Entrevue : Les conditions exécrables du chantier du REM

Le soudeur-manœuvre Carl Contant nous parle des conditions de travail exécrables du chantier de construction du REM, suite à un renvoi injustifié. Son témoignage lève le voile sur les conditions de travail dangereuses maintenues par les patrons profiteurs de différents sites montréalais.

Carl a réalisé plusieurs contrats durant les dernières années sur différents chantiers de construction. Cela lui a permis de vivre l’évolution des conditions de travail dans le domaine, surtout en ces temps de pandémie et de pénurie de main-d’œuvre.

 Alternative socialiste (AS). Salut Carl, tu as travaillé dans le nord du Québec pendant un bon bout de temps. Tu es finalement revenu pour des contrats en ville. Qu’est-ce qui a motivé ta décision?

Carl Contant (CC). J’ai travaillé quelque temps dans le nord effectivement. Mais j’ai eu une hernie qui m’a mise en arrêt pendant quelque temps. Je suis donc revenu en ville. Il y a beaucoup d’ouvrage ici. Il manque de main-d’œuvre comme on le sait. Je me suis fait engager sur le projet du Réseau express métropolitain (REM). Par contre, une fois sur le chantier, je me suis rendu compte que ce n’est pas seulement de la main-d’œuvre qu’il manque, mais il manque pas mal d’humanité. Et il manque carrément de courage chez les employés.

AS. Peux-tu nous en dire un peu plus?

CC. Les entrepreneurs signent des contrats et doivent livrer la marchandise à temps, pénurie ou pas pénurie de main-d’œuvre. Alors, avec un staff réduit sur les chantiers, les boss exploitent leurs employés pour leur soutirer encore plus de job qu’avant. Quand je rentrais dans la roulotte le midi, tout le monde était mort de fatigue. Ils dormaient pratiquement tous pendant toute la pause.

Moi, je faisais environ 4-5 heures d’overtime tous les soirs. Ça faisait deux semaines que je travaillais là. Un jour, j’ai dit à mon boss: «Aujourd’hui, je vais partir un peu plus tôt, ça fait plusieurs jours de suite que je fais 4-5 heures d’overtime». Il me dit: «Tu ramasseras tes outils, parce que ça ne fonctionnera pas». C’était comme une forme d’intimidation faite envers les employés. Je suis parti plus tôt et j’ai été renvoyé.

Le consortium qui s’occupe de la construction du REM s’appelle NouvLR. Il comprend des compagnies comme SNC-Lavalin, EBC et Pomerleau, notamment. Personnellement, je déteste travailler pour ces grosses compagnies. C’est toujours le même genre d’environnement sur leur chantier. Ils vont miser sur des travailleurs qui n’ont pas d’expérience pour leur imposer de mauvaises conditions de travail et un environnement qui est dangereux pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Concernant l’overtime, les boss dans la construction vont souvent essayer d’échanger ton overtime censé être payé à temps et demi par du temps en banque (congé). Tout l’argent donné en temps simple ou en congé pour de l’overtime, c’est en «dessous de la table». Donc, ces heures travaillées ne sont pas comptabilisées pour les primes d’assurance-médicaments, d’assurance chômage, de journées pour les vacances, etc. 

AS. Qu’en est-il du respect des normes par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) sur les sites dont tu parles?

CC. Les normes vont souvent se fier aux syndicats pour avoir le pouls sur ce qui se passe sur les chantiers. Les normes vont souvent dire: «Essaie avant de t’arranger avec ton syndicat, pis si ça ne fonctionne pas, tu reviendras nous voir». Par contre, ce que j’ai remarqué c’est que les travailleurs qui sont engagés sur les chantiers ne sont pas expérimentés et sont plus facilement intimidés. Ils ne connaissent pas les lois. Ils ne connaissent pas leurs droits. Alors, ils se plient aux exigences des patrons et ne dénoncent pas les mauvais traitements ou les licenciements abusifs.

AS. Qu’en est-il des recours auprès des syndicats?

CC. Quand j’ai appelé mon syndicat pour leur apprendre que je m’étais fait sacrer à la porte de façon cavalière, le représentant m’a dit que je n’étais pas le seul. Il y a autour d’une douzaine de personnes qui se sont fait renvoyer du chantier par le même boss. Mais, tout le monde a gardé le silence. Lorsque le syndicat a appelé les employés pour avoir des détails, tout le monde s’est tu et n’a pas osé dénoncer l’employeur. On a été seulement moi et deux autres à oser dire ce qui se passait. Lorsque le boss a été confronté par le représentant syndical devant moi, il nous a menti en pleine face. Mais, le boss a été surpris que je lui réponde sans avoir peur. C’est dire comment c’est de plus en plus rare que les gens se tiennent debout face à l’intimidation des employeurs.

J’ai travaillé sur un chantier au Saguenay. Le chantier nécessitait 10 soudeurs, mais il y en avait seulement la moitié. Eh bien le boss exigeait quand même le même rendement qu’avec 10 soudeurs, parce qu’il fallait qu’il rentre dans les temps pour son contrat. Mais souvent, les gens se taisent. Ils vont travailler comme des déchaînés, au prix de leur santé, pour arriver à fournir. Dans un autre chantier avant celui du REM, il y avait un jeune. Il transportait six 2×4 sur ses épaules et le boss lui disait d’aller plus vite. C’est rendu complètement fou.

