Un juge critique la GRC à Fairy Creek

La Cour suprême de la Colombie-Britannique a fait les manchettes en septembre en décidant de ne pas allonger une injonction envers les manifestant·es contre l’exploitation des forêts anciennes dans le bassin hydrographique de Fairy Creek. Cela aurait mis fin à l’application de l’injonction par la GRC si la Cour d’appel de la Colombie-Britannique n’avait pas accordé une injonction temporaire environ une semaine plus tard. Des manifestant·es sont présent·es dans la région et ont érigé des blocus depuis août 2020. Ces blocus sont organisés par le mouvement Rainforest Flying Squad et ont pour but d’empêcher l’entreprise forestière, Teal Jones, d’accéder au bassin versant. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a accordé l’injonction initiale contre les manifestant·es en avril 2021, que la GRC a été chargée d’appliquer.

La GRC a été agressive et violente dans l’application de l’injonction. Diverses vidéos ont été diffusées, l’une montrant des agents de police utilisant du gaz poivré à bout portant dans une foule, l’autre montrant des agents de police arrachant les masques COVID de deux femmes avant de les vaporiser de gaz poivré. Des journalistes et d’autres témoins ont rapporté avoir vu des gens être traînés, étranglés, battus et frappés par la police. Un témoin a dit avoir vu un policier prendre une femme par les cheveux et vaporiser du gaz poivré dans sa bouche. À la fin de septembre, plus de 1 100 personnes avaient été arrêtées par la police, dépassant ainsi le sommet des manifestations War in the Woods dans la baie Clayoquot au début des années 1990.

La GRC est même allée jusqu’à restreindre l’accès des journalistes au site en imposant des « zones d’exclusion », à compter de mai. Cette politique éhontée de la GRC visant à empêcher la couverture de leurs propres activités a été contestée par l’Association canadienne des journalistes et une coalition de médias indépendants. En juillet, un juge provincial a rendu une décision en faveur des journalistes, décidant que les vastes zones d’exclusion établies par la GRC n’étaient pas « raisonnablement nécessaires » pour qu’ils puissent faire leur travail.

Le juge Douglas Thompson a cité la brutalité policière dans sa décision de ne pas prolonger l’injonction. Tout en reconnaissant que le fait de ne pas proroger l’injonction pourrait nuire aux intérêts financiers de Teal Jones, il a soutenu que ceux-ci étaient en fin de compte surpassés par « l’intérêt public de protéger le tribunal contre le risque de dépréciation supplémentaire de sa réputation ». La décision de ne pas prolonger l’injonction malgré la violation des droits de propriété de Teal Jones a surpris de nombreux militants et militantes, mais elle a été de courte durée. Environ une semaine plus tard, Teal Jones réussit à convaincre le juge Sunni Stromberg-Stein de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique d’accorder une injonction temporaire tandis que la société forestière continue de faire appel de la décision du juge Thompson. Teal Jones s’est plaint du « préjudice irréparable » causé par la levée de l’injonction, ce que Stromberg-Stein a accepté. Quoi faire des « dommages irréparables » causés au territoire boisé!

Alternative socialiste a salué la décision de ne pas renouveler l’injonction, ce qui aurait mis fin au prétexte de la GRC d’être là et d’attaquer les manifestant·es. Mais même si l’injonction avait expiré conformément à la décision du juge Thompson, cela n’aurait pas été justice rendue. Une véritable justice reviendrait à réparer les dommages déjà causés : annuler les 1100 arrestations, rembourser toutes les amendes et effacer tous les casiers judiciaires. La GRC devrait verser des dommages-intérêts aux personnes qui ont été blessées ou dont les effets personnels ont été détruits par la police. Les officiers supérieurs responsables devraient être poursuivis pour voies de fait. Toutefois, la décision du juge Thompson semblait surtout viser à protéger la réputation de la cour plutôt qu’à rétablir la justice.

