COP15 : des discussions qui ne règleront rien

La COP15 se tient du 7 au 19 décembre à Montréal, dans le seul pays du G7 à avoir augmenté ses émissions de GES depuis 2015. Malgré les discours de plus en plus radicaux des décideurs barricadés au centre-ville, il n’y a rien à attendre de ces personnes incapables de protéger l’humanité et la planète des catastrophes dans lesquelles nous entraîne leur système capitaliste.

Alors que les experts internationaux en biodiversité parlent d’une «6e extinction de masse», les ministres de l’Environnement du monde entier se rencontrent une fois de plus pour tenter de se fixer des objectifs de préservation de l’environnement. L’enjeu de la 15e conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) concerne la baisse significative et inquiétante d’espèces qui peuplent les différents écosystèmes.

Une période d’extinction massive

En ce moment, un million d’espèces sont en voie d’extinction, dont plusieurs d’ici les prochaines décennies. 90% des milieux terrestres et maritimes exceptionnellement riches en espèces sont affectés par l’activité humaine, en particulier les forêts tropicales et les zones côtières qui abritent des coraux. Ces endroits subissent une diminution drastique de leur superficie depuis plusieurs décennies. Par exemple, la forêt amazonienne continue de reculer en raison de la culture sur brûlis et des incendies incontrôlés qui y sont liés. Cette destruction est bien sûr volontaire, particulièrement durant les dernières années du gouvernement Bolsonaro. Du côté des coraux, on peut blâmer les activités humaines directes (ex. tourisme, surpêche, construction d’hôtels, pollution locale), l’acidification des océans ainsi que le réchauffement des eaux. C’est un désastre au niveau de la biodiversité.

On parle souvent de points de non-retour en climat, mais ils existent aussi au niveau des écosystèmes. Quand des espèces clés sont en péril, on peut s’attendre à de grands déséquilibres. On se rend souvent compte du rôle fondamental joué par une espèce dans un écosystème lorsqu’il est trop tard. Il est difficile de prévoir précisément ce qui arrive lorsqu’un écosystème se déséquilibre et s’effondre. Ce que l’on peut avancer, c’est qu’un débalancement apporte un dérèglement potentiellement irréversible de la diversité des espèces, du type d’habitat ou encore le remplacement de l’écosystème par un autre complètement différent. Par exemple, la forêt amazonienne, à force de perdre du territoire, est à risque de devenir une savane. À l’échelle globale, la survie de l’humanité est menacée.

Au Québec, le déficit de protection des milieux naturels, notamment dans le sud du Québec, est un enjeu vital pour la biodiversité. De nombreuses espèces en danger font régulièrement les manchettes. On peut penser au caribou forestier (menacé par le morcellement de son territoire et l’exploitation forestière), à la rainette faux-grillon (menacée par le développement immobilier et urbain ainsi que par des insecticides) ou au bar rayé (menacé par la tentative du port de Québec d’étendre les activités portuaires dans son aire de reproduction).

Des solutions évidentes

Il existe des solutions évidentes pour sauvegarder la biodiversité et stopper les changements climatiques: protéger les milieux naturels et opérer une transition des combustibles fossiles vers les alternatives existantes d’énergie renouvelable. Les discussions à la COP15 portent justement sur la nécessité de préserver 30% des terres et des océans. Tout le monde s’entend à Québec et à Ottawa pour atteindre cette cible durant les prochaines décennies. 

Faut-il les croire étant donné qu’aucun objectif n’a été atteint dans le cadre du Plan stratégique 2011-2020 de la Convention onusienne pour la diversité biologique? Ces objectifs de préservation sont à la fois faibles et inatteignables dans le cadre du capitalisme. Il s’agit purement et simplement d’écoblanchiment (greenwashing).

