Une dictature ne se réforme pas, elle se combat par la lutte de masse!

La position du régime chinois dans le monde suscite de nombreux débats, y compris à gauche. En tant qu’internationalistes conséquents, nous nous plaçons toujours du côté des travailleurs et travailleuses ainsi que des personnes opprimées. Nous ne considérons pas le régime chinois comme un allié potentiel, ce sont les travailleurs et travailleuses qui se battent pour un avenir meilleur qui retiennent toute notre attention. Alternative Socialiste Internationale (ISA) dispose d’une section active en Chine, à Hong Kong et à Taïwan. Lei Hon, un jeune militant de Chinaworker.info, participera aux journées « Socialisme 2023 » en Belgique. Nous nous sommes entretenus avec lui à l’approche de l’événement.

On a vu le régime chinois passer de la politique zéro-covid à l’assouplissement des restrictions. Comment en est-on arrivé là et peut-on envisager un retour à la situation antérieure à la pandémie?

« La façon insensée et désorganisée dont le régime de Xi Jinping est brutalement sorti de la période zéro-covid a causé la mort d’un à deux millions de personnes. Dans une dictature brutale, avec un contrôle total des médias et l’utilisation de la terreur contre les médecins pour cacher les causes des décès, il est parfaitement possible de cacher l’ampleur exacte du désastre. Mais cette expérience a été gravée dans la conscience des masses et a alimenté la colère contre la dictature de Xi.

« La profondeur de la colère était évidente lors des manifestations de l’an dernier. Rien de tel ne s’était produit depuis 1989 et le soulèvement de masse réprimé par le massacre de la place Tienanmen. Je ne suis pas en train de dire que c’était comparable à 1989, ce mouvement était alors beaucoup plus important, d’un ordre qualitativement différent. Mais le mouvement de 2022 est intervenu après des décennies au cours desquelles il n’y avait eu que des manifestations locales isolées.

« Ces manifestations se sont calmées au bout d’une semaine. La peur de la répression a bien sûr joué un rôle important, mais les manifestations ont laissé une marque sur la Chine. La dictature a paniqué et a sacrifié la politique zéro-covid de Xi. Nous savons maintenant qu’il y a eu des désaccords au sommet. La décision de changer de cap n’était pas facile à prendre et son application fut terriblement désordonnée. Aujourd’hui, il y a peut-être un certain redressement de l’économie, mais il n’y a aucune certitude quant à un vigoureux rebond. La situation reste très précaire. »

Le promoteur immobilier Evergrande a connu de graves difficultés en 2021. La crise immobilière se poursuit-elle? Y a-t-il une perspective pour une nouvelle croissance importante?

« Oui, la crise de l’immobilier est toujours présente et freinera encore l’économie chinoise dans les années à venir. La situation est similaire à celle qu’avait connue le Japon, où la bulle immobilière a éclaté et où, 30 ans plus tard, l’économie ne s’est toujours pas redressée.

« Depuis l’effondrement d’Evergrande en 2021, 26 sociétés immobilières chinoises sont en défaut de paiement. Cela signifie qu’elles ne parviennent pas à rembourser leurs dettes. En février, la plus grande société immobilière chinoise, Country Garden, a affiché la première perte annuelle de son histoire, environ 900 millions d’euros.

« La crise de l’endettement des sociétés immobilières est l’expression d’un phénomène beaucoup plus vaste, à savoir la surproduction. Il y a 130 millions de logements vides en Chine! Pendant des années, le secteur de l’immobilier a été dominé par la spéculation financière : les riches achetaient de multiples maisons pour gagner de l’argent, plutôt que des logements pour la masse des travailleurs et travailleuses. Les ventes totales de logements ont chuté de 24% l’an dernier par rapport à 2021. En raison des prix exorbitants, de nombreuses personnes n’ont pas les moyens de se loger. Et en même temps, les riches sont découragés, car ils craignent que l’immobilier ne soit plus un bon investissement.

« L’effondrement du secteur immobilier pourrait s’atténuer et il pourrait y avoir un rebond limité cette année. Mais cela vient après une très mauvaise année 2022. Et il sera impossible de revenir à la situation du boom immobilier qui précédait. »

Certaines personnes à gauche en Europe estiment que la Chine n’est pas capitaliste, ou du moins qu’elle est « moins mauvaise » que l’impérialisme américain. Le régime a aidé à négocier un accord entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et tente de jouer un rôle dans d’éventuelles négociations sur la guerre en Ukraine. Peut-on parler d’impérialisme vis-à-vis du régime chinois?

