DUNE 2 : science, magie et élitisme

IMAGE : Attaque de vers dans le film Dune

Le film Dune: deuxième partie est une expérience de cinéma incroyable. La série Dune est en train de devenir une référence cinématographique en science-fiction. Mais ces films, comme toute production artistique, sont le produit d’un contexte social. Comment reproduisent-ils les relations sociales actuelles? Comment ces films défendent-ils les intérêts des capitalistes les ayant financés?

Pour s’ancrer dans la réalité, l’univers de Dune utilise des statuts sociaux familiers renvoyant à l’époque féodale. L’histoire met de l’avant un duc, Léto, et son fils héritier, Paul Atréides, de la maison Atréides. L’empereur leur donne le contrôle d’une planète (Arrakis) productrice d’une ressource importante, l’épice, à la place de la maison Harkonnen. La femme du duc, Jessica, est la représentante d’une organisation qui s’apparente à un clergé, les Benne Gesserits.

Un peu à la Star Wars, c’est l’histoire d’un héros qui perd tout et qui fait son chemin contre le méchant empire pour «libérer» les peuples opprimés et gagner contre les méchants. C’est un schéma de western-spaghetti dans l’espace, celui du triomphe d’un individu plus apte, plus opportuniste et surtout plus nanti que tous les autres. 

La science et l’élitisme

Dans cet univers, il est possible pour l’humanité de se surpasser à travers l’éducation, l’entraînement et la consommation d’épices. L’ordinateur humain, Thufir Hawat, est capable de faire des calculs incroyables. Jessica, la mère de Paul, est capable de contrôler son corps pour filtrer tous les poisons. 

Tous ces personnages, et bien d’autres décrits dans la saga des six volumes de Dune écrits par Frank Herbert, sont des représentations ultimes de l’espoir d’une libération à travers une éducation d’élite spécialisée. Paul est représenté comme hautement entraîné et apte au combat. À travers la consommation d’épices et sa formation Benne Gesserit interdite, il développe de nouvelles aptitudes. L’intrigue du film est basée sur le développement de ces nouvelles capacités individuelles et leurs conséquences historiques sur l’avenir de l’univers.

La «magie» la plus puissante de Dune : ses forces productives

On peut alors se demander: qui permet aux aristocrates Atréides de passer leur temps à s’éduquer et à s’entraîner? Sur Arrakis, comment s’organise la production d’épices? On dit que les Fremens ont la meilleure technologie du désert. D’accord. Mais dans ce cas, où sont leurs institutions de recherche et de production? Qui produit leurs distilles? Les mêmes questions se posent pour toutes les maisons de l’univers Dune. Comment et surtout qui produit leurs extracteurs d’épices, leurs armes, leurs transporteurs spatiaux? 

Dans le premier film, les extracteurs d’épices sont désuets lors de l’arrivée des Atréides. Un vers des sables est en route pour dévorer l’équipement au complet, incluant l’équipage. Le vaisseau de rescousse est dysfonctionnel. Les travailleurs (ou alors les esclaves?) à l’intérieur refusent d’en sortir, préférant mourir. Si on se fie à cette scène (ou à celles durant lesquelles des Harkonnens assassinent froidement leurs esclaves), mourir au travail ne semble pas être un très grand problème. Pas besoin de syndicalisation dans l’univers de Dune

D’un autre côté, les livres et les films mettent en scène épisodes de guérilla et de soulèvements de masse des Fremens pour leur libération. Les Fremens sont prêtes et prêts à se mobiliser, mais pas pour des raisons matérielles concrètes qui amélioreraient leur vie de tous les jours. Vaincre leur oppression peut attendre des milliers d’années. La volonté de se mobiliser, en particulier chez les personnes croyantes, se développe pour satisfaire une prophétie, une idée, celle de la venue du sauveur Lisan al-Gaib (Paul Atréides).

Paul Atréides ou le mythe du Grand Homme

Dans Dune, les Fremens attendent depuis des millénaires sans trop bouger. Les Benne Gesserit mettent en action des conspirations, mais le font aussi sur des dizaines de générations. Cela présuppose une stabilité politique à toute épreuve. Mais voilà qu’arrive Paul, le Lisan-al-Gaib, le Grand Homme qui va tout changer.

