Fermeture de Métro : l’info privée n’est pas la solution

Cet été, c’est au tour de l’éditeur Métro Média de fermer ses 17 journaux papier et ses plateformes numériques. Plusieurs pointent du doigt les grandes entreprises technologiques pour leur responsabilité dans cette atteinte à la «démocratie». Mais notre droit à l’information est-il mieux servi grâce au modèle de rentabilité publicitaire des médias traditionnels?

Avec les dynamiques économiques actuelles dans le secteur des industries culturelles, la tendance lourde vers les fermetures de médias, les fusions-acquisitions et les pertes d’emploi n’est pas prête d’arrêter.

La crise de rentabilité des médias traditionnels – comme les journaux papier et les radios – découle en grande partie de l’accaparement des investissements publicitaires par les Big Tech tels Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Cette situation prive ces médias de leur source principale de revenus, la publicité. Le Centre d’études sur les médias signale qu’entre 2012 et 2020, les annonceurs ont dépensé 854 millions de dollars en moins dans les médias traditionnels, malgré la hausse des budgets publicitaires!

Au Québec, des dizaines de journaux locaux ou indépendants ont disparu durant les dernières décennies. Même les grands quotidiens sont passés exclusivement ou en partie sous forme numérique afin d’économiser les frais d’impression. 

Une révolution du modèle d’affaire des médias

Comme le mentionne le professeur à l’École des médias de l’UQAM Jean-Hugues Roy, les Big Tech n’ont toutefois rien volé. Elles tirent simplement mieux leur épingle du jeu que les médias traditionnels. Depuis plus de 40 ans, les commissions gouvernementales sur l’avenir des médias montrent successivement que le modèle d’affaires traditionnel basé sur la publicité est inadéquat. Les Big Tech ont plutôt choisi d’accumuler vos informations personnelles gratuitement afin de les revendre à gros prix aux publicitaires.

Les manières de consommer de l’information ont changé en raison des technologies propulsées par les Big Tech. De nombreux médias traditionnels ont tardivement pris le virage numérique payant. D’autres en sont revenus au modèle de l’abonnement, de l’achat à la pièce ou de la charité privée et publique. Désormais, aucun média canadien n’a l’envergure de concurrencer les géants du web.

La place qu’occupent les Big Tech dans le champ médiatique canadien et québécois constitue un impérialisme économique et culturel. Elles utilisent leur poids économique pour faire pression sur les différents paliers gouvernementaux, imposer leurs intérêts et arracher des parts de marché aux réseaux médiatiques locaux, en particulier dans les communautés linguistiques minoritaires. 

Le fédéral, lent à réagir

Après avoir laissé les Big Tech faire la pluie et le beau temps, l’État canadien parle désormais de rétablir un équilibre dans les recettes publicitaires. Le gouvernement canadien a récemment introduit le projet de loi C-18 visant à forcer les Big Tech à négocier des ententes avec les médias pour compenser la diffusion de leur contenu. 

En réaction, Meta (Facebook, Instagram) et Alphabet (Google) ont censuré tous les liens vers les médias canadiens et québécois. Ces compagnies menacent aussi de rompre leur contrat avec de grands médias. Des représentants de médias canadiens réclament une enquête du Bureau de la concurrence pour faire cesser ce blocage «anti-concurrentiel». Ce chantage économique montre le pouvoir politique qu’ont les grandes corporations sur les décisions des gouvernements.

Retour en arrière?

Dans l’absolu, plus des journaux et des radios ferment, plus il se crée un vide dans ces secteurs du marché de l’information. De leur côté, les Big Tech créent de nouveaux marchés grâce aux nouvelles technologies. 

Selon le Digital News Report, les médias sociaux sont en 3e position (25%) des principales sources d’information chez les adultes du Canada, derrière la télévision (40%) ainsi que les sites et applications de nouvelles (27%). Les journaux et la radio sont loin derrière avec 4% chacun. Chez les 18-34 ans, les sources en ligne atteignent 77%, dont 46% uniquement pour les médias sociaux. Tenter d’en revenir à un ancien modèle médiatique grâce à un repartage de revenus publicitaires est illusoire.

