Seattle : « Les riches ont joué leurs meilleures cartes contre nous, et nous les avons battus. Une fois de plus. »

Voici ci-dessous, le texte du discours de Kshama Sawant prononcé lors de la conférence de presse du 10 décembre annonçant l’initiative de revue du scrutin par la Campagne de Solidarité avec Kshama (Kshama Solidarity Campaign). Cette campagne avait été lancée suite à la procédure de destitution engagée à son encontre par la droite et les grandes entreprises de Seattle.


Tout d’abord, félicitations aux travailleurs de Starbucks pour le succès de leur campagne de syndicalisation (qui a tout récemment imposé la présence syndicale pour la toute première fois dans l’entreprise aux Etats-Unis, NdT). C’est un signe annonciateur de la période à venir.

Aujourd’hui, l’ancien PDG de Starbucks et résident du district 3 de Seattle (circonscription en jeu pour la procédure de révocation de Kshama Sawant, NdT), Howard Schultz, a passé une très mauvaise journée. Entre les travailleurs de Starbucks qui commencent à se débarrasser de leurs chaînes et notre victoire apparente ici à Seattle, les nouvelles ont été terribles pour la classe capitaliste.

Le dépouillement du scrutin d’hier après-midi a montré que notre campagne socialiste à Seattle a pris une avance de 232 voix.

Il semble bien que nous ayons vaincu les efforts combinés des grandes entreprises, de leurs médias, de la droite, des tribunaux et de l’establishment politique – qui cherchaient par tous les moyens à éliminer notre présence socialiste au conseil de la ville de Seattle (conseil où ne siègent que 9 élus et le maire pour la gestion d’une ville de 740 000 habitants, NdT).

En d’autres termes, les riches et leurs représentants en politique et dans les médias ont joué leurs meilleures cartes contre nous, et nous les avons battus. Une fois de plus.

Comment avons-nous fait cela? Nous avons gagné parce que nous n’avons pas reculé.

Nous n’avons pas reculé dans notre position socialiste au conseil de ville. Au contraire, nous sommes passés à l’offensive, et cette année, nous avons remporté certaines des victoires les plus importantes pour les droits des locataires.

Nous n’avons pas reculé dans la lutte des travailleurs : nous avons mis nos ressources et notre engagement total à la disposition des courageux syndicalistes de base du syndicat des charpentiers du Pacifique Nord-Ouest. Nous l’avons fait alors que la direction de leur syndicat a honteusement refusé de se battre et a attaqué publiquement notre siège au conseil de ville en nous accusant d’interférence. Si soutenir les travailleurs syndiqués dans leurs efforts pour combattre les patrons est une interférence, alors je plaide coupable. Je suis une interférente.

Il existe également de bons et courageux dirigeants syndicaux, et nous devons travailler à leurs côtés. Les travailleurs n’ont pas d’autre choix que de reconstruire un mouvement syndical combatif, et si certains dirigeants syndicaux conservateurs veulent s’y opposer, nous ne pouvons pas les laisser nous arrêter.

Nous n’avons pas reculé d’un pouce dans notre campagne électorale socialiste pour vaincre cette tentative de révocation lancée par la droite, une campagne raciste soutenue par les grandes entreprises. Nous avons combattu les attaques sans fin des médias capitalistes, en particulier le Seattle Times.

Encore une fois, nous avons lutté contre les quantités massives d’argent des grandes entreprises. Un million de dollars. Je ne parle pas seulement de l’argent des Comités d’Action Politique (structures privées dont le but est d’aider ou de gêner des élus, ainsi que d’encourager ou de dissuader l’adoption de certaines lois, NdT), mais aussi des énormes sommes d’argent des entreprises qui sont allées directement à la campagne pour la révocation, avec plus de 500 riches républicains, 850 millionnaires, plus de 100 PDG et cadres supérieurs, de même que tout un Who’s Who du secteur de l’immobilier.

Nous avons surmonté les obstacles posés par la Cour suprême de l’État de Washington, qui a non seulement permis à cette campagne de révocation injuste de se poursuivre, mais a également retardé sa prise de décision de façon à permettre au vote de se tenir en décembre (entre Thanksgiving et Noël, la pire période pour la participation à une élection, NdT) afin de priver de leurs droits les travailleurs, les locataires et les personnes de couleur.

