Bilan de l’année 2021 : L’ère du désordre, année 2

Du début à la fin, 2021 aura été une année de tempêtes pour le capitalisme mondial. Ce système pourri et décadent a rarement, voire jamais, été confronté à des crises simultanées aussi profondes sur autant de fronts. Il n’a jamais été aussi mûr pour être remplacé, et les années 2020 ne font que commencer…

Commencer et finir en beauté

L’année s’est ouverte avec le chaos au capitole des États-Unis, où des émeutiers et des émeutières armé⋅es ont surgi le 6 janvier afin de soutenir la tentative de coup d’État de Trump. Au même moment, les masses paysannes d’Inde maintenaient un mouvement de résistance organisé de masse contre les politiques brutales et antisociales du gouvernement Modi ont mené une lutte qui s’est terminée victorieusement il y a seulement quelques semaines.

Une nouvelle vague de confinements se répandait alors en Europe, alors que la  «3e vague» désastreuse de Covid-19 atteignait de nouveaux sommets, le variant «Alpha» commençant à se répandre du Royaume-Uni. En argentine, la nouvelle de la victoire historique du mouvement de masse pour obtenir le droit à l’avortement se répandait dans le monde entier.

Tout cela, et bien d’autres événements importants, se sont passés au cours de la première semaine de 2021 seulement ! Et ce sont ces mêmes thèmes de profondes crises sociales, économiques et politiques qui allaient dominer l’année aux côtés des mouvements de masse des travailleurs, travailleuses et opprimé·es qui gagnent en force.

Jetez un coup d’œil sur le monde en cette fin d’année 2021. Une panique justifiée concernant le nouveau variant Omicron se répand, et de nouveaux confinements sont déjà annoncés malgré une vaccination généralisée dans les pays les plus riches du monde. Le pessimisme abonde parmi les économistes. Les prévisions de croissance optimistes se refroidissent rapidement, et le secteur financier chinois vacille au bord du gouffre avec la faillite partielle d’Evergrande et la menace de propagation que cela représente.

La classe ouvrière continue de se battre à travers le monde, faisant entendre sa voix dans de nombreux pays. Parmi les exemples récents, citons l’impressionnante grève des métallurgistes dans l’État espagnol et la grève générale partielle en Italie le 8 décembre dernier.

À tout cela, il faut ajouter la catastrophe climatique causée par le capitalisme, qui n’a jamais été aussi continuelle et présente dans la politique mondiale que cette année. Les événements météorologiques extrêmes causés par la crise climatique font désormais partie de la vie, des considérations et des projets des gens ordinaires dans toutes les régions de la planète. Le sommet de la COP26 a mis en évidence et approfondi la prise de conscience de millions de personnes que le système ne peut pas amener de solution.

Après l’année 2020, 2021 nous a donné un avant-gout de ce que sera le caractère de l’époque historique mondiale à venir. Aucune des crises qui ont dominé l’année ne trouvera de solution durable, notamment en 2022. L’année dernière, empruntant une expression inventée par la Deutschebank, Alternative socialiste internationale (ISA) a utilisé le terme de «l’âge du désordre» pour tenter de caractériser la nature de cette nouvelle période. C’est une période où les multiples crises du capitalisme, entraînant un processus de polarisation sociale et politique de plus en plus profond, vont faire naître le besoin d’un changement de système dans l’esprit de millions de personnes à travers le monde. Beaucoup seront à la recherche d’idées révolutionnaires.

L’année la plus meurtrière de la Covid

En juin, la Covid-19 avait déjà tué plus de personnes en 2021 que pendant toute l’année 2020. Et ce, malgré l’existence de plusieurs vaccins depuis le début de l’année. Quelle statistique peut être plus accablante pour les criminels qui dirigent les gouvernements du monde entier?

Comme nous l’avons expliqué en détail, dès le début de la pandémie, ce sont les contradictions inhérentes au système capitaliste qui ont fait obstacle à toute réponse efficace face à la pandémie tant au niveau national qu’international. Au début de la pandémie, alors que les gouvernements laissaient le virus s’incruster dans les populations en raison de dissimulations criminelles et d’inaction par crainte de perturber la profitabilité des grandes entreprises, c’est la contradiction entre la propriété privée des moyens de production et les besoins de la société qui a été déterminante. Alors que les moyens publics finançaient la recherche de vaccins, la production et la distribution étaient laissées aux mains de multinationales qui réalisaient des superprofits.