Des promesses qui ne vont rien régler

Actuellement, le Canada ne conserve que 13,5% de ses terres et eaux douces ainsi que 13,9% de son territoire marin. Au Québec, le pourcentage global de conservation de ces aires est de 17%. Le gouvernement Legault a annoncé en ouverture de la COP15 vouloir investir 650 millions de dollars pour protéger 30% de son territoire d’ici 2030. Personne n’est contre la vertu, mais il fait toutefois figure de cancre de la conservation avec sa nouvelle liste d’espèces menacées ou vulnérables qui ne comprend pas certaines espèces listées en voie de disparition à l’international.  

Le groupe international d’experts sur la biodiversité de l’ONU (IPBES) a souligné en juillet dernier que partout sur la planète, «les profits à court terme et la croissance économique» prévalent sur la santé des écosystèmes. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, reconnaît lui-même que les grandes multinationales «remplissent leur compte en banque tout en vidant notre monde de ses richesses naturelles». Si le gratin de l’ONU s’entend sur le fait que la perte de biodiversité est indissociable du développement capitaliste, pourquoi rien ne change?

L’hypocrisie du capitalisme vert

Il est important de ne pas se laisser berner par les beaux discours écolo. Les zones protégées actuellement par les gouvernements sont surtout situées dans les régions nordiques. Là-bas, il y a très peu de forêts, la biodiversité est moins importante – bien qu’elle joue un rôle très important – et peu de gens, en majorité des autochtones, exercent un impact sur l’environnement. Les zones les plus riches en biodiversité se trouvent au Sud. Elles sont plus peuplées, mais surtout plus intéressantes à développer de manière industrielle, agricole ou immobilière. 

Pour un gouvernement comme la CAQ, il est hors de question que des zones de conservation mettent en péril le développement économique du secteur privé. Les plans du gouvernement Legault consistent à abaisser les normes environnementales, dérouler le tapis rouge à l’exploitation minière et construire de nouveaux barrages hydroélectriques. Les milliards de dollars publics qui seront engloutis dans les poches des cimenteries, des firmes d’ingénierie et des minières visent à exporter nos ressources en échange de miettes, pas à répondre à nos besoins. De plus, nos forêts et notre sous-sol continuent d’appartenir à des compagnies privées.

Le capitalisme repose sur l’argent facile lié à l’exploitation des combustibles fossiles, et plus largement à la spoliation de la nature. Les compagnies canadiennes et étrangères qui polluent et détruisent nos territoires ne montrent aucune intention d’agir sérieusement pour conserver la nature ni réparer leurs dégâts. Cette année à la COP27 de Charm el-Cheikh en Égypte, le Canada a déroulé le tapis rouge aux pétrolières et à leurs lobbyistes. Justin Trudeau brillait par son absence. En temps de crise écologique, sociale et économique, la priorité du gouvernement canadien n’est ni de protéger l’environnement ni notre santé. C’est l’occasion de favoriser les investissements les plus polluants qui soient comme le projet Bay du Nord à Terre-Neuve ou la vente d’armes à l’Arabie saoudite et l’Ukraine.

Prendre le contrôle de notre environnement

L’obstacle pour faire une transition écologique et garantir la biodiversité n’est pas d’ordre technique ou scientifique. Elle ne relève pas de la «sensibilisation». Il est évident pour des millions de personnes que le capitalisme engendre les changements climatiques, la pollution et la perte massive de biodiversité. L’obstacle, c’est le contrôle qu’exercent les toutes petites élites capitalistes partout dans le monde sur la gestion de nos ressources et territoires. La logique de leur système place les profits avant les êtres humains et la planète. Il est illogique d’attendre que les capitalistes et leurs porte-parole politiques inversent une situation qui leur profite.

Il y a plus de 100 ans, les bolcheviks russes dirigé⋅es par Lénine et Trotsky ont réalisé la première révolution ouvrière de l’histoire. L’expérience environnementale de la Russie bolchévique est exemplaire. Deux jours après la prise du pouvoir, dans un pays dévasté par la Première Guerre mondiale, les bolcheviks ont nationalisé l’eau, les forêts et les minéraux. Pendant la guerre civile (1918-1921), les bolcheviks ont protégé de l’exploitation forestière et de la chasse des territoires immenses. Ils ont créé des réserves naturelles dédiées à la recherche scientifique (les zapovedniks), les premières à être instaurées par un État.

