Convoi de la “liberté” à Ottawa. Photo: AFP

La polarisation s’installe au Canada

Convoi de la “liberté” à Ottawa. Photo: AFP

Le convoi de la «liberté» est maintenant passé à l’arrière-plan de l’actualité. La guerre en Ukraine, l’inflation et les températures records occupent le devant de la scène. Mais les convois ont provoqué un changement décisif dans la société et la politique canadiennes qui n’est pas près de disparaître.

La droite est gonflée à bloc, car elle a réussi à faire basculer une partie de la société à droite. Les députés conservateurs ont soutenu le convoi. Ils ont chassé leur chef «modéré» (Erin O’Toole) et ont choisi la droitière Candice Bergen comme chef intérimaire.

Quelques milliers de manifestants en convoi ont touché une corde sensible chez des millions de Canadiennes et de Canadiens désespérés. Une colère et une aliénation profonde existaient avant le convoi. Depuis plus de deux ans, la population du Canada est frappée par le COVID-19, les catastrophes climatiques, l’insécurité économique, et maintenant par l’inflation et une guerre brutale en Ukraine. Le monde semble très peu sûr et, pour beaucoup, effrayant.

Le début de la pandémie a été marqué par un climat d’unité et de solidarité. Mais des millions de Canadiennes et de Canadiens ont été épuisés par les échecs et les volte-face des gouvernements en matière de COVID-19. Des années de coupures budgétaires et de privatisations ont laissé les hôpitaux et les services d’aide aux personnes âgées à bout de souffle.

Les riches et les entreprises se sont enrichis pendant la pandémie. Les milliardaires du Canada ont gagné 78 milliards $ en un an. Les gouvernements se sont montrés complaisants à l’égard des grandes entreprises. Ils leur ont laissé ouvrir leurs portes sans équipement de protection adéquat pour les travailleuses et travailleurs. Ces derniers ainsi que les petites entreprises ont été durement touchés. Un tiers des gens qui travaillent et la moitié des jeunes se sentent épuisés.

La réalité, c’est une inflation galopante, des logements inabordables, des salaires stagnants et des inégalités grandissantes. Les gens sont déchirés, souhaitent un retour à la normale, mais reconnaissent aussi qu’il n’y a pas de normalité. De plus en plus de Canadiennes et de Canadiens, en particulier les jeunes, se sentent insatisfaits et les deux tiers d’entre eux craignent pour l’avenir du Canada.

Grave erreur

Le NPD et les directions syndicales commettent une grave erreur en pensant que tout est rentré dans l’ordre depuis la fin du convoi. Tous les facteurs à l’origine du soutien au convoi et du glissement vers la droite existent encore.

La plupart des Canadiennes et des Canadiens ont cru avec suffisance que Trump et le populisme de droite criard ne se produirait pas ici. En 2019, nous avons formulé la mise en garde suivante:

Comparé à d’autres pays, le Canada semble tranquille; pourtant, la colère et les tensions continuent de croître. Comme un ressort bien tendu, à un moment donné, l’énergie potentielle devient une réalité. Le populisme de droite se nourrit du désespoir et des frustrations, […] il monte au Canada.

La polarisation croissante au Canada a éclaté lorsque la droite a pris l’initiative. À mesure que la société se polarise, les gens se déplacent vers la gauche et vers la droite. Malheureusement, au Canada, il n’y a pas de pôle de gauche fort, car les directions syndicales et néo-démocrates ne parviennent pas à proposer des politiques audacieuses pour répondre à la colère et à l’aliénation généralisées. Au lieu de cela, le NPD soutient le gouvernement libéral pour les trois prochaines années.

Lorsque de petits partis de gauche soutiennent des partis plus grands et plus centristes, ces petits partis perdent généralement du soutien, car ils sont blâmés, et les grands partis en récoltent les bénéfices. Après les accords passés par le NPD avec des gouvernements libéraux minoritaires, en 1974 et 2006, le NPD a perdu son soutien. Plus important encore, l’accord actuel signifie qu’il n’y a pas de voix de gauche pour contrer les cris de plus en plus forts de la droite.

Le centre ne peut pas tenir

En 1919, au début de la guerre civile irlandaise et pendant la pandémie de grippe espagnole, Yeats a écrit un poème dont un vers dit: «Les choses se désagrègent, le centre ne peut plus tenir». Le monde d’aujourd’hui est en pleine tourmente et le centre ne peut pas tenir.

De nombreux partis centristes ont perdu leur soutien et ont même disparu, comme en Italie, en Écosse et en Grèce. En France, les socialistes de gauche et les républicains de droite ont dominé pendant des décennies. Pourtant, au premier tour des élections présidentielles de 2022, leurs voix combinées n’ont atteint que 6,5%. La société française se divise entre la droite et la gauche. La candidate d’extrême droite Marine Le Pen a obtenu 23% des voix. Le parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon a obtenu 22% des voix. Si les petits partis d’extrême gauche l’avaient soutenu, il aurait battu Le Pen. Le centriste Macron n’a obtenu que 28%.

Face à la désintégration du «centre», en raison des pressions et des crises croissantes, un nouveau populisme de droite a émergé presque partout. L’extrême droite, dynamique et énergisée, propose un mélange étrange de rhétorique anti-élite et d’actions qui s’attaquent à des personnes «autres» qui menaceraient une normalité fictive: féministes, migrantes, écologistes, des personnes religieuses, de langues ou d’ethnies différentes ou tout autre bouc émissaire. Ce mélange, d’une simplicité séduisante, est enivrant pour certaines personnes, mais toxique pour beaucoup d’autres.

