Se battre pour l’environnement

Ce texte est la traduction d’un chapitre du livre Global Warning de Bill Hopwood, paru en 1996 et entièrement disponible en ligne sur le site de notre section américaine. Le texte est centré sur la Grande-Bretagne et les chiffres mentionnés reflètent la situation dans les années 1990. Cela dit, depuis la parution de ce texte, la situation climatique a empiré, et les méthodes de lutte inefficaces pour transformer la société ont continué d’être très présentes. Dans ce chapitre, Hopwood présente 6 tactiques générales très fréquentes dans le milieu environnementaliste et leurs limites.  

Des dizaines de millions de personnes se battent autour du monde pour protéger l’environnement. Rien qu’en Grande-Bretagne, on estime à quatre millions le nombre de membres de divers groupes environnementaux. Les socialistes se réjouissent de cette participation de masse – l’implication d’un grand nombre de personnes est essentielle à la lutte pour sauver la planète et changer la société. Cependant, nous devons également examiner et, si nécessaire, critiquer les tactiques, les stratégies ou les actions des différentes campagnes pour assurer d’avoir les plus grandes chances de succès. 

L’implication va des personnes âgées de la classe moyenne qui donnent de l’argent au National Trust, aux militant·es les plus engagé·es dans le mouvement contre la construction d’autoroutes. Elle va aussi des petites campagnes communautaires sous-financées contre les décharges de déchets toxiques, aux grandes organisations environnementales nationales et internationales, telles que Friends of the Earth et Greenpeace. L’organisation internationale de ces deux groupes avait un revenu conjoint de 131 millions $ US en 1994/5 et employait 65 militant·es à temps plein rien qu’en Grande-Bretagne (Independent on Sunday, 10/9/95; Independent, 6/11/95). De nombreuses autres organisations, qui n’ont pas été spécifiquement mises sur pied uniquement pour faire campagne sur les questions environnementales, sont également impliquées – par exemple, les syndicats GMB et Transport and General WorkersUnion (TGWU). Les syndicats ont été à l’avant-garde des campagnes contre les matériaux toxiques et les pratiques agricoles dangereuses et dommageables.

L’énorme divergence et variation dans ces vastes mouvements environnementaux signifie qu’il y a de grandes différences d’opinion entre ces organisations et au sein d’elles. 

Par exemple, de nombreux groupes ont une approche pacifiste et légale de campagne, tandis que d’autres s’orientent plus vers l’action directe. Certains petits groupes revendiquent le sabotage et même le terrorisme individuel pour faire avancer leurs objectifs. La divergence sur le plan des politiques est encore plus grande. Certains groupes environnementaux ont des liens avec l’extrême droite, le mysticisme et les cultes religieux, tandis que d’autres sont impliqués dans des actions conjointes avec des groupes socialistes et des communautés locales.

De nombreux groupes environnementaux sont fondés sur des «réseaux», plutôt que sur les structures formalisées des syndicats, des partis politiques, etc. Bien que cela puisse promettre de nombreux avantages en termes de mobilisation des militant·es pour les activités de terrain, cela peut aussi signifier qu’il y a peu de contrôle démocratique sur les gens qui finissent par devenir les porte-parole sur les médias nationaux. Earth First! comprend maintenant un grand nombre des activistes les plus compétent·es et les plus engagé·es de Grande-Bretagne et joue un rôle important dans de nombreuses manifestations environnementales. Mais ses principaux porte-parole ont un passé controversé. Dave Foreman (l’un des dirigeants du groupe américain), parlant de la famine de 1985 en Éthiopie, a déclaré que «la meilleure chose serait de laisser la nature chercher son propre équilibre, de laisser les gens là-bas mourir de faim». Sans contrôle sur ses portes paroles, les dirigeants peuvent faire des commentaires comme celui-ci sans conséquences.

Les socialistes et la grande majorité des environnementalistes rejetteraient complètement ces absurdités réactionnaires. Celles-ci font directement écho à la propagande des patrons selon laquelle il y a un problème de «surpopulation» et laissent les gens qui sont majoritairement responsables du problème se tirer d’affaire. Toute tactique basée sur une telle perspective sera infructueuse et affaiblit la lutte pour une société socialiste.

Cependant, la majorité des personnes impliquées dans les groupes environnementaux et les manifestations d’aujourd’hui veulent voir des changements radicaux. Les socialistes veulent travailler avec ces groupes là où nous partageons des objectifs communs, comme l’arrêt d’une de la construction d’une route, la défense d’une zone de loisirs ou d’un parc contre des promoteurs.

