S’organiser contre «l’âge des désordres» en 2022

L’année 2021 aura été, du début à la fin, celle de crises profondes du capitalisme mondial. Ce système pourri et décadent dirigé par une infime minorité a rarement été confronté à des problèmes aussi profonds, simultanés et sur autant de fronts. Il n’a jamais été aussi mûr à être remplacé. En ce début d’année, préparons-nous pour les luttes à venir!

Le chaos des politiques sanitaires n’a fait que jeter de l’huile sur le feu des contradictions du système économique mondial. La hausse des prix à la consommation (l’inflation) concernant l’alimentation, le logement ou encore l’essence se répand à travers le monde. La rupture des chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale, les désastres climatiques et les nombreux postes peu rémunérés à pourvoir accentuent le phénomène.

Les banques centrales du monde entier commencent 2022 en haussant leur taux d’intérêt afin d’atténuer cette pression inflationniste. La Banque du Canada prévoit d’ailleurs hausser son taux d’intérêt au cours des prochains mois. En voulant restreindre l’accès au crédit, la hausse des taux d’intérêt affecte les ménages les plus endettés, dont ceux avec des hypothèques. Ces hausses pourraient déclencher une nouvelle récession mondiale.

Une telle situation accélère la chute de millions de personnes dans la misère – phénomène déjà en cours en raison de la pandémie – pendant que les milliardaires n’ont jamais autant fait d’argent. Les idées évoluent et de plus en plus de personnes se politisent. Les partis politiques traditionnels sont plus instables que jamais, tandis que de nouvelles formations se hissent au pouvoir du jour au lendemain. Des mouvements de masses historiques surgissent – de gauche comme de droite – pour tenter de solutionner les contradictions sociales grandissantes.

L’année la plus meurtrière de la COVID-19

En juin 2021, la COVID-19 avait déjà tué plus de personnes dans le monde que pendant toute l’année 2020. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le bilan de la pandémie pourrait être en réalité deux à trois fois plus élevé que les chiffres officiels. En Amérique latine et dans les Caraïbes, on recense le tiers des décès mondiaux. Les États-Unis sont, de loin, le pays avec les pires statistiques de décès du monde.

Ces décès continuent de se cumuler malgré les mesures drastiques (comme les confinements) et la disponibilité de vaccins. La soif de profits des pharmaceutiques et le comportement des gouvernements font obstacle à toute réponse efficace à la pandémie, autant au niveau national qu’international. 

Une gestion à court terme, selon les intérêts des compagnies

Les mesures sanitaires et économiques mises de l’avant par les gouvernements ont eu comme principale considération de maximiser la performance économique des entreprises en évitant de perturber leur profitabilité. Par exemple, les pouvoirs publics ont à juste titre financé la recherche de vaccins, mais ont laissé leur production et leur distribution très lucratives entre les mains du privé. 

Au Québec, les décennies d’austérité dans le système de santé ont eu un effet désastreux, en particulier pour les personnes qui vivent et travaillent en CHSLD ou en résidence privée pour aînés (RPA). Québec n’a rien fait pour éviter l’hécatombe de la première vague pandémique dans les RPA et CHSLD, malgré les grèves des employé⋅es pour de meilleurs salaires et conditions de travail, les scandales de maltraitance ou les appels à l’aide répétés des gestionnaires de CHSLD au printemps 2020.

 Face à un système à bout de souffle depuis des années, le gouvernement Legault préfère les demi-solutions. Pour répondre aux vagues de démissions et aux absences massives en raison de la COVID-19, il octroie des primes ponctuelles aux infirmières et incite le retour au travail des retraité⋅es du milieu de la santé. Le gouvernement joue aussi avec des mesures qui ne font pas consensus dans le milieu scientifique (couvre-feu, doute sur l’efficacité des masques N95, temps d’isolement à cinq jours, etc.), ou alors il sort l’artillerie lourde des confinements lorsqu’un variant menace la capacité hospitalière.