Le système capitaliste dans lequel nous vivons n’a environ que 500 ans d’existence. Il a été menacé par de nombreux mouvements révolutionnaires, dont un qui a notamment réussi à le renverser pendant 72 ans, en Russie dès 1917. De plus, le mode de production capitaliste nous amène au bord du gouffre climatique. Cette situation met à risque la survie même de l’humanité, ce qui accentue l’instabilité sociale. La stabilité sur plusieurs millénaires n’a tout simplement jamais existé pour les civilisations humaines. Les relations entre les groupes sociaux sont en constant mouvement et sont remplies de contradictions. 

Mais les penseurs libéraux bourgeois ne voient pas les choses de cette manière. De leur point de vue, l’histoire change lorsque de «grandes personnes» arrivent avec de «nouvelles idées». Jusqu’à ces épisodes accidentels, la société demeurera figée. 

Il s’agit d’une lecture historique basée sur des actions individuelles exceptionnelles. Qui a engendré le nazisme? Hitler. Qui a découvert l’Amérique? Christophe Colomb, etc. Les phénomènes sociaux ne seraient pas le résultat d’un contexte social avec des groupes sociaux qui s’affrontent, mais bien des décisions individuelles d’individus de l’élite. D’où vient cette conception?

Le passage du féodalisme au capitalisme

Au moment où l’humanité se trouve réellement dirigée par des rois, des princes et des ducs, la légitimité du fonctionnement politique féodal n’est pas basée sur la rationalité, la science ou le progrès social. Les rois et les empereurs doivent naître dans leur position sociale, dans une famille noble. Ces personnes sont les représentantes de Dieu. Elles héritent d’un statut par essence, qui existe hors de l’histoire et au-dessus du raisonnement humain. Les maisons familiales nobles se font la guerre pour l’honneur, la domination religieuse et l’accaparement de richesses. C’était le système politique monarchique.

De la même manière, les paysans et paysannes demeurent dans leur situation toute leur vie, c’est-à-dire au service des aristocrates. La production est en majeure partie réalisée par la paysannerie, mais aussi par de petits producteurs artisans à travers un système de maître et d’apprentis. Une paire de souliers est faite par une seule personne, de A à Z. Plusieurs paysans sont aussi artisans. C’était le mode de production féodal. 

Toutefois, l’innovation technologique, telle l’utilisation généralisée de la machine à vapeur, a changé les choses. Le besoin d’améliorer la productivité est aussi devenu un moteur de changement social pour les classes commerciale et artisane montantes. Il est devenu avantageux de séparer la production en étapes. 

Au lieu d’éduquer une seule personne pendant des années comme apprenti, on ne lui enseigne que le nécessaire pour réaliser une étape précise. Une paire de souliers est désormais fabriquée par plusieurs personnes. Le maître artisan est toujours là, dans sa manufacture, mais devient un proto-capitaliste. Les petites manufactures grandissent et ont besoin d’ouvriers. Pour en engager, le propriétaire doit avoir une réserve d’argent assez grande pour assumer la production jusqu’à la vente finale du produit, à profit. Ainsi, il peut accumuler du capital à partir du sur-travail volé aux ouvriers et devenir… un capitaliste

La progression des moyens de production se heurte toutefois aux limites du système social et politique. La paysannerie et les esclaves n’ont pas le droit de déménager en ville vers les manufactures, étant liés à leurs seigneurs. Pour maximiser sa production, la classe capitaliste naissante a besoin de changer cet ordre des choses. La monarchie et le clergé sont attachés à la production féodale et résistent au changement. Une lutte entre classes sociales concurrentes se développe alors pour la conquête du pouvoir politique. Cette lutte engendre soulèvements, guerres et révolutions, mais dans le but nouveau de domination des marchés.

La fin du féodalisme, l’origine de l’idéalisme bourgeois

Au moment de la lente transition du féodalisme à l’économie de marché capitaliste, les propriétaires des moyens de production, aussi appelés bourgeois ou capitalistes, représentent une infime proportion de la population. Même chose pour les ouvriers et ouvrières qui travaillent pour eux. Pour changer la société, la bourgeoisie doit gagner le soutien de la plus grande partie de la population, la paysannerie. 