Pollok (Écosse) contre le M77

La tendance Militant (la section soeur d’Alternative socialiste qui travaillait notamment au sein du Labour Party) a été active dans une campagne à Pollok, en Écosse, contre la construction de l’autoroute M77. Celle-ci allait détruire des forêts anciennes et ajouter de la pollution aux secteurs résidentiels locaux.

Le bulletin Do or Die numéro 5 de Earth First! décrit certaines des activités. Le jour de la Saint-Valentin en 1995, la police essayait de fermer le camp de protestation pour permettre aux bulldozers de tour raser:

Ce qui s’est passé le jour de la Saint-Valentin, ainsi que la participation du groupe Militant local, a grandement changé l’image de la situation et a commencé à accélérer la radicalisation des collectivités avoisinantes. À 6 heures du matin, 300 policiers et agents de sécurité ont encerclé le camp et placé des barrages routiers… bloquant la zone. Le réseau de contacts téléphoniques s’est soudainement arrêté. 

La nouvelle de ces événements s’est répandue. 100 enfants sont sortis de leurs cours, se sont mis en chemin vers le camp, ont franchi les lignes de police et ont sauvé la majeure partie du camp. 26 agents de sécurité ont démissionné ce jour-là en refusant d’être des traîtres de classe. L’un d’eux a dit : “J’ai une femme et quatre enfants à nourrir, mais je préférerais retourner au chômage plutôt que cela.” L’organisation Militant a été centrale pour convaincre plusieurs agents de sécurité de quitter, puisqu’ils étaient connus de la région avoisinante.

Les élèves ont commencé à organiser leur propre syndicat et trois écoles ont commencé à participer à la manifestation.

La campagne Non à l’autoroute M77 a permis de faire de l’alliance entre les verts et les rouges une réalité. De nombreux environnementalistes ont commencé à voir la campagne au-delà des termes purement moraux et ont vu les implications sociales et de classe de cette lutte.

Militant fait partie intégrante du vaste mouvement écologiste. Nous avons été des partisans enthousiastes de la création d’alliances socialistes, à travers lesquelles différents groupes socialistes et environnementaux peuvent travailler ensemble. De nombreuses questions tactiques et politiques seront clarifiées et résolues dans les débats de ces réunions et, plus important encore, par des activités conjointes. Il est important que la discussion, la critique et même les désaccords sur diverses campagnes, stratégies et tactiques se déroulent de manière ouverte et amicale, dans l’intérêt de l’élaboration de buts et de méthodes clairs et essentiels à la victoire.

Tactique 1 : «Pouvoir du consommateur»? Boycott des consommateurs?

Le Guide du consommateur vert (The Green Consumer Guide) s’est vendu à plus de 250 000 exemplaires en moins d’un an en 1988-1989. Il s’est hissé au sommet des listes de best-sellers avec ses conseils sur la façon d’utiliser le «pouvoir d’achat» pour influencer les entreprises et les gouvernements en achetant des produits «écologiques».

Les produits ‘verts’ sont maintenant des marchandises lucratives. The Economist a récemment dévoilé (3/6/95) que «de nombreuses entreprises ont découvert que les lois environnementales peuvent être bonnes pour le profit – soit en créant de nouveaux marchés ou en protégeant les anciens». Combien de personnes qui paient ce petit montant additionnel pour une poudre à laver avec «biodégradable» écrit partout sur l’emballage en grandes lettres vertes se rendent compte que toutes les poudre à laver au Royaume-Uni dépassent les normes de l’UE sur la biodégradabilité? Dans son rapport au mois de mars 1996 intitulé Green Claims, le Conseil national de la consommation a signalé que les allégations concernant la performance environnementale sont souvent «trompeuses, dénuées de sens ou carrément malhonnêtes». Ces compagnies n’ont qu’à simplement ajouter une étiquette «écologique» (qui n’a pas de statut légal ou de sens du tout) à une bouteille de savon à vaisselle ou une canette d’aérosol pour ajouter 20 p (0,20£) au prix! Beaucoup d’entre nous ne peuvent même pas nous permettre les choses bon marché, sans parler des plus chères et si vous avez du mal à payer les factures, vous pouvez oublier d’acheter votre savon au Body Shop!