Contrairement aux bolcheviks, les politiciens et politiciennes invitées à la COP15 proviennent de pays où le capitalisme est mature et n’ont habituellement pas de guerre à gérer sur leur propre territoire. Malgré leurs beaux discours, ces gens ne sont pas là pour s’attaquer aux entreprises responsables de la perte de biodiversité. Tant qu’on choisit de ne pas prendre le contrôle collectif de nos ressources et de nos territoires, la biodiversité est condamnée.

Actions d’éclat en hausse

Les manifestations climatiques de masse des dernières années ont eu un grand effet symbolique sur la conscience des gens. En septembre 2019, 7,6 millions de personnes ont participé à des actions climatiques dans le monde entier, dont plus de 500 000 à Montréal. En revanche, elles n’ont pas permis d’obtenir les mesures de protection environnementales nécessaires. La désillusion croissante quant au potentiel de changer les choses sous le capitalisme pousse plusieurs militants et militantes à tester différentes méthodes d’action directe de style «commando». Ces stratégies visent à attirer une forte attention médiatique pour pressuriser les élites politiques et économiques à changer de cap. 

On peut penser aux lancers de soupe sur des peintures célèbres, aux personnes qui se collent sur la route ou se coulent dans le béton pour bloquer la circulation ou encore au blocage de terminaux de jets privés. Dans la même veine au Québec, le Collectif Antigone, un groupe d’affinité d’Extinction Rébellion Québec, a occupé le terminal pétrolier de Montréal-Est en octobre dernier. Dans le cadre de la COP15, la coalition anticapitaliste et écologiste contre la COP15 appelle quant à elle à organiser des «actions autonomes» qui s’inscrivent dans cette lignée.

À l’Assemblée nationale, Québec solidaire (QS) a bien osé parler de la défense de la biodiversité. L’intervention de sa porte-parole en environnement, Alejandra Zaga-Medez, s’est toutefois limitée à espérer que «la CAQ ait le courage» de protéger la rivière Magpie de l’harnachement. 

Dans ces deux cas, on passe à côté de la seule force sociale capable de réellement imposer un agenda écologique aux puissants: l’action politique massive de la classe des travailleuses et des travailleurs. 

En ce sens, on ne peut que féliciter la création du Collectif COP15. Il est composé de 103 groupes de la société civile, dont trois grandes centrales syndicales québécoises qui représentent plus d’un million de personnes. Ce collectif représente un énorme potentiel. Il pourrait poser les bases d’une structure démocratique permettant de bâtir un rapport de force massif pour le climat et les intérêts ouvriers. Toutefois, le Collectif se limite aussi à vouloir «inciter les gouvernements à poser des gestes ambitieux et concrets» pour la «sauvegarde du vivant». Si ses revendications concrètes sont pertinentes et essentielles, les moyens pour les réaliser le sont moins.

Il est absolument inutile et irréaliste d’exiger que les décideurs et les élites mondiales considèrent nos demandes et agissent en conséquence. La CAQ n’est pas au pouvoir pour assurer les besoins de la classe travailleuse et garantir l’équilibre des écosystèmes. Nous avons besoin d’une organisation militante en mesure de connecter les luttes climatiques des communautés avec l’amélioration des conditions de travail de tout le monde. Un tel mouvement de masse qui prend la gestion de son territoire en main est la clé pour établir un réel rapport de force face aux compagnies et aux gouvernements.

