La génération Z embrasse le syndicalisme et l’impose chez Starbucks

Moins d’un mois après avoir imposé la présence syndicale chez Starbucks, les travailleuses et travailleurs de Buffalo (État de New York) ont débrayé pour réclamer des conditions de travail sûres dans le contexte de la vague de Covid liée au variant Omicron. Ils et elles ont fait grève pendant cinq jours avec pour principale revendication la fermeture du magasin le temps que leurs collègues se remettent de la maladie et que des protocoles de sécurité appropriés soient mis en place. Bien que le débrayage de la semaine dernière ne semble pas encore avoir produit des changements concrets dans la politique du magasin, c’est un premier pas sur lequel il faut s’appuyer. L’inspiration tirée de ces travailleuses et travailleurs se répand dans tout le pays. Alors que leur grève de cinq jours se déroulait, il a été annoncé que les travailleuses et travailleurs des magasins de l’Ohio, de l’Arizona et de l’Illinois avaient officiellement déposé une demande d’élections syndicales.

Tout a commencé en décembre, lorsque les travailleuses et travailleurs ont obtenu le statut de syndicat dans un magasin de Buffalo par 19 voix contre 8, et dans un autre par 12 voix contre 8. Un troisième site continue de se battre pour la syndicalisation avec un score actuel de 15-9 en faveur, mais de multiples contestations de la part des syndicats Workers United et de SEIU ainsi que de Starbucks les empêchent d’obtenir une victoire officielle.

Échecs du démantèlement syndical

Bien que ces suffrages à Buffalo ne représentent qu’une centaine d’employés répartis dans trois magasins, les dirigeants de Starbucks, notoirement antisyndicaux, craignent que l’exemple courageux des travailleurs de Buffalo ne se répande ailleurs. C’est pourquoi ils ont inondé la ville de cadres supérieurs, dont Schultz lui-même, pour tenter de les convaincre de ne pas voter « oui ». Ils ont affirmé que « si une partie importante de nos employés devait se syndiquer, nos coûts de main-d’œuvre pourraient augmenter et notre activité pourrait être affectée négativement par d’autres revendications et attentes qui pourraient augmenter nos coûts, changer notre culture d’entreprise, diminuer notre flexibilité et perturber notre activité. »

Il s’agit d’une tactique antisyndicale classique, remplie de fausses vérités. Bien sûr, les coûts de l’entreprise augmenteraient : les travailleurs pourraient se battre plus facilement pour de meilleurs salaires et conditions de travail ! En fin de compte, les seules personnes qui en pâtiront sont les cadres qui gagnent des millions grâce au travail des baristas qu’ils emploient. Soyons honnêtes, de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail ne peuvent que renforcer l’environnement de travail. Si les grandes entreprises comme Starbucks s’opposent aux efforts de syndicalisation, c’est parce qu’elles sont conscientes du pouvoir qu’ont ces travailleurs. Ce sont eux qui sont la source de tous les profits des actionnaires.

Starbucks a également déclaré ceci : « Nos réponses à tout effort de syndicalisation pourraient avoir un impact négatif sur la façon dont notre marque est perçue et avoir des effets négatifs sur nos activités, y compris sur nos résultats financiers. »

Starbucks aime se présenter comme une entreprise progressiste avec des « politiques woke », mais se battre avec véhémence pour empêcher l’organisation des travailleurs a pour effet de fissurer cette façade. Ce que l’entreprise ne réalise pas, c’est qu’elle se fait du mal à elle-même ! Nous sommes au milieu d’une formidable vague de lutte syndicale, de John Deere à la lutte permanente des enseignants pour des écoles sûres en pleine pandémie. Si l’on se fie à aux moins d’octobre et de novembre (marqués par un grand nombre de grèves aux Etats-Unis), les travailleurs découvrent indéniablement leur force collective et les manières de l’utiliser dont pour arracher des conquêtes réelles.

