Contre la flambée de l’inflation, une réponse socialiste

Lorsque certaines phrases sont constamment utilisées, comme les expressions sur l’inflation, elles peuvent perdre leur sens. Prenez-en une qui vient souvent avec l’inflation: «Crise du coût de la vie». L’expression signifie que le coût d’être en vie est trop élevé. En raison de l’inflation, l’idée même de vivre ou de survivre est remise en question. 

Les travailleuses et travailleurs peuvent-ils se permettre un système où les prix augmentent tellement qu’ils remettent en question le potentiel d’être simplement en vie? Dans un pays riche comme le Canada, cela peut sembler mélodramatique. Mais l’utilisation accrue des banques alimentaires entre 2019 et 2021, en hausse de 20,3%, démontre que de nombreuses personnes vivent cette réalité. 

Statistique Canada rapporte que les Canadiennes et Canadiens ont payé 9,7% de plus pour la nourriture en mai 2022 qu’un an auparavant, tandis que le salaire horaire moyen a augmenté d’environ 5,2% d’une année à l’autre. Les aliments de base comme les fruits frais ont bondi de 10,3%, tandis que les prix des graisses et des huiles comestibles ont grimpé de près de 30%. Les prix à la consommation moyens ont augmenté de 7,7% au cours de l’année écoulée, la plus rapide en plus de 30 ans. Les prix augmentent beaucoup plus vite que les salaires. Et les travailleuses et travailleurs en sont blâmés.

Le 13 juillet, la Banque du Canada a ajouté son grain de sel à la misère économique. Elle a fait grimper les taux d’intérêt de 1,5% à 2,5%, soit une augmentation de 66,7%! Cela augmentera le coût de la vie pour tous ceux et celles qui ont des dettes, soit la plupart des Canadiens et Canadiennes. Les prêts hypothécaires augmenteront et les hausses de loyer sont plus probables. Et cela au nom de la lutte contre l’inflation.

Qu’est-ce qui cause l’inflation?

La plupart des pensées économiques enseignées à l’école affirment qu’il existe deux types d’inflation. Le premier est une inflation «poussée par les coûts», où une augmentation du coût de production – en raison d’une hausse du prix international du pétrole, par exemple – fait monter les prix. La seconde est une inflation «tirée par la demande», généralement attribuée aux travailleuses et travailleurs ayant un revenu disponible plus élevé grâce aux augmentations de salaire alors que la production reste la même. Dans les deux cas, les travailleuses et travailleurs sont blâmés. Premièrement, en tant que facteur majeur du coût de production et deuxièmement, en tant que consommateurs qui sortent et dépensent leur salaire ou leurs économies.

La seule chose neutre que vous puissiez dire à propos de l’inflation est qu’il s’agit du taux auquel le niveau général des prix des biens et des services augmente. L’inflation provoque une baisse du pouvoir d’achat. Si les augmentations de salaire étaient responsables de l’inflation, on s’attendrait à ce que les augmentations du salaire minimum entraînent une hausse des prix. Pas tant. En 2016, des chercheurs du Upjohn Institute for Employment Research ont examiné l’effet des augmentations du salaire minimum sur les prix dans divers États américains de 1978 à 2015. Ils ont constaté que «En examinant les changements dans les prix des aliments dans les restaurants au cours de la période 1978-2015 […] les prix n’ont augmenté que de 0,36% pour chaque augmentation de 10% du salaire minimum. Ils observent également que de petites augmentations du salaire minimum ne conduisent pas à des prix plus élevés et peuvent en fait réduire les prix. En outre, il est également possible que de petites augmentations du salaire minimum entraînent une augmentation de l’emploi sur les marchés du travail à bas salaires.»

Jim Stanford, ancien économiste du syndicat Unifor, a souligné dans un récent article du Toronto Star que :

Les travailleuses et travailleurs du secteur public sont confrontés à des plafonds salariaux draconiens qui amplifient les pertes dues à l’inflation. Par exemple, 270 000 travailleuses et travailleurs du secteur public en Ontario ont vu leurs augmentations de salaire plafonnées à 1% par le gouvernement Ford depuis 2019. En compensation de leur bravoure et de leur dévouement pendant la pandémie, leur salaire réel sera réduit de 5,5% cette année seulement. Le gouvernement fédéral se montre un peu plus généreux en offrant à son personnel 1,7% en moyenne par année sur quatre ans.

