Quelle est la vraie histoire de ce Starbucks syndiqué au Canada?

La campagne de syndicalisation de Starbucks s’intensifie. Avec plus de 200 magasins cherchant à être représentés par le Starbucks Workers United (SBWU), le mouvement doit tirer les leçons des batailles précédentes pour syndiquer le Goliath des cafés. Dans des articles précédents, Socialist Alternative a souligné l’histoire antisyndicale du PDG Howard Schultz. Nous avons aussi mentionné la nécessité d’adopter une approche de combat et de lutte de classe, alors que les organisateurs et les organisatrices se préparent aux batailles des premiers contrats de travail.  

La grande majorité des magasins Starbucks appartiennent à l’entreprise. (Les comptoirs Starbucks dans les aéroports, les centres commerciaux et les épiceries, dont beaucoup sont syndiqués, sont des franchises qui n’appartiennent pas à Starbucks). Il existe un magasin corporatif en Amérique du Nord qui a déjà obtenu une convention collective. Il est sur la rue Douglas à Victoria, en Colombie-Britannique. Récemment, Starbucks Corporation a déployé sa machine de propagande pour transformer cette syndicalisation pour convaincre les employé⋅es de ne PAS adhérer à un syndicat. Voici notre réponse à cette campagne de désinformation. Nous espérons qu’elle pourra être utilisée partout où les travailleurs et les travailleuses de café essaient de se syndiquer. 

Comme exemple des mensonges que racontent les gérants de Starbucks, nous avons demandé à Ty Nolan, membre de Boston Socialist Alternative et barista de Starbucks, de partager ce qu’on lui a dit lors d’une réunion obligatoire de son employeur.

Ils m’ont dit que le magasin en Colombie-Britannique était le seul magasin Starbucks syndiqué au monde [sic] et était donc le seul exemple sur lequel s’appuyer pour savoir ce que le SBWU peut faire pour les travailleurs et travailleuses. Ils m’ont dit que ces syndiqué·es gagnent environ 1$ canadien de moins que les non syndiqué·es de Starbucks en Colombie-Britannique et qu’en plus d’être moins bien payé·es et d’avoir moins d’avantages sociaux, ils et elles devaient aussi payer des cotisations syndicales. Ils ont dit qu’une fois syndiqué·es, notre salaire et nos avantages seraient gelés jusqu’à ce qu’un contrat soit conclu, et que lorsque Starbucks décide d’accorder une augmentation aux travailleurs et travailleuses, nous ne la recevons pas. Ils ont essentiellement décrit le travail dans le magasin syndiqué comme un enfer – vous êtes moins bien payé·es et vous devez payer des cotisations syndicales, les partenaires ne peuvent pas prendre leurs quarts de travail dans les magasins non syndiqués, il y a donc des problèmes de personnel,

La vérité est la suivante: le 21 juin 2021, après une lutte d’un an, les travailleurs et travailleuses du magasin de Colombie-Britannique ont approuvé à l’unanimité une entente qu’ils et elles avaient négociée avec Starbucks Canada par le biais de leur adhésion au syndicat United Steelworkers (USW, syndicat des Métallos au Québec). Ce contrat prévoyait des augmentations substantielles au-dessus du salaire minimum – ce que la plupart des travailleurs et travailleuses faisaient à l’époque – ainsi que de solides protections sur des questions telles que la discipline, la sécurité d’emploi et, très important, des mesures de santé et de sécurité, y compris des protections contre l’intimidation et la clientèle abusive.

Comme les médias canadiens l’ont rapporté à l’époque: 

Dans le passé, les travailleurs et travailleuses du point de vente étaient souvent harcelé·es par certains clients «pendant des semaines et des semaines et des semaines» sans recevoir un soutien suffisant de la direction, a déclaré Izzy Adachi, barista et membre du comité de négociation de l’USW.