« La Chine est une énorme économie capitaliste et, en raison de sa position clé dans le système capitaliste mondial, elle est également impérialiste. Lénine a expliqué que le capitalisme évolue inévitablement vers l’impérialisme, son « stade suprême ». L’idée que la Chine ne serait en quelque sorte que capitaliste et non impérialiste va directement à l’encontre de toute analyse marxiste.

« La Chine est le plus grand créancier du monde. Les prêts accordés par la Chine à d’autres pays représentent 6% du PIB mondial. Elle utilise la Nouvelle route de la soie, l’initiative Belt and Road, pour rendre des pays pauvres dépendants du capitalisme chinois. Ceux et celles qui prétendent qu’il s’agit simplement de « développement » par opposition à l’impérialisme devraient jeter un œil aux crises de la dette au Sri Lanka, au Pakistan, en Zambie ainsi que dans d’autres pays, et au rôle qu’y joue le capital chinois.

« Le régime de Xi est maintenant engagé dans une grande marche diplomatique pour montrer sa capacité à défier l’impérialisme américain dans la nouvelle guerre froide. Il y a le Plan de paix vide de contenu pour l’Ukraine, puis l’accord irano-saoudien qui est une victoire des relations publiques du régime chinois. Mais ces accords et initiatives sont très fragiles : ils n’ont pas beaucoup de substance. Le capitalisme et l’impérialisme représentent un système condamné. Pékin ne peut pas le faire fonctionner mieux que Washington ».

Notre analyse selon laquelle une nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine est en cours est de plus en plus partagée par les analystes. Quel est le degré de dangerosité de l’escalade de cette nouvelle guerre froide? Taïwan pourrait-elle devenir une nouvelle Ukraine?

« La situation à Taïwan devient de plus en plus dangereuse. Les médias occidentaux ne se concentrent que sur un seul aspect du conflit : la menace d’une attaque chinoise. Ce n’est qu’un facteur, et une attaque chinoise ne semble pas imminente.

« Les autres facteurs qui pourraient déclencher une guerre à Taïwan sont les politiques liées à l’impérialisme américain, qui veut utiliser la question de Taïwan pour faire une démonstration de force contre la Chine. Les possibilités de lutte de masse des travailleurs, des travailleuses et de la jeunesse à Taïwan, en Chine et aux États-Unis, sont également des facteurs. Les régimes pourraient paniquer et cela pourrait déclencher un conflit.

« Les États-Unis ne veulent pas d’une guerre maintenant, d’autant plus qu’ils ont les mains pleines avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais les États-Unis arment et militarisent Taïwan et forgent de nouvelles alliances militaires, comme le pacte AUKUS (Accord de coopération militaire entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis) qui est entièrement orienté vers une future guerre avec la Chine. L’objectif est de contenir ce pays. Cette stratégie dangereuse pourrait elle-même déclencher une guerre. En même temps, les États-Unis tentent d’écraser la Chine sur le plan économique, en particulier dans le domaine technologique.

« Nous soutenons le droit à l’indépendance du peuple taïwanais. Mais à moins qu’un mouvement ouvrier uni ne soit constitué de Chinois·es, de Taïwanais·es et d’autres personnes de la région pour lutter contre le capitalisme et le militarisme, la solution du capitalisme pourrait se transformer en une terrible guerre. »

Quelle alternative ChinaWorker envisage pour le régime chinois actuel et comment l’obtenir?

« Le régime chinois est confronté à une crise sans précédent. Les manifestations de l’an dernier étaient une indication de ce qui nous attend. L’économie connait une crise profonde, ce qui signifie que Xi Jinping ne peut pas offrir une plus grande sécurité économique comme carotte pour réduire le mécontentement des masses. Il ne lui reste que le bâton d’une répression policière accrue combinée à un nationalisme réactionnaire. La perspective, c’est une lutte de masse encore plus importante.

« Une dictature ne peut pas être réformée. Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire. La lutte de masse, en particulier celle des travailleurs et travailleuses par le biais de grèves et d’occupations, a toujours été la principale force contre une dictature – comme en Corée du Sud et en Afrique du Sud. Mais cette lutte a besoin d’une direction, d’une organisation et d’un parti, qui font défaut en Chine. Le régime de Xi ne permet aucune activité politique. Il interdit tous les syndicats.

« Pour les socialistes révolutionnaires, la lutte démocratique pour les droits démocratiques fondamentaux tels que la liberté d’expression est inséparable de la lutte pour le socialisme. C’est ainsi que les bolcheviks russes ont abordé la question. La Chine compte 1133 milliardaires contre 716 aux États-Unis. La lutte contre la dictature ne vient pas de la classe capitaliste. Elle doit se développer contre eux et contre la dictature qui représente leurs intérêts. »


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