L’inflation actuelle n’a pas été causée par les travailleuses et les travailleurs. Les prix ont augmenté plus que les salaires depuis la mi-2020. La part des travailleuses et des travailleurs dans le PIB a diminué en conséquence. Les raisons les plus évidentes pour expliquer l’inflation sont les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement (touchant 9 fabricants canadiens sur 10), la bulle immobilière et le choc des prix de l’énergie à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Les entreprises privées récoltent des bénéfices plus importants, car les personnes qui consomment paient des prix plus élevés. Les marges des grossistes ont augmenté plus de deux fois plus rapidement que l’inflation globale. Les bénéfices des sociétés avant impôt ont atteint cette année leur plus grande part des revenus depuis plus d’une décennie alors que l’inflation décollait. Stanford note: «Il est clair que la situation actuelle est un cas d’inflation des prix-profits, et non d’inflation des prix-salaires. Supprimer les salaires ne s’attaque pas à la cause du problème et n’aura aucune valeur pour y remédier.»

Stanford précise: «Même si l’inflation diminue, qu’adviendra-t-il des salaires des travailleuses et travailleurs entre-temps? Si les salaires ne sont pas augmentés, et rapidement, les travailleuses et travailleurs connaîtront une réduction permanente de leur niveau de vie héritée d’une inflation qu’ils n’ont pas causée – mais qui a enrichi les autres (des géants du pétrole aux promoteurs immobiliers en passant par les chaînes d’épicerie).»

La politique monétaire

Une politique monétaire est une tentative de contrôler la quantité d’argent disponible dans une économie et de contrôler les canaux par lesquels le nouvel argent est fourni. En gérant la masse monétaire, une banque centrale vise à influencer des facteurs tels que l’inflation, le taux de consommation, la croissance économique et la liquidité globale. En réponse à la COVID-19 et à la récession qu’elle a accélérée, les gouvernements et les banques centrales ont injecté d’importantes sommes d’argent dans l’économie. Une grande partie est allée dans les poches des grandes entreprises et des riches ou dans des bulles d’actifs – marché boursier, cryptomonnaies, etc. Mais certaines sommes d’argent ont alimenté la bulle immobilière et sont entrées dans l’économie au sens large.

Maintenant, les banques centrales font monter les taux d’intérêt, affirmant que cela ralentit l’inflation. Cependant, comme l’économiste marxiste Michael Roberts a souligné: «Si la hausse de l’inflation est entraînée par une offre faible plutôt que par une demande excessivement forte, la politique monétaire ne fonctionnera pas». La politique monétaire fonctionne soi-disant par l’utilisation du taux de prêt de la banque centrale pour augmenter ou diminuer la «demande cumulée». Ainsi, si les dépenses évoluent trop rapidement pour que la production puisse y répondre et que cela génère de l’inflation, des taux d’intérêt plus élevés sont censés freiner la volonté des entreprises et des ménages de consommer ou d’investir en augmentant le coût d’emprunt. Roberts note: «Mais même si cette théorie était correcte (et les preuves ne la confirment pas beaucoup), elle ne s’applique pas lorsque les prix augmentent en raison de la rupture des chaînes d’approvisionnement, que les prix de l’énergie augmentent ou qu’il y a des pénuries de main-d’œuvre». Robert cite Andrew Bailey, gouverneur de la Banque d’Angleterre: «La politique monétaire n’augmentera pas l’offre de puces à semi-conducteurs ni ne produira plus de chauffeurs de poids lourds (camions)». On pourrait ajouter que la baisse des salaires ne réglera pas plus ces problèmes.

La Banque du Canada, dans son communiqué d’avril annonçant une hausse des taux d’intérêt, a déclaré que la croissance était forte et que l’économie se dirigeait vers une demande excédentaire. Les marchés du travail sont devenus «tendus» et la croissance des salaires – en hausse – a retrouvé son rythme d’avant la pandémie. Les entreprises signalent de plus en plus qu’elles ont du mal à répondre à la demande, mais qu’elles sont capables de répercuter la hausse des coûts des intrants en augmentant les prix. C’est très bien pour certaines entreprises, mais cela n’aide pas une travailleuse ou un travailleur de la fonction publique de l’Ontario qui doit se débrouiller avec l’augmentation maximale de 1% imposée par le gouvernement.

