Quatre visions sur les 10 ans du Printemps érable

Simon-Pierre Lauzon

Dix ans plus tard, la grève étudiante du printemps-été 2012 évoque encore bien des souvenirs et suscite encore l’enthousiasme. Les tâches pour relancer un mouvement étudiant combatif ne manquent pas! 

Afin de commémorer le 10e anniversaire du Printemps 2012, Alternative socialiste s’est entretenu avec quatre militants et militantes qui ont vécu ce moment historique de façon bien différente.

La grève étudiante de 2012 a opposé le mouvement étudiant québécois au gouvernement libéral de Jean Charest. Ce mouvement de grève a réussi à bloquer une forte hausse des frais de scolarité post-secondaire. Elle a permis aux personnes étudiant actuellement à temps plein d’économiser 1 700$/an. Le mouvement a aussi forcé la tenue d’élections anticipées et a précipité la défaite électorale du gouvernement libéral en septembre 2012. 

Alternative socialiste (AS). Quel âge aviez-vous et que faisiez-vous au moment des manifestations étudiantes de 2012?

Pola Cormier

Pola Cormier (PC). Durant les manifs étudiantes en 2012, j’avais 22 ans et j’étais enceinte de ma fille. À cause de ma grossesse je n’ai malheureusement pas participé aux manifestations par peur d’être blessée.

Carlo Mosti (CM). En 2012, j’avais 37 ans. Je n’étais pas étudiant. Je travaillais à temps plein et je travaille d’ailleurs encore à la même place. Je militais déjà dans une organisation indépendantiste appelée le Réseau de résistance du Québécois (RRQ) qui était très active jusqu’à cette époque. Ses membres ont participé de façon remarquée dans les manifestations du Printemps Érable, surtout à la fameuse manifestation de Victoriaville.

Charles-Vannack Dupin-Létourneau (CVDL). Dans mon cas, j’avais 17 ans et j’étais en secondaire 5. J’étais donc trop jeune pour avoir été dans une association militante et avoir participé au mouvement de grève. Mais, j’ai participé aux manifestations!

Simon-Pierre Lauzon (SPL). En 2012, j’avais 25 ans. J’étudiais à Concordia en psychologie et je m’apprêtais à changer pour faire un 2e bac en science politique. J’étais conseiller au syndicat étudiant de Concordia, membre du comité de mobilisation et j’étais délégué auprès de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). En 2013, j’ai gagné mon élection comme exécutant au syndicat étudiant de Concordia pour les affaires externes et mobilisation. À ce moment-là, j’ai rejoint le comité exécutif de la FEUQ.  

AS. Qu’est-ce que cet événement tournant au Québec représentait pour toi à ce moment-là?

Réseau de résistance du Québécois aux manifs de 2012 / photo : Carlo Mosti

PC. En tant que décrocheuse du secondaire, en train de fonder une famille, je me demandais comment je pouvais retourner aux études et survivre à l’horaire chargé qui m’attendait. J’avais des amis à l’université qui s’inquiétaient des hausses annoncées. Bien que mon état ne me permettait pas de me ramasser dans une foule, j’étais sur mon balcon avec ma casserole à essayer de contribuer. Je suis entré à l’école le printemps suivant pour terminer mon Diplôme d’étude secondaire. Mais les coûts de la vie ne m’ont pas permis d’aller plus loin avant 2019. C’était clair que la lutte de 2012 n’était pas terminée, puisque c’était impossible pour moi d’aller chercher une profession. Je ne pouvais pas me permettre financièrement de perdre jusqu’à trois ans de revenus en plus des frais de scolarité, avec un enfant, une maison et une famille à faire vivre.

