Les coups de feu à Montréal et l’explosion des inégalités

La couverture médiatique récurrente des fusillades dans la grande région de Montréal a de quoi terroriser. Le meurtre gratuit de deux jeunes s’étant retrouvées au milieu des coups de feu est révoltant. Les autorités ont sauté sur l’occasion pour réinvestir massivement dans la police et son armement. Est-ce la bonne solution pour contrer la violence par arme à feu? Montréal est-elle devenue moins sécuritaire qu’avant?

Dans son rapport annuel 2021, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dévoile avoir enregistré 144 décharges d’armes à feu – une tous les 2,5 jours – comparativement à 71 pour 2020. Laval n’est pas épargné par cette hausse de la violence par arme à feu. 

Davantage de coups de feu

Selon Ted Rutland, professeur agrégé de l’Université Concordia cité dans 24H, cette quantité de coups de feu sans victimes est «hors normes». «Il est difficile de comparer aux années précédentes parce que cette catégorie n’est chiffrée que depuis 2020 par le SPVM», mentionne-t-il. Ce phénomène fait monter le sentiment d’insécurité dans la population, car il se produit en plein jour, devant des garderies pleines d’enfants, des parcs, des quartiers résidentiels, etc.

Si on se fie à la criminologue et sociologue Maria Mourani, l’écosystème criminel a changé depuis les guerres entre les groupes de la mafia italienne et les motards criminalisés comme les Hells Angels. Ces derniers se tenaient relativement loin des projecteurs. Les groupes criminalisés organisés réglaient leurs problèmes en privé, loin du regard de la population en général. Les gangs de rue actuels n’ont pas les mêmes «codes de conduite» lorsque vient le temps des règlements de compte.

La violence se déplace

«Le confinement a déplacé les problèmes de violence, a souligné l’inspecteur du SPVM David Shane au 24H. Quand les bars, les restaurants, tout le nightlife a été fermé, tout à coup, les gangs de rue et les groupes criminels se sont croisés ailleurs que dans les centres-villes par exemple. La violence par armes à feu s’est alors déplacée vers des lieux plutôt résidentiels.» Les tirs de projectiles des dernières années ont ainsi fait deux jeunes victimes collatérales, Meriem Boundaoui et Thomas Trudel.

De plus, certains gangs de rue «se pratiquent» à tirer dans les parcs le soir ou exhibent leurs armes sur les réseaux sociaux. Ces événements spectaculaires, amplifiés par le discours médiatique, participent à répandre une peur de la violence et une inquiétude dans la population. Les candidats à la mairie de Montréal ont d’ailleurs joué cette carte lors des élections municipales à l’automne 2021, en particulier Denis Coderre. La mairesse sortante, Valérie Plante, s’est notamment fait réélire en promettant de bonifier l’enveloppe de la sécurité publique de 100 millions $ sur 4 ans en plus d’ajouter de la police dans la rue. Il s’agit d’un virage à 180 degrés pour sa formation politique, Projet Montréal, qui a voté pour “définancement” et un désarmement du SPVM l’an dernier.

La réponse de Coderre et Plante : toujours plus de répression

La Ville de Montréal met constamment plus d’argent pour la police. En 10 ans, le budget du SPVM est passé de 429 millions à 724 millions $, une augmentation de 69%. Cela se traduit par sa militarisation en vue d’interventions musclées et son profilage politique contre la gauche radicale. Selon des données compilées par Ted Rutland de l’Université Concordia, le SPVM a acheté six fois plus d’armes en 2020 qu’en 2019, et 20 fois plus qu’en 2010. Le nombre de munitions achetées a quant à lui triplé en 10 ans. Cette approche engendre encore plus de profilage discriminatoire envers certaines communautés plus défavorisées. Cette stratégie d’escalade des moyens de répression ne fait qu’envenimer la situation et ne s’attaque pas du tout aux problèmes sociaux qui mènent à la violence.

Le tapage autour des coups de feu dans les rues de Montréal cache un problème de violence bien plus important contre lequel toutes les balles du SPVM ne peuvent rien. Pour 2021 par exemple, la moitié des 19 homicides et des 71 tentatives de meurtre commis sur le territoire du SPVM ont impliqué la présence ou l’utilisation d’une arme à feu. De ce nombre, une fraction est attribuable aux tirs de gangs de rue. C’est donc dire que la majorité des meurtres et des tentatives de meurtre à Montréal n’a rien à voir avec les armes à feu des gangs.

Le professeur de criminologie à l’Université de Montréal, Marc Ouimet, met aussi le doigt sur les solutions qui ciblent la vraie source du problème :

Pour limiter la violence urbaine, le développement social est une avenue nécessaire. Il faut tout faire pour améliorer les conditions de logement, les services sociaux, les soins de santé, l’éducation, les programmes d’emplois et les loisirs chez les jeunes. De tels programmes sont utiles pour assurer la qualité de vie des résidents de quartiers moins privilégiés et favoriser, sur le moyen et le long terme, l’intégration sociale des jeunes, ce qui constitue le meilleur rempart contre la violence.

