Justin Trudeau lors de l’annonce de sa démission, le lundi 6 janvier 2025 à Ottawa. Photo: Sean Kilpatrick/La Presse canadienne
La démission de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, est la dernière tuile tombée sur la tête du gouvernement Trudeau1. Le NPD a déclaré qu’il voterait une motion de censure contre le gouvernement. Les député·es libéraux débattent actuellement des conséquences de la chute du gouvernement. Ils et elles sont confrontées à une défaite humiliante lors des élections fédérales qui auront probablement lieu dans quelques mois.
Pour la classe ouvrière, malheureusement, les principaux bénéficiaires de l’effondrement du soutien libéral sont Pierre Poilievre et les conservateurs. Le NPD est accusé par beaucoup d’être responsable des politiques et des actions impopulaires des libéraux après avoir soutenu Justin Trudeau pendant deux ans et demi.
Les travailleuses et les travailleurs, les membres des syndicats, les peuples autochtones et les écologistes doivent se préparer à résister aux attaques des conservateurs. Ce type de gouvernement peut être vaincu par des mouvements de masse, et l’a déjà été.
La victoire écrasante de Trump confirme qu’un sourire, des mots gentils et des politiques modérées ne suffisent pas à faire face aux inégalités, à la baisse du niveau de vie, à la colère et à l’aliénation. Pourtant, c’est tout ce que Trudeau a à offrir aux Canadiens et Canadiennes.
Pierre Poilievre, le chef des conservateurs, sera premier ministre au cours des 12 prochains mois, peut-être avec la plus grande majorité parlementaire depuis une décennie. Seul un séisme politique pourrait arrêter cette situation. Au cours des quatre dernières années, le NPD a été le chien de poche des libéraux au lieu de fournir une forte opposition pro-travailleur.
En 2015, Justin Trudeau a été élu en surfant sur la vague du «changement», portée notamment par les jeunes. Au cours de ses neuf années au pouvoir, les loyers ont grimpé en flèche, le pipeline Trans Mountain a été renfloué et achevé au coût de 34 milliards de dollars et l’espoir que des millions de personnes avaient placé en lui, après neuf ans de Stephen Harper, s’est complètement évanoui. Plusieurs sondages d’opinion récents montrent que les jeunes sont plus nombreux à appuyer les conservateurs que les autres partis.
La déception à l’égard de Trudeau est si grande que Poilievre, l’un des ministres les plus décriés de Harper, arrive désormais dans les salles de tout le pays sous les acclamations de la foule. De son côté, le premier ministre s’enfonce dans son bourbier.
Colère face au coût de la vie
Lorsque Trudeau a été élu en 2015, le loyer mensuel moyen dans les 35 grands centres du Canada était de 966$. En 2023, il était de 2 193$. Au cours de la même période, le salaire hebdomadaire moyen est passé de 956$ à 1 270$. De toute évidence, les propriétaires s’en mettent plein les poches.
La même situation s’applique aux produits alimentaires et autres produits de première nécessité. Les prix ont augmenté bien plus vite que les revenus des travailleuses et des travailleurs. Pourtant, lorsque ces personnes se mettent en grève pour obtenir des salaires plus élevés, ce qu’elles sont de plus en plus contraintes à faire, les médias et les grandes entreprises crient au scandale.
Ce ne sont pas les travailleuses et les travailleurs qui prennent l’économie du pays «en otage», mais les super-riches et les grandes entreprises. En 2015, le magazine Forbes a estimé qu’il y avait 39 milliardaires au Canada, dont la richesse totale s’élevait à 147 milliards de dollars. En 2024, on comptait 67 milliardaires au Canada, dont la richesse totale s’élevait à 315 milliards de dollars. C’est plus du double que neuf ans plus tôt. Les bénéfices des entreprises en 2015 s’élevaient à 759 milliards de dollars. En 2023, ils atteignent 1 238 milliards de dollars. La croissance des bénéfices et de la richesse des milliardaires provient des poches des travailleuses et des travailleurs. Il n’est pas étonnant que les gens soient en colère.