CM. Pour ma part, étant déjà dans une organisation militante, j’avais déjà participé à des manifestations, tantôt organisées par le RRQ, tantôt par d’autres organisations indépendantistes. On a eu des bonnes manifestations qui allaient de 20 à 500 personnes à son apogée. Mais le Printemps Érable était manifestement quelque chose de beaucoup plus gros. Soudainement, nous n’étions qu’une poussière dans une marée de gens qui s’étaient solidairement unis pour combattre une situation qui allait trop loin.

Pendant quelques mois, nous avons été plongés dans une situation presque révolutionnaire – pensais-je à l’époque – car nous n’avions pas vu de telles manifestations depuis des décennies. Tout d’un coup, tout était possible. C’était le début de quelque chose d’extraordinaire. Enfin les gens de tous âges se réunissaient pour une cause commune qui, même si à la base était en rapport aux frais de scolarité, avait atteint un niveau plus large, c’est-à-dire la lutte à l’austérité imposée par le gouvernement libéral de Jean Charest.

CVDL. Dans mon cas, c’était littéralement la découverte du peuple québécois! Mon peuple! Je suis devenu indépendantiste à cette époque. Le Printemps 2012, c’est une super mobilisation! C’était quasiment le «jour de gloire» de notre peuple dans mon esprit. Aussi, c’est avec ce mouvement-là que j’ai découvert le marxisme. Au secondaire, pendant cette période-là, j’avais trois livres qui m’accompagnaient: Le Contrat social de Rousseau, le Manifeste du FLQ puis le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels. Toutes ces lectures, en raison de 2012.

SPL. 2012, ç’a été un an et demi de lutte. Ce n’était pas un événement, mais un développement historique. C’est de prendre les casseroles, de faire des manifs de 500 000 personnes, d’aller faire face à la police, les lacrymos, passer la nuit au poste de police ou dans un bus scolaire où tu n’as pas le droit de sortir. Pour moi, ça représentait une évolution de ma pensée. J’ai délaissé une certaine immaturité, une certaine naïveté quant au fonctionnement de l’État, de la police, des médias. Je voyais autrement le rôle des administrations universitaires, des professeurs, des étudiants, des syndicats, des personnes dans la société et la solidarité entre les citoyens et citoyennes des différentes villes.     

AS. Quelle expérience en avez-vous retiré personnellement?

Charles-Vannack Dupin-Létourneau

PC. C’était tellement beau de voir une société s’unir pour une cause aussi juste et pure que l’éducation de notre peuple. Tout le monde voulait un monde meilleur et les gens étaient littéralement dans les rues à prêter main forte. Je ne crois pas avoir réalisé à ce moment-là l’ampleur des changements que moi-même je pouvais apporter. Mais aujourd’hui, en repensant à ce moment historique, ça apporte un espoir que la société veut et peut changer. 

CM. Le Printemps Érable a été un événement qui a marqué mon adhésion politique vers le socialisme. D’un simple militantisme poussé par un amour du nationalisme québécois et de sa lutte pour son indépendance, j’ai compris que l’indépendance n’aurait pas de sens sans un changement de société. Je comprenais à ce moment-là qu’un élan révolutionnaire ne peut évoluer que s’il est poussé par les masses à la base, que restreindre la lutte dans des considérations marginales comme la langue et qui ne sollicite pas la solidarité de tous les travailleurs et travailleuses du Québec, de toutes les origines, de toutes les croyances, ne nous permettra pas d’arriver à quelque chose de constructif et de positif.

J’ai aussi eu l’occasion de faire connaissance avec des Autochtones lorsqu’on a mené la lutte contre le Plan Nord du Parti libéral du Québec, et ensuite, son équivalent du Parti québécois. Ces rencontres m’ont sensibilisé plus que jamais aux luttes des Autochtones des différentes nations. Ce fut un autre moment qui aura marqué ma vie à tout jamais cette année. 