Rappelons que dans de nombreux pays — dont l’Italie et l’État espagnol — il a souvent fallu une action organisée de la classe ouvrière pour arrêter la production et l’économie afin de protéger des vies, ce qui a forcé la main des patrons et des gouvernements. Ce n’est pas seulement le cas pour la première vague de la pandémie. En janvier 2021, une épreuve de force entre le gouvernement britannique et les syndicats d’enseignants — sous l’impulsion des militants et militantes de la base sur leurs lieux de travail — a entraîné la fermeture d’écoles au plus fort de la troisième vague.

Le nationalisme vaccinal et les nouveaux variants

Cependant, en 2021, c’est l’autre contradiction fondamentale du système capitaliste qui a pris encore plus d’importance dans sa mauvaise gestion de la pandémie: la contradiction entre une économie de plus en plus mondiale et les antagonismes nationaux inhérents au capitalisme. Cette contradiction a été résumée dans ce qui a certainement été l’une des phrases clés de l’année: le nationalisme vaccinal.

Ce qui s’est d’abord produit autour des équipements de protection individuels, des tests et des respirateurs artificiels — des bagarres féroces entre gouvernements nationaux pour accaparer des stocks existants — a été amplifié lorsqu’il a été question de vaccins. En janvier déjà, Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS, déclarait que le monde était «au bord d’un échec moral catastrophique» en raison de la distribution internationale inégale des vaccins contre la Covid-19. «En fin de compte, a-t-il prévenu, ces actions ne feront que prolonger la pandémie, les restrictions nécessaires pour la contenir et les souffrances humaines et économiques.» (Economist, 28 janvier 2021)

Douze mois plus tard, à peine 7% de la population des pays les plus pauvres du monde ont reçu une dose de vaccin. Pendant ce temps, dans les pays occidentaux, après des programmes de vaccination qui ont couvert une grande majorité (bien que variable) des populations adultes plus tôt dans l’année, les enfants sont vaccinés tandis que des dizaines de millions de personnes font la queue pour recevoir une troisième dose.

Alors que les travailleurs et travailleuses et les jeunes des pays riches veulent et ont besoin de vaccins, c’est l’élite dirigeante qui est à l’origine du processus de thésaurisation des vaccins, les gouvernements insistant pour maintenir des brevets criminels sur la technologie des vaccins, ce qui empêche d’augmenter massivement la production de vaccins pour répondre aux besoins de tous et toutes.

Le terme «nouveau variant» s’est gravé dans l’esprit des masses en 2021. C’est le variant «Alpha» (précédemment connue sous le nom de variant «Kent» ou «UK») qui a popularisé ce terme, car une nouvelle souche de Covid, beaucoup plus transmissible que la souche dominante à l’origine, a provoqué une nouvelle vague terrifiante de la pandémie au début de 2021. Le «Bêta» (ou «sud-africain») et le «Gamma» (ou «brésilien») ont suivi, avant d’être dépassés par le «Delta» plus tard dans l’année. Aujourd’hui, le monde tremble à l’approche de l’Omicron, dont on sait peu de choses pour l’instant, même si l’on sait qu’il est beaucoup plus transmissible que le Delta.

À l’exception du variant Alpha, apparu en Grande-Bretagne, toutes les autres ont un point commun: ils sont apparus dans des pays où la Covid a été «lâché» alors que les vaccins étaient abondants, mais accumulés par les gouvernements impérialistes.

Si l’Omicron est aussi mauvais qu’il en a l’air (ce que les événements au Danemark, au Royaume-Uni et aux États-Unis laissent penser), alors toutes les mesures adoptées par les gouvernements pour contrôler la propagation seront non seulement bâclées par les contradictions du capitalisme, mais se heurteront également à une population de plus en plus résistante et divisée.

Alors que la majorité des travailleurs et travailleuses ont toujours compris la nécessité de donner la priorité à la santé publique, la croissance dangereuse du scepticisme au sujet de la Covid et du sentiment anti-vaccin, alimenté par l’aliénation et la méfiance envers l’établissement, a ajouté une nouvelle corde sinistre à l’arc du populisme et de l’extrême droite à l’échelle mondiale, ce qui constitue une menace significative pour les travailleurs et travailleuses et les mouvements sociaux à l’horizon 2020.

