Tarifs douaniers : Les patrons ne gaspillent jamais une bonne crise

Trump traite les économies du Canada, du Mexique et des États-Unis à la manière d’un chat qui taquine une souris capturée. Il joue avec l’avenir et les moyens de subsistance de 500 millions de personnes.

Le 4 mars, toutes les importations en provenance du Mexique et du Canada ont été frappées de tarifs douaniers de 25%, à l’exception de l’énergie et des minéraux essentiels qui ont été soumis à des droits de 10%. Après une ronde de menaces gouvernementales, l’administration Trump a frappé d’une surtaxe de 25% toutes les importations d’acier et d’aluminium dès le 12 mars.

Le 5 mars, un sursis d’un mois avait été accordé au secteur de la construction automobile. Après le sursis accordé, les tarifs ont été imposés le 26 mars

Le 6 mars, les tarifs douaniers ont été suspendus pendant un mois pour les importations canadiennes et mexicaines couvertes par l’accord de libre-échange nord-américain, renégocié lors de la première présidence de Trump. Ainsi, environ 50% des importations en provenance du Mexique ne sont pas soumises à des tarifs douaniers, tout comme 38% des importations en provenance du Canada.

Trump menace maintenant d’imposer des tarifs de 250% sur les produits laitiers. Toutefois, le Canada a décidé de maintenir des tarifs de rétorsion sur 30 milliards $ de marchandises en provenance des États-Unis. Le gouvernement va retarder jusqu’au 2 avril sa deuxième série de tarifs de rétorsion sur une valeur de 125 milliards $. C’est la date à laquelle Trump imposera aux pays du monde entier sa prochaine série de tarifs douaniers dits «réciproques».

Les travailleuses et les travailleurs des trois pays nord-américains peuvent peut-être pousser un soupir de soulagement, mais ce n’est qu’un court sursis. L’ambiance actuelle est à la colère et à l’inquiétude face à ce qui les attend. Ce jeu stratégique du chat et de la souris entre Trump et les autres pays est épuisant pour les travailleuses et travailleurs. Le délai d’un mois doit être utilisé pour développer des politiques qui soutiennent la classe ouvrière dans cette guerre commerciale. Il s’agit de lancer des campagnes pour établir un programme ouvrier pour faire face aux tarifs douaniers.


Trump a déclaré la guerre économique au Canada et au Mexique en imposant des tarifs douaniers de 25%. Ceux-ci entraîneront les économies canadienne et mexicaine dans la récession, ce qui nuira à l’emploi et au niveau de vie. Les tarifs douaniers imposés au Canada n’ont pas de lien avec le fentanyl, mais visent à affaiblir l’économie et à transformer le Canada en vassal des États-Unis, en 51e État.

Les tarifs généraux de 25% sur tous les produits, à l’exception de l’énergie, qui bénéficie d’un droit de douane de 10%, ne sont qu’un début. Le 12 mars, toutes les importations américaines d’acier et d’aluminium ont été frappées de tarifs supplémentaires de 25%. Un rapport examinant l’ensemble du commerce américain est prévu pour le 1er avril, ce qui veut dire que d’autres tarifs suivront probablement. Une surtaxe sur le bois d’œuvre importé du Canada devrait passer à 27% en août, en addition aux tarifs douaniers généralisés de 25%.

Trump a augmenté les tarifs douaniers sur les produits chinois et a menacé l’Union européenne et d’autres pays. Le gouvernement canadien a annoncé qu’il ripostera «dollar pour dollar» aux tarifs et que les provinces prévoient d’autres mesures. La Chine et le Mexique prendront également des mesures de rétorsion. Tous ces tarifs douaniers auront des répercussions sur les travailleuses et les travailleurs américains, qui subiront une hausse des prix et verront leur nombre d’emplois diminuer. Une guerre commerciale mondiale pourrait entraîner l’économie mondiale dans une récession, voire une dépression mondiale et une crise majeure du système financier.

Saisir l’opportunité de cette crise

Machiavel a écrit: «Ne gaspillez jamais l’opportunité offerte par une bonne crise». Les entreprises canadiennes suivent ce conseil en réponse à la crise des tarifs douaniers de Trump. Elles ont dépoussiéré de nombreux objectifs de longue date et les présentent désormais comme étant dans l’intérêt de tous les Canadiens et Canadiennes afin de les aider à survivre aux dommages d’une guerre commerciale.