Poilievre n’a pas de réponses
Poilievre est doué pour paraître en colère. Son programme électoral principal consiste à supprimer la taxe sur le carbone. Cela semble attrayant : payer moins cher pour l’essence. Cependant, cette mesure profitera principalement aux riches. La plupart des personnes à revenus moyens et faibles reçoivent plus en remboursement qu’elles ne paient en impôts. Les personnes qui consomment beaucoup de carburant (parcourant beaucoup de longues distances ou ayant des factures de chauffage élevées) pourraient également en bénéficier.
Poilievre surfe avec succès sur une vague internationale de colère contre les partis au pouvoir. En Colombie-Britannique et en Saskatchewan, les partis au pouvoir ont subi des revers majeurs et les conservateurs du Nouveau-Brunswick ont été évincés du pouvoir.
Comme plusieurs populistes de droite (Trump, Marine Le Pen en France, etc.), Poilievre sait très bien se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Bien qu’il se fasse l’écho du sentiment de millions de Canadiennes et Canadiens qui luttent pour joindre les deux bouts, bien qu’il prétend ne pas appartenir à l’élite, il mène une vie confortable de député depuis 20 ans (depuis qu’il a 25 ans). Il se dit l’ami des travailleuses et des travailleurs et un défenseur des syndicats et de leur droit de grève. Pourtant, alors qu’il était dans le gouvernement Harper, il a attaqué les droits des syndicats à de nombreuses reprises et a voté huit fois pour briser des grèves en adoptant des lois de retour au travail. Il s’est toujours opposé à l’augmentation du salaire minimum fédéral à 15$/h.
De plus, comme d’autres populistes de droite, il ne créera pas d’emplois une fois élu. Il réduira les services publics et dirigera le Canada au profit des riches et des entreprises.
Les libéraux non plus
Avec l’élection de Trump aux États-Unis, les libéraux feront campagne en essayant de dépeindre Poilievre comme le Trump du Canada. Une telle campagne échouera tout comme elle a échoué contre Trump ou John Rustad en Colombie-Britannique. Les libéraux seront jugés et condamnés sur leur bilan.
Trudeau prétend vouloir s’attaquer aux changements climatiques, mais le Canada est loin d’atteindre ses objectifs. L’exemption de la taxe sur le carbone pour le mazout de chauffage a fait capoter toute politique sérieuse. Elle représentait une tentative électoraliste flagrante de s’emparer des votes des provinces de l’Atlantique. Les exportations canadiennes de combustibles fossiles augmentent grâce à des subventions fédérales d’une valeur d’au moins 18,6 milliards de dollars en 2023. Chaque année, les Canadiennes et les Canadiens subissent davantage de catastrophes climatiques – incendies, dômes de chaleur, rivières atmosphériques, tempêtes tropicales, inondations – toutes provoquées par l’utilisation de combustibles fossiles, que ce soit au Canada ou dans le reste du monde. Bien entendu, les conservateurs ont encore moins de vision stratégique pour lutter contre les changements climatiques. Ils s’appuient notamment sur une technologie de captage du carbone qui n’a pas fait ses preuves.
Les libéraux font maintenant écho à l’affirmation des conservateurs selon laquelle la réduction de l’immigration rendra les logements plus abordables. Ce ne sera pas le cas, car les libéraux et les conservateurs laissent les entreprises privées se charger de la construction de logements. Cela ne permet pas de construire des logements abordables. Aucun parti ne mettra en œuvre ce qui est nécessaire, à savoir un plan visant à construire des centaines de milliers de logements publics et abordables partout au pays, ce que soutient Alternative Socialiste.
Malheureusement, le NPD a lié son avenir aux libéraux lorsqu’il a accepté d’appuyer le gouvernement minoritaire en 2022. Alternative Socialiste a alors lancé un avertissement : «Le NPD joue un jeu dangereux en essayant de travailler trop étroitement avec le Parti libéral». Depuis, son soutien stagne autour de 20%.
Crise de la productivité?
