peuvent fondamentalement pas le faire. Cela signifie que les travailleuses, les travailleurs et les gens ordinaires ne peuvent pas continuer à voter pour les démocrates comme le «moindre mal» et espérer que cela suffira. Même une victoire de Harris basée sur la peur de Trump donnera à la droite populiste de nouvelles opportunités basées sur la poursuite des politiques démocrates.

Comme l’a souligné Socialist Alternative dans des articles précédents, le fait que les démocrates ne proposent pas de véritables solutions aux travailleuses et aux travailleurs n’est pas seulement insuffisant, cela encourage et fait grandir la droite. Harris peut bien parler de son soutien au droit à l’avortement. Mais les gens ordinaires ont été témoins de sa réticence – et de celle de son parti – à codifier l’arrêt Roe v. Wade ou à faire quoi que ce soit pour reconquérir les droits depuis son annulation.

Malgré des déclarations creuses de solidarité, les démocrates n’ont pris aucune mesure concrète pour freiner l’assaut des projets de loi anti-LGBTQ proposés à travers le pays, y compris les centaines de projets de loi anti-trans proposés pour la seule année 2023. Le Parti démocrate est en crise, faiblement soudé par la peur de Trump, et incapable de proposer une stratégie gagnante pour le battre et résoudre la myriade de crises auxquelles sont confrontés les travailleuses et les travailleurs.

Nous avons besoin d’un nouveau parti, pas d’une nouvelle démocrate

L’aile gauche du Parti démocrate ne viendra pas sauver les travailleuses, les travailleurs et les jeunes. Il est temps d’abandonner complètement ce parti et de construire quelque chose de nouveau. Les États-Unis sont le seul pays capitaliste avancé au monde qui n’a jamais eu de parti ouvrier.

Alors que la société passe d’une catastrophe à une autre, les travailleuses et les travailleurs se rendent compte plus clairement que les ultra-riches et leurs serviteurs politiques n’ont aucune réponse aux crises constantes du capitalisme. La montée de la droite n’est pas un phénomène arbitraire dont nous pouvons attendre la disparition, à la manière d’un pendule qui fera automatiquement revenir la société plus «à gauche». La montée de la droite, c’est l’expression de travailleuses, de travailleurs et de jeunes désabusé·es et privé·es de leurs droits et privé·es d’une force organisée qui puisse montrer la voie à suivre pour déraciner ce système pourri et construire un avenir basé sur les besoins des gens, pas sur le profit.

Les travailleuses, les travailleurs et les jeunes doivent s’organiser de toute urgence pour construire un parti indépendant qui luttera réellement pour nos besoins, sur une base de classe, contre les capitalistes. Cela signifie une rupture définitive avec le Parti démocrate. Cela signifie se concentrer plutôt sur la construction de mouvements autour des syndicats, contre la guerre à Gaza ainsi que soutenir et initier des luttes autour d’autres questions qui préoccupent les travailleuses et les travailleurs. Nous pourrions utiliser les campagnes électorales de ce nouveau parti, menées par de véritables candidatures de gauche, opposées à la guerre, pour construire ces mouvements, au lieu de soutenir le système bipartisan agonisant actuel.

Un nouveau parti se heurtera aux limites de ce qui est possible dans le cadre du capitalisme. Il devra adopter un programme socialiste pour répondre aux besoins de notre classe. Le capitalisme créera inévitablement des crises qui donneront à l’extrême droite un terrain fertile pour se développer, si la gauche n’offre pas une voie à suivre. Ultimement, nous devons déraciner le système capitaliste qui nous d’un désastre à l’autre.

Ce que nous demandons:

  • Pour une lutte de masse contre le trumpisme et la droite, pas seulement Trump lui-même. Pour la construction d’une alternative de gauche viable dans les rues, les écoles et les milieux de travail.
  • Pas de vote pour les démocrates! Inscrivez un vote de protestation en faveur de candidatures indépendantes de gauche et anti-guerre telles Jill Stein ou Cornel West.
  • Au lieu de flirter avec les grands donateurs républicains au RNC ou de soutenir les démocrates, les leaders syndicaux comme Sean O’Brien et Shawn Fain devraient convoquer une conférence cet automne pour lancer un nouveau parti pro-syndical et anti-guerre!
  • Socialist Alternative manifestera à la Convention nationale démocrate à Chicago, et vous devriez nous y rejoindre!