Entrevue : Lutter contre la pollution atmosphérique à Québec

Les projets Laurentia et GNL-Québec ont reçu du plomb dans l’aile durant la dernière année. Mais les nouveaux projets d’infrastructure dans la capitale menacent toujours la qualité de l’air de la ville. Alternative socialiste a rencontré Guillaume Plante, diplômé en surveillance et prévention en santé publique, pour discuter des impacts négatifs que causeront les grands projets polluants mis de l’avant par la ville de Québec et le gouvernement provincial.

La qualité de l’air intérieur des écoles et des hôpitaux est devenue un sujet chaud l’automne dernier, en raison de la transmission par aérosols du coronavirus. Cette question n’est d’ailleurs toujours pas réglée. L’air peut aussi entraîner des problèmes de santé chroniques (cancers, problèmes respiratoires, décès prématurés, etc.) lorsqu’il est pollué par des particules fines, de l’ozone troposphérique (O3), du dioxyde d’azote (NO2), du monoxyde de carbone (CO), etc. 

Malgré les reculs des projets Laurentia et GNL-Québec, la Coalition avenir Québec (CAQ) continue de pousser pour son 3e lien. Elle pense aussi multiplier par 5 la limite de concentration de nickel permise dans l’air. Elle passerait de 14 à 70 nanogrammes par mètre cube d’air, ce qui ne plaît pas aux conseils de quartier ainsi qu’aux résidents et résidentes des quartiers qui seraient touchés directement. Une pétition contre cette hausse a récemment recueilli 1 500 signatures.

Nous avons voulu en savoir plus sur la situation de la qualité de l’air avec Guillaume Plante, qui a travaillé à l’Observatoire québécois de l’adaptation aux changements climatiques (OQACC) à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval.

Alternative socialiste (AS). Quels projets menacent la qualité de l’air en ce moment?

Guillaume Plante (GP). Les enjeux les plus d’actualité sont effectivement ceux qui ont le plus d’impact sur les écosystèmes, comme le pipeline au Canada ou GNL Québec. GNL Québec est une priorité en ce moment, même si le gouvernement du Québec a fermé la porte, car les promoteurs continuent à pousser leur projet. Plus localement, on a le 3e lien, un énorme projet d’investissement d’infrastructure en termes de cash et d’ampleur du projet sur le territoire.

Idéalement, aussi, il faut se mobiliser au sujet des particules fines à Québec, particulièrement réglementer les émissions de particules fines. Par exemple, les poussières rouges qui proviennent du port de Québec.

AS. Est-ce que la santé publique est consultée lorsque ce genre de projets est proposé?

GP. Ça se passe généralement en différentes étapes. Le problème, c’est que les commandes qu’on leur fait, les questions qu’on leur pose, les rapports qu’on leur demande, ce n’est pas eux qui les choisissent. Ce n’est pas l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) qui regarde la littérature et dit au gouvernement «voici ce qui pourrait vous intéresser le plus». C’est plus à l’envers que ça se passe. Par exemple, «on veut faire un 3e lien, qu’est-ce que ça va faire sur la santé, selon la littérature?»

Le gouvernement a l’air de vouloir aller là-dedans même s’il n’a fait aucune demande d’impact et de justification des besoins. Il a quand même déposé 135 millions $ pour le bureau de réalisation du projet, mais pas celui d’évaluation. Ça en dit long de la position actuelle.

Autre exemple pendant la pandémie: la santé publique, au niveau de l’INSPQ, a fait d’excellentes recommandations. Le ministère de la Santé a pris ça et a fait des recommandations beaucoup plus adoucies au gouvernement. Et le gouvernement a décidé de prendre à peu près 22% des recommandations en les changeant pour faire des économies.

AS. À quoi tous ces projets peuvent-ils nous mener?

GP. À Québec, on a en moyenne un épisode de chaleur extrême tous les 4 ans. Ils font des vagues de morts dans les maisons de personnes âgées et des populations plus vulnérables. D’ici à 2035 à 2050, on prévoit en avoir une moyenne de 4 par année. On multiplie par 16 le nombre d’épisodes. Je ne passerai pas par tous les détails, mais on passerait d’une augmentation linéaire à une augmentation exponentielle de la gravité des dangers. Et rappelons-nous que nous avons une population vieillissante, plus vulnérable à la chaleur.

Les îlots de chaleur jouent un très grand rôle là-dedans. Dès qu’on a des arbres, des espaces verts, des parcs ou une zone d’eau, la réduction est énorme. Mais surtout, on voit toujours la différence du côté du milieu socio-économique, c’est-à-dire la différence entre les quartiers riches et les quartiers pauvres. Mais, comme le diraient Carl Sagan et plusieurs scientifiques des changements climatiques, les gaz à effet de serre n’ont pas de passeport. Ils ne sont pas liés à une circonscription électorale. Ils ne sont pas au municipal, au provincial, au fédéral, à l’international, ils s’en foutent. Quand tu pollues et que tu réduis la capacité d’absorption au centre-ville, tu affectes aussi Sillery et Montcalm. Normalement ça devrait leur sonner une cloche parce que c’est là qu’habitent les médecins, les avocats, les gens de la classe politique. Tout le monde est affecté par ça.

Prenons Laurentia, par exemple. Au niveau de l’impact que ça aurait eu sur le Saint-Laurent au niveau des émissions de gaz à effet de serre, ça aurait fait diminuer la capacité d’absorption de notre environnement aux changements climatiques. En revanche, ces changements climatiques augmentent et nous font encore plus mal, encore plus vite. 