Au cours des dernières années, les médias canadiens spécialisés dans les affaires ont présenté un discours pessimiste au sujet de la faible croissance de la productivité du travail au Canada. La raison de cette faible croissance est le manque d’investissement des grandes entreprises, même si elles réalisent des profits records. Les profits servent à financer les rachats d’actions, les dividendes et les énormes versements aux cadres dirigeants.
En 2012, le directeur général de la Banque du Canada, Mark Carney, a critiqué les entreprises qui n’investissaient pas et se contentaient de s’asseoir sur des piles d’«argent mort». À l’époque, les sociétés non financières avaient accumulé 526 milliards de dollars.
Pour les analystes économiques, la réponse à la baisse de la productivité est de réduire l’impôt sur les sociétés. Harper a réduit l’impôt sur les sociétés de 21% à 15%, un taux déjà en baisse par rapport au 28% de l’an 2000. Résultat? L’investissement des entreprises canadiennes par travailleur a diminué de 20%! Les capitalistes investissent dans ce qui est rentable, préférant les bulles spéculatives et surtout l’immobilier.
Mais il ne fait aucun doute que les conservateurs répondront aux appels à la productivité en réduisant les impôts sur les sociétés. L’élection de Trump ajoutera à l’instabilité du Canada. Va-t-il imposer des tarifs sur toutes les exportations canadiennes vers les États-Unis? Il fera pression pour une augmentation des dépenses de défense. Tous ces facteurs accentueront les coupes dans les services publics ainsi que dans les investissements en infrastructures indispensables.
Combattre la droite
Les Canadiennes et Canadiens sont en grande majorité favorables à un impôt sur la fortune pour les super-riches (environ 80%). Ils et elles pensent que le logement est inabordable (89%), que l’accession à la propriété est impossible pour la plupart des gens (81%) et s’inquiètent du changement climatique (environ 75%). Ce ne sont pas vraiment les slogans politiques de la droite.
Au Canada et partout dans le monde, la politique se polarise de plus en plus. Le centre, qui propose des politiques modérées, s’effondre. Les gens ont désespérément besoin de changement. Pour des millions de personnes, le présent est intolérable. Les conservateurs gagnent parce qu’ils parlent de changement.
Par le passé, le NPD et les directions syndicales savaient que les riches devaient moins s’enrichir afin de permettre l’amélioration des conditions de vie des travailleuses, des travailleurs et l’offre de bons services publics. Aujourd’hui, le NPD estime qu’il y a de la place pour faire un compromis entre les intérêts des gens qui travaillent et ceux des grandes entreprises.
Nous ne pouvons pas compter sur le NPD pour arrêter Poilievre. Mais l’histoire ne se fait pas seulement lors des élections. Les changements les plus importants et les plus positifs se produisent grâce à l’organisation et à la mobilisation. Les manifestations, les rassemblements et les grèves apportent des changements. Ces méthodes d’action ont permis de gagner les droits syndicaux, le droit de vote, les pensions de retraite et la santé publique.
Ces dernières années, les grèves se sont multipliées. Les travailleuses et les travailleurs luttent contre l’inflation et l’avidité des patrons. Les membres des syndicats réclament de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Ils rejettent les ententes de principe médiocres et demandent aux directions syndicales de se battre pour de meilleurs accords. C’est ce pouvoir qui peut mettre un terme aux attaques inévitables de Poilievre contre les services publics, l’emploi, l’environnement et les droits de l’homme.
Les militantes et les militants syndicaux, communautaires, autochtones et environnementaux doivent s’unir et s’organiser. D’abord pour vaincre Poilievre, Trump et les autres, puis pour mettre fin au système, au capitalisme, qui engendre le désespoir et la colère dont ils se nourrissent. La lutte contre la droite doit conduire à la lutte pour le socialisme.
1. Depuis la rédaction de cet article, Justin Trudeau a annoncé le 6 janvier qu’il quitte son poste de premier ministre du Canada, mais pas avant que le Parti libéral du Canada lui ait trouvé un remplaçant.