La course aux profits a causé le déraillement à East Palestine

En février, nous avons été témoins de ce qui semble être la pire catastrophe écologique de l’histoire américaine à East Palestine, Ohio. Le déraillement est survenu près de 10 ans après la tragédie de Mégantic au Québec, mais il semble que les riches propriétaires des entreprises ferroviaires n’ont rien appris. Notre sécurité ne devrait jamais reposer dans les mains des entreprises privées. La gestion capitaliste transforme le transport ferroviaire de matières dangereuses en bombe sur rails et transforme des désastres en catastrophes humaines et environnementales.

Des milliers de personnes de East Palestine en Ohio, aux États-Unis, ont été autorisées à retourner chez elles après qu’un déraillement de train ait répandu sur leur ville des substances chimiques hautement inflammables. Mais en rentrant chez elles, ces personnes ont constaté un désastre écologique : des milliers de poissons morts flottant dans la rivière ainsi que des milliers de volailles et d’animaux de compagnie morts dans leurs jardins.

Amanda Breshears, qui vit à 10 kilomètres de East Palestine, a trouvé un matin ses poules et son coq morts dans leur poulailler. C’était à peine 24 heures après que Norfolk Southern ait relâché dans l’atmosphère des tonnes de produits chimiques afin de «contrôler» l’accident. «Si ça peut tuer des poulets en une nuit, imaginez ce que ça nous fera dans 20 ans», a-t-elle dit à NBC News.

Du début à la fin, ce désastre met en lumière la barbarie du système capitaliste. Des décennies de laxisme (et de dissimulations) en matière de sécurité ont provoqué cette catastrophe où des milliers de familles doivent maintenant vivre dans un enfer cancérigène.

Des coupures sont la cause du déraillement

Comme bien d’autres industries, les chemins de fer se sont radicalement transformés alors que le néolibéralisme se répandait sur le monde. Au début des années 1990, les grands patrons des chemins de fer, qui voyaient une opportunité d’augmenter massivement leurs profits, ont introduit un concept appelé Precision Scheduled Railroading (PSR). Ils ont rendu les trains plus longs, ont réduit les effectifs, ont abandonné les inspections de sécurité et fait pression sur le gouvernement pour affaiblir les réglementations.

Railroad Workers United, un groupe de syndiqué·es des chemins de fer, ont immédiatement pointé du doigt le PSR comme étant la cause du déraillement.

Avant ce système, les trains devaient être méticuleusement bloqués. Cela implique de mettre les wagons plus lourds à l’avant du train et les plus légers en arrière. Mais un des buts du PSR est de réduire considérablement le temps d’attente des trains aux gares. Or, bloquer correctement un train prend du temps. Cette pratique a donc été éliminée en Ohio et le train fatal n’était pas bloqué: 40% de son poids était à l’arrière. Lors du déraillement, l’inertie du freinage d’urgence a causé l’écrasement des wagons plus lourds sur ceux en avant, créant ce qu’on appelle un jackknife. La pression sur le milieu du train était telle que les 38 wagons ont été jetés hors des rails.

À tous les niveaux, le mot d’ordre du PSR était de couper les coûts, particulièrement les coûts de main-d’œuvre. Une vidéo montre le châssis du train enflammé 30 kilomètres avant d’atteindre East Palestine. Les enquêteurs évaluent maintenant la probabilité que ce feu ait causé le déraillement. L’abolition massive des postes d’inspecteurs a permis que des wagons défectueux quittent la gare librement sans être inspectés.

Le peu de personnel restant sur les chemins de fer est le catalyseur de la lutte de cet hiver entre les 125 000 syndiqué⋅es du rail et leurs patrons milliardaires. En sonnant l’alarme sur leurs conditions de travail précaires et en voyant les risques liés à de tels déraillements, les employé·es ont voté majoritairement pour la grève. Notre section américaine Socialist Alternative a déjà couvert les conditions dangereuses des rails, et avait appelé à une mobilisation de masse en faveur de la grève des chemins de fer.

Pourtant, lors d’un épisode qu’on pourrait qualifier de trahison sur les stéroïdes, des politiciens et les politiciennes des deux partis, incluant des soi-disant progressistes comme Alexandria Ocasio-Cortez, ont voté pour retirer aux employé·es leur droit de grève et les forcer à retourner au travail dans les conditions exactes qui ont conduit au déraillement de East Palestine. Cela amènera d’autres désastres du même type si les conditions ne sont pas corrigées.

Une autre mesure du PSR ayant permis aux PDG de faire de l’argent a été servie sur un plateau d’argent par Donald Trump en 2017: l’élimination d’une règle stipulant que les wagons transportant des matériaux dangereux doivent être munis de systèmes de freinage d’urgence automatique – ce qu’on appelle des freins ECP. Ces freins sont utilisés couramment parce qu’ils sont plus sécuritaires et plus efficaces, particulièrement sur les très longs trains communs aujourd’hui.

Le train de East Palestine n’était pas équipé de tels freins. Lorsqu’on a demandé à un représentant de la Federal Railroad Administration si ces freins auraient pu éviter la catastrophe, il a répondu succinctement: «Oui».