Les grandes entreprises et les responsables politiques s’accordent largement sur une série de politiques, notamment la réduction des obstacles au commerce entre les provinces et l’amélioration des connexions est-ouest entre les oléoducs ainsi qu’entre les réseaux électriques. Les entreprises veulent qu’il soit plus facile de construire de grands projets d’exploitation de ressources, tels que des mines et des oléoducs. Elles souhaitent également une expansion majeure de l’énergie nucléaire. Elles souhaitent que les grandes entreprises bénéficient d’une double aide, soit sous la forme de réductions d’impôts pour les sociétés et sous forme de subventions. Les entreprises soutiennent largement l’augmentation des dépenses militaires, tout comme la réduction du financement des services fédéraux.

Les grandes entreprises ont fait des déclarations exagérées sur les avantages de la suppression des barrières commerciales internes. La Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI) affirme que cela stimulerait l’économie canadienne à hauteur de 200 milliards $ par an, soit une augmentation de 6,4%! Le Centre canadien de politiques alternatives a souligné que les chiffres de 200 à 240 milliards $ d’économies réalisées grâce à l’élimination des barrières sont tout à fait exagérés.

Briser les mythes

Quels sont les obstacles au commerce interprovincial ? Les exemples souvent cités sont les limites imposées à la vente d’alcool, les réglementations sur le transport routier, les contrôles sur la production alimentaire et les règles sur les qualifications. Rien ne prouve qu’une augmentation des échanges de bière, de vin ou de spiritueux entraînerait une baisse des prix.

La plupart des règles applicables au transport routier concernent la sécurité. Conduire un camion dans les Rocheuses en hiver est une chose, conduire un camion dans les prairies plates en est une autre. Par exemple, les pneus des camions doivent être munis de chaînes en Colombie-Britannique du début du mois d’octobre à la fin du mois d’avril. Par temps très humide, la Colombie-Britannique limite le poids des charges pour éviter que les routes ne s’effondrent.

Des mesures visant à normaliser les qualifications pour les métiers spécialisés, le personnel de la santé et les corps enseignant seraient logiques. Mais si le nombre de personnes formées dans toutes ces professions n’augmente pas de manière significative, il y aura des guerres de maraudage entre les provinces.

Le contrôle sur la production laitière, les œufs et la volaille (la «gestion de l’offre») protègent les agriculteurs et agricultrices. Ce contrôle protège également les consommateurs et consommatrices contre les aliments malsains et les variations brutales de prix. Par exemple, l’absence de réglementation aux États-Unis a eu pour conséquence que la grippe aviaire a dévasté la production d’œufs. Les prix sont montés en flèche, atteignant 12$ à 13$ la douzaine, contre environ 5$ au Canada.

Ce que les patrons veulent vraiment, c’est un nivellement par le bas. Ce sont les normes les plus basses possibles en matière de santé et de sécurité appliquées à toutes les provinces.

L’ancienne vice-première ministre libérale Chrystia Freeland a affirmé qu’elle utiliserait l’intelligence artificielle pour réduire les dépenses fédérales. L’utilisation de la technologie à des fins d’économies a une triste histoire. L’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper a introduit le système de paie Phoenix pour économiser de l’argent. Après 15 ans de désastre et des coûts d’environ 4 milliards $, ce système est en cours de remplacement. Derrière les belles paroles d’efficacité se cache une réalité de réduction des services.

On prétend que les réductions d’impôts accordées aux grandes entreprises stimuleront l’investissement, en dépit de l’absence de preuves. En 2013, Harper a ramené à 15% le taux d’imposition des entreprises qui était à environ 22% en 2007, en plus des réductions déjà opérées par les libéraux. Cette réduction a coûté au gouvernement canadien quelque 60 milliards $ de recettes (ce qui s’est traduit par des services publics non fournis). Malgré ces réductions d’impôts pour les entreprises, les investissements dans l’industrie manufacturière ont diminué au cours de cette même période. Pour citer un rapport de Statistique Canada, «le ratio de l’investissement au stock de capital net et l’investissement par travailleur ont diminué après 2006, surtout après 2014. En raison de ce ralentissement de l’investissement, la croissance de la productivité du travail a diminué après 2006.»

Les précédentes réductions d’impôts pour les entreprises n’ont pas entraîné l’effet escompté sur l’investissement ou la productivité dans l’industrie manufacturière. L’argent continuera à aller dans l’immobilier et d’autres bulles spéculatives, ainsi que dans les dividendes versés aux actionnaires.

