L’année 2023 : un monde en désordre

Personnes manifestant à Lima, le 13 décembre 2022, contre le coup ayant renversé le président du Pérou, Pedro Castillo / Photo : Alessandro Cinque Reuters

Des catastrophes climatiques, une inflation galopante et la menace d’une récession mondiale. Une guerre brutale en Ukraine et des tensions mondiales croissantes. Trois ans de COVID-19 et des systèmes de santé au bord du gouffre. Une polarisation politique et des gouvernements instables. Grèves, rébellions et protestations de masse. La classe dirigeante envisage l’avenir avec un manque de confiance. On parle de «l’âge du désordre» et de «polycrise». C’est l’état du monde au début de l’année 2023.

Le récent Congrès mondial de l’Alternative socialiste internationale (ISA) s’est penché sur ces thèmes d’un point de vue marxiste. Tout en reconnaissant la sombre situation que le capitalisme a créée, l’analyse marxiste permet d’expliquer les causes de cette ère de crises. Le marxisme cherche à donner un sens aux tendances actuelles, à indiquer les développements futurs et à décrire comment la classe ouvrière, la grande majorité de l’humanité dans le monde, peut surmonter les multiples désastres actuels.

Catastrophe climatique

Les catastrophes environnementales se multiplient à mesure que le capitalisme ravage l’écologie et les systèmes naturels de la planète. Outre les changements climatiques, la pollution plastique est omniprésente, la biodiversité est gravement menacée et les espèces disparaissent à un rythme alarmant. Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses blessures que le capitalisme inflige en pillant la nature pour accroître les profits.

Pour beaucoup de monde, notamment les jeunes, l’humanité semble confrontée à un choix brutal quant à sa propre survie. Chaque mois apporte son lot de nouvelles catastrophes: inondations, vagues de chaleur, sécheresses, incendies et tempêtes violentes.

Les conférences mondiales annuelles des COP (Conference of the Parties) produisent des rapports élogieux, mais aucun changement. Les rejets de CO2 dans l’atmosphère continuent d’augmenter. Lors de la COP27, qui s’est tenue sous l’égide de la dictature égyptienne, il y avait plus de mille lobbyistes des Émirats arabes unis (EAU), plus que tout autre pays. Les EAU sont un grand exportateur de pétrole et de gaz et prévoient doubler leur production de pétrole d’ici 2027. Les EAU accueilleront la COP28 avec le Sultan Al Jaber, directeur de leur compagnie pétrolière, comme président de la conférence, abandonnant ainsi toute prétention à ce que ces événements visent à trouver des solutions à la crise climatique. L’humanité ne peut attendre aucune réponse de ce processus quant aux changements climatiques. Après trois décennies, c’est un échec. Comme l’a déclaré Greta Thunberg, les COP ne produisent que du «bla, bla, bla».

On a beaucoup parlé des soi-disant technologies propres et de la compensation des émissions de carbone pour lutter contre la catastrophe climatique. Un rapport récent montre que la plupart des compensations sont sans valeur. D’énormes sommes d’argent sont investies dans la capture du carbone, cette idée selon laquelle l’industrie peut continuer à brûler du carbone, mais doit capturer les gaz d’échappement d’une manière ou d’une autre. Là encore, il s’agit d’une énorme escroquerie très coûteuse et qui ne fonctionne pas. Les grands groupes pétroliers et les banques qui soutiennent ces technologies continuent de développer la production de combustibles fossiles et d’escroquer l’humanité en lui faisant croire que, comme par magie, plus d’émissions de carbone n’aggraveront pas le changement climatique.

La plupart des outils permettant de faire la transition aux énergies propres – éolienne, hydraulique, solaire et géothermique – existent déjà. C’est un espoir dont le mouvement environnemental doit tenir compte. L’obstacle à cette transition n’est pas d’ordre technique. C’est le capitalisme, fondé sur la propriété privée des terres, des ressources ainsi que sur la production pour le profit, qui s’y oppose.

Il existe une aile du mouvement environnemental qui cherche désespérément à éviter la lutte, et certainement à éviter toute critique du capitalisme. Elle se raccroche à n’importe quelle solution, comme la capture du carbone et l’énergie nucléaire. Les Verts allemands l’ont démontré l’année dernière en acceptant l’expansion majeure de la mine de charbon de Luetzerath et en soutenant l’augmentation des dépenses d’armement de l’Allemagne de 100 milliards d’euros. Les Verts n’apportent aucune réponse aux désastres écologiques. Avec le temps, les échecs inévitables du «capitalisme vert» pousseront le mouvement à une analyse plus approfondie du lien entre le capitalisme et les crises écologiques.