Maximiser leurs profits ou notre droit à l’information?

Le tapage sur la répartition des revenus des Big Tech cache le réel enjeu de la «crise des médias»: les attaques contre notre droit à l’information. Le problème n’est pas que des médias privés ferment leurs portes. Qu’il y ait un seul journal Métro ou 17 autres offrant le même point de vue ne change rien au problème.

Bien que la mission affichée par les médias soit celle d’informer, leur condition d’existence est de vendre de l’information et de la publicité. On ne peut pas s’attendre à des espaces de débats démocratiques visant à améliorer la société lorsque les considérations de mise en marché et de rentabilité priment.

Quand tout ce qu’on lit et entend ne traite que d’un seul côté de la médaille, il est difficile de réaliser tout ce qu’on ignore. Il est toutefois bien connu que les médias ne vont jamais mordre la main qui les nourrit. Leur discours n’ira jamais défendre des grévistes contre un lucratif annonceur ou contre le système qui leur permet de prospérer, le capitalisme. 

Voilà que certains médias traditionnels sont pris à leur propre jeu. Et nous devrions les dédommager avec l’argent de l’État? Non. Le marché des médias capitalistes est incapable de garantir notre accès et notre droit à l’information. 

Pour que l’information soit faite par et pour la classe travailleuse!

Un véritable droit à l’information nécessite de libérer nos médias des contraintes capitalistes. Les journalistes doivent pouvoir dénoncer les pratiques anti-ouvrières des compagnies, des gens d’affaires et des parlementaires sans se soucier des intérêts de leur patron, des annonceurs ou craindre pour leur emploi et leur sécurité. Les artisans de l’information doivent exercer un contrôle sur la rédaction de leur média afin de pouvoir raconter la réalité des gens ordinaires avec justice.

Cela est directement possible avec la mise sur pied d’un média possédé par les organisations de la classe ouvrière et géré démocratiquement par ses membres. Les syndicats et leurs membres ont tout intérêt à financer et faire vivre une telle initiative. 

Nous sommes dans une période de crise historique dans laquelle les luttes syndicales se multiplient à travers le monde. Presque tout le temps, les médias représentent défavorablement les gens de la classe travailleuse, surtout si nous osons faire la grève. Les syndicats dépensent déjà des fortunes dans des campagnes de publicité massives. Pourquoi ne pas injecter ces ressources dans une équipe journalistique prête à défendre notre classe sociale dans toute sa diversité?

Les compagnies capitalistes exercent aussi un pouvoir sur nous à travers l’État et les institutions qu’il contrôle. Les services publics d’information (telles Radio-Canada et Télé-Québec) doivent être financés adéquatement pour être indépendants des pressions exercées par les annonceurs et les gouvernements. Plus question d’offrir des millions de dollars à des quotidiens qui nous méprisent ou à des petits barons médiatiques locaux.

Les services d’information doivent être gratuits, accessibles dans toutes les régions et contrôlés par les personnes qui y travaillent. Seuls des médias publics contrôlés par la population pourront donner un accès démocratique au discours et à l’information.

Lutter pour des médias qui nous représentent!

Les Big Tech offrent des espaces médiatiques sur lesquels nous avons encore moins de contrôle que les médias privés ou publics. Pour que ces nouveaux espaces puissent être utiles à la démocratie, nous devons exercer collectivement un contrôle sur les moyens de production, de circulation, de distribution et de consommation des produits culturels!

Taxer les Big Tech pour financer les services publics est une bonne idée. Mais c’est encore mieux de se battre pour que les principaux moyens de télécommunications soient remis entre les mains de la classe ouvrière. 

Pour réellement sauvegarder des emplois de qualité, développer un contrôle démocratique sur l’information et assurer le droit à l’information, nous devons nous battre pour affronter les Big Tech avec les armes d’une organisation politique qui défend uniquement les intérêts de la classe travailleuse!


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