Piquet de grève du STTP avec des membres de Socialist Alternative

Postes Canada : Les libéraux font (encore) le sale boulot des patrons

Piquet de grève du STTP avec des membres de Socialist Alternative

En décembre dernier, le gouvernement libéral a mis fin à la grève de 55 000 postiers et postières en utilisant sournoisement une clause obscure, l’article 107, du Code canadien du travail. Il a utilisé la même tactique pour attaquer les travailleuses et les travailleurs des chemins de fer et des ports. 

Dans les trois cas, les patrons ont posé des exigences déraisonnables. Ils se sont attaqués aux conditions de travail et aux emplois, puis ont refusé de négocier, attendant que le gouvernement vienne à leur secours.

La direction du STTP met fin à la grève  

Le vendredi 14 décembre, le ministre fédéral du Travail, Steven MacKinnon, a demandé au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) d’«évaluer la probabilité» d’un accord négocié cette année. Sans surprise, le Conseil a déclaré qu’un accord était peu probable et a ordonné la fin de la grève de quatre semaines des 55 000 membres du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP). Sur instruction du ministre du Travail, le contrat de travail existant a été unilatéralement prolongé jusqu’au 22 mai 2025.

Cette décision a laissé les syndiqué⋅es perplexes et furieux que le gouvernement les prive de leur droit de négocier une convention collective. La direction du syndicat, qualifiant l’action du gouvernement d’«abus de pouvoir», a néanmoins acquiescé à la décision du CCRI. Le mardi 17 décembre, la plupart des membres du STTP ont mis fin à leur grève à contrecœur et sont retourné⋅es au travail. Sur les piquets de grève et dans les sections syndicales locales à travers le pays, les travailleuses et les travailleurs voulaient poursuivre la grève. Il y a eu quelques défiances de courte durée contre l’ordre du CCRI. Sur certains piquets, la présence solidaire d’autres syndiqué⋅es et allié⋅es a brièvement retardé la reprise du travail, jusqu’à l’arrivée de la police.

La direction du syndicat a discrètement mis fin à la plus longue grève du STTP depuis le débrayage de six semaines de 1975. Cette décision est venue couronner un douloureux revers pour les postiers et postières ainsi que pour le mouvement syndical dans son ensemble. Ce revers est le résultat d’une année de négociation factice.

Des négociations vides de sens

Les négociations en vue d’une nouvelle convention collective ont été un simulacre dès le départ, plus d’un an avant le début de la grève le 15 novembre 2024. La direction du syndicat espérait pouvoir négocier librement une convention collective pour la première fois depuis 2016. Le Parlement a imposé un contrat de travail en 2018 qui a été prolongé en 2021. Malgré la flambée du coût de la vie, les postiers et postières n’ont pas reçu d’augmentation de salaire pour couvrir l’inflation. Les revendications raisonnables du syndicat comprenaient une augmentation salariale de 24% sur quatre ans (en partie pour rattraper ce qui avait été perdu au cours de la dernière décennie) et la prise en charge du travail de fin de semaine par du personnel à temps plein.

La réponse des patrons de Postes Canada a été une attaque en règle. Ils ont proposé une augmentation salariale insultante de 11,5%. En même temps, ils voulaient s’attaquer aux emplois et aux conditions de travail des postiers et postières, en augmentant considérablement le nombre de travailleuses et travailleurs à temps partiel et occasionnels.

Postes Canada a augmenté la charge de travail, ce qui, avec les effets du changement climatique, a entraîné une augmentation des accidents du travail. Les données du gouvernement montrent que le travail postal est l’une des quatre professions les plus dangereuses en termes de blessures invalidantes. Les travailleuses et les travailleurs occasionnels et à temps partiel n’auront pas la même formation ni les mêmes droits pour les protéger contre les blessures.

Le gouvernement a nommé un médiateur, qui a rencontré les deux parties pendant plusieurs jours en novembre. Toutefois, il a déclaré, le 27 novembre, que la médiation n’aboutirait pas, car «les parties restent trop éloignées l’une de l’autre sur des questions essentielles».