CVDL. J’ai appris qu’il fallait lutter collectivement. Il faut des luttes groupées des gens ordinaires et de la jeunesse. Je me suis aussi rendu compte des limites de notre «démocratie». C’est pour ça qu’aujourd’hui, je milite avec une organisation comme Alternative socialiste. Des endormeurs de peuple, il y en a partout: dans les partis, à la télé, dans les journaux. Il suffit de regarder la couverture médiatique de 2012 pour se rendre compte que le système est bien huilé. Notre imaginaire est colonisé par l’agenda des élites.

SPL. Ç’a été ma première expérience de vie politique et étudiante dans la gauche à Concordia. C’est certain qu’il y a de grands points positifs. J’ai rencontré des gens extraordinaires. J’ai appris comment fonctionnait la politique de conseils. Mais cet apprentissage-là, on l’a fait en souffrant. J’ai vécu les pires moments de ma vie. J’ai fait une dépression. Après avoir quitté la vie politique étudiante et terminé l’université, je n’ai pas eu de job pendant six mois. Je suis parti en Chine pendant deux ans, parce qu’il n’y avait plus rien qui faisait du sens pour moi au Québec. 

Quand tu deviens une personne consciente politiquement, tu crois que tout le monde va voir ce que tu vois et que le choc que tu éprouves sera partagé par tout le monde. Que tout le monde va rejoindre le combat avec la même urgence. Mais, ce n’est pas vrai. Tu te rends compte que le ¾ de ta famille s’en balance, qu’il y a des conservateurs et là ce sont de nouvelles barrières dans ta vie personnelle, de nouvelles considérations. Est-ce que tu veux avoir un débat avec le membre de ta famille qui est pas d’accord avec toi ou est-ce que tu valorises plus la relation avec cette personne-là? 

La participation politique, ça vient changer ta vie au complet dans toutes les sphères, dans tes relations avec d’autres étudiants, avec tes parents, sur Facebook, avec ton boss, avec les gens avec qui tu travailles, etc. Est-ce que t’es un militant tout le temps dans ta vie ou est-ce que tu mets une limite? Quand je suis avec telle personne, ma blonde, mes amis, on n’en parle pas, je prends un break même s’ils discutent de  politique? 

AS. Considérez-vous que l’issue de 2012 a été positive pour la société québécoise?

Simon-Pierre Lauzon

PC. Je crois que les étudiants ont fait un bon bout de chemin pour la gratuité scolaire. Mais la bataille ne pourra jamais être gagnée si les gouvernements continuent de voir les établissements scolaires comme des profits financiers.

CM. Positives ont été les manifestations en tant que telles, car elles ont réuni des centaines de milliers de personnes régulièrement dans les rues, repoussant finalement le Parti libéral du Québec à la défaite électorale. Un parti qui avait régné pendant plus d’une décennie, accumulant les histoires de corruption et de collusion de moins en moins subtiles. Mais l’issu n’a pas été ce qu’on aurait voulu. Les frais de scolarité ont quand même augmenté, même si c’était à moins forte échelle. Le gouvernement libéral a été remplacé par un autre gouvernement libéral, celui du Parti québécois, et le capitalisme sévit encore autant.

On est même rendus avec un gouvernement caquiste plus à droite qui veut privatiser encore plus les services publics. Les groupes marginaux d’extrême-droite sont devenus plus vocaux qu’auparavant. L’ASSÉ qui avait organisé la lutte étudiante s’est dissoute. Le mouvement s’est lentement effondré, surtout avec la pandémie des deux dernières années.

CVDL. On a mentionné récemment que le Printemps 2012 a fait économiser aux étudiantes et étudiants et c’est une super nouvelle. Mais plus globalement, la société québécoise a été contrainte de se politiser. C’est un gain que devrait craindre tout gouvernement. À cela, il s’ajoute la preuve vivante que lorsqu’on se regroupe ensemble dans nos intérêts, on peut combattre un gouvernement méprisant et violent. Donc, l’impact a été positif. Faut-il encore que l’on retrouve un peu de mémoire et que l’on s’organise indépendamment des volontés des élites politiques et économiques.

