Des membres de la FIQ au terme de trois journées de campement devant l’Assemblée nationale, le 12 septembre 2024. Photo: Radio-Canada/Philippe L'Heureux

Comment stopper l’austérité en santé

Des membres de la FIQ au terme de trois journées de campement devant l’Assemblée nationale, le 12 septembre 2024. Photo: Radio-Canada/Philippe L'Heureux

Le gouvernement Legault annonce des coupures majeures en éducation et en santé alors que les modalités des nouveaux contrats de travail dans le secteur public viennent juste d’entrer en vigueur et que la FIQ présente à ses membres les recommandations du conciliateur. Les bouc-émissaires habituels sont invoqués: le déficit et l’immigration. 

Dans une lettre datée de la mi-septembre, le sous-ministre à la santé, Daniel Paré, exige des coupures dans les établissements du réseau de la santé, mais elles «ne doivent pas avoir pour effet d’affecter les services à la population».

C’est une injonction contradictoire car, sans grande surprise, les services ont un coût. Certains CHSLD ont déjà coupé des quarts de nuit. Au Centre universitaire de santé McGill, l’«optimisation» engendre la fin de tests médicaux, comme les échographies, les prises de sang et les IRM, pour les patients et les patientes du 450. Dans certaines urgences de la Côte-Nord, on élimine les services de soir. Il n’y aura pas de médecins les vendredis et samedis. On entendra de plus en plus d’histoires de ce genre dans la prochaine période.

La CAQ, ce pompier pyromane de l’économie

Dans son budget 2024-2025, le gouvernement de la CAQ a annoncé un déficit record de 11 milliards $, une hausse de 7.5 milliards $. La croissance du PIB demeure bien en dessous de la performance espérée par le gouvernement Legault. Pour lui, c’est commode d’utiliser cette situation économique défavorable (qu’il a lui-même créé en finançant les ultra riches) pour se dire impuissant à subventionner les services publics. C’est sa première excuse pour justifier une nouvelle vague d’austérité sur le dos des travailleurs et des travailleuses.

Les caquistes et leurs commentateurs blâment également les personnes issues de l’immigration pour les difficultés actuelles, comme la crise du logement, celle de l’accès aux services de santé ou encore le recul du français. Bref, les personnes immigrantes coûteraient trop cher au Québec et «voleraient» les places des «pure laine». Or, c’est le gouvernement lui-même qui dépense des dizaines de millions $ pour aller chercher une bonne partie de cette immigration. Pourquoi? Afin de combler les postes dans les services publics, comme par exemple les 1 000 infirmières recrutées en Afrique depuis 2 ans. Mais quand ces personnes arrivent, rien n’a été fait pour garantir du logement abordable ou l’accès à des services publics de qualité.

Malgré ce que nous chante la CAQ, de l’argent pour les services publics, il y en a. Cette austérité qu’on nous sert encore et encore n’est en fait qu’un transfert de richesses, notre richesse, vers d’autres poches. Ces temps-ci, on parle des poches des Kings qui sont venus jouer à Québec. Mais le gros cash se trouve englouti dans la filière batterie, avec Northvolt qui promet de construire une usine à McMasterville et les compagnies qui attendent les commandes à Bécancour, assises sur des centaines de millions de dollars en subventions. Les élites politiques servent les intérêts de leur classe sociale. C’est notre responsabilité de nous battre pour les nôtres.

La nécessaire lutte contre la réforme Dubé

En décembre dernier, en pleine négociation du secteur public, le gouvernement a adopté sous bâillon une réforme majeure du système de santé présentée par le ministre de la Santé, Christian Dubé. Cette réforme crée un employeur unique, Santé Québec, pour tout le réseau.

Le processus de réforme du système vise notamment à fusionner des centres de services afin de forcer les soignantes à se déplacer entre les établissements régionaux. La réforme Dubé offre aux gens d’affaires une place de choix sur les conseils d’administration des établissements régionaux et même sur celui de Santé Québec. Elle ouvre ainsi la porte à la privatisation de certains services.

La lutte contre cette réforme n’est pas seulement un enjeu de conditions de travail, c’est une question politique concernant le démantèlement de notre système de santé public au profit du privé.