Les subventions aux entreprises permettent généralement à ces dernières d’économiser de l’argent qu’elles auraient dépensé de toute façon. Ou alors elles empochent l’argent, tout simplement. Pendant la crise de la COVID-19, les entreprises ont bénéficié du programme de Subvention salariale d’urgence du Canada, tout en continuant à licencier leurs employé.es. Elles ont souvent utilisé cet argent pour verser des dividendes à leurs actionnaires. Quelle partie des 50 milliards $ en subventions accordées pour la construction de batteries pour voitures électriques produira un retour sur investissement pour les Canadiens et Canadiennes?

L’augmentation des dépenses militaires et les réductions d’impôts pour les grandes entreprises entraîneront de graves coupures dans les services publics.

L’assouplissement des restrictions imposées aux grands projets d’exploitation de ressources naturelles se traduira par une moindre protection de l’environnement et par une multiplication des catastrophes écologiques. L’énergie nucléaire n’est pas bon marché. Personne n’a trouvé de solution pour ses déchets, qui sont radioactifs pendant 10 000 à un million d’années! Et en cas de problème, une terrible catastrophe peut se produire, comme à Fukushima ou à Tchernobyl.

S’il est logique d’améliorer les connexions est-ouest, se concentrer sur la construction de nouveaux oléoducs est une stratégie à courte vue. Cela revient à nous maintenir dans l’utilisation des combustibles fossiles pendant des décennies. La construction d’un pipeline traversant des milliers de kilomètres du bouclier canadien sera coûteuse. Des fuites risqueraient de contaminer l’eau, car le pipeline traversera des milliers de ruisseaux et de rivières, dont le Nelson-Saskatchewan et le Saint-Laurent.

Derrière tous les discours de «l’Équipe Canada» se cache la détermination des patrons à protéger, voire à augmenter, leurs profits.

Une réponse ouvrière

En réponse à la guerre commerciale menée par Trump, un programme d’action dans l’intérêt des travailleuses et des travailleurs se concentrerait sur la création d’emplois de qualité et la satisfaction des besoins de la société. Il devrait également proposer la solidarité avec les travailleuses et les travailleurs des États-Unis et du Mexique. Ces collègues ne sont pas la cause des tarifs douaniers. Les travailleuses et les travailleurs des trois pays en souffriront. Les priorités ouvrières sont très différentes de celles de la classe capitaliste.

Des réformes immédiates consistent à protéger les emplois et les revenus – pas de coupures ou de licenciements – et à protéger les logements des gens. Si des entreprises sont fermées, elles doivent devenir propriété publique. Il ne doit pas y avoir de cadeaux gratuits aux grandes entreprises – seulement des prêts à honorer ou alors la mise sous propriété publique, même partielle. Il est urgent de mettre en place une véritable protection pour les travailleuses et les travailleurs qui perdent leur emploi (directement ou indirectement). Le système canadien d’assurance-emploi ne leur fournit pas un revenu suffisant. En outre, le système doit inclure les travailleuses et les travailleurs qui ne sont pas actuellement couverts par l’assurance-emploi, y compris les personnes à temps partiel ou à contrat à court terme (gig economy).

Un programme permettant de survivre à une guerre commerciale doit aller beaucoup plus loin. Les travailleuses et les travailleurs ne peuvent pas compter sur les entreprises pour tenir leurs promesses. Une réponse efficace nécessitera une action gouvernementale combinée à la mise sous propriété publique et au contrôle ouvrier. Les travailleuses et les travailleurs sont les experts des meilleures façons de fabriquer des produits et de fournir des meilleurs services.

Un programme pour la classe ouvrière doit inclure des investissements publics importants dans les infrastructures, notamment les routes, les ponts, l’eau potable, les eaux usées, les déchets, les transports publics, les installations récréatives et culturelles et les logements publics à prix abordable. Cela signifie qu’il faut employer des travailleuses et des travailleurs qualifiés du Canada et mettre en place de nouvelles formations pour qualifier davantage.

Les tarifs douaniers sur le bois d’œuvre sont l’occasion de résoudre la crise du logement causée par les coupes budgétaires et la dépendance à l’égard des promoteurs privés rapaces. Il est temps de mettre en place un programme de construction massive de logements publics de haute qualité et à loyer réellement abordable. Parallèlement, les bâtiments existants doivent être rénovés afin d’être plus efficaces sur le plan énergétique.

