Maël Ferland-Paquette, porte-parole de la mobilisation populaire pour une réforme du mode de scrutin, 29 novembre 2022

Réforme du mode de scrutin : des lendemains qui déchantent

La distorsion des résultats des dernières élections provinciales a remis à l’ordre du jour la revendication de la réforme du mode de scrutin. Néanmoins, QS et le mouvement syndical ont raté l’occasion de mettre le gouvernement sur la défensive en mobilisant la population sur cet enjeu et celui du serment au Roi.

La démocratie bourgeoise, qu’elle prenne la forme du système parlementaire britannique ou d’une république, ne saurait être qualifiée de réellement démocratique. Dans le cadre du système capitaliste, la démocratie qui existe est en dernière analyse une démocratie faite pour la bourgeoisie et ses idéologues. Est-ce que cela signifie que les socialistes ne doivent pas se battre et participer à la lutte pour les réformes démocratiques? Non.

Les socialistes ne se font aucune illusion sur la possibilité de démocratiser le parlementarisme bourgeois. Le seul ordre social qui puisse donner naissance à une démocratie réelle est une société sans classe, sans exploitation et sans oppression. En fait, si nous appuyons l’abolition du serment au Roi ou le scrutin proportionnel, c’est précisément pour renverser le parlementarisme bourgeois qui n’a rien de démocratique. Le rôle ultime des socialistes est de construire une conscience révolutionnaire au sein de la classe travailleuse. La prise de conscience d’une majorité de travailleurs et travailleuses du caractère complètement antidémocratique de nos institutions est une occasion de mener ce combat.

La réforme du mode de scrutin

Au lendemain des dernières élections, la distorsion entre les voix obtenues et la composition de l’Assemblée nationale a remis à l’ordre du jour la réforme du mode de scrutin. En plein débat des chefs, François Legault affirme que les Québécois et Québécoises considèrent que la réforme du mode de scrutin n’est pas une priorité. Paul St-Pierre Plamondon n’a eu aucun malaise à sermonner le premier ministre. Pourtant, le Parti québécois (PQ) renie sa propre plateforme électorale depuis 1976 en refusant de réformer le mode scrutin chaque fois qu’il en a l’occasion.

Au lendemain de l’élection, la composition de l’Assemblée nationale et le vote populaire sont en complète distorsion. La Coalition avenir Québec (CAQ) détient 90 des 125 élu⋅es, soit 70% des sièges de l’Assemblée nationale. Mais elle n’a recueilli que 41% des voix. Avec un taux de participation de 66%, en terme absolu, seulement 27% des personnes inscrites ont appuyé la CAQ. Cette dernière détient l’hégémonie du pouvoir pour les quatre prochaines années. Québec Solidaire (QS) obtient 15.5% du vote populaire, mais seulement 11 député⋅es. Le PQ obtient 14.5% du vote populaire, mais seulement 3 députés. Le Parti conservateur du Québec (PCQ) est le plus grand perdant alors qu’il n’obtient aucun député pour 13% du vote populaire!

Ces résultats ont naturellement dévoilé le caractère grossièrement antidémocratique de nos institutions. Des travailleurs et des travailleuses qui ont donné leurs votes au PQ, et plus encore au PCQ, l’ont constaté immédiatement. Pour plusieurs d’entre eux et elles, c’est comme si leur droit de vote n’avait pas existé le 4 octobre dernier. Dans ce contexte, QS avait une occasion en or de mobiliser pour réformer le mode de scrutin.

De son côté, le PQ a refusé d’appliquer la moindre réforme en ce sens à chaque fois qu’il a détenu le pouvoir. Ce parti n’a aucune crédibilité pour mener ce combat. Quant à lui, le PCQ n’a aucune volonté ni capacité à mobiliser ses troupes au lendemain de la défaite. La base électorale du PCQ est composée en grande partie de personnes issues de la classe ouvrière. Ces personnes ont voté pour le PCQ afin de rompre avec l’establishment. Plusieurs ne partagent pas l’approche raciste et libertarienne du PCQ et se retrouvent dans une sorte de no man’s land politique. 

Ce vide est créé par l’absence chez QS d’une approche combative axée sur l’organisation et la mobilisation de la classe travailleuse autour des enjeux qui la touchent, en particulier dans les régions et les banlieues. Une mobilisation massive pour la réforme du mode de scrutin aurait permis à QS d’établir le contact avec cette portion orpheline de la classe ouvrière. Le parti aurait pu saper l’influence des arrivistes et idéologues conspirationnistes du PCQ.

Même chose du côté des grandes centrales syndicales en faveur de la réforme du mode de scrutin. Mener sérieusement le combat pour une meilleure démocratie participerait à établir les liens entre le manque de représentativité politique de la classe ouvrière et la situation pitoyable des conditions de travail dans le secteur public. Les grands syndicats ont la fâcheuse tendance à sous-traiter l’organisation et la mobilisation de ce type d’enjeu à des organismes externes. 

Le serment au Roi

Le PQ a subi la pire défaite électorale de son histoire en 2022. Il a été sauvé in extremis de la disparition par la faute de la candidate de QS dans la circonscription de Camille-Laurin. Elle a été forcée de démissionner pour avoir volé des pamphlets péquistes. Paul Saint-Pierre Plamondon a finalement réussi à se faufiler, lui et deux autres candidats.