Et nous devons être clairs : la suppression des électeurs a eu un effet réel. En 2019, nous avons également eu une forte campagne pour inciter les gens à voter – bien qu’elle n’ait pas été aussi forte que cette fois-ci – et la participation a été de 60 % dans notre district. Cette fois-ci, elle n’est que de 53 %. S’il n’y avait pas eu de suppression flagrante d’électeurs, nous aurions gagné avec une marge bien plus importante. Le résultat n’aurait même pas été serré.

Mais même cette fois-ci, sous la pluie battante de décembre et lors d’une élection sans précédent en période de fêtes, le résultat de ce vote n’était PAS du tout serré en ce qui concerne les votes de la classe ouvrière, des personnes de couleur et des jeunes. Dans tous les bureaux de vote avec des majorités claires de travailleurs, nous avons remporté des marges massives. Y compris dans cette circonscription. Des majorités de 70%, 80%, et plus.

Ce fut vrai à chacune de nos élections. Les travailleurs soutiennent massivement nos politiques socialistes.

Cela s’est reflété non seulement dans le vote, mais aussi dans le fait que nous avons réuni 1.500 bénévoles ou encore dans notre collecte de fonds record.

Cette victoire n’aurait pas été possible sans l’énorme abnégation de nos bénévoles, des socialistes et des travailleurs. Nous avons fait campagne pendant des heures sous la pluie battante, dans le froid et les vents violents, au cours du mois de novembre le plus pluvieux de l’histoire de Seattle. Et ce n’est pas seulement leur sacrifice personnel, mais la clarté politique des idées socialistes qui a guidé tous leurs efforts pour remporter cette victoire historique pour la classe ouvrière.

En fin de compte, la suppression d’électeurs n’a pas suffi. Il n’est donc pas surprenant que le bureau éditorial du Seattle Times souhaite maintenant davantage de suppression d’électeurs à l’avenir, et n’hésite pas à adopter ouvertement cette position digne de Trump.

Si la classe dirigeante veut changer les lois de ce pays prétendument dans l’intérêt de la démocratie, elle devrait commencer par la loi de rappel de l’État. Ce système permet aux tribunaux de protéger les politiciens de l’establishment contre la révocation tout en ouvrant la voie à la révocation des politiciens de la classe ouvrière. Ils devraient faire en sorte que TOUS les politiciens soient soumis à un rappel démocratique, au lieu de cette parodie totale de démocratie qui vient d’avoir lieu.

Les démocrates progressistes ont perdu du terrain au conseil de ville. L’élection de Sara Nelson va enhardir les grandes entreprises. Elle sera l’excuse pour ces nombreux démocrates présents au Conseil qui veulent faire glisser la politique de Seattle vers la droite. Nous ne pouvons pas les laisser faire.

Il y a sans aucun doute d’énormes différences entre la socialiste que je suis d’une part, et les membres progressistes du conseil Teresa Mosqueda, Tammy Morales et Lisa Herbold d’autre part. Mais je leur demande instamment, ainsi qu’à notre bureau socialiste, d’agir de manière unie en tant qu’aile progressiste du conseil de ville pour lutter contre les attaques des grandes entreprises et passer à l’offensive en faveur des travailleurs.

Si l’objectif des démocrates progressistes était réellement de se battre sans ambiguïté pour les travailleurs, je les rejoindrais volontiers. Je les rencontrerais dès aujourd’hui pour élaborer une stratégie offensive en faveur du contrôle des loyers, de logements abordables pour toutes et tous ou encore pour combattre le racisme institutionnel dans cette ville.

Leur choix leur appartient. Et tous les mots doux et les fleurs de notre part ne les inciteront pas à agir de la sorte.

Si l’on se fie à l’histoire, les démocrates progressistes « wokes » vont plutôt s’allier à la nouvelle administration du maire Bruce Harrell et chercher à apaiser les grandes entreprises dans les mois à venir. C’est d’ailleurs déjà le cas. Le conseiller Mosqueda a honteusement rejoint l’équipe de transition du maire. Cela en dit long. Les autres démocrates progressistes donnent également toutes sortes d’indications qu’ils ont l’intention de suivre cette voie.

En tant que travailleurs, nous devons tirer les véritables leçons de ce combat.

