Les élections de mi-mandat ouvrent la voie à une crise encore plus profonde

Les divisions et tensions grandissantes au sein même des partis républicain et démocrate proviennent de la crise croissante du capitalisme et de l’incapacité de la classe dirigeante à s’entendre sur une quelconque voie à suivre.

Les prévisions d’une « vague rouge » de mi-mandat à la faveur du Parti républicain (dont la couleur est le rouge, le bleu étant celle du parti démocrate) n’ont pas eu lieu mardi 8 novembre dernier. Le résultat divisé illustre à quel point la polarisation se développe dans la politique américaine.

Les Républicains n’avaient pas réussi à remporter l’une ou l’autre des chambres du Congrès (la Chambre et le Sénat) à l’heure où cet article a été publié. Bien qu’une petite majorité républicaine soit le résultat le plus probable pour le Congrès, les gains de mi-mandat ainsi obtenus seraient moins importants que ceux obtenus par n’importe quel parti d’opposition sur le parti présent à la Maison Blanche depuis 2002 durant les élections de mi-mandat, les « midterms ».

Qu’est-il arrivé à la « vague rouge » ?

Les médias capitalistes présentent largement ce résultat, meilleur que prévu, comme une victoire des Démocrates. Les résultats reflètent toutefois davantage l’opposition au parti républicain et à ses dirigeants trumpistes au lieu d’un vote d’adhésion pour Joe Biden et les Démocrates. La cote de popularité de Biden reste inférieure à 40% et deux tiers des électeurs interrogés estiment que le pays va dans la mauvaise direction.

Les électeurs et électrices démocrates semblent avoir voté principalement en raison de leur colère face à l’attaque des républicains contre l’avortement et de leurs inquiétudes au sujet de la droite et des menaces contre les droits démocratiques. Les sondages à la sortie des urnes ont systématiquement illustré que l’avortement était l’une des deux questions principales, et des victoires en faveur du droit à l’avortement ont été remportées dans quatre des cinq États où le thème figurait sur le bulletin de vote. Le cinquième semble se diriger dans la même direction. Cela fait suite à la défaite décisive du référendum du Kansas qui lui aussi visait à attaquer le droit à l’avortement en août dernier.

Le succès relatif des démocrates semble avoir été presque exclusivement motivé par la participation (qui était à des niveaux similaires aux sommets historiques de 2018) en dépit du fait que les démocrates ont perdu du terrain auprès de chaque groupe démographique. Au cours de ces derniers mois, une vague d’inscriptions d’électeurs et d’électrices a déferlé, essentiellement des femmes et des jeunes, ce qui a probablement contribué à assurer la représentation historiquement élevée des électeurs démocrates dans les bureaux de vote.

Les Républicains semblent également avoir perdu du terrain en raison de leurs candidats liés à Trump qui avaient réussi à passer au travers des primaires (qui déterminent les candidats de chaque parti), ce qui a par la suite pesé sur les chances de leur parti lors de l’élection générale.

Les médias dominant ont commenté dans les grandes largeurs la tendance très constante du parti du président à perdre du terrain lors des élections de mi-mandat. Le phénomène a quasiment été décrit comme une « loi de la gravité ». C’est statistiquement vrai – et 20 des 22 derniers midterms ont suivi cette tendance – mais il ne s’agit pas des lois du mouvement de Newton, il s’agit du capitalisme. Le parti du président perd du terrain parce que ses politiciens se démasquent comme représentant les riches plutôt que les travailleurs lorsqu’ils sont en fonction. Et puisque sous le capitalisme, les travailleurs n’ont normalement aucune représentation et aucune alternative réelle (aux États-Unis, ils n’ont même jamais disposé de leur propre parti de masse), le seul moyen dont ils disposent pour tenter de voter pour le changement est de les mettre tous dehors.

The Squad a laissé filer l’occasion

L’issue de l’équilibre des forces au Sénat devra peut-être attendre le mois de décembre, lorsqu’un second tour de scrutin en Géorgie pourrait être décisif pour la deuxième fois en deux ans. Mais que les démocrates parviennent ou non à conserver le Sénat, le programme de Biden sera bloqué par la majorité républicaine prévue à la Chambre des représentants. Les énormes divisions au sein du parti républicain vont créer un environnement profondément polarisé et chaotique, mais ces différences n’aideront pas Biden car le seul domaine où il y a un accord écrasant sera l’obstruction de l’agenda déjà fracturé de Biden.