Une autre aile du mouvement environnemental reconnaît déjà la nécessité de combiner la lutte pour le climat avec d’autres luttes de la classe ouvrière, notamment la lutte pour des emplois et des logements sûrs. Elle établit des liens avec les travailleurs et les travailleuses, dont beaucoup sont confronté⋅es à un avenir incertain. Elle lutte pour de bons emplois dans le cadre de la transition vers les énergies propres et le rétablissement de la santé de l’environnement. Cet aspect est au cœur de la campagne et de l’activité environnementale de l’ISA.

La guerre «chaude» et «froide»

La guerre brutale en Ukraine a ravivé la crainte d’un conflit nucléaire (voir la suite de notre analyse sur la guerre en Ukraine). Le régime Poutine inflige d’énormes souffrances à la classe ouvrière ukrainienne. La brutalité du régime russe se manifeste également dans le mépris insensible envers la vie de ses propres troupes envoyées en masse pour être massacrées dans des batailles décrites comme des «hachoirs à viande».

Alors que le peuple ukrainien se bat clairement pour ses foyers et ses vies, le gouvernement Zelensky continue de privatiser les secteurs de l’économie vitaux pour l’effort de guerre et de s’attaquer aux quelques droits démocratiques qui existent dans le pays.

Les États-Unis et l’OTAN n’envoient pas des milliards de dollars en armes par amour pour les Ukrainiens et Ukrainiennes. Ils utilisent la souffrance du peuple ukrainien pour tester leurs armes les plus récentes et renforcer leur position dans l’escalade du conflit avec la Chine. Depuis l’invasion de la Russie, la Suède et la Finlande ont demandé à rejoindre l’OTAN. Cette dernière a resserré ses liens avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les dépenses en armement ont explosé. L’Allemagne et le Japon ont annoncé vouloir doubler leurs dépenses et la plupart des autres pays injectent des milliards de dollars supplémentaires dans l’armement létal.

La guerre en Ukraine, bien qu’elle fasse les gros titres, n’est pas la seule guerre d’importance. Les États-Unis et le Canada vendent des armes au régime saoudien, qui inflige des souffrances au peuple yéménite. La guerre au Yémen qui a débuté en 2014 a fait 400 000 morts, une famine généralisée et quatre millions de personnes déplacées.

Dans le conflit entre les États-Unis et la Chine, ancré dans une rivalité économique et géopolitique, les États-Unis ont gagné en puissance tandis que la Chine a été affaiblie. La dictature capitaliste chinoise, en signe de faiblesse plutôt que de force, a concentré tout le pouvoir autour de Xi Jinping. Pourtant, les crises internes ne cessent de se multiplier. La Chine croule sous les dettes: la dette totale de tous les secteurs s’élève à 51 900 milliards de dollars, soit près de trois fois le produit intérieur brut du pays. Le marché du logement traverse une crise profonde, avec une offre excédentaire de logements et de nombreux promoteurs immobiliers en faillite technique. La crise du logement a à son tour affecté les recettes des collectivités locales, qui dépendent largement des ventes de terrains. Les collectivités locales croulent également sous les coûts des anciennes politiques zéro COVID, estimés à plus de 57 milliards de dollars.

Le virage abrupt à 180 degrés de la politique zéro COVID à celle de Max COVID a créé un désastre sanitaire à une échelle monumentale. Cela a miné davantage le régime du PCC. La politique zéro COVID s’est effondrée suite à la panique du régime face aux manifestations imprévues de novembre 2022. Elles ont remis en question le régime lui-même et se sont déroulées dans toutes les régions de la Chine. Ces manifestations faisaient suite à une protestation massive des travailleurs et travailleuses de l’énorme usine Foxconn.

La population de la Chine est en déclin. En réponse, le régime s’attaque aux féministes et promeut les «valeurs familiales traditionnelles». Dans le passé, le régime s’appuyait sur l’attraction des travailleurs et travailleuses des zones rurales vers les villes pour une main-d’œuvre bon marché. Cette voie vers la croissance s’étiole, ce qui mine davantage le marché du logement. Aujourd’hui, le chômage des jeunes atteint 20%.