La FIQ est la dernière organisation syndicale à conclure sa négociation collective dans le secteur public. Contrairement aux autres organisations syndicales, toutes les membres de la FIQ peuvent exercer leurs droit de vote sur le futur contrat de travail par voie de référendum, sans être obligées de se présenter à une assemblée syndicale. Les membres ont ainsi rejeté une première entente de principe en avril 2024, au grand désarroi de sa présidente. Les négociations ont repris, mais sans grands mouvements jusqu’au mois de septembre. La lutte contre le déploiement de Santé Québec n’a pas été un élément présent dans les revendications de la période de négociation.

Boycott du temps supplémentaire: une menace qui a fait peur

C’est qu’à la fin août, la FIQ a demandé à ses 80 000 membres de refuser le temps supplémentaire (TS) comme moyen de pression à compter du 19 septembre. La conciliation entre la FIQ et Québec a alors repris le 4 septembre. Fidèle à ses positions pro-patronales, le Conseil pour la protection des malades a demandé au Tribunal administratif du travail de frapper d’illégalité le refus du TS, ce qui a été fait. La journée même, le 16 septembre, la FIQ a retiré sa menace d’utiliser le refus du TS.

Entre-temps, les infirmières ont montré leur volonté de se mobiliser lors d’un campement de trois jours devant à l’assemblée nationale. Devant l’impossibilité d’un rapprochement, le conciliateur nommé par le ministère du Travail a déposé une recommandation qui a été soumise aux deux parties. Contrairement à l’entente de principe d’avril, la FIQ ne s’est pas positionnée sur les recommandations. Elle s’est limitée à les présenter à la délégation, puis au vote des membres pour la mi-octobre.

Faire la grève est compliqué dans le secteur de la santé, notamment en raison de la loi sur les services essentiels. Mais la construction d’un rapport de force peut s’effectuer de différente manière. Lorsque l’on sait contre quels intérêts on se bat, l’appui solidaire et la mobilisation d’une communauté ou d’autres syndicats en lutte peut ouvrir de nouvelles possibilités. S’il n’est pas possible pour des infirmières d’effectuer des blocages durant une négociation, d’autres personnes peuvent s’en charger. Et vice-versa.

Le pire reste à venir, mais le meilleur aussi

Même dans l’éventualité où la recommandation du conciliateur est acceptée, il sera nécessaire de continuer la lutte contre la réforme Dubé. La mobilisation actuelle est donc essentielle pour préparer cette lutte plus large. Les modalités que propose le conciliateur sur la définition de centre d’activités limitent, d’une certaine manière, la capacité des employeurs à les fusionner. Il est certain que le gouvernement, lors de la prochaine négociation avec la FIQ, demandera de faire table rase des quelques limites proposées par le conciliateur concernant la fusion de centres d’activités.

La lutte des travailleuses contre cette flexibilité imposée reste donc à l’ordre du jour. Rappelons que les fusions de centres d’activités en Mauricie-Centre-du-Québec se sont déroulées bien avant la négociation nationale. De nouvelles réorganisations de centres d’activités ne manqueront pas d’avoir lieu, malgré la recommandation du conciliateur.

L’erreur de sous-traiter ses luttes

Les grands syndicats (CSN, APTS, FIQ, CSQ) ont bien créé une campagne de relations publiques contre la réforme Dubé, nommée Tout sauf santé. Mais son manque d’envergure, comparé à l’importance de cette lutte pour l’avenir du réseau de la santé et à la quantité de membres supposément représentés par la campagne, laisse perplexe. Presqu’un an après sont lancement, la campagne n’a qu’une poignée d’activités à son actif et un très faible rayonnement sur les réseaux sociaux.

Ce désinvestissement des syndicats s’explique peut-être par une dynamique de sous-traitance de la campagne à la Coalition solidarité santé. Cette coalition est un groupe de pression qui regroupe des organisations syndicales et communautaires ainsi que des groupes de personnes âgées, en situation de handicap et proches aidantes.

Mais voilà, les syndicats comme la FIQ ne sont pas de simples groupes de pression. Leur rapport de force ne s’établit pas grâce à des pages Facebook ou à des stunts publicitaires. Les infirmières et les autres travailleurs et travailleuses de la santé réussissent à faire plier le gouvernement lorsqu’elles déploient des moyens de pression sérieux et confrontent les appareils de répression juridique (comme les décisions du TAT).