La pollution et la dégradation de l’environnement sont principalement causées par l’obligation des grandes entreprises de maximiser leurs profits à tout prix. Des déchets toxiques et polluants produits par les entreprises aux bombardements généralisés des campagnes, par exemple en Irak, en passant par les méthodes agricoles «expertes» qui détruisent les zones rurales, c’est le capitalisme et ses gouvernements qui sont à blâmer. Sur les 380 millions de tonnes de déchets produits en Grande-Bretagne chaque année, les ménages en produisent moins de 6%. Même si nous recyclions chaque canette, bouteille, sac et emballage, l’impact que nous aurions sur l’échelle globale serait insignifiant.

Bien sûr, nous avons tous notre rôle à jouer. Aucun d’entre nous ne devrait accepter le fait que les problèmes sont beaucoup trop vastes comme excuse pour ne pas recycler nos déchets ou jeter nos poubelles dans la rue. Mais de ne pas adresser les autres vecteurs du problème laisse les vraies contradictions non résolues et peut laisser les vrais coupables s’en sortir indemnes. 

Il convient aux Tories (conservateurs) et aux grandes entreprises de blâmer les individus pour la destruction de l’environnement. Cela représente parfaitement l’affirmation de Margaret Thatcher selon laquelle «la société n’existe pas – seulement les individus et les familles». Tout cela fait partie d’une stratégie pour nous faire culpabiliser sur des choses qui ne sont même pas de notre faute. Pire encore, ils blâment la victime plutôt que le coupable. La pollution est autant la faute des gens qui achètent le produit que la pauvreté est la faute des pauvres!

Un exemple simple devrait répondre à cette idée : La quantité totale de gaz à effet de serre produite par la combustion des torches de pétrole dans Ogoni-land, une région au Nigeria, par une seule compagnie pétrolière – Shell – est supérieure à celle causée par la production de toute l’électricité utilisée par tous les ménages de toute la Grande-Bretagne. Cela devrait remettre en perspective l’idée que fermer vos lumières sauve la terre – c’est comme dire que de tordre votre maillot de bain dans une cabane de plage au lieu de la mer vide l’océan!

Il est tout à fait naturel pour les travailleurs et travailleuses d’essayer de trouver des solutions pratiques à leurs problèmes. Les efforts héroïques de la classe ouvrière qui tentent de trouver un moyen de sortir du système de profit en créant des alternatives en son sein, finissent toujours par être forcés de s’incliner  à un moment donné devant la «logique» capitaliste. Une des premières  coopératives a été fondée en 1844 par 24 travailleurs de Rochdale pour remplacer les aliments dont la composition avait été adultérée (ex : des produits dans lesquels on ajoute plus d’eau pour augmenter leur poids et donc la marge de profit). Mais la coopérative vend aujourd’hui la même nourriture que tous les autres supermarchés et fonctionne exactement de la même façon que toute autre entreprise privée.

C’est un peu comme la famine dans le monde et la charité. Malgré l’affirmation de Thatcher selon laquelle «la société n’existe pas», la réponse à la famine éthiopienne de 1984 témoigne d’une véritable solidarité humaine. Live Aid (aide en direct) a été un merveilleux exemple de la façon dont les gens ordinaires réagiront aux tragédies humaines et ce sont souvent les plus pauvres et ceux qui ont le moins à donner qui sont les plus généreux et généreuses. Pourtant, les 40 millions £ accumulés représentaient une goutte d’eau dans l’océan par rapport au siphonnage net de 42,9 milliards de dollars par an du monde néo-colonial par les banques et les multinationales étrangères.

Il y a un troisième choix entre se satisfaire de ce que le système peut nous donner ou attendre un changement éventuel. C’est de faire campagne maintenant contre les problèmes auxquels nous sommes confrontés et lutter pour changer le système au complet.

Là où les boycotts des consommateurs et d’autres formes d’«action individuelle» sont efficaces, les socialistes les soutiendront à 100%. Nous participerons, dans la mesure du possible, à de telles actions. Le succès est le plus probable quand ils impliquent une grande partie de la population, comme lorsque 85% des Allemands ont soutenu un boycott de l’essence Shell en signe de protestation contre leurs plans de déversement du Brent Spar dans la mer du Nord.

Tactique #2: Le potentiel de l’éducation?

Dans le passé, de nombreux groupes écologistes ont soutenu que la puissance de leurs arguments conduira à un changement. On prétend que si on fait connaître ces faits à tout le monde, ils et elles seront motivé·es vers l’action politique. Non seulement ces arguments laissent sans réponse la question «que faire?», mais ils ne sont malheureusement même pas vrais. Le fait que quelqu’un sache que quelque chose est mauvais ne l’empêche pas nécessairement de le faire, comme n’importe quel fumeur vous le dira!