La façon dont la Banque du Canada hausse les taux d’intérêt pour gérer l’inflation mène à une récession qui engendrera d’importantes pertes d’emplois. Au Canada, on parle probablement de plus de 750 000 travailleuses et travailleurs touchés. La Banque du Canada affirme qu’elle vise un «atterrissage en douceur», un ralentissement de l’économie sans récession. Comme le montre une étude du CCPA, la Banque n’a jamais réalisé ce rêve. Un exemple effrayant d’une utilisation passée de la hausse des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation remonte à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Les taux d’intérêt étaient supérieurs à 20% aux États-Unis et au Canada. Ils étaient proches de 20% dans d’autres pays. Le résultat a été une profonde récession mondiale. En 1983, le Canada a connu le pire taux de chômage depuis les années 1930.

Les travailleuses et travailleurs ont besoin d’une augmentation de salaire

Les salaires globaux ont augmenté de 5,2% en juin. Fait alarmant pour les personnes syndiquées, leurs salaires n’ont augmenté que de 3,7% tandis que ceux des travailleuses et travailleurs non syndiqués ont augmenté de 6,1%.

Les syndicats canadiens doivent réagir avec détermination pour défendre le niveau de vie de leurs membres. Les syndicats devraient faire pression pour rouvrir les contrats pluriannuels afin d’augmenter les salaires en fonction de l’inflation. Les nouveaux contrats doivent couvrir la menace de l’inflation.

Les travailleuses et travailleurs ont besoin d’un retour aux traditions militantes du mouvement ouvrier canadien telles la grève de l’usine Ford à Windsor en 1945 ou la grève du Front commun du secteur public québécois en 1972 . Dans ce dernier cas, plus de 200 000 fonctionnaires ont quitté leur travail lors d’une grève générale à l’échelle de la province. Ces personnes ont exigé une augmentation de 8% pour correspondre à l’inflation, un salaire minimum de 100$ par semaine, une meilleure sécurité d’emploi, de meilleures conditions de travail et un salaire égal pour un travail égal. En plus de ces demandes, l’indexation automatique des salaires au coût de la vie est une autre mesure qui répondra à la hausse du coût de la vie.

L’histoire italienne de «l’échelle mobile des salaires»

L’indexation automatique des salaires au coût de la vie peut atténuer l’impact de l’inflation sur les travailleuses et travailleurs lorsqu’un syndicat l’obtient dans le cadre d’une convention collective. Avec une indexation de salaire automatique contre l’augmentation du coût de la vie, le niveau de vie des travailleuses et travailleurs n’est pas érodé par l’inflation.

Les clauses d’indexation ont été négociées par les syndicats canadiens et américains au milieu des années 1970 alors que l’inflation atteignait un sommet de 15% et les taux d’intérêt exorbitants culminaient à 21 % en août 1981. L’indexation doit ses origines à La Scala Mobile («échelle mobile des salaires») introduite en Italie en 1945 pendant une période de radicalisation politique où les communistes étaient au gouvernement. Contrairement aux accords canadiens des années 1970, cette indexation n’a pas été négociée entre des syndicats et des employeurs. Elle a plutôt été négociée et supervisée à un niveau tripartite – les fédérations syndicales nationales, la fédération nationale des employeurs et le gouvernement. Les capitalistes italiens n’ont jamais été satisfaits de La Scala, mais les ouvrières et ouvriers l’ont adorée. Au début des années 1980, on estimait que La Scala représentait plus de 60% des augmentations salariales annuelles. L’Italie n’a pas fait exception, parmi les économies avancées des années 1970 et 1980, à la montée de la mondialisation et du néolibéralisme. La classe ouvrière italienne n’a pas fait exception aux attaques de la classe patronale. Il n’est donc pas surprenant que les employeurs aient lancé une attaque concertée contre La Scala, entraînant sa disparition en 1993.