Quel que soit le cours de la pandémie en 2022, l’expérience de la pandémie a montré à des millions de personnes à quel point la classe capitaliste dominante est incapable de résoudre les crises mondiales. Les marxistes soulignent le rôle de la classe ouvrière mondiale — une force sociale véritablement internationale qui n’a aucun intérêt dans l’antagonisme national et dont les intérêts économiques ne s’opposent en aucune façon à la nécessité de protéger la santé publique et le bien-être — comme la clé de la résolution des crises mondiales.

Renforcer l’organisation et la combativité de la classe ouvrière, et armer ses mouvements d’un programme politique socialiste pour arracher le pouvoir des mains des escrocs capitalistes est une tâche stratégique clé à laquelle les socialistes devront faire face en 2022 et dans les années suivantes. L’expérience de 2021 a démontré que cette tâche ne sera couronnée de succès que si elle est associée à un travail énergique pour renforcer et étendre la portée d’une organisation socialiste révolutionnaire.

L’économie mondiale — de l’optimisme au pessimisme

2021 a été une montagne russe émotionnelle pour les économistes bourgeois. En mars, ils se sont mis à annoncer des scénarios de croissance de plus en plus optimistes pour l’économie mondiale, dans un contexte de «rebondissement» dynamique après les blocages et les récessions records de 2020. Cette croissance impressionnante a été stimulée par une demande refoulée après une année de dépenses anémique, et par les niveaux historiques des mesures de relance publique encore injectées dans l’économie, en particulier dans les pays riches. En effet, une seule loi de relance adoptée par l’administration Biden en mars a ajouté 1% aux prévisions de croissance du PIB mondial!

C’est l’expression de la manière généralement très différente dont les gouvernements capitalistes ont abordé la récession mondiale accompagnant la Covid par rapport à la manière dont ils ont abordé la Grande Récession de 2008-9. En réponse à la chute libre de l’activité économique de 2020, le livre de jeu néolibéral a été largement jeté par la fenêtre, l’État capitaliste étant intervenu pour soutenir l’économie à des degrés divers, en fonction de la force fiscale des pays du monde entier.

Ce revirement par rapport au néolibéralisme, et ce nouveau cocktail de politiques économiques mettant davantage l’accent sur l’intervention de l’État et une tendance à la démondialisation, était extrêmement important et a en effet provoqué des discussions et des débats éclairants et, à certains moments, controversés, parmi les marxistes eux-mêmes.

Toutefois, si l’utilisation du pouvoir des trésors publics a été un outil efficace pour atténuer les pires effets de la crise à court terme, l’ISA a souligné que ce nouveau cocktail de politiques mondiales était loin de poser les bases d’une nouvelle période de croissance et de stabilité.

Réagissant à la vague d’optimisme économique qui s’est répandue parmi les économistes en avril, nous écrivions: «Le rebondissement probable de l’économie mondiale est-il le début d’une reprise plus générale? Certains dans les médias bourgeois ont comparé la situation au lendemain de la Première Guerre mondiale et à l’épidémie de grippe dévastatrice de 1918-20 qui avaient été suivie par des années folles aux États-Unis et en Europe. De telles attentes sont déplacées».

Plusieurs mois plus tard, les «optimistes» sont en train de ravaler leurs paroles. L’économie mondiale entre dans l’année 2022 traquée par de nombreux spectres qui menacent de nouvelles crises, potentiellement profondes. La poursuite de la pandémie n’est pas le moindre de ces spectres !

En outre, la menace que représente pour le système financier mondial la crise du secteur de la construction en Chine risque de réveiller un monstre de crise financière. Un danger inhérent à la situation d’une économie mondiale marquée par un endettement toujours plus important des entreprises et des pouvoirs publics.

L’inflation est également une préoccupation majeure. Les banques centrales du monde entier vont entrer en 2022 sous une forte pression pour augmenter les taux d’intérêt afin d’atténuer la pression inflationniste, un geste qui en soi pourrait déclencher une nouvelle récession. La Banque centrale des États-Unis et la Banque d’Angleterre ont déjà annoncé des hausses imminentes de leurs taux d’intérêt.

Le spectacle d’un seul navire bloqué causant des ravages économiques massifs, lors de la crise du blocage du canal de Suez en mars dernier, a symbolisé la fragilité des chaines d’approvisionnement. Du pétrole au gaz, en passant par les puces électroniques et d’autres produits de base, le chaos des chaines d’approvisionnement a également été le fil conducteur de l’année 2021. Ce chaos fut causé par les crises géopolitiques, les goulots d’étranglement liés à la hausse de la demande à la suite des blocages, la «pénurie de main-d’œuvre» et des événements liés au changement climatique.