Ironiquement, l’étroitesse de la majorité républicaine risque d’accroître le chaos plutôt que de le réduire, car avec une majorité étroite, le Freedom Caucus (un regroupement de la droite dure du parti) détiendra les clés de l’équilibre du rapport de force. Le Freedom Caucus n’aura pas peur d’utiliser son influence, contrairement à l’équipe d’élus démocrates de gauche connu sous le nom de The Squad (« la brigade », atour de Alexandria Ocasio-Cortez) sur qui reposait le rapport de force à la Chambre ces deux dernières années, mais qui avait été mis au pas par Biden et Pelosi (présidente de la Chambre des représentants).

Pendant deux ans, The Squad a disposé d’une occasion historique de se battre pour le programme populaire sur lequel il avait fait campagne, notamment en faveur d’un salaire minimum fédéral de 15 dollars de l’heure et d’un système universel de soins de santé. Mais ces élus ont laissé passer l’occasion. Maintenant, la droite va utiliser son rapport de force pour se faire passer pour les défenseurs de la classe ouvrière. C’est un développement dangereux, qui pourrait ouvrir davantage l’espace pour la croissance des idées de droite en l’absence de direction de gauche.

2024 commence maintenant

Une grande partie des médias dominants a conclu que les élections de mi-mandat représentent une défaite pour Donald Trump. Les résultats sont plus mitigés. Bien qu’un certain nombre de candidats très en vue soutenus par Trump aient été éliminés, d’autres ont mieux réussi, comme les sénateurs Chuck Grassley dans l’Iowa, Eric Schmitt dans le Missouri et J.D. Vance dans l’Ohio. Même le caractère serré de la course au Sénat en Géorgie (et maintenant le second tour) par le désastreux favori de Trump, Herschel Walker, représente une victoire pour Trump. Et si l’ancien président a peut-être nui au total du vote républicain, l’aile droite a progressé : elle regroupe 210 républicains à la Chambre, au Sénat et dans des élections d’État très médiatisées. Ces avancées confirment l’emprise de Trump sur le parti républicain.

Depuis des semaines, Trump laisse entendre qu’il annoncera sa candidature à la présidence en 2024 peu après les élections de mi-mandat. Il utilisera sa course à la présidence pour renforcer encore son emprise sur le parti et s’en prendre aux dissidents de la direction républicaine. Les espoirs que le gouverneur de Floride Ron DeSantis, grand vainqueur des élections de mi-mandat, puisse offrir une alternative à Trump comme porte-drapeau du GOP (Grand old party, autre nom du parti républicain) en 2024 ont peu de chances de porter leurs fruits. Ce qui est plus possible, c’est une course indépendante de Liz Cheney au nom de l’ancien establishment du parti républicain, plus pour nuire à Trump que pour avoir une réelle chance de gagner la course.

Les deux partis plongés dans une crise profonde

Les niveaux croissants de division au sein des deux grands partis proviennent de la crise croissante du capitalisme lui-même et de l’incapacité de la classe dirigeante à se mettre d’accord sur une quelconque voie à suivre. Le refus catégorique mais prévisible de l’un ou l’autre parti de présenter des solutions à l’effondrement social et économique auquel sont confrontés des dizaines de millions de personnes, alors que les milliardaires amassent toujours plus de richesses, continuera d’alimenter un mécontentement historique. Cette crise des partis capitalistes est un phénomène mondial, comme en témoigne le désarroi total du parti conservateur britannique.

Avec une crise économique qui s’aggrave et une récession quasi certaine l’année prochaine, les mois à venir ne sont pas de bon augure pour les Démocrates. Biden pourrait être en mesure de repousser des challengers dans une primaire démocrate, aidé par les résultats meilleurs que prévus des élections de mi-mandat, mais cela ne représentera pas tant l’unité démocrate que la crainte de la direction du parti de ce à quoi pourrait ressembler une primaire largement ouverte (Sanders ou d’autres pourraient entrer en scène si Biden se retire).