L’instauration du PSR aurait été impossible sans la complicité de tous les politiciens et les politiciennes, du parti républicain comme démocrate, qui ont servi les intérêts de leurs maîtres milliardaires avec loyauté. Ces personnes ont permis aux propriétaires de chemin de fer de tripler leurs profits, pendant que les normes de sécurité se sont écroulées.

En 2014, après une série de déraillements, l’administration Obama a proposé de nouvelles règles de sécurité pour les trains transportant des matières dangereuses. Une fois que les lobbyistes de l’industrie ont commencé à appliquer de la pression, l’administration a reculé, acceptant de réguler uniquement les trains transportant du pétrole. Elle a exempté les trains qui transportent la plupart des substances combustibles, incluant le chlorure de vinyle, qui est en train de s’infiltrer dans le sol sous East Palestine.

Après des décennies d’austérité et de désinvestissement dans les infrastructures ferroviaires, nous voici avec le résultat de cette déréglementation sauvage. Les PDG de Norfolk Southern empochent des salaires de 13 millions $, alors que les familles de East Palestine souffriront pendant des années de problèmes de santé chroniques et de faillites personnelles potentielles.

La vie à East Palestine

La nuit du déraillement, des milliers de personnes d’East Palestine ont été évacués de leur maison. Dans une société juste, ces familles auraient été prises en charge, relogées et soignées. Elles auraient la certitude qu’elles ne sont pas responsables des coûts liés aux dégâts concernant leur maison ou leur santé, que ce soit à court ou à long terme.

Malheureusement, nous ne vivons pas dans une société juste. Après un désastre écologique, les familles américaines dépendent de la générosité de leurs voisins et voisines. Aucune aide ne viendra du gouvernement ou des corporations qui ont causé le problème. Ou plutôt, il n’y aura aucune aide sans la garantie d’un retour de balancier.

Les familles de East Palestine disent craindre d’accepter les maigres compensations offertes par Norfolk Southern par peur de se disqualifier d’un éventuel recours collectif.  Norfolk Southern a annoncé avoir aidé plus de 900 familles à éponger les coûts de l’évacuation. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau comparé aux coûts que devront payer ces familles.

70% des personnes résident à East Palestine sont propriétaires de leur maison et 60% d’entre elles ont une hypothèque. Les expériences passées de contamination chimique nous montrent que la valeur de ces propriétés peut fondre de 10% sur le court terme. Norfolk Southern est fière d’avoir mis sur pied un fonds de solidarité de 1 million $. Cette insulte revient à 212$ par personne.

Norfolk Southern assure qu’ils sont là pour aider la communauté. Mais la réalité est tout autre. Au lieu de nettoyer et de décontaminer le site, ils ont recouvert le sol d’une couche de terre pour reconstruire les rails plus rapidement.

Comme avec tout autre désastre écologique, les personnes résident à East Palestine devront maintenant faire face à une bataille légale onéreuse qui ne leur laissera que des miettes.

Les villes à proximité de East Palestine et, d’une manière plus générale, les villes en périphérie des chemins de fer doivent s’unir avec la communauté de East Palestine dans une lutte contre la cupidité des propriétaires. Si une telle campagne pouvait s’arrimer au mouvement de lutte des employé·es de chemin de fer pour des conditions de travail plus sécuritaires, cela pourrait forcer l’industrie à retirer le PSR et réintroduire les protocoles de sécurité abandonnés.

Nationaliser l’industrie du chemin de fer

Même si gagner une compensation de la part de Norfolk serait une victoire, les victimes de East Palestine devraient aller plus loin et viser à retirer les chemins de fer de la course aux profits. Le syndicat Railroad Workers United (RWU) a adopté une résolution à l’automne 2022 :

«Que RWU exhorte tous les syndicats et groupes environnementalistes à militer pour un système de chemin de fer public qui sert les passagers, les communautés et les citoyens.»

Les événements en Ohio soulignent l’importance de cette conclusion un million de fois. Loin de la promesse capitaliste selon laquelle la propriété privée de l’industrie favorise l’innovation, les chemins de fer nord-américains étant entre des mains privées signifient que l’industrie s’est crispée. Elle est devenue de plus en plus inefficace (contribuant récemment à la crise des chaînes d’approvisionnement) et est devenue plus dangereuse pour les travailleurs, les travailleuses, la planète et les communautés comme East Palestine.

Cinq jours avant le déraillement en Ohio, le United Electrical, Radio and Machine Workers of America (UE) – un syndicat représentant des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs – a lancé un appel similaire à celui de RWU. Il a écrit: «Notre pays ne peut plus se permettre une propriété privée des chemins de fer; le bien-être général exige qu’ils soient placés sous propriété publique.»

L’élan derrière l’appel à la nationalisation des chemins de fer est très important. Socialist Alternative soutient avec enthousiasme cette demande et encourage l’UE et le RWU à lancer une campagne nationale pour la concrétiser.

Nous avons besoin de la propriété publique des chemins de fer et de toutes les autres industries essentielles au fonctionnement de notre société. Cette dernière est entravée par la soif de profit, y compris dans le secteur de la santé ou du logement. Ce n’est que sur cette base que nous pouvons commencer à construire un avenir exempt de catastrophes comme celle que nous voyons aujourd’hui à East Palestine.


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