Après deux ans de pandémie, le gouvernement fait toujours reposer la responsabilité de la sortie de cette pandémie sur les épaules des individus. Il jette désormais le blâme sur des groupes non vaccinés afin de masquer sa responsabilité dans le charcutage des services publics. Ces boucs émissaires irresponsables sont bien utiles pour justifier le maintien d’un état d’urgence sanitaire abusif. Il permet notamment au gouvernement d’outre passer les contrats de travail des employé⋅es de la santé (obligation de travailler lorsque atteint de la COVID-19, congé sans solde si la vaccination est inadéquate, etc.) 

Un système d’éducation poussé à bout

Dans le système d’éducation, le gouvernement a précipité les rentrées en présentiel dans les écoles primaires et secondaires pour des raisons de santé mentale des enfants. Quoique valable, cet argument cache toutefois la nécessité impérieuse du patronat de voir les parents retourner au travail afin que leurs enfants soient pris en charge rapidement.

Pour la rentrée de la fin janvier 2022, près de 50 000 élèves et plus de 2 000 enseignantes et enseignants étaient absents pour des raisons reliées à la COVID-19. Plutôt que d’écouter certains syndicats de l’enseignement et reporter la rentrée, le gouvernement a plutôt fait appel à des parents bénévoles pour surveiller les classes. Plutôt que d’avoir assuré l’installation d’échangeurs d’air dans les classes mal aérées, le gouvernement a plutôt demandé d’ouvrir les fenêtres durant les grands froids d’hiver.

Cette gestion catastrophique de la pandémie place toujours le Québec en tête de liste des décès au Canada, avec 40% des 33 000 décès nationaux. Le Québec passe même devant l’Ontario, qui compte pourtant une population presque deux fois plus nombreuse. Malgré les indications de la santé publique, c’est le gouvernement qui a le dernier mot sur les mesures sanitaires à appliquer. Et elles se font au profit des capitalistes.

L’expérience de la pandémie a montré à des millions de personnes à quel point la classe capitaliste dominante est incapable de résoudre la crise sanitaire. Il n’y a personne de mieux placé que le personnel de la santé, de l’enseignement ou des centres de la petite enfance pour savoir quoi faire afin d’assurer notre sécurité. Mais, le gouvernement fait la sourde oreille à leurs revendications depuis des années.

Au niveau international, une vraie sortie de crise n’est possible qu’à travers l’unité et la solidarité de toute la classe ouvrière dans ses luttes pour protéger la santé publique et en assurer sa gestion. Cela implique une bataille pour arracher le pouvoir des mains des escrocs capitalistes qui produisent, vendent et distribuent les produits et services médicaux nécessaires.

Les actions syndicales sauvent des vies

Dans de nombreux pays — dont l’Italie et l’État espagnol — c’est l’action organisée des travailleurs et travailleuses qui a réussi à arrêter les activités économiques dès le début de la pandémie. C’est cette action qui a sauvé des vies en forçant la main des patrons et des gouvernements.

En janvier 2021, une épreuve de force a opposé le gouvernement britannique et les syndicats de l’enseignement, sous l’impulsion de leurs militants et militantes de plancher. Leur action a empêché une rentrée scolaire en présentiel sans conditions sanitaires adéquates au plus fort de la 3e vague. Un an plus tard, des syndicats universitaires et collégiaux préparent une grève tournante nationale sur une multitude d’enjeux. Des syndicats de l’enseignement se sont aussi mobilisés aux États-Unis et en France dès le début de 2022 pour dénoncer l’échec des mesures sanitaires gouvernementales visant à assurer une rentrée sécuritaire.

Ici aussi, les syndicats du milieu de l’enseignement et les associations étudiantes peuvent aussi prendre l’initiative et lier les enjeux de sécurité sanitaire avec ceux des conditions d’étude et de travail. Les étudiantes et étudiants des cycles supérieurs en éducation de l’Université McGill viennent d’ailleurs de voter une grève des cours en présentiel jusqu’au 25 février. Elle fait écho à celle votée en mai 2021 par l’association étudiante du collège Dawson contre la tenue des examens finaux en présentiel sans conditions sanitaires suffisantes.