Ces compagnies-là – comme SNC, EBC, Pomerleau – ont souvent de gros contrats d’infrastructures. Ce sont eux qui raflent toujours les gros chantiers importants. Alors on aboutit souvent avec ce genre d’employeurs pourris qui se foutent éperdument de leurs employés. Avec la pénurie de main-d’œuvre, les boss de chantier vont tourner les coins ronds plus qu’avant.

AS. Qu’en est-il de la place des femmes, et comment subissent-elles l’intimidation sur les chantiers de construction?

CC. Je te dirais que les femmes de nos jours se défendent avec plus de courage que les hommes. Pendant des années, les femmes ont dû se battre deux fois plus pour faire leur place dans ce monde-là, pour contrer les stéréotypes, pour contrer l’intimidation. Elles ont dû travailler plus fort, mieux que les hommes, pour être capables de gagner le respect. Leur expérience à se battre pour faire leur place, aujourd’hui leur sert à se tenir debout devant l’intimidation. Les femmes tiennent leur boute plus que les hommes sur les chantiers, elles ont l’expérience et elles se font respecter. Les femmes dénoncent les mauvaises conditions bien plus que les hommes, surtout en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail.

AS. Y a-t-il des enjeux concernant la prévention de la COVID-19 sur les chantiers?

CC. Hey, c’est hallucinant. Je te disais dans une autre entrevue qu’on avait de plus en plus de réactionnaires et de racistes sur les chantiers. Maintenant, on a aussi des conspirationnistes. 

Au Saguenay, dans un chantier géré par la compagnie Pomerleau, il y avait un représentant formé par la CNESST qui travaillait là et qui parlait ouvertement d’idées conspirationnistes avec les travailleurs. Il se vantait de ne pas s’être fait vacciner. Moi, j’arrive là, je suis sur un chantier de Rio Tinto. Ça prend donc des cartes de Canadian Welding, des cartes de survie, un dossier vierge pour embarquer sur un quai de juridiction fédérale, ça prend tout ça. Lui, c’était un conspirationniste affirmé et il décourageait les travailleurs d’aller prendre leur 2e dose de vaccin.

Des gars comme ça, ça travaille supposément pour la santé et la sécurité au travail, mais ils sont payés par le boss. Alors on s’entend que les règles de sécurité et tout, ça prend le bord. Pas pour rien qu’il y a de graves accidents sur les chantiers. Un travailleur qui tombe en bas d’un échafaud parce qu’il ne s’est pas attaché avec son harnais de sécurité, un autre qui se fait arracher la tête parce qu’il est allé se la mettre dans une cage d’ascenseur, etc. Il y a des histoires d’horreur.

AS. Comment vois-tu l’amélioration des conditions de travail des travailleurs et travailleuses de la construction avec tous ces problèmes?

CC. Ce n’est pas évident, je dois l’admettre. Les nouveaux qui entrent dans le domaine sont inexpérimentés et sont souvent des antisyndicalistes. Souvent, ils ne savent même pas pourquoi ils sont antisyndicalistes. Mais, c’est sûr que la bureaucratie syndicale n’aide pas la cause. Ça prendrait un gros ménage dans les structures syndicales.

Je pense que dans les médias de masse, on a tellement souvent fait passer les syndicats pour des méchants, des chialeux et des gens qui revendiquent des choses pas d’allure que ça a joué dans la tête d’une certaine génération d’individus. Ce qui me fait le plus capoter, malgré la mollesse des syndicats, c’est que nous sommes dans une situation où les travailleurs ont le gros bout du bâton. On a vraiment le gros bout du bâton, puis on plie devant le patronat. C’est hallucinant.

Je me suis battu, des fois littéralement, pour avoir certains droits, pour avoir de meilleures conditions, pour avoir des chantiers sécuritaires. Pis là, j’ai l’impression que les travailleurs ne comprennent pas à quel point ces luttes ont été dures à gagner et qu’on peut tout perdre si on n’est pas vigilants. 

De grosses compagnies comme Pomerleau, SNC-Lavalin, EBC, ils profitent de ça. Ce sont toutes des compagnies pour lesquelles j’essaie de travailler le moins possible aujourd’hui. Ce sont les pires employeurs dans la construction, de mon expérience à moi. Et ces compagnies sont dans le consortium qui gère le REM. Après, on se demande pourquoi les projets coûtent cher, pourquoi la qualité de la construction n’est pas optimale, etc. Je suis désolé, mais le chantier du REM, la gestion, les conditions, tout était minable pour les travailleurs. Je ne sais pas comment ça va finir, s’ils vont réussir à ne pas dépasser les coûts et les délais, mais ça m’étonnerait ben gros, sérieux.

Entre-temps, je pense qu’il faut que la conscience des travailleurs s’élève un peu plus pour tirer notre épingle du jeu. Nous les vieux, on commence à être magané physiquement. On fait plus attention. On se fait respecter là-dessus, la construction c’est un domaine qui est tough sur le physique. Va falloir que les plus jeunes arrêtent de se faire piler sur les pieds. C’est le temps maintenant, ils ont le pouvoir de le faire. 

Faut dénoncer et s’organiser contre les boss qui exploitent les travailleurs sur les chantiers. Sinon, ça va s’empirer et la lutte ne sera que plus dure pour récupérer les conditions perdues.


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