Jean-Philippe Loiselle : Courtier et propriétaire négligent?

Que se passe-t-il lorsqu’une ou un courtier immobilier censé·e aider à vendre un immeuble à logements en devient lui-même propriétaire?

Les courtières et les courtiers immobiliers de l’Équipe Loiselle sont connu·es à Verdun et dans le sud-ouest de Montréal. Cette équipe fait sa publicité très agressivement et se targue d’un volume d’affaires très élevé. Mais que se passe-t-il quand un courtier immobilier devient propriétaire, comme Jean-Philippe Loiselle, tête d’affiche de l’équipe Loiselle?

Alternative socialiste a rencontré Julien-James Paquet, un ancien locataire de Loiselle, ainsi que Étienne (pseudonyme), actuel locataire de Loiselle.

«Tenter» de vendre pour mieux racheter soi-même

Julien-James habite un immeuble que Jean-Philippe Loiselle a acheté, puis revendu l’an dernier après avoir été un propriétaire négligent. Rencontré dans son logement de la rue de Verdun, Julien-James nous explique: «J’habite ici depuis 15 ans. Mon père était proprio de l’immeuble. Il l’a acheté dans les années 2000 à environ 280 000$». Il s’agit d’un quadruplexe de 4 ½ avec un espace commercial au rez-de-chaussé. La valeur de cet immeuble était estimée à plus de 800 000$ en 2021 par la ville de Montréal. En ce moment, un site d’immobilier l’évalue à 978 000$.

«Mon père voulait vendre l’immeuble pendant la pandémie, explique Julien-James. Il a reçu une centaine de visites. Ensuite, il a fait affaire avec Loiselle pour vendre. Soudainement, les visites ont arrêté complètement. Après un certain temps, Loiselle a proposé de racheter l’immeuble lui-même pour “sa retraite”». Loiselle a alors suspendu son contrat de courtier de vente pour acheter l’immeuble en 2022 à l’aide d’une compagnie à numéro (9318-7250 QUÉBEC INC). Montant de la transaction: 995 000$.

Faire des gains sur le dos des organismes sociaux

Or, moins d’un an après son acquisition, Loiselle a revendu l’immeuble pour 1 125 000$ à l’organisme immobilier SOLIDES. Un beau gain de 130 000$, moins les pénalités pour «vente accélérée». Promettre à quelqu’un de vendre son immeuble, puis l’acheter soi-même pour le revendre à profit grâce à sa connaissance des marchés est tout à fait légal. «C’est correct sur papier, mais ce n’est pas honnête», estime Julien-James.

Dans le cas où un courtier en profite pour acheter une propriété en-dessous des prix du marché, une plainte peut être logée contre lui à l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ). Les conflits d’intérêts des courtiers sont donc gérés… par des courtiers dans l’intérêt de leur profession.

Durant l’année 2023, SOLIDES a signé une entente de copropriété avec le Centre des femmes de Verdun (CFV) afin de lui permettre d’être propriétaire du rez-de-chaussée. Loiselle a quand même tenu à prendre une photo avec les responsables du CFV pour immortaliser la «générosité» dont il a fait preuve dans cette transaction à «prix raisonnable» (lire ici à bénéfice raisonnable).

À courtier douteux, propriétaire négligent

Loiselle a été propriétaire de l’immeuble sur la rue de Verdun moins d’un an. Des travaux importants devaient être réalisés sur le toit et dans les logements. C’était le cas du trou béant dans le plafond du logement de Julien-James, occasionné par un dégât d’eau. Loiselle ne l’a jamais fait réparer.

Jean-Philippe Loiselle possède au moins 8 bâtiments à Verdun sous sa compagnie à numéro. Cela signifie qu’il est le propriétaire de 32 unités, dont plusieurs sont des logements locatifs. Étienne réside dans un de ces logements.

Peu de temps après son emménagement dans un appartement de Loiselle, Étienne a bien vu à quel genre de propriétaire il avait affaire. Déjà, il a trouvé plusieurs trous dans les murs des gardes-robes. Un jour, une quantité impressionnante de mouches en sont sorties et ont envahi son appartement. Se doutant qu’il y avait de la vermine morte dans les murs, il a demandé à Loiselle de faire appel à un exterminateur.

Loiselle a plutôt envoyé un de ses agents immobiliers responsable de «gérer les logements». Ce dernier a refusé de prendre des mesures efficaces. Plus tard, le locataire a trouvé des crottes de souris dans son appartement ainsi que dans la remise attenante. Étienne a donc décidé de régler le problème par lui-même en isolant les trous.

Le locataire s’est entre-temps informé auprès des voisins. Ces derniers ont confirmé qu’un «exterminateur» rarement efficace venait parfois après insistance auprès de Loiselle. Le propriétaire a refusé de confirmer à Étienne si l’exterminateur était accrédité et n’a plus envoyé personne pour répondre au problème de souris. Loiselle a même mentionné à Étienne que «ce n’était pas son problème».