Les capitalistes n’ont fondamentalement rien changé depuis l’époque où le réchauffement climatique et les pluies acides n’étaient abordés que dans des séminaires universitaires. En fait, ils sont de plus en plus cyniques à cacher leurs vrais plans. Chris Rose, directeur de la campagne de Greenpeace, l’a admis dans un article paru dans The Independent (21/11/94) : «Ni les entreprises ni les gouvernements n’ont apporté de changements sérieux. L’engagement à l’égard des principes environnementaux comme le “développement durable” semble sincère, mais en réalité, il a servi de couverture au statu quo. Une plus grande sensibilisation de la part des groupes environnementaux déclenche maintenant la rhétorique, plutôt que l’action, du gouvernement.»

Tout au long de l’histoire moderne, des gens bien intentionnés ont fait appel aux patrons pour mettre fin à l’esclavage, pour un système d’aide sociale décent, pour une éducation et des salaires de qualité. Mais, à chaque fois, les intérêts économiques et la cupidité l’emportent. Aucun des droits que nous tenons pour acquis, que ce soit le service de santé, l’éducation, même le droit de vote, la liberté d’expression et de former des partis et des groupes de protestation, ne nous a été donné par la classe dirigeante. Nos prédécesseurs ont dû se battre pour tout cela. C’est la même chose pour l’environnement. Tant que les patrons peuvent faire un profit en démolissant la planète, ils vont le faire. L’appel à être moralement bon tombera dans des oreilles sourdes.

De nombreux auteurs sur l’environnement voient clairement la nécessité d’un changement radical dans la façon dont le monde est géré. Ils reconnaissent que la société d’aujourd’hui, fondée sur l’inégalité de la richesse et du pouvoir, avec l’objectif dominant de profit pour quelques-uns, mène à une catastrophe écologique. Le dilemme auquel ils sont confrontés est de savoir comment changer les choses étant donné le pouvoir des pollueurs. L’éducation est souvent considérée comme un grand espoir. Si, d’après l’argument, les opinions et les perspectives des gens changent, alors peut-être que le monde peut être sauvé.

Il ne fait aucun doute que les jeunes et les enfants d’aujourd’hui sont beaucoup plus conscients des problèmes environnementaux mondiaux qu’il y a vingt ans. Cependant, la politique éducative est dominée par le gouvernement et derrière eux dans les dirigeants de la société, les personnes mêmes responsables des problèmes environnementaux. La tendance générale en éducation est de la rendre plus contrôlée par les besoins des entreprises et de restreindre les questions plus larges.

Les écoles et les enseignant·es qui tentent d’expliquer pleinement les causes de la crise seront découragé·es ou étiqueté·es comme «politiquement motivé·es». Le personnel inspecteur d’écoles a déjà mis en garde contre trop de discussions sur l’environnement. Tout au plus, les solutions proposées se situeront au niveau de l’action individuelle qui, à elle seule, est insuffisante.

Bien sûr, Militant est en faveur de l’éducation, c’est pourquoi nous avons produit ce livre. Mais les problèmes de l’environnement ne sont pas dus à l’ignorance. Les problèmes proviennent de dirigeants du monde qui profitent d’un système qui pollue, gaspille les ressources et détruit la planète. Nous soutenons toutes les activités visant à défendre l’environnement, à la fois parce qu’elles peuvent restreindre certaines des attaques et aussi parce qu’elles sensibilisent les gens et leur donnent confiance. Cependant, il ne suffit pas de comprendre le monde, le point est de savoir comment le changer.

Tactique 3: Le capitalisme vert?

Le capitalisme ne s’intéresse pas à ce qui est sain ou meilleur pour la survie à long terme de la planète. Il ne s’intéresse qu’à ce qui fait un profit. «Le capitalisme vert» est une contradiction en termes. Les militant·es qui ont présenté l’idée (il y a même un livre appelé Green Capitalism) n’expliquent pas comment la société peut réglementer et contrôler des industries qui ne lui appartiennent pas.

Des compagnies qui s’en font pour notre sort?

Trois membres du parti vert bien connus, Jonathon Porritt, Sue Parkin et Paul Elkins, ont lancé une «organisation environnementale différente», en leur mots, appelée Forum pour l’avenir. Cette organisation contient également l’implication de Chris Patten (conservateur de premier plan), Glenys Kinnock (eurodéputé travailliste) et Richard Branson (connu pour la fondation de Virgin). Ils ont mis sur pied un groupe de «partenaires corporatifs», y compris des entreprises qui, selon eux, ont un «engagement démontré à l’égard des questions environnementales», notamment B&Q, Body Shop, NatWest Bank, Tesco et Wessex Water.