Le Canada regorge d’acier, d’aluminium et d’autres minéraux, ainsi que de personnes qualifiées. Le Canada doit saisir cette occasion pour redoubler d’efforts en matière d’énergies renouvelables afin d’exploiter le vent, l’eau, le soleil et l’énergie géothermique. Ces énergies, associées à un réseau électrique interconnecté, créeront de nombreux emplois syndiqués de qualité sans qu’il soit nécessaire de construire de nouveaux oléoducs.

La connexion est-ouest la plus vitale est le chemin de fer, mais il est négligé. Depuis des années, les deux compagnies privées – le Canadien National et le Canadien Pacifique – n’ont pas suffisamment investi dans l’entretien et l’amélioration des voies. En 2022, la vitesse moyenne d’un train de marchandises canadien était de 33 km/h. Aucun des itinéraires longue distance n’est électrifié. Le fret suisse, malgré toutes ses montagnes, a une vitesse moyenne de 120 km/h.

Une nouvelle ère ferroviaire donnerait un coup de fouet majeur au commerce et aux voyages transcanadiens. La prise en charge des compagnies ferroviaires par l’État permettrait de mettre en place un programme de modernisation des voies et des rails, de doubler les voies partout où c’est possible pour éviter les retards et d’électrifier les principaux tronçons. Il s’agirait d’un vaste programme de création d’emplois avec des avantages réels, qui utiliserait beaucoup d’acier, d’aluminium et d’autres matériaux.

Avec de bonnes lignes ferroviaires à double voie, le transport de passagers pourrait être réintroduit dans une grande partie du Canada. L’autre volet d’une nouvelle politique des transports consisterait à accélérer la construction de lignes ferroviaires urbaines dans toutes les grandes villes.

Quel avenir?

Bien que ces politiques soient beaucoup plus sensées et bénéfiques pour la société que le programme des patrons, ni les libéraux ni les conservateurs ne les mettront en œuvre. Il est peu probable que le NPD adopte des idées aussi audacieuses, mais pratiques, qui profiteraient à ses électrices et électeurs.

Les patrons ont leur programme et façonneront Team Canada à moins que les travailleurs n’aient un programme clair, pour lequel Socialist Alternative a fait des suggestions, et qu’ils se mobilisent pour ce programme.

Aujourd’hui, cinq ans après le début de la COVID-19, la classe ouvrière doit s’assurer que le scénario de cette crise est différent de l’autre. Au début de la pandémie, l’incertitude et la peur étaient généralisées. Puis un sentiment de solidarité est apparu. Les gens portaient des masques et s’éloignaient physiquement tout en maintenant des liens sociaux. La perception positive des travailleuses et des travailleurs essentiels ainsi que de la valeur du secteur public et de ses services, en particulier du système de santé publique, s’est développée. Les applaudissements et les coups de casseroles en solidarité avec le personnel de la santé se sont répandus dans le monde entier. Les gens ont également constaté les faiblesses et les échecs des entreprises à but lucratif. Rappelez-vous les taux de mortalité dans les résidences privées à but lucratif. On espérait que la crise de la COVID-19 déboucherait sur un monde meilleur.

Mais cela n’a pas été le cas. Les multiples échecs des gouvernements, l’interminable situation d’urgence, la tricherie des élites et les abus des patrons à l’égard des travailleuses et travailleurs ont érodé le sens de la solidarité. Il était clair que nous n’étions pas tous dans le même bateau.

Au fur et à mesure que les frustrations ont grandi, la colère et les divisions se sont intensifiées. L’aile droite a profité de cette «opportunité» pour s’engouffrer dans la brèche avec son même vieux programme. Les directions syndicales et les néo-démocrates ont laissé s’installer un vide, car personne n’a proposé d’alternative audacieuse au gouvernement ou aux populistes de droite.

Aujourd’hui, la classe ouvrière est confrontée à une nouvelle crise. Les patrons et leurs politiciens ont un programme clair, qui augmentera les profits et frappera la classe ouvrière. Les travailleuses et les travailleurs ont besoin d’un programme distinct. Ils devront se battre pour ce programme, en construisant un mouvement socialiste pour mettre fin à la folie du capitalisme, qui traverse actuellement une crise profonde.


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