Roe v. Wade : une arme économique des capitalistes contre les travailleuses

Des militants et militantes pour le droit à l'avortement et anti-avortement devant la Cour suprême des États-Unis à Washington, le 4 mars 2020 / Photo : AP Photo / Jose Luis Magana

Le renversement de l’arrêt de la décision Roe v. Wade (1973) aura des impacts concrets et à court terme aux États-Unis. Cette décision de la Cour suprême risque d’avoir pour effet d’interdire l’avortement dans 26 États. Les mobilisations rassemblant la jeunesse, les femmes et la classe ouvrière ne se sont pas fait attendre. Nos camarades de Socialist Alternative ont été au cœur de l’organisation de plusieurs mobilisations. Nous pensons qu’il est impossible de lutter pour les droits reproductifs, pour les droits des femmes et des personnes LGBTQ+ sans lutter contre le capitalisme et pour une société socialiste et démocratique.

Une attaque dont les femmes de la classe ouvrière seront les principales victimes

Certaines personnes croient que les droits reproductifs et le droit à l’avortement sont des questions d’abord et avant tout morales. Comme marxistes, nous pensons que c’est une erreur que de mettre dos à dos les enjeux selon qu’ils soient de nature morale ou économique. Pour nous, c’est une fausse dichotomie, car tous ces enjeux «moraux» prennent racine dans un système économique qui repose sur l’exploitation et l’oppression. 

Défendre le droit à l’avortement, c’est aussi lutter pour de meilleures conditions économiques pour les femmes, plus particulièrement les femmes de la classe ouvrière. Plus encore, l’offensive de la droite américaine contre les droits reproductifs sert en dernière analyse les intérêts économiques de la classe capitaliste, facilitant l’exploitation des travailleuses.

On retrouve parmi les 26 États (principalement du sud et du centre) qui risquent à court ou moyen terme d’interdire l’avortement ceux où les salaires sont déjà les plus bas, où les services publics sont les moins accessibles et de moins bonne qualité. Là où l’accès aux assurances médicales est le plus limité et où le taux de syndicalisation est le plus faible. Bref, ce sont déjà les États où les femmes de la classe ouvrière américaine subissent le plus l’exploitation et l’oppression. 

Dans ces conditions, il sera souvent difficile, voire impossible pour ces femmes de la classe ouvrière de bénéficier d’une interruption de grossesse en se déplaçant dans un autre État: le coût du voyage et de l’essence, les journées sans salaire et le coût de l’intervention médicale sont prohibitifs. La perte du droit à l’avortement est dans les faits une perte du droit à la sécurité économique, à l’indépendance et à la mobilité pour des millions de femmes de la classe ouvrière.

Restreindre le droit à l’avortement sert les intérêts économiques des capitalistes et du patronat

L’offensive de la droite contre le droit à l’avortement fait plus qu’entraîner des dommages collatéraux sur la sécurité économique des femmes de la classe ouvrière. Elle vise à maintenir une partie de la classe ouvrière dans une situation précaire et réduire sa capacité d’organisation et de lutte. La décision de la Cour suprême sert en dernière analyse les intérêts économiques du patronat et de la classe capitaliste. Les valeurs conservatrices et la course au profit et à l’exploitation marchent ici main dans la main.

Par exemple, une restriction de l’accès à l’avortement peut pousser les femmes à demeurer dans des emplois peu payants, de peur de le perdre. Par extension, les revenus de moins en moins suffisants, surtout dans un contexte de grossesses ou de charge familiale, réduit la capacité des travailleuses à s’organiser en syndicat. Elles s’exposent aussi davantage aux risques de représailles patronales. Les femmes, surreprésentées dans les secteurs à bas salaire comme la restauration rapide, font déjà les frais de ce modèle d’affaires qui repose sur l’emploi d’une main-d’œuvre bon marché, vulnérable et fragile économiquement.

Ailleurs dans le monde, des gouvernements capitalistes attaquent le droit à l’avortement. C’est le cas en Chine et en Pologne. En Chine, l’État a aussi restreint le droit à l’avortement dans l’objectif de grossir son marché national.

Par ailleurs, la promotion des valeurs conservatrices, du rôle de la famille traditionnelle et du travail non rémunéré des femmes sert les intérêts du capitalisme en favorisant le renouvellement et l’entretien gratuit de la force de travail. Cette idéologie conservatrice décharge l’État de la nécessité d’assurer les services publics de qualité. Elle permet le maintien de la classe ouvrière dans un état de précarité économique qui la rend vulnérable aux pires conditions d’exploitation et d’oppression.

Des revendications socialistes contre une décision juridique idéologique

La majorité de la Cour suprême tente de maquiller le caractère idéologique de sa décision de renverser Roe v. Wade en argumentant sur le caractère constitutionnel du droit à l’avortement. Concrètement, la Cour décide que le droit à l’avortement n’est pas assuré par la Constitution fédérale, mais dépend de la législation de chacun des États. Pour se justifier, la Cour explique que l’effet structurant du droit à l’avortement sur la vie des femmes n’est pas démontré empiriquement. La Cour prétend que ce n’est pas à elle d’évaluer si ce droit est structurant dans la vie des femmes. 

La Cour essentialise ainsi la question pour créer un écran de fumée et masquer le caractère idéologique de sa décision. En effet, une imposante littérature scientifique confirme que l’accès à l’avortement a un impact direct sur la qualité de vie et la sécurité économique et physique des femmes. La Cour choisit consciemment de l’ignorer.

Étant donné que l’offensive contre le droit à l’avortement est surtout une offensive contre les femmes de la classe ouvrière, la lutte doit s’ancrer dans la lutte de classe plutôt que dans les tactiques de résistance individuelle, uniquement symbolique ou électorale. Il s’agit d’une décision juridique, mais la lutte est politique. Seule une mobilisation de masse peut apporter une victoire dans ce domaine.

Sur le plan des revendications, il est impératif de combiner à la lutte pour le droit à l’avortement à des revendications socialistes, par exemple:

  • Une assurance maladie universelle incluant l’avortement gratuit et sur demande pour les femmes et les personnes trans.
  • Des logements publics, abordables et de qualité.
  • Une éducation gratuite à tous les niveaux.
  • La nationalisation et le contrôle public des entreprises fabriquant le lait maternisé et des entreprises fabriquant des biens de première nécessité pour les jeunes enfants.

La lutte pour le droit à l’avortement est une lutte pour le socialisme

S’appuyant sur la l’oppression et l’exploitation, le capitalisme est incapable de régler définitivement les enjeux comme la protection du droit à l’avortement. Des enjeux de ce type, même s’ils peuvent apparaître résolus, peuvent resurgir à tout moment. Le renversement de Roe v. Wade en témoigne. En témoigne aussi la montée du racisme et du fascisme. Des questions aussi élémentaires que le travail des enfants resurgissent en Amérique du Nord alors que la pénurie de main-d’œuvre fait rage.

Dans ce contexte, la véritable libération permanente des femmes ne peut être obtenue que par le renversement complet des structures d’oppression et d’exploitation entretenues et défendues par l’État capitaliste. C’est la construction d’une société socialiste par la classe ouvrière dans toute sa diversité qui détruira les bases économiques d’où jaillissent sans cesse les symptômes de l’oppression et de l’exploitation.


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