Pendant ce temps, derrière la façade des chiffres de croissance records et des bénéfices en plein essor, la croissance de la pauvreté et des inégalités a été encore plus considérable. Le «Rapport sur les inégalités dans le monde» récemment publié a révélé que si 100 millions de personnes ont sombré à nouveau dans une pauvreté désespérée au cours de la première année de la pandémie, la richesse des milliardaires a augmenté plus que jamais.

La nouvelle guerre froide est là pour de bon

L’année 2021 a également vu l’impérialisme américain et chinois redoubler d’efforts dans le cadre de la nouvelle guerre froide. Biden a poursuivi à toute vapeur l’agenda de l’impérialisme américain. Le «Sommet de la démocratie» de décembre, qui vise à consolider et à approfondir la sphère d’influence de la guerre froide américaine, en est un bon exemple. Comme l’a souligné l’ISA, contrer la croissance de l’impérialisme chinois est également un élément central de l’agenda économique de Biden, et un objectif explicitement déclaré de son récent projet de loi édulcoré de relance de la construction d’infrastructures.

Entre-temps, la Chine a excellé dans ce qu’on appelle la «diplomatie du vaccin», utilisant mise à disposition de vaccins comme un outil pour accroître la dépendance à son égard en Afrique, en Asie et en Amérique latine, et ayant même un certain impact en Europe. Motivé par cette rivalité entre grandes puissances, et simultanément par la crainte des nombreuses menaces qui pèsent sur la stabilité interne — notamment la lutte et la révolution de la classe ouvrière — le régime de Xi a renforcé ses politiques réactionnaires et autoritaires. Cependant, la répression brutale à Hong Kong, pour y instaurer les conditions de la dictature de Chine continentale, qui s’est accélérée tout au long de l’année, la «guerre contre le terrorisme» raciste contre les musulmans ouïgours au Xinjiang, et l’offensive antiféministe et anti-LGBTQ+, parmi beaucoup d’autres politiques, sont finalement autant de signes de faiblesse, à l’aube d’une année où les nuages de tempête s’amoncèlent sur l’économie chinoise.

Tous les regards seront tournés vers Taïwan en 2022, qui, parmi de nombreux autres points de tension potentiels, prendra de plus en plus d’importance, occupant une place vraiment dangereuse en tant que ballon de football géopolitique dans un combat de chiens mortel entre deux puissances impérialistes en crise.

Pour prouver que les guerres froides peuvent devenir «chaudes», il suffit de regarder le Moyen-Orient, où une guerre sanglante et unilatérale contre Gaza menée par les forces armées israéliennes a entraîné la mort de centaines d’innocents des deux côtés de la ligne, dont 12 ont été tués par des tirs de roquettes en provenance de Gaza. L’Éthiopie est toujours en proie à une guerre civile sanglante, qui fait également partie intégrante de la lutte géopolitique de la nouvelle guerre froide.

Outre ces conflits, qui restent tous des poudrières potentiellement catastrophiques, il existe une menace permanente de guerre à la frontière orientale de l’Europe, avec le renforcement militaire et les tensions entre la Russie et l’Ukraine, qui font partie d’une rivalité plus large entre la Russie et l’OTAN, et les tensions croissantes entre les États-Unis et l’Iran. Les forces navales de nombreux pays se sont également affrontées en Méditerranée orientale au début de cette année, dans le cadre d’un différend sur les réserves de gaz.

Ne vous y trompez pas: si l’existence d’arsenaux nucléaires massifs reste un facteur de dissuasion important contre les guerres «totales» entre grandes puissances, le capitalisme et l’impérialisme entraînent la planète dans une ère de guerres et d’effusions de sang pour le profit impérialiste. La réponse mondiale à la guerre contre Gaza en mai montre la voie à suivre — résistance internationale de masse et solidarité contre la guerre, par les travailleurs et travailleuses et les jeunes, et non par les gouvernements ou la «communauté internationale» de l’établissement.

En ce qui concerne la guerre froide, la position unique et de principe de l’ISA, qui consiste à ne se faire aucune illusion et à ne soutenir aucun camp dans la nouvelle rivalité entre grandes puissances, et à souligner la nature profondément réactionnaire des deux empires, est d’une importance fondamentale pour le mouvement ouvrier mondial. Dans cet esprit, notre campagne internationale «Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong» occupera une place importante dans notre travail en 2022, comme cela a été le cas en 2021.