Quand on regarde le 3e lien, on prévoit l’augmentation du trafic entre Lévis et Québec et donc une augmentation des GES. Ça, c’est sans compter que ça va coûter très cher en béton, matière qui a un énorme coût écologique.

On a déjà des études qui proviennent de partout dans le monde qui nous montrent que si ce modèle-là est continué, il n’y a aucune raison de croire qu’on va sortir de la tendance aux risques sur notre santé, notamment au niveau du stress et de la pollution.

AS. À quoi ressemble la qualité de l’air à Québec en ce moment?

GP. Au cours des 50 à 70 dernières années, on a amélioré la qualité de l’air en réduisant les émissions des entreprises. Maintenant, on voit le smog réapparaître à Québec et à Montréal. Ce n’est pas tant en raison des émissions des entreprises, mais en raison de celles des voitures. 

À Québec, tout ce qu’on a réussi à absorber et résorber en 30 ans d’efforts en polluants industriels et en gaz à effet de serre a été remplacé par les émissions automobiles, en particulier des VUS. Leur augmentation dans le parc automobile a augmenté significativement. Maintenant, le plus grand responsable, le coupable, c’est le tout-à-l’auto. Plus on ajoute de l’espace de routes et d’espaces de stationnement et d’accommodement, plus ça a un gros impact en général.

AS. Quelles sont les solutions aux problèmes de la qualité de l’air dans lesquelles les gouvernements pourraient investir?

GP. Le but, c’est de non seulement de limiter, mais de commencer à retirer les espaces qui sont considérés urbains, industriels, tout ce qui est route, tout ce qui est stationnement. Si on est capables de cesser l’hyperexpansion, si on est capables d’améliorer la densification – généralement – non seulement on réduit les coûts pour les villes, mais on augmente la réponse du filet social et la rapidité des services d’urgence comme les pompiers, les ambulances et les services de crise.

On peut aussi augmenter la présence végétale dans les lieux urbains. Il faut augmenter la capacité d’absorption dans les villes. Les toits verts sont une excellente solution! Il faut juste une adaptation au niveau ingénierie pour avoir des toits qui soient solides, résistants.

On peut aussi réduire les émissions de nos industries et de nos véhicules, les rendre verts, les rendre électriques. S’assurer qu’on ne les alimente pas par des énergies fossiles comme le pétrole et le charbon. Aller vers le nucléaire, l’éolien, l’hydroélectrique, le géothermique, le solaire.

AS. Quelles sont les solutions en termes de transports?

GP. Qu’on continue de développer le parc automobile au niveau de l’électrification des transports – c’est même maintenant le nom du ministère – c’est une petite progression. Il faut maintenant que les bottines suivent les babines.

On peut mieux investir dans les transports en commun. Le réseau structurant de la ville de Québec bonifie l’offre. Pour la desserte Québec-Lévis, à la limite, un téléphérique pour la desserte entre les deux centres-ville serait une meilleure idée que ce qu’il y a actuellement sur la table. On parle d’à peu près 100, 150 millions de dollars pour le faire, l’équivalent qu’on a mis pour le bureau de réalisation du projet du potentiel 3e lien.

Ensuite, il faut contrer et très sérieusement adresser le problème des VUS. Ces voitures-là ne sont pas particulièrement utiles dans le parc automobile. C’est juste qu’à l’hiver, on se sent plus en sécurité dans ces véhicules-là, mais ça a un énorme coût.

À Québec, on est une des plus grosses villes construites avec une très faible proportion de pistes cyclables qui connectent bien les quartiers. On a beaucoup de pistes cyclables, mais elles semblent faites pour les touristes. Elles contournent la ville, aucune ne la traverse, particulièrement pas sur l’axe de la Couronne jusqu’à Limoilou.

On sait maintenant qu’à l’échelle mondiale, la part d’investissements pour les projets en énergies renouvelables est plus rentable que les énergies fossiles dans un ratio de 2 contre 1. Des solutions à la qualité de l’air, on en a plusieurs!


Guillaume Plante nous propose des moyens pour avoir une meilleure qualité de l’air: stopper les grands projets polluants, mettre en oeuvre un aménagement du territoire plus vert, densifier et reverdir les villes, électrifier les véhicules, réduire la pollution causée par l’auto solo, légiférer sur les contaminants atmosphériques, entre autres.

Nous avons réussi à bloquer des grands projets comme Laurentia et GNL Québec grâce à une bonne mobilisation. Cela dit, notre objectif n’est pas de bloquer des projets capitalistes et polluants jusqu’à la fin des temps. Il s’agit plutôt d’organiser les travailleurs, les travailleuses et la jeunesse contre les différents gouvernements qui défendent ces projets pour qu’à terme, les décisions prises répondent réellement à nos besoins.

Mais cet objectif ne peut pas être atteint dans le cadre d’une économie de marché capitaliste gouvernée par des partis politiques qui veulent uniquement la rendre «moins» catastrophique. L’État capitaliste et les grands capitalistes n’ont aucun intérêt à passer dès maintenant à une économie verte qui offre des emplois syndiqués de qualité dans des secteurs dont la production est gérée selon les besoins des différents écosystèmes. Il y a encore trop de profits à faire! 

Nous en avons la preuve quand on regarde le secteur automobile et autoroutier. Si une fraction des ressources investies dans ce secteur l’était dans le transport collectif, on pourrait se doter d’un transport en commun urbain et interurbain efficace et gratuit partout au Québec. On pourrait s’attaquer concrètement aux problèmes de qualité de l’air. Si on veut que ça se concrétise, la classe ouvrière et la jeunesse doivent prendre le pouvoir!


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