Il peut être surprenant de savoir que ces entreprises se sont engagées à protéger l’environnement. Il s’agit peut-être davantage d’une bonne publicité pour ces entreprises que d’une politique de protection de l’environnement.

La planification des villes, la division mondiale des produits agricoles, la localisation de l’industrie, le recyclage et l’élimination des déchets devraient être planifiés à l’échelle internationale. Mais cela ne peut se faire qu’avec la propriété publique et la planification démocratique des ressources mondiales.

Les «capitalistes verts» n’expliquent pas comment les lois économiques de base seraient modifiées : si quelque chose fait de l’argent, il est produit ; si ce n’est pas le cas, il ne l’est pas. L’essence même du capitalisme est que tout, de l’eau aux voitures en passant par les soins de santé, est réduit aux marchandises à acheter et vendu. Si cela signifie que d’autres personnes ou espèces souffrent, alors c’est juste une réalité d’affaire en ce qui concerne le capitalisme.

La popularité de ce qu’on appelle les investissements éthiques, des fonds qui prétendent investir uniquement dans des entreprises respectueuses de l’environnement, n’est guère plus que le pouvoir des consommateurs, mais à plus grande échelle. Les investisseurs viennent de s’adapter à un nouveau marché – la publicité de ces fonds n’est souvent qu’un stratagème de marketing. C’est une autre façon d’exploiter les préoccupations environnementales des consommateurs – dans ce cas, principalement les «consommateurs» de la classe moyenne qui ont de l’argent de côté pour épargner ou investir – pour s’approprier une plus grande part du marché pour une entreprise ou une maison de placement en particulier.

Certains théoriciens soutiennent même que transformer les parties de la nature qui ne sont pas encore sur le marché comme l’air pur, les espèces animales ou des zones naturelles protégées en marchandises d’échange est la meilleure façon de les protéger. Dans les faits, cela permettrait d’en rationner le plaisir et l’utilisation dans l’intérêt des riches. Ceci priverait les pauvres d’accès à l’eau, de loisirs et de la nature. Mettre la nature au complet à vendre aggraverait les problèmes car tout serait alors vendu au plus offrant pour faire avec ce qui lui plaît. Ils brevettent déjà la vie en utilisant la science pour le profit avec la propriété de nouvelles espèces de plantes et d’animaux produits par le génie génétique devenant propriété privée.

Un argument semblable avancé par Garret Hardin dans Tragedy of the Commons est que les ressources naturelles qui ne sont pas privatisées, comme l’air ou les terres publiques, sont les plus susceptibles d’être exploitées. En fait, beaucoup de terres publiques étaient bien protégées par les traditions de leurs utilisateurs. C’est l’avènement du capitalisme qui a détruit les traditions et ouvert la terre à la dégradation. L’argument de Hardin de tout privatiser se fait réfuter par ce qui se passe dans la forêt amazonienne. Le transfert des terres au privé va de pair avec la destruction de la forêt tropicale.

Pourtant, certains commentateurs et théoriciens capitalistes soutiennent toujours que le développement capitaliste est le seul moyen de sauver la planète. Mais le capitalisme est un système en crise : il ne peut même pas exploiter pleinement le potentiel productif des 820 millions de personnes dans le monde qui sont au chômage ou sous-employées. Les «jours de gloire» du capitalisme, la période de prospérité des années 50 et 60, où (du moins dans les pays développés), il y a eu un certain développement et une augmentation générale du niveau de vie, sont finis pour toujours. Le capitalisme mondial est aujourd’hui marqué par une crise, une dette et une instabilité permanente. Le niveau de vie de la majorité de la population mondiale est en déclin, les obligeant à faire tout ce qui est nécessaire pour survivre, y compris à endommager l’environnement.

Même lorsque le capitalisme est capable, en raison de conditions historiques particulières, de développer des économies, il aggrave les problèmes environnementaux au lieu de les alléger. Tout au long de son avancée néo-coloniale, le capitalisme mondial a créé des désastres environnementaux. Il a augmenté la pauvreté de millions de personnes, les obligeant à utiliser des méthodes agricoles destructrices à court terme.

La population du monde néo-colonial a besoin d’élever son niveau de vie. Le développement en soi n’est pas le problème : c’est plutôt la question de qui en bénéficie. Habituellement, la croissance économique consiste à stimuler les profits des grandes entreprises sans se soucier des gens ou de l’environnement.