Le 9 décembre, le syndicat a rencontré Postes Canada et lui a présenté de nouvelles propositions plus modestes. À la suite de cette rencontre, la présidente du syndicat, Jan Simpson, a publié une déclaration dans laquelle elle affirme que nous avons «attendu beaucoup trop longtemps que Postes Canada négocie de bonne foi. Pour réaliser de véritables progrès, il faut un engagement significatif, et non des propositions superficielles ou de nouvelles demandes qui font dérailler les progrès». Le syndicat a réduit sa revendication salariale à 19% et a assoupli ses positions sur le travail à temps partiel et les congés. Postes Canada n’a pas fait un pas vers le syndicat et a même menacé d’aggraver sa propre offre. Les patrons attendaient l’intervention du gouvernement.

Abus de l’article 107  

Les libéraux ont trouvé dans l’article 107 une nouvelle arme pour attaquer les syndicats et le droit de grève. L’article stipule ce qui suit:

Le ministre peut prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent; à ces fins il peut déférer au Conseil toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires.

Jusqu’à cette année, personne, y compris le dernier gouvernement conservateur, n’avait compris que cette clause donne au ministre le pouvoir d’interférer dans les négociations collectives. Lisa Raitt, ministre du Travail sous Stephen Harper, a déclaré :«Si vous trouvez un avocat qui vous dit qu’il est possible [pour le ministre d’ordonner aux parties de recourir à l’arbitrage], j’aurais aimé avoir son avis il y a 15 ans. Mais en ce qui me concerne, ce n’est pas possible de le faire».

Par le passé, les gouvernements ont eu recours à des lois de retour au travail pour mettre fin à des grèves. Les libéraux l’ont fait contre les travailleuses et les travailleurs des postes en 2018 et les conservateurs l’ont fait en 2011. Cependant, la Cour suprême du Canada a statué en 2015 que le droit de grève est une «composante indispensable» de la négociation collective et qu’il est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés.

Les libéraux n’ont pas voulu présenter de projet de loi, car cela montrerait clairement l’hypocrisie de leur prétention à être favorables aux travailleuses et travailleurs. Et un tel projet de loi aurait très probablement été rejeté. Le NPD aurait voté contre. Pierre Poilievre prétend être favorable à la classe ouvrière, de sorte que les conservateurs auraient probablement voté contre une telle législation. Et cela, même si Poilievre a fait partie du gouvernement Harper et a soutenu pleinement les lois spéciales de retour au travail.

En plus des travailleuses et des travailleurs postaux, les libéraux ont utilisé l’article 107 contre les employé⋅es des ports, des chemins de fer et des compagnies aériennes en 2024. Fin juin, le ministre du Travail a ordonné au CCRI d’imposer un arbitrage contraignant aux mécaniciennes et mécaniciens de WestJet. Toutefois, le gouvernement n’a pas précisé qu’il ne devait pas y avoir de grève. Les membres de l’Aircraft Mechanics Fraternal Association ont débrayé, ce qui a obligé WestJet à accepter très rapidement une hausse salariale substantielle.

En août 2024, les libéraux ont sauvé leurs ami⋅es des conseils d’administration des compagnies ferroviaires CN et CP, qui ont mis en lock-out les membres de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada. Les libéraux, ayant appris une leçon, ont ordonné que le lock-out prenne fin et que les travailleuses et travailleurs reprennent le travail. Ils sont maintenant coincés en arbitrage jusqu’en mars 2025.

En novembre, les lock-out des dockers de Montréal (section locale 375 du SCFP), de Québec (section locale 2614 du SCFP) et de la côte de la Colombie-Britannique (section locale 514 de l’ILWU) ont été bloqués par une directive du ministre du Travail. Cette fois, le gouvernement fédéral n’a pas ordonné d’arbitrage ni simplement ordonné aux travailleuses et travailleurs de reprendre le travail. Il a nommé une commission d’enquête industrielle chargée d’examiner les «problèmes structurels qui empêchent le règlement du conflit de travail actuel». Il lui a ordonné de présenter un rapport exposant ses conclusions et recommandations avant le 15 mai 2025 (une semaine avant l’expiration des conventions collectives en vigueur).

Entre-temps, le STTP poursuit ses négociations avec Postes Canada. Le syndicat avertit que «cela rendra les négociations encore plus conflictuelles». Il ajoute «qu’une fois de plus, les droits à la négociation collective des travailleurs postaux, protégés par la Charte […] ont été bafoués». Les négociations sur des changements structurels devraient faire partie du processus de négociation collective, et non être du ressort d’une enquête indépendante. Qualifiant cette affaire de «nouvel abus de pouvoir du gouvernement», le syndicat s’est engagé à «rester fort et à continuer à se battre».