L’économie chinoise est confrontée à des taux de croissance historiquement bas et pourrait même connaître un déclin de la production. Comme il n’est plus en mesure d’améliorer le niveau de vie d’une partie de la société, le régime recourt de plus en plus à la répression. Cependant, il ne peut maintenir le couvercle sur la marmite des contradictions sociales et, comme tous les dictateurs de l’histoire l’ont découvert à un moment donné, la cocotte-minute finit par exploser. Les récentes manifestations contre la politique zéro COVID et sur d’autres enjeux qui touchent les travailleurs, les femmes et les jeunes sont des signes de ce qui est à venir alors que la plus grande classe ouvrière du monde se libère de ses chaînes. L’ISA en Chine construit le noyau d’une organisation qui aidera les travailleurs et travailleuses de Chine à construire une véritable société socialiste démocratique.

La très médiatisée initiative chinoise «la Ceinture et la Route» (Belt & Road) se heurte à une opposition et à des problèmes croissants, alors que les pays croulent sous la dette chinoise. L’Inde tente de trouver un équilibre entre les deux camps et espère voir l’industrie se délocaliser de la Chine. Toutefois, la faiblesse de ses infrastructures limitera le transfert de la production.

L’abattage du ballon chinois par les États-Unis le dernier jour du Congrès mondial de l’ISA illustre les tensions entre les États-Unis et la Chine.

Le régime chinois, bien qu’affaibli, est toujours une grande puissance. Les États-Unis et la Chine se préparent à un conflit armé. Il existe un risque réel de conflit armé au sujet de Taïwan. Il pourrait même être provoqué par les États-Unis, comme cela s’est produit lors de l’incident du golfe du Tonkin en 1964. Les États-Unis l’ont alors utilisé comme excuse pour intensifier leur action dans la guerre au Vietnam.

Alors que les États-Unis ont gagné en puissance, les tensions au sein de l’OTAN – en particulier entre l’Union européenne et les États-Unis – réapparaîtront à propos des politiques économiques. Les États-Unis se sont retournés vers le Pacifique, mais ont perdu de leur influence au Moyen-Orient alors que les Saoudiens refusent d’augmenter la production de pétrole comme le demandait Biden.

À l’intérieur des États-Unis, tout ne va pas pour le mieux pour les capitalistes. Il y a de profondes divisions dans la société et les nuages de la tempête économique se profilent.

La morosité économique : Inflation et récession

À l’origine du conflit entre les États-Unis et la Chine se trouve un changement radical des réalités économiques (voir la discussion sur l’économie mondiale). Pendant plusieurs décennies, à l’ère du néolibéralisme et de la mondialisation, les deux classes capitalistes ont bénéficié de leurs liens économiques. L’économie chinoise a bénéficié d’investissements directs étrangers massifs et d’une augmentation spectaculaire de l’industrie et de la production. Les classes dirigeantes des États-Unis et de l’Union européenne ont bénéficié d’une main-d’œuvre et de matières premières bon marché, ainsi que d’un important nouveau marché.

Cependant, les choses se sont inversées. Maintenant, l’accumulation des moyens de production et les limites d’expansion des marchés poussent les capitalistes à être de plus en plus en conflit pour les marchés.

Les capitalistes ont perdu leur foi dans le marché. Le journal allemand Der Spiegel écrivait récemment: «Un énorme problème succède à un autre. Jusqu’à récemment, il n’y aurait eu qu’une seule solution à tous ces problèmes: le marché se débrouillera tout seul. Mais qui croit encore sérieusement à cela aujourd’hui?» De plus en plus, l’État-nation joue un rôle essentiel pour soutenir les capitalistes de son pays respectif. Les entreprises occidentales délocalisent leurs lignes d’approvisionnement en déplaçant la production chez leurs alliés, ce que l’on appelle le «friend-shoring».

Le gouvernement américain intervient directement pour stimuler les investissements dans le cadre de sa rivalité avec la Chine. La loi CHIPS (CHIPS Act) prévoit 280 milliards de dollars pour stimuler la production américaine de semi-conducteurs, tandis que la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) prévoit près de 400 milliards de dollars pour la production de nouvelles technologies énergétiques.

