Seattle : première victoire contre la discrimination de caste

Debout dans les chambres du conseil municipal de Seattle du 21 février, un technicien indo-américain nommé Naresh a rappelé la discrimination de caste à laquelle il a été confronté à partir de l’âge de cinq ans, en Inde. Sa voix tremblait de colère en pensant à la dignité qui lui avait été reniée. S’il touche une personne de caste dominante, a-t-il dit, cette dernière réclamera de «prendre une douche parce qu’elle me considère comme intouchable». Au cours de la réunion, de nombreuses autres personnes de castes opprimées ont rejoint Naresh. Elles ont partagé leurs propres expériences avec la discrimination de caste – souvent dans leurs propres milieux de travail aux États-Unis.

La caste est un système d’oppression qui divise les gens d’après une hiérarchie rigide de groupes basés sur la naissance. Les groupes «inférieurs» font face à de graves discriminations et même à la violence de ceux «au-dessus» d’eux. Ce système est né il y a plus de 2 000 ans en Asie du Sud, mais reste omniprésent aujourd’hui sous le capitalisme américain, y compris à Seattle – un endroit où plusieurs personnes Sud-Asiatiques se sentent désormais chez elles, et où je suis membre du conseil municipal.

Pendant des siècles, le système des castes a été systématiquement utilisé par les classes dirigeantes sud-asiatiques pour diviser et exploiter la masse des gens ordinaires. Les personnes qui étaient désignées comme les castes «inférieures» — historiquement appelées «intouchables» — étaient les plus cruellement exploitées. Aujourd’hui, la plupart des personnes de cette caste préfèrent l’identité des Dalits, ce qui signifie «celles qui ont été brisées, mais qui sont résilientes».

Une grande partie de la classe dirigeante américaine était autrefois des propriétaires de plantations qui comptaient sur le système brutal de l’esclavage pour leur richesse. De manière similaire, elle a promu des idées totalement fausses d’infériorité innée pour justifier son «institution particulière» et la violence  utilisée pour la maintenir. Dans chaque société de classe, la petite minorité qui profite de l’exploitation brutale des masses s’appuie sur l’idéologie et la division pour maintenir son pouvoir.

Pour des gens comme Naresh et sa famille, l’espoir de venir aux États-Unis signifiait de laisser les castes derrière eux. Mais à mesure que l’immigration sud-asiatique a augmenté, la propagation de la discrimination fondée sur la caste s’est également étendue. Des études de l’Equality Labs et du Carnegie Endowment for International Peace ont révélé que la discrimination fondée sur la caste sur le milieu de travail est une réalité omniprésente aux États-Unis pour les travailleuses et travailleurs dalits.

La semaine dernière à Seattle [début mars], notre mouvement a remporté une victoire historique pour des travailleuses et travailleurs comme Naresh et pour toutes les personnes confrontées à la discrimination et à l’exploitation. Ce ne sont pas seulement les personnes qui sont nées dans des castes opprimées qui se sont battues pour notre projet de loi, mais aussi des personnes musulmanes, sikhes, socialistes, syndiquées, hindous de caste dominante ainsi que des travailleuses et des travailleurs blancs et non blancs. La force et l’unité de notre mouvement de la base ont permis à Seattle de devenir la première ville du pays à interdire la discrimination fondée sur la caste – et la première au monde en dehors de l’Asie du Sud.

Ce n’est que le début – la discrimination de caste ne prendra pas simplement fin parce que les protections juridiques de base ont été gagnées. Pas plus que le racisme n’a pris fin avec des lois. Mais, il s’agit quand même d’une étape majeure.

Notre mouvement s’est basé sur une stratégie de combat indépendante des partis démocrate et républicain. Depuis près de 10 ans, je suis membre du conseil de ville. Socialist Alternative – mon organisation militante – et moi avons utilisé mon bureau d’élue pour construire des mouvements capables d’arracher des victoires majeures aux grandes entreprises et à l’establishment démocrate de la ville. Nous avons contribué à faire de Seattle la première grande ville à avoir un salaire minimum de 15$/h, à remporter notre taxe Amazon pour financer des logements abordables et à faire adopter plusieurs lois pour défendre les droits des locataires.

Cette même approche a été cruciale pour gagner cette semaine. Le mouvement devait surmonter non seulement l’opposition acharnée de la droite hindoue, mais également l’opposition d’un autre type des politiciens démocrates, qui ont menacé d’éliminer ou de saper notre projet de loi de diverses manières.

Notre adversaire le plus en vue est le Vishwa Hindu Parishad (VHP), une organisation d’extrême droite liée au premier ministre indien Narendra Modi et à son parti Bharatiya Janata. Le VHP a été impliqué, entre autres, dans le massacre de musulmanes et musulmans au Gujarat en 2002. La droitière Hindu American Foundation et la Coalition of Hindus of North America se sont également dressées contre nous.

Les membres démocrates du conseil municipal ont été massivement contre nous dans ce combat et ont initialement fait écho à certains des arguments de la droite. En fin de compte, tout le monde sauf une personne a voté «oui» sous la pression de notre mouvement. Mais le jour du vote, ces personnes ont élaboré des plans pour retarder ou saper la législation. Ce matin-là, j’ai reçu un appel téléphonique d’un membre du conseil qui a déclaré qu’il avait l’intention de présenter un amendement pour retarder la mise en œuvre de la loi, sur la base d’une préoccupation déclarée de financement insuffisant pour le Bureau des droits civils de Seattle. Il est vrai que ce bureau a été honteusement et chroniquement sous-financé par les maires et les conseils municipaux démocrates successifs. Mais il est à mon avis inadmissible que ces mêmes démocrates – qui se sont souvent opposé·es à mes efforts pour taxer les grandes entreprises afin de financer les services publics – utilisent ce prétexte pour démoraliser les travailleuses et les travailleurs des castes opprimées et pour renforcer la droite. (Ledit membre du conseil a finalement reculé, mais cela rappelle à quel point il est crucial de mobiliser les travailleuses et les travailleurs pour surmonter l’opposition de l’establishment.)

Comme je l’ai dit tout au long de mon mandat de socialiste indépendante, nous avons besoin d’un nouveau parti pour les travailleuses, les travailleurs et les personnes opprimées. Cela a été mis en évidence dans la politique nationale ces derniers temps. Alors que le président Biden s’autoproclame «protravailleur», il a été rejoint par Pramila Jayapal et Alexandria Ocasio-Cortez pour adopter le projet de loi brisant la grève contre les cheminots luttant pour les congés de maladie et la sécurité au travail. Nous avons déjà vu les conséquences brutales de la prise de parti des démocrates pour les magnats des chemins de fer, avec la catastrophe totalement évitable de East Palestine, dans l’Ohio.

Le fait même que nous devions défendre les travailleuses et travailleurs américains contre le système des castes vieux de 2 000 ans en 2023 – dans le pays le plus riche de l’histoire de l’humanité – montre une fois de plus la faillite du système capitaliste. Nous avons besoin d’un type de société fondamentalement différent : une société basée sur la solidarité, l’égalité et la démocratie, dirigée par et pour les travailleuses et travailleurs, et non les milliardaires.

Pour l’instant, étendons notre victoire contre la discrimination de caste à d’autres villes. Mettons la nouvelle loi de Seattle en action en tenant les entreprises responsables devant les tribunaux.


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