L’inflation a doublé depuis le mois de septembre 2021. Elle se situe à 5%, du jamais vu depuis 2003. Rien ne laisse croire à une baisse à court et moyen terme, au contraire. La réponse à la flambée des prix consiste à mettre de l’avant une revendication cardinale dans l’histoire du mouvement ouvrier: l’indexation automatique des salaires au coût de la vie.
Le capitalisme est un système économique mondial régulièrement en crise. Il n’a jamais réussi à se stabiliser depuis la crise de 2007-2008. La pandémie et le réchauffement climatique n’ont fait qu’accentuer ses contradictions.
La délocalisation de la production dans les années 1980 et 1990 a rendu le capitalisme dépendant d’une chaîne d’approvisionnement internationale. Cette dernière s’est brisée pendant la pandémie. L’explosion du commerce en ligne, les fermetures d’usines en Asie ainsi que la pénurie de main-d’œuvre ici créent des phénomènes de rareté. Cela pousse la plupart des acteurs de la chaîne à hausser leurs prix.
Inflation et réchauffement climatique
C’est toutefois le réchauffement climatique qui fait le plus mal à notre portefeuille. En août 2021, un article de Radio-Canada déclarait que: «En raison des sécheresses records qui sévissent dans l’Ouest canadien, le coût de nombreux aliments va augmenter davantage dans les prochains mois». Ces sécheresses ont été causées par le réchauffement climatique, qui est lui-même le résultat d’une gestion capitaliste insoutenable des ressources naturelles! Cette course aux profits dans le secteur agroalimentaire a une conséquence directe sur le coût des aliments.
Le dossier sur l’inflation du Journal de Montréal de décembre 2021 souligne que les plus fortes augmentations touchent le panier d’épicerie: les graisses et les huiles comestibles ont connu une hausse de 20,4%, les œufs ont monté de 9,5% et les produits céréaliers de 7,3%.
De plus, l’essence a augmenté de 14,7% en 22 mois. Notre économie étant dépendante du transport sur route, la hausse de l’essence entraîne aussi une augmentation des prix d’autres produits.
Le lien entre l’inflation et le réchauffement climatique peut devenir un facteur déterminant pour la classe ouvrière et la jeunesse dans sa remise en cause du système capitaliste. Nous devons saisir cette occasion pour mettre de l’avant une revendication de hausse des salaires qui rallie l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière et qui met le patronat sur la défensive. Quelle est-elle?
Les différentes formes d’augmentations salariales
Le revenu minimum garanti (RMG) est une idée très discutée depuis quelques années. Il y a plusieurs modèles de RMG, mais l’idée est essentiellement que l’État détermine les coûts des besoins de base de la population (ex. logement, nourriture, éducation) et octroie un montant inconditionnel censé les couvrir. Or, l’État n’est pas neutre. Contrôlé par la classe capitaliste, il a un «parti pris» pour les propriétaires d’entreprises. L’État encourage leur performance économique surtout en coupant leur part de taxes et d’impôts ou en stimulant la consommation.
Il ne faut pas s’attendre à ce qu’un État capitaliste saisisse les paradis fiscaux afin d’offrir le meilleur RMG possible. Il va plutôt centraliser les mesures de sécurité du revenu déjà existantes (ex. chômage, retraite, prêts et bourses d’étude) dans le but de réduire ses dépenses, et par ricochet les prestations et les services. C’est ce type d’austérité déguisée que proposait le gouvernement libéral Couillard en 2016.
Au niveau stratégique, la mise de l’avant du RMG nous détourne des forces sociales qui travaillent à nous appauvrir, les capitalistes. Ce n’est pas l’État qui doit mieux répartir son argent. Ce sont les millionnaires qui contrôlent cet État qui doivent nous donner ce qu’ils nous volent.
Une autre façon d’augmenter les salaires est de hausser le salaire minimum. Cet automne le mouvement syndical ainsi que Québec solidaire ont adopté la revendication d’un salaire minimum à 18$/h. La pénurie de main-d’œuvre est tellement importante que même le patron de COGECO parle de hausser le salaire minimum à 20$/h! Certains McDonald’s offrent maintenant 16$/h et Amazon près de 18$/h. Il y a six ans, il nous a fallu nous battre avec courage, souvent contre les directions syndicales elles-mêmes, pour développer la lutte pour un salaire minimum à 15$/h indexé au coût de la vie. Aujourd’hui, la hausse à 18$/h ne présente pas le même potentiel de mobilisation que la lutte du 15$/h d’il y a quelques années, bien qu’elle soit tout aussi nécessaire et légitime.