L’inflation, déclenchée par le choc des chaînes d’approvisionnement au début de la pandémie de la COVID-19, ravage le niveau de vie des travailleurs et travailleuses dans le monde entier. La réponse universelle des banques centrales est d’augmenter les taux d’intérêt. Cela aggrave la crise du coût de la vie dans le but de provoquer une récession pour réduire la demande et réduire encore plus le niveau de vie des travailleurs et travailleuses.

Les pressions inflationnistes sont nombreuses: les changements climatiques, la montée des tensions géopolitiques, la déviation des chaînes d’approvisionnement, la montée du protectionnisme, la nouvelle course massive aux armements et les bulles spéculatives. L’augmentation des taux d’intérêt ne résoudra aucun de ces problèmes.

L’inflation et la hausse des taux d’intérêt ne font qu’aggraver la triste situation de nombreux pays néocoloniaux. Le pic des taux d’intérêt américains de 1980, le choc Volcker, a dévasté les économies d’Amérique latine pendant une décennie. Le gouvernement nigérian est en train de remanier sa monnaie, provoquant le chaos avec des personnes à court d’argent et des décès de malades incapables de payer leurs soins de santé. Cette vague d’inflation et de hausse des taux d’intérêt frappera les classes ouvrières et pauvres d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, alimentant encore davantage les protestations et les soulèvements de masse.

Mouvements explosifs

Des luttes se produisent partout dans le monde. Il y a une colère de masse face aux inégalités obscènes. Les super-riches faisant étalage de leur richesse alors que plus de 800 millions de personnes ont faim et que des milliards de personnes sont en situation d’insécurité. Cette colère explose.

Le mouvement de masse au Sri Lanka a renversé la famille Rajapaksa, qui semblait toute puissante. Ces dernières années, les vagues de mouvements de masse en Amérique latine ont mis fin à des coups d’État, fait reculer la droite et ouvert la voie à l’élection de gouvernements et de présidents plus à gauche.

Le mouvement mondial des femmes pour la fin des violences sexuelles, l’égalité des salaires, la garde des enfants et les droits reproductifs se poursuit. Dans de nombreuses luttes pour les salaires et les droits démocratiques, les femmes sont en première ligne. La lutte dans un pays nourrit celle dans d’autres. C’est une caractéristique internationale qui est là pour rester.

Le mouvement historique en Iran est une source d’inspiration pour toutes les personnes opprimées et la classe ouvrière du monde entier. Pendant des mois, le mouvement a défié la mort, les coups et les emprisonnements de masse. Comme c’est souvent le cas au plus fort de la lutte, les gens ont cessé d’avoir peur du régime. Débuté sous la forme d’une opposition aux mesures de répression réactionnaires envers les femmes, le mouvement s’est élargi pour unir tous les peuples d’Iran – Azerbaïdjanais, Kurdes, Baloutches, etc. Les travailleurs et les travailleuses se sont mis en grève et, dans certaines villes, ont créé leurs propres comités de lutte et d’auto-organisation. Ce mouvement d’organisation indépendant de l’État capitaliste est une caractéristique de nombreux mouvements de masse. Des organismes similaires sont apparus dans la révolution tunisienne il y a dix ans, en Colombie à l’apogée de la lutte en 2021 et existent maintenant au Soudan et au Pérou. Ils constituent l’embryon d’un gouvernement alternatif des travailleurs et travailleuses s’ils sont construits et unifiés à travers un pays.

Les mouvements en faveur des droits démocratiques sont très répandus. Contrairement à ce que prétendent les universitaires qui se concentrent sur la classe moyenne, la classe ouvrière est la plus constante dans son combat pour la démocratie. Pour les travailleurs et les travailleuses, la démocratie n’est pas un idéal abstrait, mais le moyen de s’organiser et de lutter. La société israélienne est secouée par d’énormes manifestations pour défendre ses règles démocratiques limitées.

La classe capitaliste, en tant que petite minorité, utilise tous les moyens pour diviser la classe ouvrière. Elle invente des divisions telles que la «race», puis cherche à militariser, opprimer et diviser les gens sur la base de la nationalité, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle, etc. Actuellement, l’une de leurs cibles favorites est les personnes trans. Cependant, un nombre croissant de personnes, en particulier les jeunes, rejettent ces préjugés, comme en témoignent les victoires pour les droits LGBTQIA+ et les mouvements de masse contre le racisme.