Même insouciance de Loiselle quand le locataire lui a signifié que le silicone autour du lavabo était endommagé et n’empêchait plus l’eau de s’infiltrer. Le propriétaire a envoyé «un de ses gars» mal équipé et sans expérience. Étienne a dû terminer le travail lui-même sans équipement. Même négligence envers les fenêtres guillotines brisées. Loiselle a refusé de les faire réparer alors que l’été s’annonçait le plus chaud jamais enregistré.

Entre la négligence et le danger

Le cas de l’effondrement du plafond des balcons a même posé des enjeux de sécurité pour les locataires. Des morceaux de ciment sont d’abord tombés sur les balcons et les escaliers. Les grilles de métal du plafond qui soutenaient le ciment ont commencé à s’effondrer, tant et si bien qu’Étienne devait se pencher pour monter les marches de l’immeuble. Un service de livraison a même refusé de livrer à la porte d’un logement d’une voisine âgée par crainte pour la sécurité du livreur!

Les grilles ont finalement été retirées et la réparation s’est amorcée. Mais elle a été interrompue durant l’automne en raison de ce que Loiselle considère être un manque de qualification du «contremaître».

Le plafond n’a pas été réparé. Il est resté ouvert tout l’hiver, laissant des pigeons y faire un nid énorme au printemps. Les locataires ont alors eu l’immense déplaisir de retrouver des amoncellements de fientes sur leurs balcons et escaliers. Il y en a tellement eu à certains endroits que les locataires ont d’abord cru à des flaques de vomi. Le contact avec la poussière de fientes de pigeons présente un risque d’infections respiratoires, intestinales et cutanées.

Étienne a encore décidé de prendre les choses en main. Il a chassé les pigeons, installé de la cage à poule pour éviter leur retour et nettoyé les fientes. Loiselle a pris trois mois pour enfin se décider à réaliser les rénovations nécessaires pour refermer le trou. Peut-être ne pouvait-il tolérer que son bureau de courtier, situé au rez-de-chaussée de ce bâtiment, ait l’air insalubre?

Un système fait pour les profiteurs

La situation de Julien-James et d’Étienne est un exemple de mépris des droits des locataires. Elle montre l’aspect biaisé des lois qui sont en faveur des propriétaires, des courtiers et des autres spéculateurs immobiliers.

Mais pour Jonathan, un courtier indépendant rejoint par Alternative socialiste, la plus grande lutte à mener dans le secteur immobilier est celle contre le blanchiment d’argent. «Un courtier est tenu de divulguer à l’Autorité des marchés financiers les renseignements de ses clients relatifs aux activités associées à la criminalité financière. Mais lorsque les transactions sont réalisées par des avocats ou des notaires, ces derniers peuvent invoquer le secret professionnel», mentionne-t-il.

Même son de cloche du côté de Julien-James: «le vrai combat à mener dans le secteur de la construction, c’est contre la corruption et la collusion». Julien-James parle d’expérience, car il est briqueteur. Il mentionne que les propriétaires engagent parfois des entrepreneurs et des sous-contractant louches qui gonflent les prix. «Plusieurs entrepreneurs chargent une centaine de dollars de l’heure par employé pour faire des travaux. Mais ces employés ne perçoivent souvent qu’une cinquantaine de dollars de l’heure».

Que faire devant l’emprise des courtiers?

L’approche spéculative en vigueur chez les courtières et courtiers est l’un des principaux moteurs de la crise d’abordabilité des loyers et des propriétés. Cette dynamique favorise la hausse artificielle des prix des immeubles. Les propriétaires refilent ensuite la note aux locataires par des augmentations de loyer abusives. Cet appât du gain est la raison pour laquelle le monde du courtage prospère. Cette pratique tend d’ailleurs à se répandre pour la location d’appartements. Une telle situation ne profite qu’à une élite de propriétaires rapaces et à des intermédiaires opportunistes sans scrupules.

Les abus sont fréquents en raison des conflits d’intérêts, du manque de transparence et de la faible surveillance. Les courtières et les courtiers qui sont rémunérés à la commission ont intérêt à ce que les personnes acheteuses ou locataires paient le plus cher possible, alors que leur devoir de mandataire consiste à servir leurs intérêts au mieux.

Le logement est pourtant un droit essentiel. Nous avons besoin d’un système de gestion immobilière démocratique, transparent et public, autant pour les immeubles que pour les locations. Arrêtons le racket du courtage privé et des profiteurs en tout genre! Organisons-nous politiquement et dans la rue pour reprendre le pouvoir des mains des grands propriétaires et des spéculateurs!


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