En Thaïlande, qui, par exemple, a connu des taux de croissance spectaculaires ainsi qu’une certaine croissance du niveau de vie d’une partie de la population au cours des deux dernières décennies, a vu une transformation de son territoire en une zone urbaine. La moitié des forêts du pays ont été abattues au cours des 30 dernières années, les rivières ont été bouchées et l’approvisionnement en eau est maintenant un problème majeur pour l’ensemble du pays. La capitale, Bangkok, a de terribles embouteillages et un niveau de pollution élevé. L’économie capitaliste a été un désastre pour l’environnement du pays.

L’un des principaux journaux, le Bangkok Post, a récemment donné un excellent exemple de la façon de placer le blâme au mauvais endroit : «Si vous lavez votre voiture fréquemment, si vous arrosez votre balcon ou arrosez votre jardin, si vous sifflez un air pendant que vous profitez d’une belle et longue douche… alors c’est vous le problème.» Pourtant, les consommateurs résidentiels ne représentent que 4% de la consommation totale d’eau en Thaïlande, tandis que l’agriculture représente 90% avec le reste à l’industrie!

Encore une fois, on blâme les gens même s’ils ne causent que très peu de dommages environnementaux. Les principaux responsables de la pollution, des déchets, de l’épuisement des ressources, de la destruction des terres et des espèces sont les grandes entreprises, la guerre, l’agro-industrie et le gouvernement.

Obliger les entreprises à payer pour les dommages qu’elles causent, les faire flétrir sous des lois interdisant la pollution et exigeant la réparation de tout dommage causé ou encore sous de lourdes pénalités fiscales pour la pollution : pour bien des gens, cela semble être de bonne idées. Il faudrait des lois strictes qui feraient en sorte que les coûts seraient assumés à même les profits, ce qui signifierait que les gouvernements contesteraient le pouvoir des grandes entreprises. Cependant, les gouvernements du monde entier accordent aux grandes entreprises une priorité plus élevée qu’à l’environnement ou qu’au niveau de vie de leurs citoyens. Même les meilleures lois et règles de protection de l’environnement ne sont pas assez puissantes pour changer les réalités économiques du capitalisme. Souvent, le coût des amendes et de l’exécution est vu par les entreprises comme un coût supplémentaire incommodant qui fait partie du coup des affaires, car c’est moins cher que de changer leur fonctionnement. S’ils peuvent s’en tirer, les coûts supplémentaires sont simplement répercutés sur les consommateurs en augmentant les prix!

Le principe du pollueur-payeur, autre idée populaire des Verts pro-capitalistes, revient à faire payer les gens ordinaires. Les producteurs de matières premières dans le monde néo-colonial subissent des baisses de prix. Les travailleurs de l’industrie subissent des baisses de salaires ou des pertes d’emplois. Les consommateurs paient à mesure que les prix augmentent. Pendant ce temps, les vrais coupables, les grandes entreprises, gardent leurs profits.

Les gouvernements sont également très heureux d’utiliser la couverture de «l’environnement» comme un autre moyen de taxer davantage la classe ouvrière. Les taxes servent à subventionner l’industrie polluante et à payer le nettoyage par la suite.

Le parti conservateur a eu le culot de soutenir que leur imposition sur le carburant domestique était une mesure verte visant à réduire la consommation et les gaz à effet de serre. Ils n’ont jamais laissé entendre que l’argent qu’ils et elles recueillaient servirait à un programme d’isolation des maisons ou à d’autres mesures d’économie d’énergie. Cet épisode montre les limites d’une approche non politique et individuelle pour résoudre les problèmes environnementaux. L’une des seules organisations nationales soutenant les conservateurs était les Amis de la Terre! Un certain nombre de groupes locaux étaient toutefois furieux de la politique nationale.

Un autre stratagème de marketing consiste à vendre des licences pour polluer, pour lesquelles les entreprises peuvent soumissionner, plutôt que d’arrêter de polluer. Aux États-Unis, lorsque les écologistes ont acheté les permis pour arrêter les pollueurs, le gouvernement les a interdits.

Toutes ces solutions capitalistes, au mieux, s’attaquent aux symptômes plutôt qu’à la cause fondamentale des problèmes. Ainsi, plutôt que de prêter attention à la réduction du nombre de voitures sur la route et d’investir dans les transports publics, les grandes entreprises mettent en avant l’idée trompeuse que tout serait OK si toutes nos voitures étaient équipées de pots catalytiques!