La révolte mondiale continue

La classe ouvrière a marqué de son empreinte les événements de 2021 de nombreuses manières, et plus particulièrement dans la lutte dans les rues et sur les lieux de travail. Aucun continent n’a été épargné par les grandes batailles de classe. En plus d’une large répartition géographique, les mouvements de 2021 reflètent l’ampleur des multiples crises du capitalisme et la multitude d’expressions de la misère, de l’exploitation et de l’oppression qui provoquent la résistance de la classe ouvrière.

De puissants mouvements de masse en Inde, en Colombie, en Corée du Sud et ailleurs ont été déclenchés par des contre-réformes économiques hostiles à la classe ouvrière, alors que les gouvernements de ces pays tentaient de se décharger du coût d’une nouvelle crise sur les secteurs les plus pauvres de la population. Au Myanmar, en Russie, au Soudan, etc., c’est la réponse dans les rues et sur les lieux de travail aux attaques contre les droits démocratiques par des élites dirigeantes décrépites et parasitaires qui a ouvert les portes à des épisodes significatifs de lutte de masse.

En 2021, la pandémie de violence sexiste a de nouveau suscité une lutte de masse. En Grande-Bretagne, en Israël/Palestine, en Australie, en Pologne et dans de nombreux autres pays, on a assisté à de nouvelles vagues significatives de protestations militantes, vers lesquelles le fort profil de campagne féministe socialiste de l’ISA a permis à nos sections de se tourner énergiquement. Le mot «féminicide» est entré dans le vocabulaire d’une grande partie de la population, car l’année dernière, les confinements s’ajoutant à la misère de la crise économique, a laissé un bilan effrayant de femmes et de personnes transgenres assassinées. Ce fut l’année la plus meurtrière jamais enregistrée.

En ce qui concerne les droits reproductifs, le dernier semestre de l’année a été marqué par des récits contradictoires de victoire et de défaite de part et d’autre de la frontière sud des États-Unis. En effet, l’héroïque mouvement féministe mexicain a obtenu la légalisation de l’avortement dans l’État de Coahuila en septembre, tandis que le corps législatif du Texas a approuvé une attaque historique contre le droit à l’avortement. L’année 2022 sera marquée par un tournant potentiel aux États-Unis, la Cour suprême étant susceptible de révoquer, au moins partiellement, le jugement Roe v Wade, ce qui, malgré le manque de leadership des organisations féminines traditionnelles, déclenchera une vague de lutte bien plus importante que l’interdiction du Texas cette année.

Les leçons du Myanmar et de la Colombie

Ces mouvements, et d’innombrables autres sont riches d’enseignements pour 2022 et au-delà. Il est cependant juste de dire qu’en 2021, ce sont les exemples du Myanmar, où un mouvement révolutionnaire s’est déclenché contre un coup d’État militaire en février, et de la Colombie, où une grève nationale en avril a ouvert les portes à un soulèvement populaire qui a paralysé le pays, qui se sont le plus distingués.

Tous deux portaient les marques essentielles de la vague de révolte mondiale qui déferle sur le monde depuis 2019: ils étaient menés par une jeune génération radicalisée. Il s’agissait de mouvements de nature durable — qui ont tous deux duré plusieurs mois. De plus, face à la répression étatique la plus brutale, et sanglante, ces deux mouvements n’ont pas battu en retraite, mais ont riposté, s’intensifiant en réponse au «fouet de la contre-révolution». Ces deux mouvements sont également passés de la défensive à l’offensive, renforçant et enhardissant leurs revendications à mesure que les masses réalisaient leur force dans la lutte.

Quelles leçons nouvelles ont-ils apportées? Une caractéristique commune à ces deux mouvements est le rôle plus important et plus prépondérant joué, au milieu d’une vaste rébellion populaire, par les forces, les méthodes et les organisations de la classe ouvrière. C’est un facteur d’une grande pertinence et importance pour les socialistes, qui développent nos perspectives pour les batailles de classe de l’avenir.

Au Myanmar, c’est un mouvement ouvrier jeune et inexpérimenté qui a porté les plus grands coups aux putschistes du pays. Sans stratégie coordonnée et organisée à l’échelle nationale, les travailleurs et travailleuses d’un secteur après l’autre — en particulier la santé, le textile et la finance — ont arrêté le travail contre le coup d’État, construisant une grève générale de facto qui a frappé la classe dirigeante là où ça fait mal, empêchant à un moment donné le régime illégitime du coup d’État de payer ses employés.