La lutte se répand

Les travailleurs de Starbucks ont obtenu le pouvoir de voter en tant que magasins individuels plutôt qu’en tant que district, ce qui les a aidés à atteindre la majorité nécessaire pour réussir leur campagne de syndicalisation. En soi, il s’agit d’une petite victoire, que le NLRB (National Labor Relations Board, agence indépendante du gouvernement fédéral américain chargée de conduire les élections syndicales et d’enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail, NdT) n’avait jamais accordée auparavant.

Cependant, cette approche segmentée a ses limites, car elle isole les sites les uns des autres, même s’ils se trouvent dans la même ville, et dans certains cas à quelques pâtés de maisons les uns des autres. Cela permet aux travailleurs d’obtenir les votes nécessaires aux efforts de syndicalisation, mais rend également la communication entre les magasins plus difficile. Le syndicat devra donc travailler activement pour relier les différents magasins. Pour s’attaquer à un mastodonte tel que Starbucks, il faut que tous les travailleurs de Buffalo et, à terme, du pays, soient organisés en un seul syndicat capable d’exercer la pression maximale nécessaire pour obtenir un contrat décent prévoyant des salaires plus élevés et des conditions de travail sûres.

À l’heure actuelle, les travailleurs de nombreux autres sites dans le pays, notamment dans le Massachusetts, à Washington, en Arizona, en Ohio, en Illinois et au Tennessee, font campagne pour se syndiquer. Il s’agit d’une avancée considérable, car le secteur des services à bas salaires s’est longtemps révélé difficile à syndiquer. Seuls six pour cent des travailleurs américains du secteur privé sont actuellement syndiqués. L’organisation des personnes non syndiquées est donc une tâche absolument essentielle et ces travailleurs de Starbucks montrent la voie à suivre pour les travailleurs du monde entier.

La génération Z prend les devants

Il est particulièrement remarquable et impressionnant de constater que la majorité des personnes à la tête des campagnes de syndicalisation ont la vingtaine et s’avèrent être une force sur laquelle il faut compter. Des sondages récents ont montré que les syndicats sont plus populaires qu’ils ne l’ont été en un demi-siècle, 65% des personnes déclarant approuver les syndicats, et ce chiffre atteint 77% chez les 18-34 ans!

Les jeunes se radicalisent dans tous les domaines en réaction aux bas salaires, à l’écrasante dette étudiante et aux sombres perspectives d’emploi. Récemment, nous avons également assisté à des débrayages d’étudiants contre la violence sexiste et les systèmes scolaires qui ne les protègent pas, à des dizaines de milliers de jeunes lors de manifestations autour de la COP26 à Glasgow, et à des taux de participation record des électeurs et des bénévoles âgés de 18 à 35 ans lors de la récente victoire contre la tentative raciste et de droite de destituer Kshama Sawant à Seattle.

Nous avons également vu des travailleurs de Starbucks montrer leur solidarité avec les luttes des travailleurs d’autres industries. Rachel Cohen, employée de Starbucks à Buffalo, a déclaré à Socialist Alternative qu’ils avaient rejoint l’hôpital Mercy dans ses récentes grèves pour de meilleures conditions de travail, et qu’ils étaient en contact avec les travailleurs d’Amazon touchés par le récent effondrement meurtrier d’un entrepôt dans l’Illinois.

« Nous voulons être en mesure d’avoir un impact et d’inspirer d’autres personnes à mener ces combats également », a déclaré Rachel Cohen à Socialist Alternative. « Le fait que je gagne plus d’argent ne signifie pas que vous en gagnerez moins, cela nous aidera tous les deux ».

Elle a également précisé que si les magasins votent tous séparément, les cellules syndicales ont étroitement collaboré, non seulement à Buffalo mais aussi avec les autres sites qui se battent pour la reconnaissance syndicale.

Un autre membre du comité d’organisation a également mentionné le nombre massif de travailleurs non syndiqués dans le secteur des services aux États-Unis. Il y a plus de 12 millions de travailleurs dans le secteur de la restauration aux États-Unis et ce n’est qu’une partie du vaste secteur des services. Nous voyons de plus en plus de travailleurs du secteur des services se soulever et riposter contre des patrons pourris qui ne voient que les profits. Le fait est que la pandémie a mis à nu les vastes lacunes et le déclin évident du capitalisme, y compris la réalité de la façon dont les travailleurs sont traités, même lorsqu’ils sont étiquetés comme « essentiels ».