L’ISA établit un lien entre les luttes contre l’oppression, pour la pleine jouissance des droits démocratiques et les enjeux sociaux et économiques afin de couper court à la stagnation des salaires, au déclin des services publics et à l’accroissement des inégalités, qui sont le terreau du soutien de ces préjugés.

En période de crise et sans l’impulsion du mouvement ouvrier, les rivalités et les conflits nationaux peuvent éclater. Il y a le risque d’une nouvelle vague de conflits en Irlande. Le conflit en Israël-Palestine s’intensifie. Depuis des décennies, l’ISA a une fière tradition politique qui reconnaît les droits des minorités à l’autodétermination, tout en s’efforçant de construire et de défendre l’unité de la classe ouvrière, comme nous le faisons en Irlande du Nord.

La classe ouvrière est de retour

Dans de nombreux pays, la «classe ouvrière est de retour», comme l’a déclaré Mick Lynch, éminent dirigeant de la grève ferroviaire britannique. La Grande-Bretagne a été secouée par une vague de grèves qui a duré des mois. La France a vu des manifestations de millions de personnes, parallèlement aux grèves, alors que les travailleurs et travailleuses résistent aux attaques contre leurs pensions.  Aux États-Unis, le soutien aux syndicats s’élève à 71 %, le taux le plus élevé depuis des décennies. Les travailleurs et travailleuses cherchent à défendre leur niveau de vie et à créer de nouveaux syndicats. Les employé⋅es d’Amazon dans le monde entier cherchent à surmonter les conditions de travail brutales de Jeff Bezos.

Le Portugal est au milieu de semaines de grèves et de rassemblements de masse des corps enseignant, infirmier et d’autres secteurs. Le gouvernement turc a signalé que 106 grèves sauvages y ont eu lieu au cours des deux premiers mois de 2022. Il s’agit du nombre total de grèves sauvages des cinq dernières années! Les travailleurs et travailleuses de Grèce se remettent de la cruelle trahison du gouvernement de «gauche» Syriza qui, en 2015, a capitulé devant l’Union européenne et imposé une austérité sauvage. Le mois de novembre a vu le plus grand mouvement de grève depuis lors.

Outre le fait que les travailleurs et travailleuses passent à l’action, les grèves bénéficient d’un soutien public élevé. C’est le soutien public qui a soutenu la grève de 8 mois des professeurs des universités publiques au Nigeria. Lorsque la Fédération du travail de l’Ontario a menacé d’une grève générale, la moitié du public l’a soutenue.

Il n’en reste pas moins que la plupart des personnes à la direction des syndicats vivent dans le passé. Ces personnes vivent encore, à l’époque où l’on conclut des accords de compromis avec les patrons qui, au fil du temps, réduisent les salaires réels et dégradent les conditions de travail. Elles n’ont pas organisé de défense résolue des conventions collectives ni organisé de vastes campagnes de syndicalisation des personnes non syndiquées.

Les choses commencent à changer. Lors de nombreuses négociations de convention collective, les membres rejettent, ou n’acceptent que de justesse, le premier et parfois plusieurs accords minables que les directions recommandent. Aux États-Unis, les cheminots ont rejeté un accord minable recommandé par la direction de leur syndicat. Puis, Joe Biden, le soi-disant «ami des syndicats», leur a imposé un mauvais contrat de travail. Cette action a brisé la grève et a été soutenue par le Squad. L’ISA participe à la lutte pour reconstruire des syndicats combatifs aux États-Unis.

Les travailleurs et travailleuses se battent également pour la démocratie et contre l’oppression. La lutte pour un niveau de vie décent et la dignité humaine sont intimement liées.

Polarisation : Menace de la droite et résistance ouvrière

Alors que les multiples crises du capitalisme s’accumulent et que la colère monte, les partis de l’establishment et les institutions qui soutiennent les grandes entreprises sont de plus en plus discrédités.

Dans de nombreux pays, les partis traditionnels du centre – de gauche comme de droite – s’affaiblissent et sont en déclin. Ce phénomène peut être masqué pendant un certain temps en raison du soutien de la part des partis de la gauche molle aux partis centristes. C’est le cas du Squad aux États-Unis qui soutient le Parti démocrate de Joe Biden aux États-Unis ou du Nouveau Parti Démocratique (NPD) qui soutient les libéraux canadiens. Par crainte de l’extrême droite, les partis du centre peuvent aussi remporter des élections, mais ils ne bénéficient pas d’un soutien enthousiaste. Emmanuel Macron en France l’a bien découvert! 