Les augmentations salariales dans le monde syndical
Les augmentations salariales sont majoritairement données en pourcentage lors de négociations de conventions collectives. Dans les années 1970, les marxistes utilisaient le terme «augmentations hiérarchisées» pour les décrire. L’adage «diviser pour mieux régner» rend bien l’esprit de ce type d’augmentation. Elles sont la norme dans les milieux de travail et les salaires en témoignent. Dans le milieu de la santé par exemple, il y a presque autant de taux horaires que de titres d’emploi, soit plus d’une centaine.
Il y a deux conséquences négatives aux augmentations hiérarchiques. La première est que le gros de la masse salariale va toujours remplir les poches des personnes les plus salariées. À long terme, si les salaires des personnes haut salariées suivent à peine le coût de la vie, ceux des bas salarié⋅es dégringolent systématiquement.
Cette situation est d’autant plus choquante lorsque les personnes moins bien payées font davantage de temps de grève qui bénéficiera plus, au final, aux personnes déjà mieux payées. C’est le cas dans le milieu de la santé. Les augmentations hiérarchiques nuisent à la solidarité. Elle est pourtant nécessaire dans tout milieu de travail pour mener des luttes d’envergure.
C’est pourquoi la CSN1 a mis de l’avant une hausse sous forme de montant fixe (ou augmentations uniformes) lors de la dernière ronde de négociation du secteur public en 2020. L’APTS2 et la FIQ3 n’ont pas voulu appuyer cette position. La FTQ4 en santé également: elle a plutôt défendu les augmentations hiérarchiques à l’envers, c’est-à-dire des augmentations en pourcentage plus importantes pour les bas salariés basées sur un rangement.
Choisir le meilleur combat à mener
Le choix des revendications est crucial pour mener et gagner une bataille. Les formes d’augmentations salariales ont un impact direct sur la mobilisation et par conséquent sur le rapport de force potentiel. Il faut donc les choisir avec soin. Pendant la ronde de négociation du secteur public de 2020, le montant fixe figurait dans le cahier de revendications de la CSN aux côtés de «l’introduction d’un mécanisme qui assure l’indexation annuelle à l’inflation selon l’IPC Québec».
L’indexation a également été intégrée aux cahiers de revendications et déposée officiellement au gouvernement en 20205 par la CSQ6, la FIQ, l’APTS, le SPGQ7 et par les syndicats de la FTQ en santé, soit le SCFP8 et le SQEES9. Si les directions des centrales syndicales n’avaient pas laissé tomber cette revendication à la première occasion, peut-être «les anges gardiens» auraient-ils obtenu des augmentations de salaire couvrant au moins la hausse du coût de la vie actuelle. L’indexation des salaires au coût de la vie doit être remise de l’avant en vue de la prochaine ronde de négociations du secteur public, mais aussi défendue de manière systématique par l’ensemble du mouvement ouvrier.
Pour l’indexation des salaires au coût de la vie!
L’indexation des salaires au coût de la vie, également appelé l’échelle mobile des salaires, est la seule façon de garantir le maintien de notre pouvoir d’achat. Par exemple, une convention collective prévoit une augmentation salariale de 2%/année automatiquement indexée. L’inflation réelle est de 4% la première année. Les travailleurs et les travailleuses recevront alors une augmentation supplémentaire de 2%. Les augmentations sont annuellement ajustées en fonction de l’Indice des prix à la consommation (IPC) qui représente les variations de prix. Ce mécanisme figurait dans les conventions collectives du secteur public du Québec de la fin des années 1960 jusqu’au début des années 1980.
Il est également possible d’adopter un principe d’indexation national qui permet d’ajuster tous les salaires. Le seul pays à maintenir cette façon de faire est la Belgique.