La direction du STTP 

Avant même le début de la grève, il était clair que les patrons de Postes Canada n’avaient pas l’intention d’améliorer les salaires et les conditions de travail des employé⋅es. Ils étaient plutôt déterminés à assurer une main-d’œuvre «flexible», en apportant des changements structurels qui attaquent les travailleuses et les travailleurs. Dès le début de la grève, on s’attendait à ce que le gouvernement ait recours à l’article 107, considérant les précédents.

Postes Canada a elle-même utilisé des tactiques déloyales. Outre l’absence de négociations sérieuses, la société a signifié des avis de licenciement temporaire à environ 328 travailleuses et travailleurs, dont certains le premier jour de la grève. Le STTP a réussi à contester et à annuler ces licenciements le 11 décembre. Cependant, la société a également refusé aux membres des indemnités d’invalidité à court terme du 15 novembre au 17 décembre. Cette décision a été validé par le Conseil du travail.

Les patrons de Postes Canada espéraient des faveurs aussi rapides que celles accordées aux patrons des chemins de fer et des ports. Toutefois, le président de Postes Canada, Doug Ettinger (salaire annuel: plus de 500 000$) ainsi que les travailleuses et les travailleurs des postes, ont été surpris qu’il ait fallu autant de temps à MacKinnon pour agir, compte tenu des cas précédents.

Malgré tout, la direction du STTP n’avait aucun plan pour intensifier la grève ou pour réagir si on lui ordonnait de retourner au travail (avec ou sans arbitrage). Les grévistes sur le piquet se sont félicité⋅es du fait qu’il s’agissait d’une grève qui a interrompu la distribution du courrier, contrairement aux grèves tournantes et partielles de 2018 et 2011 qui «n’ont ralenti les livraisons que pendant une journée». Les facteurs et factrices ont fait des exceptions en distribuant les chèques de pension et d’aide sociale. Aucune journée nationale de protestation n’a été organisée pour permettre aux membres d’autres syndicats et au grand public de se joindre aux postiers et postières pour exprimer leur soutien autrement qu’en livrant des beignets ou en klaxonnant sur un piquet de grève.

Les grévistes, qui ont passé des semaines sur le piquet de grève sans que rien ne change, ont été exaspéré⋅es par le manque de communication de la part du centre national et même de certaines sections locales. Bien que des bulletins réguliers ont été envoyés aux membres pour les informer de l’avancement des négociations et que les sections locales ont voté sur des revendications modifiées, certains membres souhaitaient davantage de communication. Des membres bien informé⋅es et impliqué⋅es constituent le fondement d’un syndicat fort. Avec une stratégie claire et déterminée, c’est la meilleure garantie d’une lutte fructueuse.

Comme d’innombrables syndicats (y compris ceux des chemins de fer et des ports), le STTP affirme que l’ordonnance de retour au travail du CCRI est inconstitutionnelle. Cet ordre doit être combattu. Mais les cours et les tribunaux sont essentiellement le pire moyen de contester le pouvoir de l’État capitaliste. Le STTP a bien obtenu la reconnaissance de l’inconstitutionnalité de la loi qui lui a imposé un contrat de travail en 2011… mais la décision a été rendue en 2016. L’État et les employeurs qu’il sert seront toujours prêts à faire traîner les choses dans le système juridique, même (ou surtout) s’ils savent qu’ils sont complètement du mauvais côté de la loi. Les syndicats acceptent de se battre sur ce terrain. Pourtant, l’énergie et les idées des membres y sont complètement neutralisées, ce qui expose les syndicats à des risques considérables.

Le NPD et son chef, Jagmeet Singh, ont proclamé haut et fort qu’ils ne voteraient jamais pour forcer les travailleuses et les travailleurs à reprendre le travail. Mais ils savaient pertinemment que les libéraux emprunteraient cette voie. Lorsque les libéraux l’ont fait, Singh n’a offert ni leadership ni résistance au CCRI, acceptant implicitement le mensonge de son «indépendance» et en continuant à démontrer son impuissance.

