Le jour du Canada et ceux d’Octobre 70

Le 1er juillet dernier a marqué le 40e anniversaire du changement de nom de la fête du Dominion pour la fête du Canada. Ce sera aussi cette année le 52e anniversaire de la crise d’Octobre 70. De mon côté, j’ai à trouver différentes manières de divertir 40 jeunes anglophones durant quatre semaines pour mon emploi d’été. La meilleure manière de faire le lien entre les deux bouts? Radicaliser les jeunes anglophones avec le film Octobre de Pierre Falardeau!

Le film Octobre de Pierre Falardeau commence avec une citation1 d’Albert Camus de sa pièce Les Justes2. Rappelons le synopsis de cette pièce de théâtre. Elle est basée sur un fait réel, soit l’attentat qui a coûté la vie au grand-duc Serge Alexandrovitch de Russie. On y suit le parcours du terroriste qui préparait l’attaque qui mena à la mort du grand-duc. De ces personnages, Camus en dira qu’ils avaient une haine de leur propre vie et un profond respect de la vie des autres. « Pour eux, comme pour tous les révoltés jusqu’à eux, le meurtre s’est identifié avec le suicide. Une vie est alors payée par une autre vie et, de ces deux holocaustes, surgit la promesse d’une valeur. »3

Le personnage joué par Hugo Dubé dans Octobre dit ces mots à son camarade de la cellule Libération:

Si vous saviez pas quoi faire, c’tait à vous autre de pas vous embarquer là-d’dans. C’est bin beau la révolution dans un livre, mais là on n’est pas dans un livre là. Là c’est pour de vrai! C’est tough, c’est sale pis ça pue. C’pas un jeu, bâtard! On n’est pas là pour le fun, pour le kick! La vie d’un otage, la vie d’un militant, c’est sérieux! […] L’important s’tait d’s’organiser. M’semble que t’as la preuve aujourd’hui. Vous nous avez mis dans marde. C’tait pas l’temps d’passer à l’action. C’tait pas l’temps! Quand la police a mis la hache su’le FLQ en juin, s’qui fallait faire, s’tait r’bâtir l’organisation. R’commencer à zéro. Vous nous aviez traiter d’lâche, de mou, d’peureux, mais vous étiez pressé. Pour vous autre, ramasser du monde, r’monter un réseau, c’était pas assez révolutionnaire, hein? Trouver d’l’argent, des caches, des chars, c’tait pas assez hot pour vous!4

Sachant que Falardeau a fait des recherches intensives avec l’aide de Francis Simard sur les événements qui se sont passés dans la cellule Chénier (celle qui a enlevé Pierre Laporte), il peut alors être déduit que cette cellule savait très bien qu’elle n’était pas prête à faire un grand coup de la sorte. Or, Pierre Laporte s’est gravement blessé en tentant de s’enfuir. La cellule délibère donc la possibilité de libérer Pierre Laporte. Ils en viennent à cette conclusion.

Luc / Admettons qu’on le libère. / Denis / On fait pareil comme la cellule Libération… On plie… C’est comme si on avait fait toute ça pour rien… On s’écrase… / Après un temps de silence : / Luc / C’est comme si on disait au monde : “Ça sert à rien de se battre… l’autre bord, y s’ront toujours les plus forts…”/Tout est dit sur un ton très triste, absolument pas agressif. / Luc / On va être des vaincus encore une fois… / Silence. / Luc / Des vaincus… de génération en génération… Tout un peuple de vaincus… Un peuple qui s’rappelle même pus c’que c’é qu’la liberté. / Denis / On n’a pas le droit de plier.5

En prenant en considération ces mots et en gardant en tête la manière dont le personnage d’Hugo Dubé parle de rester « responsable » de ses actes, il y a matière à lier ces révolutionnaires aux idéalistes que décrit Camus. Ils ont été prêts à payer une vie pour une vie, ou dans ce cas pour une peine de prison sévère.

