Mark Carney s'exprimant au Forum économique mondial à Davos-Klosters, en Suisse, le 18 janvier 2023. Photo: Forum économique mondial/Ciaran McCrickard
Financier «écolo», fier membre de l’«élite», multimillionnaire et adepte inconditionnel du capitalisme: il n’y a pas de personne plus apte à diriger les libéraux que Mark Carney.
Soutenu par 86% des 150 000 membres du Parti libéral du Canada ayant voté, Mark Carney a remporté la course à la chefferie haut la main. Après presque une décennie de règne de Justin Trudeau, le Parti libéral a trouvé le nouveau visage qu’il lui fallait pour continuer de fonctionner comme si de rien n’était.
Chrystia Freeland, ex-vice-première ministre du Canada, est arrivée loin derrière avec 8% des voix. Elle s’est peu démarquée de Carney sur le plan politique. Trump, le commerce international, l’économie et le militarisme ont dominé la discussion.
Ce qui a vraiment défini Carney comme le favori, c’est l’apparente séparation qu’il a opérée d’avec Trudeau. Malgré sa sortie du cabinet très médiatisée en janvier, Freeland est restée associée à Trudeau par neuf années d’association comme vice-première ministre et ministre des finances. Elle a également été marquée par la «doctrine Freeland», notamment l’augmentation des dépenses d’armement et d’aide militaire ainsi que l’exportation de pièces détachées d’armes, d’explosifs et d’équipements de surveillance vers Israël. Cela a contribué au massacre génocidaire du gouvernement d’Israël à Gaza.
Carney est le candidat préféré des entreprises. Il représente la stabilité pour l’économie et la rentabilité, une caractéristique très souhaitée face aux attaques et aux menaces de Donald Trump.
Ses discours creux n’apporteront pas d’améliorations significatives pour les travailleuses, les travailleurs et les peuples opprimés. Ils sont identiques, voire pires, que les promesses du programme pro-business du gouvernement Trudeau.
Mark Carney, l’homme d’affaires
Mark Carney ne cache pas son statut «élitiste», puisqu’il est un ancien membre du «Groupe des Trente», un groupe financier universitaire, ainsi que du Forum économique mondial. (Chrystia Freeland est également membre du Forum économique mondial.) Ses antécédents en politique renforcent sa réputation «élitiste».
Carney a travaillé sous le gouvernement libéral de Paul Martin en 2003 en tant que sous-gouverneur de la Banque du Canada, puis sous les ministres des finances des gouvernements Martin et de Stephen Harper. En 2008, il est devenu gouverneur de la Banque du Canada et a supervisé l’«assouplissement quantitatif», c’est-à-dire la réduction des taux d’intérêt des prêts, des impôts et des dépenses fédérales, ainsi que le renflouement des cinq grandes banques canadiennes. En 2014, il est devenu gouverneur de la Banque d’Angleterre, où il a poursuivi des politiques de crédit à bon marché qui ont encore réduit les taux d’intérêt.
Depuis qu’il a quitté la Banque d’Angleterre en 2020, il est passé au secteur privé, conseillant brièvement Trudeau en 2021, qui lui a offert un rôle dans son gouvernement.
Carney prône un «capitalisme vert». Dans son livre Values, Carney souscrit à l’idée que le capitalisme de libre marché et l’environnementalisme peuvent coexister. Malgré cela, il a supervisé des investissements d’entreprises dans le pétrole et le gaz, y compris le charbon et le pétrole brut.
Jusqu’à récemment, il était président du conseil d’administration de Brookfield Asset Management, l’une des plus grandes sociétés multinationales d’investissement financier au Canada, avec près de 1 000 milliards $ canadiens d’actifs totaux. La société a récemment transféré son siège de Toronto à New York, juste avant que Carney ne démissionne en janvier.
Financier «écolo», fier membre de l’«élite», multimillionnaire et adepte inconditionnel du capitalisme: il n’y a pas de personne plus apte à diriger les libéraux que Mark Carney.
Le tournant à droite des libéraux
Reflétant les nouvelles priorités de la bourgeoisie canadienne dans ce monde tumultueux, le Parti libéral a opéré un tournant vers la droite, ce qui signifie une augmentation de l’austérité, du militarisme, de la violence néocoloniale et du nationalisme. Le nationalisme canadien est devenu crucial face aux menaces de Trump, ralliant les travailleuses et les travailleurs pour soutenir les grandes entreprises, sans proposer de politiques visant à améliorer le niveau de vie.
Simultanément, les libéraux tentent de se maintenir au centre politique. De nombreuses Canadiennes et Canadiens craignent les politiques trumpiennes, qui sont (à juste titre) associées à la marque de populisme de droite du leader conservateur Pierre Poilievre, avec toute son effronterie et ses vagues slogans «anti-élite» visant à dissimuler ses politiques pro-entreprises.
Les libéraux de Mark Carney incarnent les désirs du capitalisme canadien, sans le bagage et l’association avec l’ennemi national, c’est-à-dire Trump.
Les engagements en faveur de l’intervention de l’État pour soutenir les grandes entreprises demeurent, ce qui inclut le slogan de Carney «dépenser moins et investir plus». Comment Carney va-t-il mettre de l’argent dans les poches des gens, augmenter les dépenses militaires, réduire les impôts sur les sociétés et accorder des subventions publiques aux entreprises? D’une manière ou d’une autre, la classe ouvrière paiera pour les cadeaux faits aux grandes entreprises, probablement en réduisant les services publics. La taxe sur les gains en capital proposée par Trudeau est morte et enterrée.
Carney s’est engagé à atteindre l’objectif de l’OTAN de faire dépenser 2% du PIB canadien pour la défense d’ici à 2030. Il a proposé de plafonner l’immigration à des niveaux prépandémiques jusqu’à ce qu’elle revienne à des «tendances durables et prépandémiques».