En Colombie, le «paro» — grève/arrêt de travail — était la méthode de lutte centrale du mouvement. Elle ne s’est pas toujours exprimée par une véritable grève nationale, s’appuyant parfois davantage sur des blocages de routes et d’autres formes de lutte de masse pour provoquer une paralysie économique. Tandis que la direction officielle du mouvement — le CNP (Comité Nacional del Paro), dirigé par les fédérations syndicales du pays — vacillait et tentait à plusieurs reprises d’intégrer le mouvement dans des négociations, l’avant-garde de la jeunesse ouvrière, organisée en «primera linea» (ligne de front), a entretenu la flamme de la lutte de masse, s’armant de boucliers de fortune contre les attaques meurtrières de la police.

Crise de l’organisation et de la direction de la classe ouvrière

Cependant, nous devons aller au-delà de notre admiration pour l’héroïsme de ces mouvements, et de l’inspiration qu’ils représentent à juste titre. L’autre point commun de ces deux mouvements est qu’aucun n’a remporté de victoire décisive. Pourquoi?

En développant une réponse, nous pouvons pointer vers le problème stratégique central auquel sont confrontés la classe ouvrière et nos mouvements dans le monde entier: la crise persistante de l’organisation et de la direction de la classe ouvrière. Le simple fait est que le rôle central occupé par la classe ouvrière dans les révoltes en Colombie et au Myanmar ne s’est pas clairement reflété dans une direction qui se basait sur le pouvoir de la classe ouvrière et avait confiance en sa capacité à gagner ses revendications.

Au lieu de se battre pour un gouvernement favorable à la classe ouvrière pour remplacer les putschistes, les dirigeants syndicaux du Myanmar ont subordonné les organisations ouvrières à la Ligue nationale pour la démocratie (LND) libérale et bourgeoise, soutenant sans critique ces politiciens anti-ouvriers destitués et leur gouvernement d’unité nationale. En Colombie, les dirigeants du CNP ont constamment tenté de détourner le mouvement de la rue pour le diriger vers des négociations à huis clos avec le gouvernement Duque, réussissant finalement à démobiliser le mouvement.

Cette crise de direction de la classe ouvrière est le plus grand obstacle qui empêche les luttes héroïques de la classe ouvrière de notre époque de remporter des victoires plus décisives. Cette crise ne peut être résolue que par la construction et le renforcement d’organisations de masse de travailleurs et travailleuses et de jeunes, dirigées non pas par des bureaucrates has been formés aux méthodes ratées de la collaboration de classe, mais par les jeunes éléments de la classe ouvrière dans le cœur battant des mouvements de masse, responsables démocratiquement devant le mouvement de masse par des structures démocratiques de masse.

Cela signifie que les travailleurs et travailleuses doivent d’eux et elles-mêmes créer des réseaux de base, lutter pour rétablir les traditions militantes et contester directement le contrôle de la direction existante. Cela signifie également la construction de nouveaux partis politiques, qui peuvent fournir une voix politique indépendante aux intérêts de la classe ouvrière dans les mouvements de masse. Les jeunes combattants et combattantes de la classe ouvrière qui mèneront ces tâches à la victoire ne tomberont pas simplement du ciel, mais doivent être consciemment organisé·es, éduqué·es et armé·es des méthodes du marxisme.

En 2021, nous avons déjà vu des signes importants d’une agitation croissante au sein du mouvement ouvrier dans plusieurs pays. Aux États-Unis, les travailleurs et travailleuses du puissant syndicat Teamsters ont élu une direction de gauche pour la première fois en près de 25 ans, et les membres de l’UAW ont voté pour mettre en œuvre des élections directes aux postes de direction au sein du syndicat. En Grande-Bretagne, l’année 2021 a vu des victoires historiques de la gauche dans les deux plus grands syndicats — Unison et Unite — lors des élections de l’exécutif national et du secrétaire général respectivement.

À l’aube de 2022, la montée de la colère de classe et une vision transformée du rôle essentiel des travailleurs et travailleuses dans la société à la suite de la pandémie, ainsi que l’inflation, les problèmes de chaîne d’approvisionnement et une pénurie aigüe de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs de l’économie, laissent présager une année de conflit industriel majeur et des conditions favorables à des victoires majeures pour notre classe. Une nouvelle vague de lutte des travailleurs et travailleuses peut servir à générer de nouvelles forces au sein du mouvement pour défier les bureaucraties syndicales bien établies et lutter pour une politique indépendante de la classe ouvrière.