Connecter les enjeux

Travailleurs et travailleuses de John Deere en grève aux États-Unis

Un exemple de victoire motivante est celui des syndiqué⋅es de l’abattoir de High River, en Alberta. Les membres se sont battus pour un nouveau contrat de travail après avoir été le théâtre d’une des plus grosses éclosions de COVID-19 en Amérique du Nord au printemps 2020. Presque la moitié des 2 100 employé⋅es ont contracté le virus. Trois personnes en sont mortes. La volonté de leur employeur à banaliser les risques de contagion pour maintenir ses profits a finalement joué contre lui.

Après une période d’anxiété et de peur, les travailleuses et les travailleurs se sont levés et ont voté un mandat de grève à 97% en novembre 2021. Signé en décembre, leur nouveau contrat prévoit une augmentation salariale de 21% sur six ans, des milliers de $ en primes et une augmentation des avantages médicaux. Le contrat comprend aussi «des dispositions visant à faciliter une nouvelle culture de la santé, de la sécurité, de la dignité et du respect sur le lieu de travail.»

Négociations dans le secteur public

Au Québec, les négociations dans le secteur public et parapublic se sont soldées par des gains relatifs pour certains corps professionnels (infirmières) et plusieurs secteurs d’emploi à bas salaire. Le contexte pandémique a joué en faveur de ces «anges gardiens», même si les différentes organisations syndicales n’ont pas profité des circonstances pour lier leurs revendications à celles d’une meilleure gestion de la pandémie.

Les consultations autour des négociations dans le secteur public – qui concernent plus de 500 000 personnes – reprennent dès cette année. Comme ailleurs dans le monde, le milieu de la santé demeurera une poudrière sujette à de nouvelles luttes sociales. Ce sont les femmes qui seront à l’avant-garde de ces luttes, car elles représentent la majorité des personnes qui y travaillent et qui bénéficient de ces services. 

L’expérience de la pandémie par la population et sa gestion désastreuse par le gouvernement et les gestionnaires du réseau de la santé et de l’éducation devrait ouvrir la voie à une politisation de la négociation du secteur public en 2022. Plus que jamais, les travailleuses et travailleurs combatifs ont la légitimité de sortir du cadre des revendications strictement économiques. Il faut s’attaquer de front aux enjeux des changements climatiques liés à l’éclosion de pandémies, au droit des travailleurs et travailleuses d’être des acteurs dans l’organisation des services publics, etc. 

C’est aussi l’occasion d’utiliser les prochains mois pour unir les organisations syndicales autour de revendications politiques plutôt que de s’entre-déchirer en campagne de maraudage.

La révolte mondiale continue

L’écart de richesse qui se creuse entre les super riches et le reste de la population va accentuer les crises économiques, politiques, environnementales et sanitaires déjà profondes de 2021. Et comme pour l’année précédente, elles seront accompagnées par l’essor de mouvements de masse de travailleurs, de travailleuses et de populations opprimées. Aucun continent n’a été épargné par de telles luttes en 2021. 

Mairie d’Almaty incendiée au Kazakhstan le 5 janvier 2022. / PHOTO : Valery Sharifulin

De puissants mouvements de masse en Inde, en Colombie, en Corée du Sud et ailleurs ont été déclenchés par des contre-réformes économiques hostiles à la classe ouvrière. Au Myanmar, en Russie ou encore au Soudan, la rue et les milieux de travail ont répondu aux attaques des élites dirigeantes contre les droits démocratiques.

Des mobilisations de masse contre la pandémie de violence sexiste ont aussi déferlé en Grande-Bretagne, en Israël/Palestine, en Australie, en Pologne et dans de nombreux autres endroits comme le Québec. Le mot «féminicide» est entré dans le vocabulaire d’une grande partie de la population, car 2021 a été l’année la plus meurtrière jamais enregistrée.