Et au cours de l’année écoulée, la pandémie de coronavirus n’a fait qu’exacerber ce type d’abus public, en particulier au sujet du port du masque obligatoire. Désormais, le personnel pourra déposer des griefs contre la direction. Izzy Adachi a qualifié cette mesure de responsabilisation de «plus grande victoire» de la convention collective: «Je pense qu’au sein de l’industrie des services, il y a cette idée que nous sommes censé·es laisser les gens profiter de nous ou nous traiter mal simplement parce que c’est un «travail non qualifié». Je trouve cela injuste.

Starbucks Canada s’est donné beaucoup de mal pour empêcher cette unique syndicalisation d’être l’étincelle qui aurait allumé un feu de prairie de syndicalisation. Le lendemain de la signature de ce contrat, Starbucks Canada a annoncé des augmentations pour les 19 000 baristas qui ne travaillaient PAS dans ce magasin. Il s’agissait en fait d’augmentations dérisoires compte tenu du temps qu’ont dû attendre ces travailleurs et travailleuses essentielles pour les avoir. En fait, l’entreprise, en augmentant les salaires horaires de ses travailleurs et travailleuses d’environ 5%, s’est vantée honteusement qu’il s’agissait de «l’investissement au détail le plus important dans le salaire horaire chez Starbucks dans l’histoire du Canada». De plus, Starbuck a fait l’aveu embarrassant de s’être engagé seulement maintenant «à payer ses partenaires au-dessus du salaire minimum partout au pays». 

Étant donné que le contrat des Métallos a déjà augmenté le salaire des nouveaux et nouvelles employées de 55 cents au-dessus du salaire minimum provincial, cela n’a pas, en fait, fait passer le salaire des autres travailleurs et travailleuses au-dessus de celui des syndiqué·es. Quatre mois plus tard, ayant manifestement conclu qu’ils devaient en faire plus pour endiguer la marée, SBX Canada a annoncé une autre série d’augmentations – après avoir insisté dans ses communiqués de presse sur le fait que cela n’avait rien à voir avec le syndicat.

Quelle est la véritable histoire?

Nous avons demandé aux membres de notre organisation sœur, Socialist Alternative Canada, de parler aux travailleurs et travailleuses de Victoria, en Colombie-Britannique, pour avoir leur version de l’histoire. L’une des choses que nous avons découvertes, c’est que l’affirmation des dirigeants de Starbucks selon laquelle les syndiqué·es ont «moins d’avantages sociaux» n’est qu’un mensonge éhonté. L’ensemble des avantages sociaux reste le même.

Chris Fofonoff de Socialist Alternative Canada s’est entretenu avec la présidente de l’unité des Métallos, Sarah Broad, qui travaille au magasin de la rue Douglas et a fait partie de l’équipe de négociation. 

Ce que Sarah et ses collègues ont gagné est historique. De nombreux droits précieux sont inscrits dans ce contrat, qui contient un langage étendu et détaillé contre le harcèlement et l’intimidation. Il protège les droits des travailleurs et travailleuses – y compris la question fondamentale de la sécurité de l’emploi – en interdisant la discipline arbitraire ou le licenciement et en protégeant les droits des travailleurs et travailleuses à être représentées par des délégué⋅es syndicaux formé⋅s pendant le temps de travail. Il protège également les revenus des travailleurs et travailleuses en précisant la durée minimale d’un quart de travail (3 heures) et en exigeant que toute personne appelée pour un quart de travail reçoive un minimum de 2 heures de salaire, même s’il s’avère qu’elles ne sont pas nécessaires.

La grille salariale prévue par ce contrat représentait une augmentation pour l’ensemble de ces travailleurs et travailleuses au moment de la signature du contrat, le 22 juin 2021. Le contrat a une durée de trois ans à compter de cette date. 

Pour les nouvelles embauches et toute personne ayant moins d’un an d’ancienneté : 15,75$/h en dollars canadiens. Après un an, 16,20$/h; après deux ans, 16,65$/h, trois ans, 17,15$/h, quatre ans 17,67$/h. Les superviseurs de quart commencent à 19,22$/h, passant à 19,76$/h, puis 20,31$/h, 20,92$/h et 21,56$/h.