Quand le capitalisme entre en récession, ces lois sont de toute façon souvent abandonnées parce que les patrons prétendent qu’ils n’en ont pas les moyens. La victoire des républicains en 1994 aux élections sénatoriales américaines menaçait de carrément éliminer des règlements régissant la protection des parcs nationaux, le contrôle de la pollution et la qualité de l’air. Le whip en chef des républicains à la Chambre des représentants, rejetant la base scientifique de la réglementation anti-CFC, a récemment déclaré : «Je ne vais pas m’impliquer dans ce charabia.»

Même les mesures limitées de protection de l’environnement qui ont été mises en place au cours des dernières années ont suscité une vive opposition de la part des grandes entreprises. La Clean Air Act et la Loi sur la protection de l’environnement ne nous ont pas été données par des patrons bienveillants, mais ont été défendues par des gens de la classe ouvrière, par l’intermédiaire des syndicats et d’organisations organisées par la base.

Tactique 4 : Les politiques liées aux habitudes de vie?

«Les politiques du style de vie» (lifestyle politics en anglais), soit l’idée que de changer le mode de vie des gens est la clé pour sauver la planète, part des mêmes principes que les boycotts des consommateurs : que les individus qui changent leurs attitudes et leurs comportements peuvent changer la planète. Des milliers de jeunes, en particulier, sont attiré·es par de telles idées. Leurs actions sont importantes à la fois pour aider à soulever les idées et, dans une moindre mesure, pour aider à préserver les ressources.

Mais se retirer de la société, ou essayer de créer de nouvelles sociétés sous la structure globale du capitalisme, ne résoudra pas le problème. Le capitalisme ne permettra pas aux gens de se retirer : même les petits groupes de personnes qui parviennent à le faire pendant une courte période sont finalement soumis à des contrôles de planification, des règles de propriété foncière et le reste des instruments de contrôle. Quoi qu’il en soit, même le retrait de la société n’empêcherait pas les dommages à l’environnement et les personnes touchées par la pollution atmosphérique, le réchauffement planétaire, les pluies acides ou les catastrophes nucléaires. Tu ne peux pas créer ta propre planète entière!

Bataille de Beanfield

Le 1er juin 1985, la police a attaqué un convoi de New Age Travelers en direction de Stonehenge. Dans l’opération «Solstice», 1 363 policiers ont commencé à arrêter des voyageurs et voyageuses sans tenter de les persuader ou de négocier avec eux.

L’émission de télévision Critical Eye montrait une femme se faisant tirer par les cheveux à travers une fenêtre cassée. Un journaliste a décrit avoir vu la police matraquer des gens portant des bébés. Les services sociaux avaient été amenés dans la région pour prendre soin des enfants. Un voyageur a été retourné par la police et forcé de regarder pendant qu’ils brûlaient sa maison. Les voyageurs n’avaient enfreint aucune loi. La police a essayé d’empêcher les caméras de filmer leurs activités. Lorsque les journalistes sont retournés au studio pour regarder leur film, ils ont découvert que des sections importantes, représentant des actions policières particulièrement brutales, étaient manquantes.

241 personnes ont été arrêtées pour attroupement illégal. La plupart des accusations ont été abandonnées et seulement une poignée de personnes se sont retrouvées en cour. Les coups et l’intimidation avaient évidemment été le but principal de l’opération. 26 personnes ont poursuivi la police, qui a été déclarée coupable de voies de fait, de dommages matériels et de détentions arbitraires. On leur a accordé des dommages-intérêts qui ne couvraient même pas le coût de leurs frais juridiques. Aucune mesure n’a été prise contre la police et, dans au moins un cas d’agression contre une femme, l’agent concerné a été promu.

Depuis, de nouvelles lois ont été adoptées dans le cadre de la Loi sur le système de justice pénale afin de donner à la police de plus grands pouvoirs pour mener de telles opérations. Cela ne signifie pas, bien sûr, que nous ne devrions pas lutter et riposter. Mais nous devons comprendre les forces qui se sont dirigées contre nous et comment les combattre.

Tactique 5 : L’action directe?

Bon nombre des campagnes les plus efficaces de défense de l’environnement commencent par un petit nombre de personnes qui utilisent l’action directe. Pour faire passer le message, ils et elles occupent un bâtiment, arrêtent la circulation, font du piquetage lors d’une réunion du conseil d’administration, etc. Parfois, ces activités pour gagner l’opinion publique sont les premières étapes d’une campagne beaucoup plus large d’activité de masse : en d’autres occasions, la campagne repose uniquement sur les individus impliqués dans l’action directe.