L’une d’elles est que les démocrates du conseil de ville de Seattle ne sont pas de votre côté, ils ne sont pas du côté de la classe ouvrière. Au mieux, ce sont des libéraux progressistes wokes qui vous diront parfois ce que vous voulez entendre lorsqu’ils ressentent la pression de la rue, mais leur bouche relayera également la volonté des grandes entreprises.

Pas un seul des progressistes du conseil de ville, en fait pas un seul des huit démocrates, n’a prononcé un seul mot contre cette procédure de destitution de la droite en dépit de l’enjeu pour la classe ouvrière dans ce combat. Cela devrait vous dire tout ce que vous avez besoin de savoir sur eux.

Mais c’est plus que cela. Au lieu de se tenir aux côtés de nos mouvements, ils nous ont combattus à chaque étape du processus. Gonzalez et d’autres démocrates ont utilisé des moyens bureaucratiques pour tenter de mettre fin à notre mouvement en faveur de la Taxe Amazon l’année dernière (une taxe sur les multinationales présentes à Seattle de manière à subventionner des logements pour sans-abris et d’autres mesures liée au logement abordable, NdT). Il y a deux mois à peine, pas un seul de ces progressistes ne m’a soutenu, ne serait-ce que pour présenter notre projet de loi visant à faire payer aux patrons le stationnement des ouvriers du bâtiment, l’une des principales revendications de leur grève. En plus de cela, Gonzalez, en tant que président du Conseil, a menacé de me mettre en sourdine lors d’une réunion du Conseil en ligne. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres.

J’aimerais que ce ne soit pas vrai, mais ça l’est. Nous avons besoin de plus de socialistes au Conseil de ville pour se battre du côté des travailleurs. Et, plus important encore, nous devons construire nos mouvements de lutte. C’est ainsi que les choses changeront. Je sais que certains n’aiment pas entendre cela, mais c’est mon devoir politique de le dire.

Nous avons besoin d’unité, mais l’unité dont nous avons besoin est celle de la classe ouvrière, de la jeunesse et des personnes opprimées. Nous avons besoin d’unité avec toutes elles et ceux qui sont prêts à se battre pour que le logement soit un droit humain, pour un New Deal vert socialiste et pour mettre fin au racisme et au sexisme. L’unité avec l’establishment politique ne signifie qu’une chose : la trahison.

Si je devais tenir ma langue lorsque les politiciens démocrates trahissent les travailleurs, comme ils l’ont fait avec l’abrogation tout à fait honteuse de la première taxe Amazon en 2018, j’aurais moi-même trahi la classe ouvrière.

C’est ce que cela signifie quand on ne s’exprime pas. En choisissant ce qu’il faut dire et ce qu’il faut laisser de côté, un élu choisit un camp. Si je ne dénonçais pas les démocrates quand ils vendent les travailleurs, je deviendrais moi-même une partie du problème, une partie de la trahison.

Les démocrates présents au Conseil pourraient faire des choix différents. Je souhaite qu’ils le fassent, et j’espère qu’ils le feront, mais je ne retiens certainement pas mon souffle. Et vous ne devriez pas non plus. En fait, je vous appelle à arrêter de le faire. Il est temps d’agir. Il est temps de se battre pour le contrôle des loyers. Il est temps de reconstruire un mouvement ouvrier combatif. Il est temps d’avoir un système de santé pour tous. Nous avons du travail aujourd’hui, nous n’avons pas de temps à perdre à entretenir des illusions sur les politiciens acquis à la cause des patrons, même s’ils parlent bien. Ce que nous gagnerons ou ne gagnerons pas reposera sur l’unité que nous construirons au sein de la classe ouvrière. De cela dépendra la force de notre mouvement.

Mais les grandes entreprises ont pratiquement balayé les élections de novembre à Seattle et ont remporté de grandes victoires au niveau national. Pourquoi donc?

Alors que les grandes entreprises ont soutenu de tout leur poids les candidats de la « loi et de l’ordre », les démocrates progressistes ne sont pas parvenus à mener campagne autour des problèmes rencontrés par la classe ouvrière. Pourquoi des démocrates comme Lorena Gonzalez n’ont-ils rien offert à la classe ouvrière ? Pourquoi ne se sont-ils pas battus pour le contrôle des loyers, pour l’extension de la taxe Amazon pour construire des logements abordables, ou pour toute autre revendication de la classe ouvrière ? Pourquoi ont-ils laissé l’élection être définie par l’opposition de droite au mouvement Black Lives Matter? Pourquoi n’ont-ils pas dénoncé le soutien des grandes entreprises à leurs adversaires. Les grandes entreprises ont utilisé 2 millions de dollars pour acheter ces élections.