À ce stade, c’est la droite qui mène dans la plupart des pays. S’il n’y a qu’une seule voix dans une pièce, elle peut paraître forte. C’est la faiblesse de la gauche qui fait paraître la droite plus forte qu’elle ne l’est réellement. Cet échec de la gauche est illustré de manière frappante par l’appui du Squad aux lois visant à briser la grève des cheminots aux États-Unis. Cela a permis à certains républicains de parader en tant que partisans des travailleurs et travailleuses.

Ces politiciens de droite et les forces d’extrême droite qu’ils encouragent constituent une véritable menace pour la vie et la sécurité des gens. Les Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) en Inde, soutenus par le gouvernement de Narendra Modi, sont des voyous néo-fascistes meurtriers. La décision de la Cour suprême des États-Unis d’annuler l’arrêt Roe v. Wade met la vie des femmes en réel danger.

Néanmoins, la situation n’est pas unilatérale. Les agriculteurs indiens, lors d’une campagne d’un an aux proportions épiques, ont forcé Modi à battre en retraite. Les travailleurs et travailleuses d’Inde ont organisé une grève générale qui a mobilisé 250 millions de personnes en 2020. Ce n’est pas un manque de lutte qui laisse Modi au pouvoir, mais l’échec total des forces politiques à offrir une alternative au Bharatiya Janata Party (BJP) de Modi.

Aux États-Unis, il y avait le potentiel d’un mouvement de masse pour la défense de Roe v. Wade. Mais le Parti démocrate et les principaux mouvements de femmes liés aux démocrates ont refusé de se mobiliser. Ils ont limité leurs propositions à voter pour les démocrates et à faire des dons à des groupes d’aide directe aux femmes.

La lutte de la classe ouvrière peut fortement ébranler la droite. En France, un récent sondage d’opinion a montré que le deux tiers des partisans du Rassemblement national, parti d’extrême droite dirigé par Marine Le Pen, soutiennent le mouvement de grève contre la réforme des retraites.

Dans de nombreux pays, les politiciens et politiciennes sont totalement discrédités. Lors du second tour des élections législatives en Tunisie, seuls 11% des électeurs et électrices se sont rendus aux urnes. Cela constitue probablement l’un des taux de participation les plus faibles de toutes les élections. Dans certains pays, l’expression «crise politique» ne rend pas justice à ce qui se passe. En Haïti, après des années d’élections annulées et l’assassinat du dernier président, il n’y a littéralement plus de personnes élues dans le pays. Tous leurs mandats ont expiré. La Grande-Bretagne, autrefois une société capitaliste stable, a vu trois premiers ministres en moins de deux mois. Le parti conservateur au pouvoir est toujours en proie à des scissions.

La classe capitaliste, lorsqu’elle perd le contrôle de la politique, peut se tourner vers la répression. Les coups d’État militaires se sont multipliés sur le continent africain et pourraient survenir au Pakistan dans un avenir rapproché. De leur côté, les tentatives de coups d’État aux États-Unis par les partisans de Donald Trump ainsi qu’au Brésil par les partisans de Jair Bolsonaro n’ont pas eu le soutien de la classe dirigeante. Cette dernière veut garder cette possibilité de répression pour le moment où il sera vital de défendre ses intérêts de classe.

Bien qu’il y ait une montée des partis réactionnaires, la polarisation politique a un autre côté. Il existe un énorme soutien potentiel pour les idées radicales audacieuses, comme le montrent les énormes manifestations de Black Lives Matter (BLM) en 2020. L’énergie générée par les campagnes électorales de gauche telles que celles de Jeremy Corbyn en Angleterre, Bernie Sanders aux États-Unis et Jean-Luc Mélenchon en France le montre aussi. Malheureusement, Sanders a capitulé devant l’establishment du Parti démocrate. Lorsque Corbyn était leader, le nombre de personnes adhérant au Labor Party (Parti travailliste) est passé à plus de 550 000, devenant le plus grand parti d’Europe. Pourtant, Corbyn n’a pas utilisé ce soutien de masse pour faire face aux traîtres procapitalistes du Labor Party. Ces derniers ont délibérément saboté la campagne électorale. L’aile droite est impitoyable – Corbyn ne sera même pas autorisé à se présenter comme candidat travailliste aux prochaines élections.