Polarisation politique — Menace de l’extrême droite

Alors que l’année 2021 a commencé par l’humiliation de Donald Trump qui n’a pas réussi à voler la présidence des États-Unis, d’une certaine manière, le trumpisme semble être en marche alors que l’année touche à sa fin. Les élections de novembre aux États-Unis ont vu les trumpistes gagner un terrain important. En outre, le parti républicain, qui n’a jamais été autant sous son contrôle, est bien placé pour reprendre le contrôle du Congrès américain lors des élections de mi-mandat de 2022, alors que la présidence de Biden s’enfonce dans la crise et que la «brigade» (The Squad) des démocrates de gauche se déplace vers la droite, échouant lamentablement à fournir une représentation aux personnes de la classe ouvrière qui ont faim d’alternatives.

Nous avons également vu le candidat d’extrême droite Jose Antonio Kast, qui s’appuie sur une plateforme ultra-réactionnaire, anti-ouvrière, autoritaire et misogyne, remporter une victoire surprise au premier tour des élections présidentielles chiliennes. Heureusement, Kast a perdu au second tour, car les travailleurs et travailleuses et les jeunes se sont mobilisé·es, sans illusion profonde, pour voter pour la gauche molle et Gabriel Boric dans une victoire historique qui a montré la puissance durable de la rébellion de 2019 au Chili. L’extrême droite a également fait une percée majeure lors des élections en Argentine, et en Europe, nous avons assisté à la montée terrifiante des phénomènes d’extrême droite autour de Zemmour en France et de Vox en Espagne.

Une partie de cette même tendance est le processus de «Trumpification» des partis de droite traditionnels plus établis, tels que le Partido Popular espagnol et les torys britanniques, qui ont subi un sérieux virage à droite ces dernières années, embrassant le populisme nationaliste.

La montée et la consolidation de ces phénomènes politiques peu glorieux sont un aperçu de la polarisation politique plus forte et plus profonde qui caractérisera les années 2020. La crise durable de la direction et de l’organisation de la classe ouvrière décrite ci-dessus donne l’impression temporaire que ces forces ont l’initiative dans un grand nombre de pays importants à l’approche de 2022. Cependant, le véritable équilibre des forces de classe dans la société ne peut pas être mesuré par une jauge aussi superficielle que l’arithmétique électorale.

Bien qu’il faille reconnaître que nombre de ces forces ont approfondi leur base sociale au cours de la dernière décennie, un processus auquel la tempête de crises des deux dernières années a donné un nouvel élan, il n’existe aucun pays dans lequel elles bénéficient d’un soutien proche de la majorité, en particulier parmi les jeunes et les travailleurs et travailleuses.

Un mouvement ouvrier et une gauche combatifs pourraient couper court à la marche en avant de l’extrême droite. Toutefois, cela ne peut être réalisé que si une position indépendante audacieuse, offrant une véritable alternative socialiste radicale, est adoptée. La voie de la capitulation devant l’établissement politique capitaliste traditionnel en tant qu’opposition «principale» au populisme d’extrême droite, comme on l’a vu dans la capitulation de Sanders aux États-Unis et de la direction majoritaire du PSOL au Brésil devant l’establishment démocrate et le PT respectivement, ne fera que céder davantage de terrain au trumpisme et au bolsonaroïsme.

Nous avons besoin du socialisme révolutionnaire, pas du réformisme

Tout comme ce fut le cas suite à la vague de lutte des classes qui a secoué l’Europe après la crise de 2008, les prochaines batailles de classe à l’échelle internationale, qui comprendront des mouvements révolutionnaires, redessineront la carte politique dans les années 2020.

Déjà en 2021, nous avons vu l’émergence de nouveaux phénomènes politiques importants qui ont donné une certaine expression aux luttes de la classe ouvrière. Au Pérou, le syndicaliste enseignant peu connu Pedro Castillo a défié tous les pronostics pour remporter les élections présidentielles en juin, à la suite d’un mouvement de protestation de masse qui a mis en échec un coup d’État institutionnel dans le pays en novembre 2020.

L’Amérique latine est une poudrière pour les explosions sociales de l’année prochaine, et verra des élections importantes avoir lieu, notamment en Colombie et au Brésil, où les sondages d’opinion dans les deux pays indiquent des défaites potentielles pour la droite réactionnaire via des victoires pour le gauchiste Gustavo Petro en Colombie, et l’ancien président Lula da Silva au Brésil. Ce dernier a révélé ses couleurs pro-capitalistes lorsqu’il était au pouvoir au début du siècle.