Le PQ n’a aucun poids à l’Assemblée nationale. Il n’a donc rien à perdre. Il doit justifier sa propre existence auprès de sa base nationaliste démoralisée qui hésite entre la CAQ et la droite identitaire. Un combat patriotique désespéré contre le serment d’allégeance au Roi est annoncé. Dans les précédentes législatures, les députés péquistes prêtaient serment à la Reine sans faire de mélodrame. Lorsqu’il était au pouvoir, le PQ n’a jamais aboli ce serment, même en position majoritaire.

QS n’est pas dans la même position que le PQ. Les solidaires ont 11 député⋅es et leur stratégie politique réformiste repose presque entièrement sur le théâtre parlementaire. En prenant l’initiative, le PQ a assumé le leadership sur la question du serment au Roi. QS a été contraint d’emboîter le pas. Comme le gouvernement Legault n’a pas cédé et a maintenu la nécessité du serment pour siéger, QS a finalement plié. Contrairement aux députés du PQ, les solidaires ont prêté serment le 29 novembre pour une session parlementaire qui allait durer seulement deux semaines.

Une fois dans les murs de l’Assemblée, QS a déposé un projet de loi pour abolir le serment. La CAQ l’a rejeté simplement pour déposer le sien, le 9 novembre, et le faire adopter. À aucun moment QS n’a réussi à assumer le moindre leadership. Comble de l’humiliation, c’est la CAQ qui a fait adopter le projet de loi! Résultat: QS perd en crédibilité et voit son verni nationaliste terni, tandis que le PQ gagne en légitimité et la CAQ sécurise son aile nationaliste.

La mobilisation

La seule chose qui aurait pu placer la CAQ sur la défensive aurait été une mobilisation populaire sur ces enjeux. Les conditions objectives étaient réunies pour construire cette mobilisation au sein de la classe travailleuse. En additionnant les votes du PQ, du PCQ et de QS, on obtient 43%. Bien que QS s’en tire mieux, les trois partis subissent les conséquences de notre système parlementaire archaïque. QS ou le mouvement syndical aurait pu assumer un rôle de leadership sur la question et développer une solidarité de classe au-delà des appuis partisans.

Soyons clairs: aucune collaboration n’est souhaitable entre QS et la structure du PQ ou du PCQ. QS aurait pu saper l’influence péquiste et conservatrice en mobilisant les électeurs et les électrices de tous les partis. En organisant la classe dans cette lutte, en se faisant champion des revendications démocratiques, QS aurait été perçu comme la seule organisation politique québécoise qui rompt réellement avec l’establishment. De la même manière, le mouvement syndical aurait pu s’affirmer comme le meilleur défenseur des droits démocratiques, aux urnes comme sur les milieux de travail.

Pour que cet objectif ait été atteint, la lutte aurait dû être menée dans la rue afin d’entrer en contact et en discussion avec les gens mobilisés, et pas seulement devant les caméras de télévisions.

Il est possible qu’une campagne de mobilisation de grande ampleur soit difficile à organiser au lendemain d’une campagne électorale. Mais les opportunités de mobiliser la classe ne sont pas tributaires des échéanciers électoraux ou ceux des conventions collectives.

Potentiel latent au sein de QS

Les militantes et les militants de QS ne sont pas seulement bons et bonnes à faire du pointage téléphonique et de la distribution de dépliants. QS compte parmi ses membres une couche de personnes issues d’organisations syndicales, étudiantes et communautaires qui disposent d’une expérience pratique de la lutte. Cette mobilisation aurait pu se concentrer dans certaines circonscriptions où les énergies militantes étaient le plus disponibles. L’organisation d’actions éclair de petite envergure aurait pu se faire. Elles auraient pu attirer rapidement l’implication des secteurs de la classe ouvrière touchés par l’injustice du mode de scrutin et du serment au Roi, mais étanches au discours de QS. Avec les bonnes méthodes et les bonnes revendications, le mouvement aurait pu se développer en crescendo.

Même si cette tentative de mobilisation avait été un échec, le bilan final serait moins sombre que le bilan actuel. QS aurait au moins eu la chance d’assumer un certain leadership, de démontrer sa combativité et sa rupture avec l’establishment. 

Les socialistes et les revendications démocratiques

Bouder ce type de revendication comme le font d’autres groupes socialistes est complètement contre-productif. Le rôle des socialistes est d’aider à organiser la classe ouvrière. Pour ce faire, les socialistes ne peuvent pas faire abstraction des enjeux qui la touchent et l’agitent. La réforme du mode de scrutin ne mettra pas fin au système capitaliste. Mais cette réforme permettra aux idées socialistes d’avoir plus de portée. Par conséquent, elle aidera la classe ouvrière à construire son autonomie politique. L’élection d’une seule députée ouvertement socialiste et révolutionnaire, par exemple au sein du caucus de QS, changerait radicalement le paysage politique québécois.

À travers ces luttes démocratiques, il est possible d’entrer en contact avec les secteurs de la classe travailleuse sous le joug des idéologues de la bourgeoisie. Certes, la victoire de ce type de revendications démocratiques ne mettra pas fin à l’exploitation capitaliste. Mais refuser d’entamer la discussion avec la classe sur ce sujet revient à laisser la classe dans les griffes de l’idéologie capitaliste. Or, c’est dans la lutte que notre classe peut atteindre la conscience politique, pas seulement dans des cercles de lectures marxistes.


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