La police ne peut rien contre les sources de la violence

Après tous les millions de $ engloutis dans le SPVM, pourquoi les crimes contre la personne impliquant la présence ou l’utilisation d’une arme à feu ont-ils augmenté de 15,3 % en 2021? Pourquoi les homicides à Montréal ont-ils augmenté de près de 40% de 2016 à 2021 (de 23 à 36)? Pourquoi la hausse est-elle de 27% pour les tentatives de meurtre (de 99 à 139) et de 32% pour les agressions sexuelles (de 1 487 à 2 365) pour la même période? 

Les augmentations au budget de la police de Montréal n’ont pas stoppé l’essor de la violence conjugale à Montréal ni l’assassinat de cinq femmes sur son territoire. Pas plus que la hausse de 17% des crimes contre la personne en cinq ans.

La seule réponse que le gouvernement québécois peut donner à la violence, c’est la violence: Plus de pouvoir d’intervention pour les différents corps policiers avec la stratégie Quiétude en 2019, l’Équipe de lutte au trafic d’armes à feu en 2020, les Équipes multisectorielles dédiées aux armes à feu et la stratégie québécoise de lutte contre la violence armée CENTAURE en 2021.

Le professeur Rutland et l’étudiant à la maîtrise Karl Beaulieu de l’Université de Montréal croient que les initiatives communautaires «sont plus aptes à diminuer la violence à long terme» en «agissant sur les racines sociales de la violence telles que la pauvreté et la marginalisation».

Hausses des inégalités, hausse de la violence

Depuis le début de la pandémie, nous avons vécu plusieurs confinements et certaines mesures de contrôle social sans impact sanitaire positif comme des couvre-feux. La crise sanitaire s’est doublée de la pire crise économique depuis la Deuxième Guerre mondiale et d’une guerre en Ukraine. Cette situation a eu un fort impact sur la détresse psychologique et économique des gens, en particulier les personnes des communautés racisées de Montréal.

Si les personnes plus aisées ont pu travailler de la maison et même économiser de l’argent pour s’acheter une maison plus grande, la situation est différente pour la majorité des locataires et des ménages à faible revenu. Acheter l’épicerie est un enjeu réel, comme celui de faire le plein d’essence pendant que le service de transport en commun est continuellement coupé. Pour des milliers de femmes de la classe ouvrière, les exigences de la garde des enfants ont rendu le travail rémunéré inaccessible. Plusieurs ont été contraintes de vivre en confinement avec un conjoint violent, tout en étant en situation financière précaire et dans l’impossibilité de trouver un logement décent à un prix raisonnable. Les organismes qui viennent en aide à ces femmes – dont plusieurs ont fermé pendant les confinements – n’ont jamais été aussi sollicités.

La violence est une conséquence très concrète de ce type de situations de stress. La violence par arme à feu coïncide avec la pauvreté, la ségrégation sociale et les inégalités. Un programme qui vise à réduire la violence par arme à feu doit inclure un plan de contrôle de la police par les communautés. Des instances policières élues et redevables, dotées des pleins pouvoirs d’enquête, de discipline et de renvoi, sont nécessaires. La réduction des budgets de la police, sa démilitarisation et le réacheminement des fonds vers des services de santé mentale, de logement, de transport, etc. s’attaqueront directement aux sources de la violence.

Il ne vient jamais à l’idée des différents gouvernements d’aller réellement chercher l’argent nécessaire à nos services publics dans les poches profondes des multinationales qui ont engrangé des profits pharaoniques pendant la pandémie. Il n’est pas exagéré de dire que la vraie violence, c’est celle que le système nous inflige tous les jours de notre vie. Les manifestations de violences armées, de violences conjugales, de suicides, de meurtres, de viol, de vol de commerce, etc. sont le résultat d’années d’austérité par les différents gouvernements qui se sont succédés. Peu importe l’allégeance politique affirmée, ils ont détruit le tissu social et forgé les inégalités que l’on connaît. 

Pour réduire la violence armée, nous avons besoin d’une transformation des priorités sociales et politiques. Les travailleurs, les travailleuses et les jeunes dans toute leur diversité doivent enfin se lever ensemble, solidairement, et faire plier les exploiteurs. C’est à leur tour d’être à genoux. La classe dominante nous a fait croire que nous sommes incapables de changer nos conditions matérielles, mais nous avons la force du nombre. Ce qu’il faut, ce sont des campagnes massives pour taxer les riches et les compagnies à un niveau encore jamais vu. Récupérons la richesse que nous avons créée!

Nous avons besoin d’investissements massifs en santé mentale, dans le réseau scolaire, dans le logement, spécialement dans les communautés les plus touchées par la violence armée. Un tel programme implique la création de milliers d’emplois syndiqués, la construction de logements publics réellement abordables ainsi que le financement intégral des besoins des écoles, des bibliothèques et des services culturels et sportifs communautaires. Ce genre d’investissement crée des conditions de stabilité et d’espoir dans les communautés, en particulier chez les jeunes.

Vous êtes un travailleur ou une travailleuse consciente de l’oppression que ce système vous fait subir injustement? Alors nos activités vous concernent! Si vous êtes intéressé·es à militer activement sur le terrain, à vous former à conscientiser les personnes autour de vous pour qu’elles se mettent en action, à être vous-même des acteurs et des actrices du changement qui doit s’opérer dès maintenant, joignez notre organisation pour abattre le système capitaliste en agonie. Luttons pour un système socialiste enthousiasmant et porteur de solutions par et pour la classe ouvrière! Contactez-nous au info@alternativesocialiste.org.


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