Le gouvernement libéral est sur la corde raide, il est à l’agonie. Si les dirigeantes et les dirigeants du STTP avaient refusé de reprendre le travail, les membres auraient suivi. La grève de 1965, qui a permis d’obtenir le droit de se syndiquer, était illégale. Un appel aux travailleuses et aux travailleurs des chemins de fer et des ports – également attaqué⋅es par l’utilisation de l’article 107 par les libéraux – aurait pu susciter une réaction qui aurait forcé l’employeur et le gouvernement à reculer.

Les travailleuses et les travailleurs des postes, qui sont mécontents de l’issue de la grève, discuteront et tireront des leçons de ce qui s’est passé. Les membres travailleront à la construction d’un syndicat plus fort et à la mise sur pied d’une direction plus déterminée qui dispose d’une stratégie pour gagner les grèves. Le STTP est fier de sa tradition de lutte pour toutes les travailleuses et les travailleurs, comme l’obtention du congé parental en 1981. Cette tradition devra être renforcée pour résister aux attaques des patrons de Postes Canada ainsi que des parlementaires libéraux et conservateurs.

Les Canadiens et Canadiennes ont besoin de la poste

Postes Canada n’a cessé de crier à la pauvreté et à l’obsolescence de son modèle d’entreprise. Mais seule sa direction en est responsable, pas ses employé⋅es. L’une des astuces de relations publiques qu’elle a tentées a été de prétendre que les investissements majeurs, tels que les 400 millions $ consacrés à la construction d’une nouvelle installation gigantesque à Scarborough, n’étaient que de simples pertes. De nombreux commentateurs capitalistes ont décrit le système postal comme une «entreprise mourante». Mais une entreprise moribonde ne fait pas d’investissements aussi importants pour l’avenir.

Des groupes d’entreprises tels que la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante ont également pris fait et cause pour la direction, affirmant que la grève avait coûté plus d’un milliard de dollars aux petites entreprises et implorant le gouvernement de faire ce qu’il a finalement fait. Ils n’ont jamais critiqué les patrons.

La grève a montré très clairement que Postes Canada est un service vital pour les Canadiens et Canadiennes. Les petites communautés et les communautés rurales, ainsi que 79% des petites entreprises, dépendent de Postes Canada. Nombre d’entre elles ont été horrifiées par les coûts lorsqu’elles ont découvert les prix pratiqués par les entreprises de livraison du secteur privé telles que FedEx et UPS. Une femme de l’Ontario rural a appris que l’envoi d’une carte de Noël à son fils de Vancouver par l’intermédiaire de ces services coûterait entre 57$ et 62$ (alors qu’une carte livrée par Postes Canada ne coûterait que 1,40$). Les Canadiens et Canadiennes ont besoin d’un service postal national universel. Seul un service public peut l’assurer. Une poste privatisée ne s’intéresserait qu’aux profits, en choisissant certaines régions pour livrer et en laissant les autres en souffrir.

Les patrons de Postes Canada veulent réduire les livraisons et embaucher davantage de travailleuses et de travailleurs à temps partiel et à bas salaire. Ils cherchent à privatiser le service. En revanche, le STTP a un programme, Delivering Community Power [mal traduit par Vers des collectivités durables]. Il vise à renforcer et à développer Postes Canada, y compris les services bancaires postaux. Le STTP aurait dû mettre ce programme beaucoup plus en évidence pendant la grève. Il devrait encore le faire aujourd’hui. Postes Canada possède le plus grand réseau de bureaux et d’installations à travers le pays, y compris dans les régions rurales et nordiques. Grâce à ce réseau, l’entreprise pourrait fournir un large éventail de services communautaires. Cependant, les conservateurs et les libéraux sont tous deux des partis au service de Bay Street. Il faudra donc une campagne populaire de masse pour obtenir les services bancaires postaux. Cela constituerait une alternative abordable et accessible aux grandes banques, menaçant ainsi leurs énormes profits.

L’expansion et l’amélioration de Postes Canada, en tant que service public véritablement démocratique et attentif aux besoins et aux contributions du public, font parties de la vision des socialistes pour une société qui fonctionne pour l’ensemble de la classe ouvrière.

Alternative socialiste soutient pleinement les travailleurs et les travailleuses des postes dans leur lutte pour un syndicat fort, de bons salaires, de bonnes conditions de travail et pour réaliser leur vision de Postes Canada.


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