L’histoire canadienne de l’indexation

Selon un rapport de 2015 de Statistique Canada, la part des ententes annuelles comprenant une clause d’indemnité de vie chère (IVC) est en baisse constante depuis le début des années 1990. La proportion de personnes salariées couvertes par une IVC a également diminué. À la fin des années 1970, près de la moitié de toutes les personnes qui travaillent était couverte par des accords d’IVC. Un récent article du Toronto Star souligne qu’en 2014, seulement 1% de toutes les personnes syndiquées étaient couvertes par l’IVC.

Dans la juridiction fédérale, la baisse de la part des règlements avec IVC a été relativement modérée par rapport aux autres juridictions. Parmi les grands secteurs, la proportion d’employé·es couverts par l’IVC a fortement diminué dans l’administration publique, l’éducation, la santé et les services sociaux. Toutefois, la baisse a été plus modérée dans le secteur manufacturier et le transport. Les personnes couvertes par une IVC n’avaient pas systématiquement un avantage substantiel par rapport à ceux et celles sans IVC. Toute disparité salariale entre les deux groupes a disparu en 2007. Au cours des deux dernières décennies, alors que l’inflation est restée faible et stable, plus de la moitié des accords d’IVC en vigueur ne sont jamais entrés en vigueur. Contrairement à La Scala Mobile italienne, où les augmentations par rapport au coût de la vie, aussi minimes soient-elles, sont appliquées automatiquement, la plupart de celles au Canada n’ont été activées que lorsque l’inflation a atteint un certain niveau.

La leçon à tirer de cela : l’IVC devrait être appliquée automatiquement, quel que soit le taux d’inflation indiqué par l’IPC (indice des prix à la consommation). L’IVC devrait également s’appliquer pour les personnes retraitées, les bénéficiaires de l’aide sociale et toute autre personne vivant avec un revenu fixe. Bien que les régimes de retraite canadiens soient indexés, la plupart des paiements de revenu provinciaux (comme les prestations d’aide sociale et d’invalidité) ne le sont pas.

Tracer une nouvelle voie pour le mouvement ouvrier

Plutôt que de compter sur une hausse des taux d’intérêt, avec le résultat probable d’une récession et d’un chômage élevé, les gouvernements peuvent prendre de vraies mesures pour lutter contre l’inflation. Ils peuvent rétablir les chaînes d’approvisionnement, réduire considérablement les prix de l’énergie et imposer un contrôle des loyers. Les gouvernements pourraient faire baisser directement les prix, comme pour les services de garde d’enfants, les frais médicaux, dentaires et pharmaceutiques ainsi que les frais de transport en commun. Certaines mesures gouvernementales visant à freiner les dépenses seraient les bienvenues, telles que des impôts exceptionnels sur les grandes compagnies pétrolières et l’augmentation des impôts sur les riches. Ces revenus pourraient être recyclés pour augmenter les prestations sociales. Ensemble, ces mesures réduiraient considérablement l’inflation. La mise en place d’IVC maintiendrait également le pouvoir d’achat des salaires, sans provoquer une hausse de l’inflation. Cependant, un tel programme nécessite un gouvernement qui est prêt à défier les grandes entreprises et leur quête de profits sans fin.

Les travailleuses et les travailleurs n’ont pas causé l’inflation actuelle. Ils et elles ne devraient pas avoir à payer pour. Indépendamment de ce que font les gouvernements et les banques centrales, le mouvement ouvrier devrait tracer sa propre voie: exiger la réouverture des conventions collectives pour ajouter des clauses d’indexation et exiger des augmentations de salaire substantielles pour rattraper ce qui a été perdu au cours de la période écoulée. Le récent règlement d’une grève des transports en commun en Colombie-Britannique comprenait une IVC. La demande d’une IVC fait partie des négociations en cours de certains employé⋅es du gouvernement de la Colombie-Britannique au sein du BCGEU. Cette lutte doit être soutenue par tous les travailleurs et les travailleuses. La revendication doit s’étendre à tous les syndicats.

De plus, les arguments en faveur du socialisme sont plus que confirmés par cette analyse du fonctionnement de l’économie capitaliste. La tâche de construire un parti ouvrier avec un programme socialiste devient plus urgente encore.


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