La période de crise aiguë dans laquelle naîtront les nouveaux gouvernements de gauche les mettra rapidement à l’épreuve. S’ils ne possèdent pas une perspective révolutionnaire de lutte de masse pour résister au capitalisme et à l’impérialisme, et mettre en œuvre un véritable changement en défiant le pouvoir de la classe dirigeante, seule la crise les attend. Déjà, Pedro Castillo a montré des signes de répétition de la stratégie ratée de collaboration de classe et de réformisme qui a conduit les gouvernements de gauche de la dernière décennie, y compris celui de Lula, à la ruine. Il a répondu à la pression des capitalistes en écartant les personnes les plus à gauche de son cabinet et en renonçant à ses principaux engagements de campagne. Pourtant, la droite n’a fait qu’intensifier ses efforts pour le saboter et l’écarter. Quelques mois seulement après le début de sa présidence, il a dû faire face à une tentative de mise en accusation au Congrès, qu’il a gagnée par deux voix seulement!

L’ISA soutient tous les mouvements et formations politiques qui contribuent à faire avancer les luttes de la classe ouvrière pour ses revendications, et se battra avec acharnement pour vaincre la droite réactionnaire lors de toute élection. Cependant, nous devons aussi dire la vérité: pour vraiment remporter des victoires pour la majorité en cette période de crise capitaliste, une perspective réformiste est insuffisante. La mise en œuvre de politiques visant à redistribuer les richesses, à financer les services et travaux publics nécessaires, à créer des millions d’emplois dans le cadre de nouveaux contrats verts, etc. nécessitera une action audacieuse pour saisir les richesses et les moyens de production des 1% et placer la propriété publique démocratique au cœur de l’économie.

La droite échoue à destituer Kshama Sawant à Seattle

À quoi ressemble une stratégie alternative? Un exemple remarquable de leadership révolutionnaire peut être trouvé à Seattle, où Kshama Sawant et Socialist Alternative viennent de battre les milliardaires dans leur propre cour pour la quatrième fois. Ce résultat est particulièrement significatif, car il va «à contre-courant» du récent cycle électoral de novembre où les candidats démocrates progressistes, largement orientés vers la droite, ont perdu plusieurs grandes courses.

L’histoire de Kshama Sawant et du rôle de Socialist Alternative à Seattle au cours des huit dernières années est un exemple de la différence que fait un véritable leadership socialiste. Imaginez que ces méthodes et ces politiques puissent s’exprimer au sein de la direction nationale du mouvement syndical aux États-Unis, ou dans n’importe quel pays !

2021 : un tourbillon pour ISA

Cette formidable victoire à Seattle s’inscrit dans une année de tourbillon pour l’ISA. Quelques semaines auparavant, des centaines de nos membres de 16 pays avaient envahi Glasgow, en Écosse, attirant l’attention des médias en constituant un bloc socialiste international impressionnant et dynamique lors des manifestations de masse contre l’inaction criminelle du sommet climatique COP26.

Nos membres et nos sections nationales sont entrés et sortis de la clandestinité, et ont traversé des périodes éprouvantes, mais sont toujours restés alertes et actifs, cherchant à saisir les occasions de construire les forces du socialisme, quantitativement et qualitativement. À deux reprises, en janvier et en juillet, nous avons réuni plus de 1000 de nos membres dans des universités marxistes virtuelles réussies et inspirantes.

Nous avons été à l’avant-garde d’innombrables luttes, mouvements et campagnes. Toute notre organisation internationale a agi comme un seul homme, dans les mouvements de masse contre la guerre contre Gaza en mai, en étant solidaire et en soutenant nos courageux camarades en Israël/Palestine.

Il serait impossible de dresser la liste de tout le travail, de toutes les réalisations et de tous les sacrifices consentis par les membres de l’ISA et d’innombrables autres combattants de la classe ouvrière dans le monde en 2021. Nous pouvons être surs que ces efforts souvent invisibles auront contribué à améliorer la préparation de notre mouvement aux défis de 2022.

ISA souhaite à tous ses lecteurs et sympathisants une bonne année et le meilleur pour 2022. Considérez ce qui suit comme votre résolution pour la nouvelle année: rejoignez un mouvement international socialiste révolutionnaire dynamique et en pleine croissance — rejoignez l’ISA. Et si vous êtes déjà membre, redoublez vos efforts pour la cause du socialisme international.


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