L’action directe est un moyen extrêmement efficace de faire passer le message. Les membres de Militant ont une vaste expérience de l’action directe, occupant les bureaux des shérifs et des huissiers contre la taxe de vote, escaladant les grues pendant la grève des mineurs, faisant la grève de la faim contre la pauvreté chez les jeunes, des sit-ins étudiants et ainsi de suite. Mais nous n’avons jamais laissé les campagnes là : nous essayons toujours d’utiliser de telles actions comme un moyen de mobiliser un soutien plus large, à la fois pour la campagne spécifique et pour la lutte plus large pour changer la société.

Lorsque l’action directe peut fonctionner, nous sommes les premiers à l’appuyer et à y participer. Mais elle ne peut réussir que dans une mesure limitée : elle peut ralentir ou même arrêter la construction de telle ou telle route, mais elle ne modifie pas en soi la politique des transports. Elle peut temporairement empêcher une usine particulière de polluer un corps d’eau particulier, mais elle ne change pas le fait que l’industrie capitaliste n’est intéressée qu’à faire des profits et que la pollution est «le problème de quelqu’un d’autre».

C’est tout le système qui est en cause. Il possède une énorme richesse ainsi qu’un éventail de pouvoirs de soutien – la police, le pouvoir judiciaire, les gardiens de sécurité privés, les médias, etc. Il y a même des spéculations maintenant que le service de sécurité MI5 cherche un nouveau rôle après l’effondrement de la «menace communiste», et viserait les manifestations environnementales. La nouvelle brochure publique du MI5 sur son rôle indique qu’il conseille «les éléments du commerce et de l’industrie dont les services et les produits revêtent une importance cruciale à l’échelle nationale». Comme le lobby agricole ou l’industrie de la construction routière? Les organisations comme le MI5 et les autres pouvoirs de l’État ne peuvent clairement pas être traitées d’une seule approche

Un des pièges de l’action directe si elle n’est pas liée à un plus grand nombre de personnes est qu’elle peut donner l’impression qu’une poignée de braves individus à eux seuls peuvent sauver la planète. Non seulement cela n’est pas vrai, mais cela peut aussi jouer en faveur de l’agenda des conservateurs et de la classe dirigeante, qui soutiennent que les individus respectueux de l’environnement sont la clé. Il s’agit simplement d’une tentative de faire passer le blâme du système, et surtout des grandes entreprises, aux travailleurs et aux travailleuses.

Tactique 6 : Pas de politique?

Les problèmes environnementaux sont urgents et le prix à payer pour ne pas les résoudre pourrait être catastrophique. Certains prétendent donc qu’il faut faire passer l’environnement avant la politique. L’idée que «nous ne pouvons pas discuter de choses stupides comme qui gouverne le pays pendant que la terre est en train de s’effondrer» peut sembler très attrayante. Après tout, les politiciens de tous les partis ont présidé la crise. Les mêmes politiciens se sont alors précipités pour devenir «verts» à la fin des années 1980, lorsque l’ampleur des problèmes s’est manifestée. Même Margaret Thatcher a déclaré qu’elle était verte !

Certes, nous ne pouvons pas laisser la protection de la planète aux politiciens de l’establishment. Le Sommet de Rio de juin 1992, au cours duquel tous les dirigeants mondiaux se sont engagés, main sur le cœur, à «sauver la planète», n’était rien de plus qu’un exercice coûteux de relations publiques. 130 chefs d’État et 15000 négociateurs, lobbyistes et activistes se sont réunis pendant 12 jours et n’ont rien convenu d’aucune valeur. Ça aurait probablement été mieux pour la planète s’ils étaient tous restés à la maison. Pour chaque période de cinq minutes que chacun d’eux a passé à voler vers le Brésil, ils ont utilisé la même quantité d’énergie qu’une personne moyenne du monde néo-colonial en un an!

L’environnement n’est pas au-dessus de la politique. Tout cet ouvrage explique que les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont causés par la façon dont l’économie, la science et la société sont organisées. C’est politique. Le capitalisme possède et contrôle l’industrie et les matières premières, détermine la valeur de la terre, décide des priorités de transport et contrôle la police et les autres branches de l’État : en bref, c’est la racine du problème.

Donc, si les problèmes sont causés par la façon dont la société est gérée, alors la solution n’est pas de rejeter la société humaine d’emblée, mais de trouver une autre façon de la gérer. Ignorer la politique, c’est laisser les dirigeants actuels en contrôle. Nous avons besoin d’une nouvelle politique, basée sur les intérêts et les besoins de la majorité de la population mondiale.


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