Les sit-in d’infirmières donnent un aperçu du potentiel d’auto-organisation de la base des travailleuses dans le déploiement de moyens de pression lourds. Que ce soit par des grèves, des blocages, des occupations ou le refus du TS, les infirmières peuvent paralyser l’économie si chère à Legault en désobéissant à son autorité. Mais ce type d’action doit se mener à large échelle pour réussir. Si une telle campagne pouvait être démocratiquement orchestrée par les organisations syndicales, et contrôlée directement par la base en action, nous aurions un tout autre rapport de force contre la réforme Dubé.

Une telle approche trancherait radicalement avec le défaitisme actuel de la direction de la FIQ. Dans la section Foire aux Questions du site web de la FIQ dédié à la réforme Dubé, on demande: «Pouvons-nous bloquer l’adoption de la loi 15?». La FIQ répond que non, car la loi est adoptée. Pourtant, une loi, ça s’abroge. Un mouvement social de l’ampleur du dernier Front commun aurait pu y parvenir. Dans la situation actuelle, c’est une solution politique à moyen terme dont nous avons besoin.

Mener la lutte sur le front économique et politique

Alternative socialiste croit que les infirmières et les autres travailleurs et travailleuses sont capables de s’auto-organiser pour améliorer leurs conditions de travail, mais aussi pour changer la politique. La structure syndicale doit être un outil au service de cette auto-organisation, pas une camisole de force.

Cette auto-organisation est d’autant plus urgente que nous avons affaire à une situation politique qui dépasse la simple négociation collective. Le déploiement de Santé Québec aura des impacts non seulement sur les conditions de travail, mais aussi sur le maintien du réseau public. Il s’agit d’une lutte politique qui dépasse l’horizon «économique» auquel se limitent les organisations syndicales. Si on veut gagner, il faut dépasser les limites de ce syndicalisme étroit et construire une force politique par et pour les travailleurs et travailleuses, à tous les paliers de gouvernement et lors de toutes les élections.

Les attaques austéritaires, la privatisation latente du réseau, les mauvaises conditions de travail et le culte de la «flexibilité» ont une cause commune: réduire la part des investissements dans les services publics. Les classes dominantes ne les utilisent pas: elles ont leur services privés. Et elles salivent à l’idée de privatiser le réseau. Une force sociale capable de combattre cette élite a besoin d’une organisation socialiste qui mène la lutte des classes jusqu’au bout.

Pour une alternative socialiste

Le système capitaliste placent le profit avant notre santé, notre environnement ou notre sécurité. Il faut régler le problème à la racine. Il faut bâtir une force politique socialiste déterminée à mener la lutte jusqu’au bout, en dépassant le cadre étroit de l’action syndicale et des organisations politiques réformistes.

Dans le cadre du capitalisme, il n’y a pas d’issue pour les infirmières et les autres travailleurs et travailleuses de la santé. Pour avoir de bonnes conditions de travail et construire un réseau de la santé humain, démocratique et de qualité, il faut en finir avec le capitalisme.

Pour les infirmières, les travailleurs et les autres travailleuses en santé, nous militons:

  • Pour l’abolition du TSO! Pour la semaine de travail à 32h, sans perte de salaire avec embauche compensatoire.
  • Pour une indexation automatique des salaires au coût de la vie!
  • Pour que les soignantes décident démocratiquement de l’offre de soin!
  • Pour la nationalisation des agences de placement et leur élimination!

Pour la classe ouvrière québécoise, nous luttons:

  • Pour l’abolition de toutes les lois limitant le droit de grève ou de négociation.
  • Pour l’action politique indépendante de la classe ouvrière au municipal, au provincial et au fédéral!
  • Pour la construction d’un parti politique des travailleuses, des travailleurs et de la jeunesse, issu de leurs luttes de masse et muni d’un programme socialiste!
  • Pour la nationalisation de tous les établissements du réseau de la petite enfance, de l’éducation, de la santé, de la pharmaceutique et des soins de longue durée, sous contrôle démocratique des travailleurs et travailleuses!

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