Bien que nous condamnons sans équivoque la brutalité policière contre les manifestant·es, nous devons noter que ces dernier·es ne sont pas totalement bien accueilli·es par les dirigeants et dirigeantes officielles de la Première Nation Pacheedaht. Le conseil de bande (élu du système colonial), y compris le chef Jeff Jones, ont demandé publiquement aux manifestant·es de partir et de permettre à la nation de décider comment elle aimerait participer à la gestion de la vieille croissance forestière sur son territoire. Il y a une conversation continue au sein de la nation sur la situation. Frank Queesto Jones, le chef héréditaire reconnu par les dirigeants élus, s’est joint à l’appel pour demander aux manifestant·es de partir (Remarque : Le statut de chef héréditaire de Frank Queesto Jone est contesté par certains au sein de la nation). D’autres, comme l’aîné Bill Jones, ont publiquement accueilli les protecteurs.

Comme nous l’avons souligné dans un article précédent, les dirigeantes et dirigeants de la Première nation se trouvent dans une position très difficile en ce qui concerne la gestion de leurs ressources naturelles. Ils sont chargés d’assurer un niveau de prospérité et de qualité de vie à leurs membres, mais ils sont obligés de le faire dans les limites d’un État capitaliste colonial, qui a constamment sous-financé leurs services, leurs maisons, leurs écoles, etc. Ils sont confrontés à toutes les contradictions et aux incitations perverses inhérentes à ce système économique.

En juin, la Première Nation des Pacheedaht, ainsi que les Premières Nations voisines des Ditidaht et des Huu-ay-aht, ont conclu une entente avec le gouvernement provincial afin de reporter de deux ans l’exploitation de toutes les forêts anciennes de Fairy Creek. Il est clair que les nations et la Province espéraient que cette mesure permettrait de désamorcer la situation lors des blocus et de convaincre les manifestant·es de rentrer chez eux. Cependant, les blocus n’ont pas été levés. Cela s’explique en partie par le fait que le report n’a affecté que l’exploitation forestière de vieilles pousses du bassin versant du ruisseau Fairy, et Teal Jones avait pleinement l’intention de poursuivre les activités forestières dans des régions voisines.

Selon une étude menée en 2020, seulement 3 % des forêts de la Colombie-Britannique sont encore capables de soutenir de vieux arbres, et seulement 2,7 % des arbres sont réellement vieux (c’est-à-dire 250 ans ou plus). Cela signifie que la « gestion » capitaliste des forêts a éliminé la quasi-totalité de la croissance ancienne dans la province et, ce faisant, a laissé les forêts dans un état qui ne leur permettra pas de se renouveler. Une chose est claire : il ne devrait pas être nécessaire de choisir entre protéger les forêts anciennes et assurer la prospérité économique des membres de la nation pacheedaht. C’est seulement à cause de l’imposition violente du système économique colonial et capitaliste du Canada que la nation est forcée de faire ce genre de calculs.

Le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique, pour sa part, a hâte d’être vu en train de s’engager dans des accords de « partage des profits » avec les Premières Nations, considérant que cela fait partie de son engagement à respecter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Mais cela ne fait que démontrer l’incapacité du parti social-démocrate à voir au-delà de l’horizon du système capitaliste et à fournir un véritable leadership pour protéger et préserver les forêts anciennes.

Socialist Alternative appelle à la fin de la marchandisation des forêts et à la préservation de toutes les anciennes forêts restantes. La coupe des arbres pour le bois d’œuvre devrait être gérée démocratiquement. Elle devrait aussi assurer la santé à long terme des forêts et être utilisée au profit de la communauté plutôt que d’être vendue pour faire des profits pour les détenteurs de permis. Nous appuyons le droit à l’autodétermination pour toutes les nations autochtones et le droit des nations de contrôler les terres et les ressources sur leur territoire traditionnel. L’État canadien est responsable de la perte de terres et de moyens de subsistance des peuples autochtones causée par des centaines d’années d’expansion capitaliste coloniale.


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