SPL. Oui et non. Toute lutte est positive d’un certain point de vue. La hausse annoncée a été bloquée, mais on a quand même eu une hausse des frais de services. Il y avait toute une frange de la gauche à cette époque-là, surtout à la FEUQ, qui avait beaucoup d’espoir dans le PQ. Quand le PQ a gagné, ça a comme éteint les luttes. Il y avait de la fatigue militante. C’était une victoire réformiste sous le capitalisme. Mais pour la société québécoise, ça a formé les leaders de la gauche de demain que ce soit Gabriel Nadeau-Dubois, qui est à la tête de QS. Ça a démontré les limites de la frange progressiste du PQ avec Léo Bureau-Blouin et Martine Desjardins qui ont essayé de s’y recycler. Mais il n’y avait pas de place pour eux là-dedans. Tous ces jeunes de 2012 ont maintenant une certaine expérience politique qui va rester avec eux et elles pour toute leur vie, à différents niveaux. 

AS. Quels enseignements le mouvement étudiant doit-il retirer de 2012?

PC, En 2021, l’UQAM à elle seule a enregistré des profits bruts de plus de 12 millions de dollars. Pendant ce temps, des jeunes et des familles s’endettent pour pouvoir avoir la possibilité de sortir de la pauvreté ou seulement de trouver sa place dans la société. On doit prendre en charge les profits qui dorment dans les grandes sociétés, dont nos propres écoles, pour financer l’éducation.

CM. Malgré que nous n’avons pas eu les gains espérés, l’expérience nous a démontré le pouvoir de la solidarité, de l’organisation des masses, et qu’avec une volonté populaire bien déterminée, on peut se rendre bien loin. Il ne suffisait que d’un élément qui manquait à l’équation : un parti révolutionnaire socialiste massif pour faire aboutir les revendications les plus légitimes – de tous les étudiants et étudiantes, ainsi que les travailleurs et travailleuses – et pour faire le relais politique.

CVDL. Le mouvement étudiant doit s’appuyer sur ce constat simple : on ne gagne pas sans s’organiser le plus largement possible et démocratiquement. Une grève ou un mouvement ne peut trouver de légitimité que dans une base sociale consciente et prête à se mobiliser. Comme je l’ai mentionné, c’est collectivement et politiquement que l’on combat les gouvernements de droite et la classe capitaliste. Ils ont le fric, nous avons le nombre. 

Il faut de l’audace et de l’orgueil pour mener des luttes et des campagnes. Il faut avoir de l’énergie. Ce n’est pas avec des discours sur l’angoisse et la bienveillance que l’on mobilise une jeunesse qui d’habitude a de l’énergie et la rage au ventre. Il faut affranchir ses énergies, les libérer puis les canaliser dans une organisation nationale combative, démocratique et socialiste!

SPL. La raison pour laquelle le mouvement étudiant a été c’qu’il a été, c’est que le gain était concret, réel, tangible, atteignable. On arrête la hausse, c’était le but. Cependant, on s’est tellement focalisé là-dessus qu’on n’a pas réussi à aller plus loin que ça. Ce qui aurait fallu faire, c’est de s’attaquer à la cause de la hausse: l’austérité. Qui est derrière? La bourgeoisie, les relations de classe, etc. 

Certains étudiants et certaines étudiantes se sont ensuite battues contre l’austérité dans d’autres secteurs de la société, comme en santé, dans la fonction publique ou dans les CPE.

Mais il n’y a pas eu ce leadership là à l’époque. Quand tu as des moments historiques de développement de la conscience politique, les gens vont militer activement, sacrifier leur temps pour un but. C’est un momentum pour continuer et aller plus loin, sinon la fatigue militante arrive. C’est le moment de tisser des liens entre les luttes, avec les syndicats et construire une force politique pour représenter tout le monde qui se bat contre les élites capitalistes.


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