Pendant ce temps, les divisions au sein du GOP seront probablement bien visibles alors que le climato-sceptique Kevin McCarthy tentera de présider un Freedom Caucus enhardi, que d’autres forces de la droite dure sont présentes à la Chambre des représentants et les républicains les plus à droite au Sénat auront eux aussi des possibilités de rébellion plus organisée élargies.

Comme l’a dit un ancien président du Comité national républicain, Michael Steele : « En fin de compte, cela n’a pas d’importance : une chambre, deux chambres, si les républicains ont le contrôle, les 18 à 24 prochains mois dans ce pays vont être un nouveau paysage politique infernal comme nous n’en avons jamais vu. » Si cette tournure pour le pire semble devoir se confirmer, la démocratie capitaliste est généralement un enfer pour les travailleurs ordinaires, car ils n’ont normalement aucune représentation dans ce système.

Que vont faire les Républicains avec leur majorité probable à la Chambre?

Pour commencer, les Républicains vont probablement agir de manière agressive pour bloquer le programme de Biden. À court terme, cela pourrait bien jouer en leur faveur puisque les Démocrates sont toujours considérés comme largement responsables de la crise économique. Toutefois, à moyen et long terme, les choses deviendront plus difficiles pour le GOP, qui sera contraint de présenter davantage son propre programme.

Il y a peut-être des indices dans le programme « Commitment to America » proposé par le présumé nouveau président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy. Le programme de McCarthy est assez mince, surtout si on le compare au « Contrat avec l’Amérique » de Newt Gingrich (dont il semble porter le nom), mais il met principalement l’accent sur la réduction des dépenses, la déréglementation du pétrole et du gaz et la relocalisation des usines.

Les efforts des Républicains pour créer des emplois dans le secteur manufacturier pourraient être populaires, mais il est très peu probable qu’il s’agisse d’autre chose que de promesses populistes creuses. D’autre part, il suffit de regarder le mandat désastreux et le plus court de Liz Truss en tant que Première ministre britannique pour voir à quel point les réductions de dépenses néolibérales sont susceptibles d’être impopulaires dans la crise actuelle du capitalisme. Parallèlement à cela, de nombreux éléments indiquent que les Républicains vont lancer une série d’enquêtes et de mises en accusation potentielles dans le cadre d’une offensive contre Biden et les Démocrates, dont certaines risquent de se retourner contre eux. Et il est certain que si les Républicains s’attaquent à la sécurité sociale ou à Medicare, cela leur portera un grave préjudice et représentera une nouvelle dérive droitière de leur part.

Nous avons besoin de notre propre parti

L’orientation vers la droite du parti républicain, qui se présente pourtant désormais comme le « parti des travailleurs et travailleuses », représente une menace de plus en plus dangereuse pour les gens ordinaires aux États-Unis et dans le monde. Mais la croissance de la droite ne vient pas de nulle part, elle vient de l’échec total des Démocrates à se battre pour les travailleurs, y compris ses membres « progressistes ».

Les promesses non tenues des Démocrates, même sur l’agenda limité de Biden, auraient pu conduire à une défaite encore plus décisive si l’avancée de la droite sur le droit à l’avortement n’avait pas poussé les femmes et les jeunes aux urnes.

Nous avons besoin de nouvelles organisations de lutte de masse et d’un nouveau parti politique pour les travailleurs, travailleuses et les jeunes. Un tel parti devrait s’enraciner dans les mouvements de masse, comme celui de Kshama Sawant, élue au conseil municipal de Seattle et membre de Socialist Alternative, et se battre sans ambiguïté pour les travailleurs et travailleuses, plutôt que d’essayer de conclure des accords avec l’establishment capitaliste.

En cette ère de polarisation et de désordre, les travailleurs cherchent un moyen de riposter. Les efforts croissants de syndicalisation aux États-Unis dans de grandes entreprises comme Amazon et Starbucks, ainsi que les manifestations de masse pour défendre le droit à l’avortement, démontrent l’existence d’une soif de changement progressiste. Cela illustre également le manque total de leadership de la part du parti démocrate, un parti qui n’a jamais été un ami du mouvement ouvrier et qui n’a pas réussi à défendre le droit à l’avortement. Notre besoin d’une alternative est urgent.


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