Durant les derniers mois, la classe ouvrière a continué de se battre à travers le monde. Citons comme exemple la vague de grèves de l’automne aux États-Unis, l’impressionnante grève des métallurgistes dans l’État espagnol, la grève générale partielle en Italie le 8 décembre dernier ou encore le soulèvement au Kazakhstan.

Préparer des victoires au Québec

Au Québec, c’est surtout la bataille des éducatrices en Centre de la petite enfance qui peut servir d’exemple. Elles sont restées unies entre elles et avec les employées des autres types d’emploi durant le conflit, malgré les tentatives de division du gouvernement. Elles ont obtenu des gains salariaux importants allant de 8 à 18% pour un contrat de travail de trois ans.

La combativité des travailleuses et travailleurs s’est aussi manifestée lors d’autres conflits importants, comme ceux dans l’hôtellerie, dans l’usine d’Olymel de Vallée-Jonction ou dans le Port de Montréal.

Couper le chemin à la droite radicale

D’une manière similaire, les récentes manifestations anti-mesures sanitaires et anti-couvre-feu montrent que des couches de la classe ouvrière et de la jeunesse sont prêtes à se mettre en action contre les élites au pouvoir. Mais, c’est la droite radicale qui s’est hissée à la tête de manifestations de dizaines de milliers de personnes. Un grand nombre de personnes qui ont participé aux marches anti-mesures sanitaires craignent de perdre leur emploi. La colère légitime de ces personnes est déviée sur des questions de liberté strictement individuelle, plutôt que de s’attaquer aux vrais responsables de la crise. En se limitant à défendre leur liberté individuelle, plusieurs personnes portent ainsi le discours de leur propre patron mécontent des impacts des mesures sanitaires sur ses profits. 

Cette situation expose l’absence d’un leadership de gauche en mesure d’agir massivement et de défendre concrètement nos conditions de vie. Un mouvement ouvrier combatif et une gauche militante pourraient couper court à la marche de la droite radicale. Toutefois, ce n’est pas en défendant les intérêts des PME et des petits propriétaires que nous y arriverons. 

Unir la lutte pour une gestion sanitaire solidaire répondant à nos besoins avec la lutte pour de meilleures conditions de travail ne peut se réaliser qu’avec des positions politiques indépendantes de celles des élites économiques. On le voit avec la capitulation des ailes progressistes du parti démocrate aux États-Unis ou du Parti des travailleurs au Brésil. Accepter l’agenda des libéraux progressistes (capitalistes wokes) et des compagnies «socialement responsables» ne fait que céder davantage de terrain au trumpisme et autres représentants de la droite populiste.

Nous avons besoin du socialisme

L’année 2021 nous a donné un avant-goût du caractère de la période historique mondiale à venir, «l’âge des désordres» selon la Deutsche Bank. Aucune des crises qui ont dominé l’année 2021 ne trouvera de solution durable en 2022. 

Alternative socialiste soutient tous les mouvements et les formations politiques qui contribuent à faire avancer les luttes de la classe ouvrière pour ses revendications propres. Mais, il faut aussi dire la vérité: une perspective de réforme du capitalisme est insuffisante pour remporter des victoires durables en faveur de la majorité de la population.

La mise en œuvre de politiques visant à redistribuer les richesses selon les besoins, à financer les services et les travaux publics nécessaires, à créer des millions d’emplois dans le cadre de nouveaux contrats écologiques, etc. nécessitera une action plus qu’audacieuse. Elle nécessitera de se saisir des richesses et des moyens de production du 1% et d’imposer la propriété publique et la démocratie ouvrière au cœur de l’économie.

La dernière année a montré que cette tâche ne sera couronnée de succès que si elle est associée à un travail énergique pour renforcer et étendre la portée d’une organisation socialiste révolutionnaire comme la nôtre.


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