La tâche à accomplir

Souvent, les travailleurs ne restent pas plus de 6 à 8 mois dans leur emploi avant de se lasser des mauvaises conditions de travail et de l’exploitation dont ils sont victimes. Sans possibilité de se défendre et sans perspective d’avenir, les travailleurs démissionnent et passent à un autre emploi. Si cela peut leur remonter le moral à court terme, ainsi qu’à d’autres travailleurs, cela constitue en fin de compte un obstacle à une véritable organisation et à l’exploitation du pouvoir des travailleurs. Il est essentiel que les travailleurs considèrent leurs mauvaises conditions de travail comme quelque chose à combattre et à améliorer plutôt qu’à fuir.

Il faudra une mobilisation massive pour parvenir à syndiquer ne serait-ce qu’une majorité des 15 251 établissements de Starbucks, avec des efforts très ciblés des travailleurs au sein de Starbucks et au-delà. La classe dirigeante est très consciente de l’effet d’entraînement qu’une action réussie chez Starbucks aurait sur la restauration rapide, sur l’ensemble du secteur des services et au-delà, et elle tentera de l’étouffer par tous les moyens. Nous aurons besoin de stratégies militantes et de la collaboration des magasins à travers les villes et les régions pour obtenir des concessions, ainsi que de la mobilisation des autres acteurs du secteur en solidarité. La riposte contre les efforts d’éviction syndicale de Starbucks doit être large et s’appuyer sur un ensemble de revendications solides afin de devenir une force capable d’obtenir des gains réels pour les travailleurs.

En novembre prochain, il y aura dix ans que 100 travailleurs de McDonald’s à New York ont débrayé pour réclamer 15 dollars par heure et un syndicat. Malheureusement, malgré les dizaines de millions de dollars dépensés au cours de la dernière décennie par des syndicats tels que le SEIU, aucun syndicat n’a été créé dans les principales méga entreprises de restauration rapide. Cela est dû en grande partie à l’échec de l’approche des dirigeants actuels de ces syndicats, qui se sont concentrés sur des campagnes de pression publique et ont fait appel aux politiciens, au lieu d’adopter une approche de lutte des classes et d’organiser la base de manière militante. Les travailleurs de Starbucks à Buffalo ont montré qu’il est possible de gagner des syndicats dans le secteur de la restauration rapide si l’on s’organise autour de revendications claires et que l’on adopte des tactiques de combat sans ambages. Pour l’avenir, les principaux syndicats du secteur des services, tels que SEIU, UNITE HERE et UFCW, doivent mettre toutes leurs ressources dans cette approche.

Socialist Alternative soutient sans équivoque les travailleurs de Starbucks qui sont à l’avant-garde de ce qui peut devenir une percée du mouvement ouvrier. La victoire exigera la solidarité entre les magasins et entre les autres sections du secteur des services – tout comme une blessure à l’un est une blessure à tous, une victoire pour l’un peut mener à une victoire pour tous!

Les membres du syndicat de Starbucks devront continuer à se battre au-delà de l’obtention de la syndicalisation. À bien des égards, l’obtention d’un premier contrat est encore plus difficile et exigera une lutte déterminée.

Il n’y a jamais eu de meilleur moment ni de moment plus excitant pour les travailleurs des services pour mener ces batailles. Avec la « grande démission » en cours (le nombre inédit de travailleurs qui annoncent sur les réseaux sociaux qu’ils quittent un emploi pour en chercher un meilleur ailleurs) et la pénurie de main-d’œuvre, les travailleurs sont en position de force pour utiliser leur force collective afin d’obtenir des gains non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les autres et créer des modèles à suivre. Solidarité avec Starbucks Workers United! Solidarité avec tous les travailleurs du secteur des services!


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