Les événements en Amérique latine montrent la détermination de la classe ouvrière à trouver un moyen de sortir de la misère à laquelle elle est confrontée. Suite à une vague d’immenses mouvements de masse qui a débuté en 2019, des gouvernements de gauche ont été élus en Colombie, au Chili, au Pérou et au Honduras. Cependant, ces gouvernements font des compromis avec le capitalisme plutôt que de construire une mobilisation de masse pour surmonter la résistance de la classe dirigeante. Conclure des accords avec les grandes entreprises, en particulier à l’ère de l’instabilité économique, empêche de fournir de véritables améliorations aux pauvres et à la classe ouvrière. Cela risque de paver la voie à de nouvelles vagues de réactions.

Mais si la classe capitaliste s’impatiente et agit trop tôt, le fouet de la contre-révolution peut pousser les masses à l’action. Les coups d’État en Bolivie en 2019 et au Pérou en 2022 ont provoqué une lutte de masse. Le régime putschiste en Bolivie n’ayant duré qu’un an et celui du Pérou ne tient plus qu’à un fil.

Si les dirigeantes et les dirigeants ouvriers avaient des politiques claires, non seulement le coup d’État pourrait être vaincu, mais la voie vers une transformation socialiste pourrait s’ouvrir. Une telle victoire dans un pays déclencherait des mouvements révolutionnaires sur tout le continent.

Le «doomerisme» et l’espoir

Le capitalisme engendre l’aliénation. Les êtres humains sont coupés de la nature. Le travail, pour la plupart des gens, n’offre pas une vie sûre et n’est pas épanouissant. Les travailleuses et travailleurs du secteur des soins, de la santé et de l’éducation étaient présentés comme des héros il y a trois ans. Aujourd’hui, ces personnes sont traitées comme des «zéros», surchargées de travail et sous-payées. Les systèmes dans lesquels elles travaillent sont mis à rude épreuve, presque jusqu’au point de rupture.

Les bas salaires, la précarité de l’emploi et le manque de logements abordables de qualité ne font qu’empirer. En Chine, on parle du phénomène flying flat (se coucher à plat). Les jeunes choisissent d’échapper à la course effrénée pour le pouvoir et la richesse. Plusieurs sont confronté⋅es au coût énorme qu’engendre le fait d’élever des enfants et se considèrent comme les «dernières générations». Dans le monde entier, les femmes hésitent de plus en plus à avoir des enfants. Partout dans le monde, les patrons se plaignent du fait que les travailleurs et travailleuses ne sont pas disposé⋅es à accepter des salaires médiocres et des conditions de travail déplorables.

Le dernier rapport des Nations unies sur le développement humain indique que le monde est plus pessimiste aujourd’hui qu’il ne l’a été au cours des 100 dernières années. Il déclare: «Nous vivons dans un monde d’inquiétude». Le même rapport indique que les niveaux de détresse mentale d’aujourd’hui sont plus élevés que pendant la Grande Dépression et les deux guerres mondiales.

Cela est dû à la fois à l’état objectif du monde – guerre, catastrophe climatique, pauvreté, oppression – et à la perception répandue de l’absence d’une alternative viable, absence découlant de la faiblesse actuelle de la direction des mouvements ouvriers.

Cependant, ce sentiment de désespoir et de pessimisme, le «doomerisme», peut rapidement se transformer en colère et en action. Le marxisme a un rôle vital à jouer pour donner un sens à ce qui se passe. Il peut indiquer une voie à suivre et expliquer que si l’humanité s’échappe de la prison du capitalisme, elle pourra jouir d’une bien meilleure qualité de vie et inverser les désastres écologiques. Cet avenir est possible et c’est un avenir socialiste.

La lutte à venir

Il n’y a aucune perspective d’une nouvelle ère de stabilité capitaliste. Des luttes continueront d’éclater alors que les travailleurs, les travailleuses, les pauvres et les personnes opprimées se battront pour une vie meilleure. La classe ouvrière s’efforcera de construire des syndicats combatifs et des partis ouvriers de masse. L’ISA est et sera partie prenante de ces luttes. L’ISA participera à la fois à construire des mouvements ouvriers combatifs et une force révolutionnaire internationale plus forte.

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