Un mouvement héroïque d’agriculteurs impose des concessions au gouvernement

Le Premier ministre indien Modi, du parti de droite conservateur BJP, a annoncé de manière inattendue l’abrogation de trois lois contestées réorganisant l’agriculture. Les trois lois étaient en suspens suite à une décision de la Cour suprême. À l’approche des élections dans l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé de l’Inde actuellement dirigé par le BJP, et face à une contestation sociale croissante, le gouvernement a choisi d’abroger les trois lois. Cela montre le potentiel d’une protestation déterminée des agriculteurs, soutenue par une large solidarité de la classe ouvrière. Voici une réaction de Nawaz, notre correspondant en Inde.


Après près d’un an de protestation des agriculteurs – leur plus grande mobilisation en Inde depuis plus d’un demi-siècle! – le gouvernement autoritaire de droite de Narendra Modi a finalement cédé aux exigences des agriculteurs…

Cette réalisation capitale illustre quel est le pouvoir de la lutte et l’effet que peut avoir un mouvement à grande échelle. Mais il faut toutefois reconnaître que ces réalisations ont leurs limites.

Cette victoire a été obtenue de haute lutte. Plus de 750 agriculteurs ont perdu la vie durant ce combat. Leurs familles attendent toujours une justice qu’elles espèrent peu. À l’approche de l’une des élections législatives d’Etat les plus polarisées et les plus importantes, le gouvernement a tenté de séduire les électeurs, mais les agriculteurs sont restés inflexibles. L’érosion de leur niveau de vie depuis des décennies nécessite non seulement l’arrêt des attaques contre ce secteur, mais aussi une réorganisation complète de l’agriculture et de l’approvisionnement alimentaire.

Les médias de droite mis à mal

Pendant des mois, les médias indiens, totalement partiaux et orientés à droite, ont bombardé le public d’allégations sans fin et sans fondement par le biais de leur propagande diffusée 24 heures sur 24. Ils tentaient de détourner la responsabilité du gouvernement mais leurs manœuvres se sont retournées contre eux.

Après les événements du Jour de la République à Delhi, ces médias ont qualifié les agriculteurs de « Khalistani » (séparatistes sikhs) ou d’extrémistes religieux. Ils ont essayé d’affaiblir la solidarité de classe qui se développait et le soutien d’autres couches de la société à la cause des agriculteurs. À leur grande déception, tout cela a été vain. Dans une démonstration totale d’hypocrisie et en désespoir de cause, ces mêmes chaînes de droite retirent de Youtube leurs vidéos précédemment postées. Cela démontre toute la mollesse des médias en Inde et la mesure dans laquelle ils ont vendu l’âme du journalisme indien à la classe dirigeante.

Respect de la volonté du peuple ou opportunisme pour des gains politiques?

Cette hypocrisie flagrante ne concerne pas seulement les médias, mais aussi le gouvernement. De nombreux partisans de Modi ont présenté ce dernier comme le « tribun du peuple » après qu’il ait abrogé les lois contestées. Pourtant, Modi reste sourd aux cris des familles des agriculteurs qui ont perdu la vie à cause de la violence policière soutenue par l’État.

Il ne faut pas non plus oublier que cette victoire n’a pas été donnée aux agriculteurs par sympathie, elle a été gagnée par leurs sacrifices. Le fait que le BJP (le parti de droite nationaliste hindou de Modi) tente de cacher ce fait est une preuve de sa vulnérabilité. La principale raison pour laquelle Modi a décidé de retirer les lois agricoles est que les élections de l’assemblée législative de l’Uttar Pradesh auront lieu dans trois mois et que le BJP au pouvoir est à la traîne dans les sondages. L’Uttar Pradesh est l’État indien le plus peuplé et, avec plus de 80 sièges au Parlement, le plus important sur le plan politique. Des élections sont également prévues au Pendjab, où le BJP est traditionnellement très faible. Le mouvement des agriculteurs a joué un rôle majeur dans ces deux États.

Les agriculteurs restent fermes

Le gouvernement a sous-estimé les agriculteurs il y a un an et il continue à le faire aujourd’hui. Il s’attend à ce que les agriculteurs ne soient pas conscients de ses intentions politiques cachées. Les agriculteurs ont décidé d’aller de l’avant avec leur grève générale nationale prévue pour la semaine prochaine (cet article a initialement été publié le 26 novembre sur internationalsocialist.net, NdT). Au grand désespoir du gouvernement, on s’attend à ce que des foules immenses viennent soutenir les agriculteurs, inspirées par le fait que le gouvernement commence à plier sous la pression politique.

Les syndicats prévoient des manifestations dans tout le pays le 26 novembre et une grève générale de deux jours en 2022 lors de l’examen du budget fédéral. Les agriculteurs participeront à ces actions. On s’attend à ce qu’ils fassent pression sur le gouvernement pour qu’il accepte leurs demandes restantes, comme déclarer le MSP (Minimum Support Price) comme une monnaie légale et rendre justice aux 750 agriculteurs morts lors des manifestations. Cette action devrait avoir un impact profond sur les prochaines élections d’État qui doivent avoir lieu dans les États dominés par l’agriculture.

L’avenir du mouvement

L’une des forces de ce mouvement, dont beaucoup d’autres peuvent s’inspirer, est la détermination avec laquelle la manifestation a été menée pendant des mois. Même dans les moments difficiles (chaleur extrême, Covid19, violence de la droite…), la protestation a continué. Même après l’annonce par Modi de l’abrogation des trois lois, les organisations d’agriculteurs ont continué à appeler à manifester. Une telle persévérance dans la lutte est importante: elle montre aux masses que la lutte est prise au sérieux. Et elle donne des résultats.

Associée à un plan d’action allant crescendo et visant explicitement à mobiliser des sections plus larges de la population, en particulier le soutien de la classe ouvrière, et doté d’un programme politique de changement de système, cela conduirait à davantage de victoires. L’abrogation des trois lois peut renforcer la grève générale annoncée des syndicats. Elle établit l’idée que la lutte est payante, même contre un gouvernement particulièrement réactionnaire. Cela montre toute l’importance d’un mouvement déterminé.

Alors que le mouvement des agriculteurs a tendance à être centré sur ses propres revendications, la large solidarité de la classe ouvrière a renforcé la protestation. Inversement, la protestation des agriculteurs a inspiré la grève générale de décembre 2020. Avec l’agitation sociale à nouveau en hausse, résultat des politiques ratées de Modi sur tous les fronts (approche mortifère de la pandémie, crise énergétique, problèmes sociaux croissants), la clé sera de renforcer cette solidarité avec un programme de transformation socialiste de la société. Tant que le capitalisme survivra et que la classe dirigeante restera au pouvoir, elle continuera à nous opprimer.

Un monde différent est possible, et une alternative existe. Dans une économie socialiste planifiée démocratiquement, les agriculteurs et les autres travailleurs auront la liberté de gérer le système pour le bien commun grâce à un système reposant sur les besoins du peuple. Cette victoire des agriculteurs est une petite, mais importante bataille remportée dans la longue guerre contre le capitalisme. Nous, les travailleurs, devons nous unir dans la lutte, en utilisant des mouvements comme celui-ci comme exemple pour renverser la tyrannie du capitalisme et libérer les masses.


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