Les bourgeois formulent alors une conception du monde idéalisée. Elle articule la libération de leur propre classe, mais aussi celle de toutes les autres, notamment avec la Déclaration des droits de l’homme. C’est le siècle des Lumières dans lequel la raison et la science sont imaginés au service de la bourgeoisie révolutionnaire, avec la paysannerie et la classe ouvrière naissante à ses côtés.

Le comparse de Karl Marx, Friedrich Engels, décrit la pensée de ces révolutionnaires idéalistes dans l’Anti-Dühring

Ils ne reconnaissaient aucune autorité extérieure, de quelque genre qu’elle fût. Religion, conception de la nature, société, organisation de l’État, tout fut soumis à la critique la plus impitoyable; tout dut justifier son existence devant le tribunal de la raison ou renoncer à l’existence. La raison pensante fut la seule et unique mesure à appliquer à toute chose. Ce fut le temps, où, comme dit Hegel, le monde était mis sur sa tête.

Bien qu’ils prétendent vouloir libérer toutes les classes, les bourgeois se gardent tous les leviers de pouvoirs déterminants. Dune se déroule dans une époque similaire où se développe la pensée idéaliste bourgeoise et ses guerres impérialistes.

Aucune confiance en Paul, le bourgeois révolutionnaire!

Le film reproduit la conception idéaliste du changement social. Comme dans la vraie vie, la domination, l’oppression et l’exploitation vont continuer, peu importe ce que Paul Atréides fera. Pas parce que «l’homme est fondamentalement mauvais» ou d’autres conceptions naïves de la sorte. Mais parce que les problèmes résident dans un système politique qui gère la production économique afin de maximiser les profits d’une élite capitaliste.

Paul n’a rien à offrir aux classes populaires d’Arrakis ou de n’importe quelle autre planète. Les Fremens ne seront pas libres de développer leur propre système démocratique sous son joug. Les travailleurs et travailleuses de l’épice ne pourront pas exercer un contrôle autonome sur leur travail après son arrivée. 

Pourtant, cette lutte pour les droits démocratiques et économiques des classes populaires est la condition du développement d’une économie socialisée encore plus performante et efficace. En revenir à des méthodes de production moins développées – comme le demandent certains courants décroissants – est une erreur. Cela implique une destruction cataclysmique des gens et des moyens de production, mais pas forcément celle des élites au pouvoir. 

Toutes les maisons et les institutions féodales décrites dans Dune sont des obstacles à la libération du potentiel des classes populaires et travailleuses, Fremens ou non.

Dans le vrai monde, on a socialisé nos moyens de production, mais pas encore la propriété de cette production. Nous sommes à un point historique où la propriété privée de ces moyens de production est le plus grand obstacle à l’émancipation de la civilisation humaine. Comme dans Dune, la classe des travailleurs et des travailleuses doit s’organiser et prendre le pouvoir afin de réorganiser la production au bénéfice de toute l’humanité.

Pour le plaisir, quel serait le programme politique d’Alternative socialiste sur Arrakis?

  • Contre la soif! Pour le transport d’eau de Caladan vers Dune!
  • Contre la mort au travail! Pour la syndicalisation des travailleurs et travailleuses de l’épice! Pour des emplois sécuritaires!
  • À bas la monarchie! Pour l’indépendance de Dune! Pour une fédération des républiques socialistes des peuples de Dune!
  • Contre l’église des Benne Gesserit! Pour la protection des cultures de Dune! 
  • Contre la guerre sainte au service des Atréides! Pour la paix des peuples de Dune!
  • Contre les guerres impérialistes! Pour une organisation révolutionnaire interplanétaire contre l’empire!

Notes :
1  Ce que les marxistes appellent la socialisation des moyens de production.
2  L’argent ici agit comme capital, car il est investi non pas pour la consommation, mais pour sa propre croissance.
3  Comme de l’argent, mais aussi des outils, terres, bâtiments, etc.
4 Ce qu’on appelle les relations de production.


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