Si l’élection de Gonzalez s’est soldée par un échec, c’est parce qu’elle n’a jamais présenté de revendications combatives – elle a fait campagne sur la défensive – sans vouloir souligner que son adversaire était la candidate préférée des grandes entreprises. Et c’est parce qu’elle ne veut pas se mettre à dos ces grandes entreprises précisément.

Le parti démocrate n’est pas un parti de la classe ouvrière mais plutôt un parti des milliardaires. Même son aile progressiste veut en fin de compte faire la paix avec les grandes entreprises. Elle se limiter à apporter des changements largement symboliques dans le cadre du statu quo.

Les démocrates sont évidemment différents du parti républicain, de plus en plus franchement réactionnaire. Mais cela ne suffit pas.

Je suis une marxiste. C’est-à-dire que je suis une socialiste scientifique. Cela signifie que je ne m’engage pas dans les vœux pieux ou l’impressionnisme politique qui sont le fonds de commerce des progressistes libéraux. Je me base – comme tous mes camarades de Socialist Alternative – sur la réalité matérielle, sur le matérialisme historique – qui est l’étude de l’histoire à travers une lentille scientifique. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas tirer les leçons des erreurs et des victoires passées de la classe ouvrière. Nous n’avons tout simplement pas le temps de le faire.

L’une des conclusions tirées par Karl Marx dans son étude de la lutte des classes est que la classe ouvrière a besoin de son indépendance politique, de ses propres candidats et de son propre parti politique. Elle ne peut partager son parti politique avec les capitalistes.

Et il est grand temps que nous dressions le bilan du parti démocrate, qui est un parti raté, pourri de part en part. Il n’a jamais été le parti des travailleurs. Le New Deal de Roosevelt est né de l’action d’un mouvement ouvrier combatif, guidé par des socialistes et des idées socialistes, qui ne lui a laissé aucun autre choix que d’agir. Roosevelt a dit aux capitalistes de son époque : « Je suis le meilleur ami du capitalisme américain ».

Nous avons juré de mettre sur pied la plus grande campagne de mobilisation électorale que Seattle ait jamais connue, et c’est exactement ce que nous avons fait. Mais nous n’avons pas fini. Il y a maintenant environ 600 votes qui ont été contestés, en raison de signatures manquantes ou qui ont été laissés incomplets par inadvertance. Notre campagne va mener l’effort nécessaire pour s’assurer que le vote de chaque travailleur compte dans cette élection, tout comme nous nous sommes battus pour le faire ces dernières semaines. Nous allons commencer cette campagne de protection des électeurs aujourd’hui, juste après cette conférence de presse.

Nous avons maintenant devant nous une réelle opportunité de gagner le contrôle des loyers. Cette victoire témoigne de l’énorme soutien dont bénéficie le contrôle des loyers dans ce district, à Seattle et au-delà. Nous avons recueilli plus de 15.000 signatures cet été pour le contrôle des loyers, alors que nous étions déjà engagés dans cette procédure de révocation de la droite. Nous devons passer à l’offensive l’année prochaine pour que cela se produise. Comme notre victoire à la réélection de 2019 a créé l’élan dont nous avions besoin pour gagner la taxe historique sur Amazon, la défaite de la droite dans cette procédure de destitution représente un vent dans nos ailes pour faire passer cette législation à Seattle et l’imposer aux démocrates.

Enfin, j’ai un message pour les travailleurs. Cette victoire vous a été apportée par les idées politiques et la clarté de Socialist Alternative, comme l’ont été toutes nos victoires électorales passées, comme l’ont été le salaire minimum à 15 dollars de l’heure, la taxe Amazon et les droits obtenus pour les locataires. Point final. Si vous voulez sérieusement vous battre pour obtenir des gains pour les travailleurs, vous devriez sérieusement envisager de rejoindre Socialist Alternative. Vous le devez à vous-même, vous le devez à la classe ouvrière.

Si une petite organisation socialiste révolutionnaire peut battre les entreprises les plus riches du monde ici à Seattle, encore et encore, vous pouvez être sûrs que la force organisée de la classe ouvrière au sens large peut changer la société.


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