Les libéraux fédéraux, quant à eux, s’accrochent à un centre qui disparaît. Ces gens déplorent la perte d’une «stabilité» et d’une «normalité» passées tout en regardant l’avenir avec effroi. La majorité des groupes de gauche, des leaders syndicaux et des leaders de partis politiques de gauche soutiennent ces libéraux défaillants.

Lorsque la gauche mène des politiques audacieuses, comme ce qui s’est fait autour de  Jeremy Corbyn, Bernie Sanders et Jean-Luc Mélenchon, elle génère une énergie et un enthousiasme généralisés. Elle démontre l’énorme potentiel d’un programme radical.

Le courant dominant dans la gauche affirme qu’il doit soutenir les libéraux pour arrêter la droite. L’idée du «moindre mal» ne fonctionne pas souvent. En 2016, Sanders et d’autres ont appelé à soutenir Hillary Clinton pour arrêter Donald Trump. Cela a échoué. Même lorsque la droite a été stoppée, par exemple lors de la victoire des démocrates en 2021, leur incapacité à apporter un véritable changement a ouvert la voie à de nouvelles victoires des républicains de droite.

La polarisation arrive au Canada

Le Canada a jusqu’ici évité de connaître le degré de polarisation politique observé en Europe et aux États-Unis. Mais cette situation est en train de changer, car les Canadiennes et les Canadiens recherchent des solutions radicales.

Les libéraux fédéraux peuvent encore gagner des élections. La plupart des Canadiennes et des Canadiens ne sont pas de droite et ont été critiques par rapport aux convois. L’évolution des conservateurs vers une droite plus stridente peut aider les libéraux à court terme. Les libéraux et les néo-démocrates remporteront probablement le plus grand nombre de sièges lors des prochaines élections fédérales et proclameront que leur politique modérée fonctionne. C’est une solution dangereuse à court terme, car la colère de la société n’a pas disparu. Elle réapparaîtra.

La faiblesse de la gauche fait paraître la droite forte et populaire. S’il n’y a qu’une seule voix, elle paraît plus forte qu’elle ne l’est en réalité. Les populistes de droite remplissent l’espace politique parce que la gauche n’y répond pas. Des syndicats puissants et un parti qui mettrait en avant des politiques socialistes occuperaient cet espace et gagneraient du soutien.

En fin de compte, à mesure que les libéraux s’essoufflent et que leurs échecs se multiplient, son électorat reste chez lui. En 2015, Justin Trudeau a gagné en promettant le changement. Mais les salaires stagnent toujours et les loyers et les prix de l’immobilier ont grimpé en flèche. Les libéraux sont le parti du statu quo à un moment où les jeunes et les classes populaires sont de plus en plus frustrés. La droite populiste propose des réponses simplistes qui peuvent exercer un attrait puissant. Il existe un réel danger qu’en l’absence d’un leadership de gauche audacieux, les libéraux centristes, soutenus par le NPD, ouvrent la porte à un gouvernement populiste de droite.

Faire face à la réalité

Les capitalistes seront de plus en plus désespérés à mesure qu’ils tenteront de résoudre la contradiction fondamentale qui existe entre le capitalisme, d’une part, et les besoins de l’humanité et de la nature, d’autre part. L’économie mondiale trébuche d’une récession à l’autre. Elle est inondée de bulles spéculatives et ne peut pas utiliser la technologie au profit de l’humanité. La guerre est le résultat des tensions et des contradictions du capitalisme. Après 200 ans de saccage de la nature par le capitalisme, de nombreux systèmes écologiques sont menacés d’effondrement et le monde est confronté à une catastrophe climatique.

Le capitalisme est la cause première de ces contradictions. Il est donc impossible de les résoudre dans le cadre du capitalisme. Ces contradictions doivent être surmontées par des êtres humains qui interagissent d’une nouvelle manière les uns avec les autres ainsi qu’avec la nature. Une manière basée sur la coopération entre les personnes et la gestion de la terre: une manière socialiste.

Les travailleuses et les travailleurs ont besoin de syndicats qui luttent pour de véritables augmentations de salaire et des conditions de travail sécuritaires. Le NPD devrait cesser de soutenir les libéraux au niveau fédéral et, en Colombie-Britannique, mettre en œuvre des politiques audacieuses pour la classe ouvrière.

Si les banques, les compagnies d’énergie et les infrastructures étaient pris en charge par l’État, parallèlement à une forte augmentation des impôts sur les riches et les entreprises, la richesse serait libérée. Elle permettrait de créer de bons emplois, des logements et des services de garderie abordables. Elle permettrait de prendre des mesures concrètes en faveur de l’environnement dans le cadre d’une transition juste et de fournir des services publics décents. La démocratie sur le milieu de travail garantirait des conditions sécuritaires et une utilisation plus efficace des ressources.

La construction d’un mouvement de la classe ouvrière fort, avec des politiques qui s’attaquent à la détérioration des conditions de vie des gens ordinaires, couperait court au soutien de la droite populiste.

La première responsabilité des marxistes est d’affronter honnêtement la réalité. Le monde peut sembler effrayant. Mais si nous parvenons à nous libérer de la cage du capital, un avenir sûr avec un travail gratifiant et de bonnes conditions de vie sans oppression, sera accessible à tout le monde. La société vivra en harmonie avec la nature.

Si vous êtes d’accord avec ces idées, rejoignez Alternative socialiste!


par
Mots clés , , , , , , , .