Dans le cadre de l’un des développements les plus audacieux du mouvement contre l’assaut israélien sur Gaza, des dizaines de milliers d’étudiants, d’étudiantes, de professeurs, de travailleuses et de de travailleurs ont occupé des campus universitaires dans tout le pays. Uni⋅es non seulement par leur opposition à la violence, les campements ont exigé que les universités rompent leurs liens financiers avec Israël, plus précisément que leurs fonds de dotation «désinvestissent» des entreprises qui font des affaires en Israël. Cette demande a été présentée de différentes manières par différentes parties du mouvement.
Socialist Alternative demande l’arrêt de toute aide militaire américaine à Israël ainsi que le désinvestissement des fonds placés dans les institutions publiques et privées liées à l’occupation brutale des terres palestiniennes.
Ces demandes s’inspirent en partie des luttes passées pour le désinvestissement des combustibles fossiles, de celle contre le régime d’apartheid sud-africain ou de celle contre le complexe militaro-industriel pendant la guerre du Viêt Nam. Ce printemps, certains campements universitaires ont obtenu des concessions limitées de la part de l’administration de campus. Mais pourquoi le mouvement se concentre-t-il sur le désinvestissement des universités, et à quoi ressemble réellement le «désinvestissement» d’une université?
Les fonds de dotation universitaires ne rendent pas de comptes et sont inégaux
Derrière leurs tours d’ivoire, les universités sont de grandes entreprises. Outre les sommes exorbitantes qu’elles prélèvent des étudiantes et étudiants à titre des droits d’inscription, les universités disposent également d’énormes trésors financiers appelés «fonds de dotation». La valeur totale des dotations des universités américaines s’élève à plus de 839 milliards $, soit à peu près le budget prévu en 2024 pour l’ensemble de l’armée américaine. Ces montagnes d’argent sont censées compléter le budget de l’établissement et protéger l’enseignement supérieur contre les exigences du marché. Mais la réalité est tout autre.
Tout d’abord, les dotations de nombreuses universités privées proviennent de la fortune des marchands d’esclaves, des propriétaires de plantations, des voleurs et des profiteurs de guerre des débuts de l’histoire américaine. Les universités publiques ne sont guère mieux loties. Les deux universités les plus riches étant situées au Texas et tirant l’essentiel de leur fortune de l’exploitation du pétrole et du gaz. Les écoles n’ont jamais été et ne seront jamais exemptes de l’influence tordue de la cupidité capitaliste. En outre, il existe une incroyable disparité de richesse entre les écoles les plus riches et les plus pauvres. Les dix écoles les plus riches (dont huit sont privées) détiennent plus de 35% de l’ensemble des dotations des universités américaines. Les écoles les mieux dotées sont en fait des sociétés de gestion de portefeuilles d’actions auxquelles sont rattachées des salles de classe.
Ces riches universités gèrent leurs fonds de dotation en investissant dans l’immobilier et la bourse, cherchant à obtenir le meilleur retour sur investissement afin de pouvoir le consacrer à des centres de recherche prestigieux, à l’amélioration des infrastructures universitaires et (bien plus loin dans la liste) à l’octroi de bourses d’études. En outre, de nombreux établissements ne répertorient pas leurs investissements, ce qui signifie que la plupart des fonds de dotation sont de véritables boîtes noires, les corps étudiants et enseignants n’ayant aucun moyen de savoir d’où vient ou va leur argent.
De quoi avons-nous besoin pour obtenir le désinvestissement?
Une chose est extrêmement claire: les chanceliers et les conseils d’administration des universités ne divulgueront pas, ne désinvestiront pas et ne s’engageront même pas dans un dialogue sans une pression énergique. Les occupations et les campements sur les campus sont un bon début, mais ne suffisent pas à obtenir le désinvestissement. La plupart des victoires remportées jusqu’à présent en utilisant uniquement cette tactique ont été des «promesses de discuter du désinvestissement» et d’autres concessions aussi molles.
Pour obtenir un désinvestissement réel et concret, les mouvements étudiants doivent perturber le fonctionnement habituel des campus. Ils devront également travailler en étroite collaboration avec les travailleuses et les travailleurs universitaires, en particulier les étudiantes et les étudiants diplômés syndiqués ou organisés, afin d’arrêter l’enseignement sur le campus et de donner un poids réel à notre menace de ne pas relâcher nos efforts jusqu’à ce que les demandes du mouvement soient satisfaites. Ces efforts devront être coordonnés au niveau national, afin de rendre le mouvement plus résistant face à la répression policière. Une fois de plus, les travailleuses et les travailleurs des campus, par l’intermédiaire de leur syndicat national, peuvent jouer un rôle essentiel en reliant les différents efforts des campus à travers le pays.
Le désinvestissement doit également être ciblé pour être le plus efficace possible. Un désinvestissement général de «tout ce qui est israélien» peut alimenter des récits extrêmement faux sur l’antisémitisme et repousser les Israéliennes et les Israéliens de la classe ouvrière qui sont par ailleurs favorables à la fin de la guerre et de l’occupation. Un désinvestissement ciblé obligerait également les universités à se retirer des entreprises militaires américaines telles que Lockheed Martin et General Dynamics, qui soutiennent la guerre et en tirent profit. Un désinvestissement ciblé serait plus efficace et montrerait plus clairement aux travailleuses et aux travailleurs d’Israël que le désinvestissement est dirigé contre l’establishment israélien plutôt que contre eux et elles.
Nous devons aller plus loin que le désinvestissement
Le désinvestissement peut jouer un rôle important en ralliant les personnes qui étudient et qui travaillent sur les campus autour d’une revendication concrète pouvant être gagnée. Mais la réalité du désinvestissement est que, dans notre système capitaliste, pour chaque dollar universitaire retiré de la guerre et de l’occupation israéliennes, un autre dollar lucratif provenant d’ailleurs le remplacera. Il y a des limites réelles à ce que le désinvestissement peut accomplir.
Pour aller plus loin, les mouvements sur les campus devront s’associer à des luttes plus larges contre l’oppression et la guerre dans l’ensemble de la société. Plus important encore, les étudiantes et les étudiants peuvent jouer un rôle considérable dans les mouvements de la classe ouvrière qui luttent contre la guerre et l’exploitation inhérentes au capitalisme, que ce soit en Israël ou aux États-Unis.
Enfin, tout mouvement visant à mettre fin à la guerre et à l’exploitation devra être international. La force motrice centrale de la lutte pour la libération de Gaza, de la Cisjordanie et d’Israël sera l’action de masse des travailleuses et des travailleurs de la région, que ces personnes soient israéliennes ou palestiniennes. Un mouvement de la classe ouvrière au Moyen-Orient, dépassant les clivages religieux et nationaux et s’associant à un mouvement international, sera bien plus efficace pour faire avancer leur lutte que n’importe quelle action de désinvestissement venant de l’extérieur.