Solidarité entre mouvement climatique et syndical

Les actions directes peuvent être des outils puissants, en particulier lorsqu’elles sont organisées conjointement avec des travailleurs et des travailleuses qui se mettent en grève. On s’attaque alors aux profits que le patronat réalise en exploitant l’environnement et notre santé. De telles actions de masse pour le climat peuvent être organisées, par exemple, en combinant les actions de grève des employé⋅es des secteurs polluants avec des blocages d’infrastructures de combustibles fossiles. Mais pour y arriver, l’organisation de l’action syndicale menée par les militantes et les militants de la base est déterminante. 

Ailleurs dans le monde, des groupes «commandos» ont déjà réalisé les limites de leurs actions. Plusieurs se positionnent en solidarité avec le mouvement ouvrier. Au Royaume-Uni, les groupes Just Stop Oil et Extinction Rebellion viennent en aide à des syndicats comme les cheminots en grève. L’an dernier en Autriche, le groupe Lobau bleibt a collecté des fonds pour les salaires perdus par les travailleurs et travailleuses du chantier de construction que le groupe occupait.

De bons emplois ET un environnement sain
Le militantisme du mouvement syndical est essentiel à la lutte contre la crise climatique. Cependant, il est irréaliste d’attendre que les mesures nécessaires soient prises par les grandes directions syndicales actuelles. La plupart d’entre elles tirent avantage de ses liens avec les partis politiques capitalistes. Elles continuent d’agir pour maintenir le climat de «partenariat social» entre le patronat et la classe ouvrière.

Les syndicats sont hétérogènes et les personnes à leur tête ont généralement des réalités complètement différentes de celles de leurs membres. Dans les pires cas, des dirigeants syndicaux vont même rejoindre les patrons contre le mouvement climatique. Cela a été le cas dans la lutte contre l’arsenic répandu dans l’air de Rouyn par la Fonderie Horne. Patronat et syndicat ont renforcé la fausse opposition entre des emplois payants et un environnement sain. Pour jeter les bases d’un front uni du mouvement climatique et du mouvement syndical, les activistes climatiques ont besoin de s’adresser à la base militante syndicale et de s’organiser avec elle.

Un soutien de masse découlerait d’un programme associant la lutte pour des emplois gratifiants et bien payés à des actions contre les catastrophes écologiques croissantes. Des luttes en cours nous permettent déjà de nous organiser pour exproprier de grands propriétaires afin de conserver des espaces verts ou construire des logements publics. 

Contrôler ce qui nous appartient

Régler les problèmes de santé et les dommages potentiellement irréversibles sur les écosystèmes passe par la prise de contrôle des ports, des cimenteries, des raffineries, des minières et de l’industrie forestière. Cela passe inévitable par une lutte contre le pétroétat canadien, paradis fiscal des minières du monde entier. Rompre avec le fédéralisme est nécessaire afin d’assurer l’indépendance politique et économique de tous les peuples et nations du pays. 

Comme cela a été largement suggéré dans les appels à manifester contre la COP15, la gestion démocratique de l’économie passe par une collaboration avec les peuples autochtones qui habitent de hauts lieux de biodiversité, surtout dans le sud global. Toutes ces démarches doivent respecter les principes d’autodétermination des peuples incluant la séparation, au Québec comme ailleurs.

Voilà la raison pour laquelle nous devons mettre de l’avant la nationalisation du secteur de l’énergie et des autres secteurs clés de l’économie (ex. transport, finance, agriculture) sous le contrôle démocratique des travailleurs et travailleuses. Afin de lutter efficacement contre la crise climatique et la hausse du coût de la vie, la classe ouvrière doit retirer le contrôle de la production des mains des capitalistes. Il s’agit de placer sous contrôle public et démocratique la richesse des plus grands pollueurs et des banques, en plus d’exproprier les gains mal acquis des milliardaires.

Pour réaliser ces changements radicaux, seul un large mouvement de grève générale de la classe ouvrière organisée, soutenu par les mouvements climatiques, étudiants et sociaux, sera en mesure d’établir à long terme le rapport de force nécessaire pour déposséder les possédants.


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