IPC et indice syndical
L’avantage de mettre de l’avant l’indexation est de pouvoir fédérer l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière pour résister à la poussée inflationniste actuelle.
Bien qu’il soit préférable de déterminer les salaires selon les prévisions de l’IPC – plutôt que selon celles du PIB – il ne faut jamais oublier que le calcul de l’IPC n’est pas neutre! Les modalités de calcul de l’IPC sont aussi un enjeu de classe.
L’IPC est une moyenne calculée en fonction d’un panier de produits. Mais les prix des différents produits qui le composent n’évoluent pas de la même façon. Certains produits augmentent plus vite que d’autres. Lorsqu’une hausse est plus marquée, en particulier pour la nourriture, l’IPC n’est plus un indicateur fiable pour calculer le coût de la vie.
Récemment, Derek Holt, chef des études économiques sur les marchés des capitaux de la Banque Scotia, a accusé Statistique Canada de publier de «fausses données sur ce qui se passe vraiment avec l’inflation». Il a raison, et ce problème n’est pas nouveau. Pour pallier ce problème, les économistes du mouvement syndical doivent établir leur propre indice de la hausse du coût de la vie. Le mouvement syndical doit mettre de l’avant son propre calcul de l’IPC ventilé. Ce dernier doit être discuté le plus largement possible avec les membres.
L’économiste marxiste Louis Gill soulignait déjà en 1976 la nécessité d’avoir:
un IPC ventilé par catégories de salaires qui fournirait les bases d’un calcul correct de la perte du pouvoir d’achat pour chaque catégorie de salaires, information indispensable pour les fins d’une indexation correcte des salaires à la hausse du coût de la vie.
Rôle déterminant du coût de la vie dans les processus révolutionnaires
Tous les processus révolutionnaires ont pour moteur une cause économique (ex. hausse des prix ou chômage de masse). C’est un élément fédérateur pour les différentes composantes de la classe ouvrière. Elle polarise les contradictions entre les classes sociales. Actuellement, nous avons besoin que nos salaires suivent minimalement le coût de la vie, alors que la classe dominante et ses valets s’y opposent et disent que les hausses salariales causent l’inflation. Visiblement, l’inflation actuelle n’a aucun rapport avec les hausses de salaire, car tout augmente, sauf nos salaires! Si en travaillant, nous sommes incapables de vivre convenablement, c’est le système capitaliste qui ne fonctionne pas, pas nous!
Les marxistes soutiennent que l’évolution des conditions matérielles a un impact sur les idées, sur le niveau de conscience de classe. Toute lutte exige un sacrifice. La grève est le meilleur exemple. Les travailleurs et les travailleuses se privent temporairement de salaire pour exercer une pression déterminante sur l’employeur afin d’améliorer leurs conditions de travail. Les gens ne luttent pas pour des principes ou des valeurs, mais pour des gains palpables, concrets et atteignables à court terme.
Le seul moyen pour réellement éliminer les pressions de l’inflation sur notre pouvoir d’achat passe par l’établissement d’une société socialiste. Dans une telle société, les biens vitaux comme le logement et la nourriture sont distribués de manière équitable hors de la logique du profit. Les prix sont déterminés pour répondre immédiatement aux besoins de la majorité des gens, pas d’après une logique de l’offre et de la demande qui ne profite qu’aux millionnaires.
Pour l’indexation automatique des salaires au coût de la vie!
Pour un IPC ventilé calculé par le mouvement syndical et démocratiquement discuté chez les membres!
On ne peut plus acheter aucun produit. On a beau vouloir, mais on ne peut pas arriver quand tout augmente sans aucune augmentation de salaire. De la manière qu’on s’en va, ça ne va pas dans le bon sens. Le coût de la vie, de l’électricité, de la bouffe, c’est ridicule. On ne vit plus, on existe.
Citation d’un travailleur tirée de Cette année, le Grinch, c’est l’inflation
1. Confédération des syndicats nationaux
2. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux
3. Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec
4. Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec
5. Document présenté par le Comité de coordination des secteurs public et parapublic de la CSN (CCSPP-CSN) le 26 juin 2020.
6. Centrale des syndicats du Québec
7. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec
8. Syndicat canadien de la fonction publique
9. Syndicat québécois des employées et employés de service