Il y a aussi une prime à la signature de 175$ pour toutes les personnes membres de l’unité de négociation à compter de la date de ratification. Malheureusement, le syndicat n’a rien obtenu dans cet accord qui protège contre l’inflation (aussi connu sous le nom de Cost Of Living Allowance (COLA) – les contrats syndicaux solides stipulent que les augmentations futures ne peuvent pas tomber en dessous du taux d’inflation, en utilisant des mesures telles que l’indice des prix à la consommation ou IPC).

Mais le problème dont se vantent les dirigeants de Starbucks n’est pas là, car ils ne veulent pas en parler. Le problème est qu’il ne couvre qu’un seul magasin.

Il ne fait aucun doute que le Syndicat des Métallos a commis une erreur stratégique en signant un contrat qui ne comportait pas de clause Me Too – en d’autres termes, un accord contraignant selon lequel si un autre travailleur ou travailleuse du pays obtient une augmentation supplémentaire ou un autre avantage, tout le monde qui est couvert par le contrat syndical l’obtiendra aussi.

Le fait de ne pas inclure ce libellé a permis à l’entreprise, Starbucks du Canada, d’augmenter unilatéralement le salaire de tous ses autres baristas et superviseurs de quart – tout en utilisant le contrat comme excuse pour ne pas accorder les mêmes augmentations aux personnes employées couvertes par le syndicat. C’est exactement ce qu’il a fait, en annonçant ces augmentations le 23 juin 2021 – le lendemain même de la signature du contrat – et en les antidatant au 31 mai afin que toutes les personnes employées non encore syndiquées voient les augmentations sur leur prochain salaire.  

Dans le communiqué de presse ci-dessus, la société s’est vantée qu’il s’agissait de «l’investissement au détail le plus important dans le salaire horaire chez Starbucks dans l’histoire du Canada». Ils ont omis de mentionner que cela s’est produit uniquement parce qu’un magasin venait de se syndiquer et que les dirigeants milliardaires de Starbucks cherchaient désespérément à l’empêcher d’inspirer les travailleurs et travailleuses d’autres magasins.

Quatre mois plus tard, le 27 octobre 2021, l’entreprise a doublé la mise en annonçant une série d’augmentations encore plus spectaculaires pour ses travailleurs et travailleuses au Canada, qui prendront effet le 1er janvier 2022.

Dans un langage tiré tout droit d’un manuel antisyndical, Starbucks a annoncé : «une vague d’investissements pour ses partenaires (employé·es), s’appuyant sur ses 50 ans d’histoire et sa tradition d’écoute et d’apprentissage […] Le vice-président principal et directeur général de Starbucks Canada, Lori Digulla, a souligné l’engagement continu de l’entreprise à donner la priorité aux soins et au bien-être des partenaires. « Aujourd’hui, je suis très fier et ravi d’annoncer des investissements records dans nos partenaires », a déclaré Digulla. Ces investissements comprenaient les éléments suivants:

  • Starbucks augmente son salaire horaire de départ à 1$ au-dessus du salaire minimum provincial au Canada et augmente également les salaires horaires des partenaires permanents.
  • À compter de janvier 2022, les partenaires canadiens embauchés le 3 janvier 2021 ou avant recevront une augmentation de salaire de 6 à 10%.
  • Ces investissements représentent une augmentation de 11% des salaires et avantages annuels supplémentaires des partenaires de commerce au détail au cours des 12 derniers mois.
  • Les taux horaires des baristas varient de 13$ à 20,45$, tandis que les taux horaires des superviseurs de quart varient de 15,85$ à 24,95$. Les taux horaires varient en fonction du marché et de l’ancienneté.»