Mais le monde a changé. Le discours politiquement correct de Justin Trudeau n’occupe plus le devant de la scène. L’interventionnisme étatique que représente Carney est un changement par rapport à Trudeau, mais il n’est pas avantageux pour les travailleuses et les travailleurs.
Le «zélote du climat» Carney
La principale épine dans le pied des libéraux a été enlevée. La fameuse taxe sur le carbone semble, du moins pour les consommateurs et les consommatrices, terminée.
Les alternatives proposées par Carney comprennent une taxe sur les gros émetteurs, des «incitations vertes» et un «ajustement carbone aux frontières», c’est-à-dire des droits de douane sur les produits importés qui émettent beaucoup d’émissions lors de leur production, comme l’acier, l’aluminium et les produits manufacturés.
Le lobby du pétrole et du gaz n’apprécie certainement pas Carney. Ses porte-parole au Calgary Herald le qualifient de «zélote du climat» et l’Edmonton Journal considère que son programme favorise des changements radicaux dans le monde des affaires. Ils citent Peter Foster du Financial Post:
Le plan de Carney consiste à contrôler l’économie mondiale en s’emparant des sommets de la finance, non pas par la nationalisation, mais en exerçant des pressions non démocratiques pour que les entreprises se désengagent des combustibles fossiles et cessent de les financer. Le secteur privé doit devenir un partenaire pour imposer son propre asservissement. Il s’agira d’un totalitarisme maison.
Malgré cela, il a supervisé, pendant son mandat à Brookfield, des investissements continus dans les combustibles fossiles à l’échelle nationale et internationale, tout en soutenant personnellement les gazoducs de GNL (gaz naturel liquéfié), s’engageant à utiliser «les pouvoirs d’urgence du Canada» pour en construire d’autres.
Carney affirme que le Canada est une superpuissance énergétique, tant pour les énergies renouvelables que pour les énergies traditionnelles (combustibles fossiles). Il ne réduira pas la production de combustibles fossiles. La classe capitaliste considère toujours que les combustibles fossiles sont rentables, en particulier parce que l’accent reste mis sur l’exportation vers des pays moins réglementés.
Ce qui se cache derrière le rebond des libéraux
La démission de Justin Trudeau et la fin de la taxe carbone ont dans un premier temps coupé l’herbe sous le pied des attaques conservatrices (Poilièvre n’aura pas son élection sur la taxe carbone). Cependant, d’abord et avant tout, l’élection de Donald Trump et ses menaces de tarifs douaniers et d’annexion du Canada ont été la force motrice derrière les nouveaux appuis gagnés par le Parti libéral.
La position initialement faible de Poilievre sur les attaques de Trump a éloigné des conservateurs les électrices et les électeurs de droite modérée. Une position plus ferme contre Trump, dans la lignée de celle du premier ministre de l’Ontario Doug Ford, risquait d’offenser sa base d’extrême-droite. Le récent plan Canada First de Poilievre n’a pas repoussé la résurgence libérale et est considéré comme un écho du MAGA de Trump (Make America Great Again. Les libéraux ont trop volontiers tordu le couteau dans la plaie sur ce point.
Le NPD, que beaucoup considèrent comme le chien de poche du Parti libéral, n’a pas adopté une approche proactive en présentant une alternative de gauche à Trump et aux libéraux. Au lieu de répondre aux tarifs douaniers avec un programme politique pour les travailleuses et les travailleurs, le NPD a largement soutenu la stratégie des grandes entreprises, avec quelques réformes mineures telles qu’une assurance-chômage élargie. Le soutien au NPD a chuté en faveur de Carney en partie à cause de l’absence d’une alternative distincte. Pourquoi voter pour une imitation quand on peut voter pour l’original?
Carney peut-il gagner?
Début janvier, après plusieurs défaites lors d’élections partielles, la détérioration de la situation économique, l’exonération de la taxe carbone sur le mazout de chauffage qui a surtout profité aux provinces atlantiques, les défections de ministres de premier plan et les résultats lamentables des sondages, la défaite semblait ne faire aucun doute pour les libéraux. L’évolution rapide des circonstances et situations caractérise l’ère chaotique que nous vivons aujourd’hui.
Carney représente un virage à droite pour le Parti libéral, un parti qui se fait passer à la fois pour un protecteur des travailleuses, des travailleurs et des entreprises du Canada. En réalité, il ne vise qu’à défendre les intérêts des entreprises. Certains électeurs et électrices ont recommencé à soutenir les libéraux par désespoir face à Trump et à la menace que représentent les États-Unis. Pas en raison de véritables changements politiques réalisés par les libéraux.
Si les choses restent telles quelles, les élections fédérales seront une compétition dominée par des versions concurrentes du nationalisme canadien. Les sondages actuels indiquent un résultat allant d’une petite victoire conservatrice à un gouvernement libéral minoritaire.
Dans tous ces scénarios, les attaques contre la classe ouvrière et les peuples opprimés vont se multiplier. Les deux principaux partis promettent la même chose, voire pire: baisse du niveau de vie, atteinte aux droits syndicaux et à l’environnement, empiètement néocolonial sur les territoires des peuples autochtones ainsi que montée du nationalisme et du militarisme.
Soutenir les guerres commerciales nationalistes ne fera que dresser les travailleuses et les travailleurs les uns contre les autres, au seul profit de la classe capitaliste. Une alternative pour la classe ouvrière, incluant une solidarité internationale contre les licenciements et les fermetures de milieux de travail ainsi que pour la propriété publique des secteurs industriels clés, est le meilleur moyen de protéger les emplois et les conditions de vie.