Il a déjà été expliqué ailleurs dans nos articles que l’aventurisme et les moyens utilisés par le Front de Libération du Québec (FLQ) – comme l’enlèvement de James Richard Cross et de Pierre Laporte – étaient inadaptés à la situation et à son manque d’enracinement dans la classe ouvrière. À l’inverse, les directions des grands syndicats se sont investies dans le Parti québécois après la crise d’Octobre. Malgré les manifestes anticapitalistes tapageurs de 1972, elles ont alors laissé tomber la création d’une authentique force politique ouvrière révolutionnaire et socialiste. Ça a favorisé la transformation de la large prise de conscience nationale décoloniale, anticapitaliste et de plus en plus socialiste des années 1960-70 en un nationalisme économique dangereusement xénophobe aujourd’hui défendu par la Coalition avenir Québec et le Parti québécois.

Se battre pour les droits nationaux ici et ailleurs au Canada

À ça, je vais aller d’une petite anecdote de mon cru. Je viens d’une famille particulièrement souverainiste pour une pléthore de raisons. Une des raisons pour laquelle j’ai justement fait ma maîtrise à l’Université d’Ottawa était pour me faire une tête par moi-même sur cet héritage familial. Quand j’étais là-bas, le premier ministre Doug Ford abandonna le projet d’une université francophone à Toronto sous le prétexte du multiculturalisme. Je suis, plus tard, allé à une manifestation en soutien pour la restauration de ce projet d’université. J’y ai vu quelque chose que je n’avais pas vu depuis longtemps. 

Une vraie fierté du fait francophone. Pas une mise en place par une pseudofierté identitaire basée sur un passé idéalisé, mais une fierté basée sur des problèmes d’accès découlant de sa classe sociale. Pendant qu’au Québec, on était encore en train de se battre pour faire comprendre à nos mononc en cheuf que les enseignantes voilées ne vont pas imposer la charia dans les classes, les Ontarois et Ontaroises se battaient pour avoir une seule université francophone. 

En 2005, pendant que le Québec rentrait dans sa saga des « accommodements raisonnables » qui allaient tant aller alimenter nos Richard Martineau, Mario Dumont et autre mononc avec beaucoup trop de tribunes, les Ontarois et Ontaroises se battaient pour garder ouvert le seul hôpital francophone en Ontario. Petite réflexion révolutionnaire. En ce sens, ma quête universitaire en Ontario m’a fait rendre compte d’une chose. TOUT Québécois ou Québécoise devrait aller vivre pendant un an dans une communauté francophone hors du Québec. Nous ne savons plus ce que c’est que de se battre pour nos droits nationaux, linguistiques, culturels, etc., et de les lier à notre lutte pour l’autodétermination économique et politique du Québec.

À la manière des martyrs de la pièce de Camus, les révolutionnaires du FLQ ont voulu prendre sur leurs épaules la libération économique et politique du Québec. Mais notre force, c’est notre nombre et le rapport de force qu’on peut établir avec. Nous pouvons et nous devons nous assurer que cette force doit être utilisée pour soulever toutes les personnes opprimées du Québec. Ce n’est pas en boycottant Netflix que nous obtiendrons les ressources et le pouvoir de développer massivement les médias, les musées, la littérature, le cinéma, bref la culture québécoise. Notre situation ne s’améliorera pas en  laissant les élites politiques fédéralistes et nationalistes de droite actuelles confier la gestion de nos services de santé et d’éducation à des compagnies privées. Elles ne verront jamais rien de rentable à assurer des services à des minorités, que ce soit au Québec ou dans le reste du Canada. 

Comme a probablement dit Pierre Falardeau en sortant du film Spiderman de Sam Raimi : « Un grand pouvoir correspond grande responsabilité? Esti, c’est juste ça que je fais, lever les voiles du caractère vaincu du Québec. On a un grand pouvoir, sti! »


Notes

1. Camus, Albert, « Les meurtriers délicats » dans L’homme révolté, Paris, édition Gallimard, collection Folio essai, juin 1985, p.172-181.
2. Camus, Albert, Les Justes, Édition Gallimard, collection Folio théâtre, mai 2008, 224p.
3.  « Les meurtriers délicats » dans L’homme révolté, p.177.
4. Octobre [long-métrage], réalisé par Pierre FALARDEAU, Québec, Association coopérative de production audiovisuelle et l’Office National du film du Canada, 1994, 35 mm, 53 :15 à 53 :24.
5. Octobre, réalisé par Pierre Falardeau, 1:19:58 à 1:20:38.

 

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