Depuis le 1er juin 2021, le salaire minimum provincial en Colombie-Britannique était de 15,20$/h – 55 cents de moins que le salaire de départ de 15,75$ négocié par le syndicat des Métallos. Avec cette annonce, Starbucks payait vraisemblablement à tous les autres baristas de la Colombie-Britannique un salaire de départ de 16,20$/h. Voilà à quel point Starbucks Corporation veut empêcher ses employé⋅es d’avoir un syndicat. Pour empêcher la campagne de syndicalisation de potentiellement gagner des salaires encore plus élevés et d’autres gains qui rongeraient leurs profits, les dirigeants de Starbucks sont tout à fait d’accord de payer leurs 19 000 baristas canadiens 45 cents de l’heure de plus que ce qu’une campagne syndicale d’un an a réussi à gagner. Et ce n’était qu’une goutte d’eau dans l’océan par rapport à ce que Starbucks a dépensé en rachats d’actions ou encore pour le parachute doré remis à son PDG déchu Kevin Johnson. 

Leçons pour la lutte d’aujourd’hui

Il est vraiment important pour les travailleurs et travailleuses qui s’organisent dans l’industrie du café, mais surtout chez Starbucks, de prendre note de ces développements et d’en tirer les bonnes conclusions. 

  • Le fait que l’entreprise était disposée à augmenter le salaire de 19 000 employé·es à la suite de la syndicalisation d’un magasin démontre à la fois le pouvoir des travailleurs et travailleuses d’avoir un syndicat et à quel point l’employeur veut désespérément les empêcher de s’organiser.
  • Sans convention collective, toutes ces augmentations peuvent être retirées demain matin. Quelque chose de semblable s’est récemment produit chez Trader Joe’s, qui a réduit ses cotisations de retraite à tous les employé·es sans préavis l’été dernier.
  • L’erreur commise par les Métallos au Canada doit servir de leçon pour quiconque s’organise contre un employeur majeur comme Starbucks. Chaque fois qu’un contrat est signé dans un magasin, il doit contenir une clause Me-Too (clause remorque) empêchant l’entreprise de «racheter au rabais» le reste des ses effectifs. (Voir les exemples dans le lien ci-dessus, ou voir l’article XXXIV, section 3 de ce contrat de travail actif pour un exemple de clause Me-Too. Tout cela stipule que si l’employeur accorde une augmentation de salaire ou des avantages sociaux à des personnes salariées non couvertes par le contrat, la même majoration devra être accordée aux personnes salariées couvertes par celui-ci).
  • L’effet d’un «rachat au rabais» est temporaire. Comme toutes les augmentations salariales supplémentaires, elle sera rapidement érodée par l’inflation. Mais elle a nui aux efforts de syndicalisation tant au Canada qu’aux États-Unis, où elle est utilisée comme sujet de discussion antisyndical dans les réunions à auditoire captif. Le SBWU doit préparer ses personnes organisatrices à cela, à défendre des revendications fortes, à dire «C’est ce qui s’est passé là-bas, on ne va pas laisser faire ça ici, on se bat pour 20$/h comme salaire de départ et on ne signera pas un contrat qui n’a pas de clause Me-too».
  • Gagner un contrat solide est un combat plus difficile que de remporter le vote de reconnaissance syndicale. Les revendications contractuelles ne peuvent être laissées de côté jusqu’au moment où les employé⋅es et leur syndicat rencontreront l’employeur à la table de négociation. Elles doivent être intégrées à la campagne de syndicalisation dès le début, en édifiant des structures syndicales démocratiques qui impliquent toutes les personnes membres et tiendront des comités d’organisations et des comités de négociation responsables devant l’ensemble des membres. 
  • Construire des syndicats forts nécessite des revendications claires pour lesquelles il vaut la peine de se battre, qui vont au-delà du «salaire viable» ou d’une «voix au travail». Les personnes qui travaillent feront d’énormes sacrifices si elles sont inspirées par des objectifs qui amélioreront leur vie, celle de leur famille et de leurs collègues.

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