À moins de 6 mois des élections présidentielles françaises, le chroniqueur TV et auteur d’extrême droite Eric Zemmour cartonne dans les sondages, au point d’arriver même en 2e position dans certains d’entre eux. Comment expliquer cette ascension d’un raciste, sexiste, homophobe et anti-ouvrier notoire? Comment construire une campagne qui permette de lui répondre avec un message de solidarité et une réelle perspective?
La France évolue depuis des années dans un climat pesant de divisions et de violences policières brutales à l’égard des mouvements syndicaux et sociaux en général ainsi qu’à l’égard de la jeunesse, tout particulièrement d’origine immigrée. Le racisme d’État et les stigmatisations permanentes se sont accrus, avec pour cibles les populations issues de l’immigration et les musulmans.
Loi sur le séparatisme, Loi sécurité globale, Gérald Darmanin (le ministre de l’Intérieur) dépassant Marine Le Pen sur sa droite en débat télévisé, Jean-Michel Blanquer (ministre de l’Éducation) propageant l’expression islamo-gauchisme… Macron et ses gouvernements n’ont eu de cesse d’alimenter la division. Mais lorsque l’on s’attire les foudres d’autant de couches de la société, il faut savoir manier l’arme de la division pour éviter que celles-ci ne forment plus qu’un seul poing levé à un moment donné.
L’ascension du chroniqueur TV
Zemmour déverse ses visions réactionnaires depuis des années déjà dans les médias dominants. Entre sa condamnation pour provocation à la discrimination raciale en 2011 et celle pour provocation à la haine envers les musulmans en 2018, son discours s’est encore radicalisé et continue sur cette voie. Sa confiance est gonflée par l’atmosphère de haine et de division encouragée par les autorités.
Son succès est une nouvelle illustration de l’échec cuisant de la stratégie voter Macron pour faire barrage à l’extrême droite. C’est aussi une expression de l’échec de la gauche et du mouvement syndical à réussir à imposer son projet à l’agenda. Sans riposte sociale à la hauteur des enjeux, les politiques d’austérité et anti-travailleurs et travailleuses menées par Macron ont créé un terreau de frustration et de désespoir encore plus favorable aux préjugés et à la division. En majeure partie, la popularité de Zemmour n’exprime pas un ferme soutien à ses idées nauséabondes. Elle provient de l’atmosphère savamment entretenue par le sommet de la société et de son image anti-système plus fraîche et qui n’est pas issue d’un parti et du sérail politique traditionnel.
La force de Zemmour, ce n’est pas Zemmour
Zemmour ne s’est pas fait lui-même, c’est une construction consciente de la part de l’establishment. L’utilisation de l’extrême-droite au service des intérêts immédiats du pouvoir en place est une vieille habitude en France. L’essor du Front National dans les années ‘80 avait été favorisé par Mitterrand pour affaiblir la droite dont il craignait le retour après avoir trahi le programme qui l’avait porté à la présidence.
Macron n’a jamais fait mystère de sa stratégie pour un second mandat : sécuriser un socle d’au moins 10% d’électeurs (soit 20% dans les urnes compte tenu de l’abstention qui va de record en record) et s’attirer le vote du moindre mal face à Marine Le Pen au second tour. Mais après un premier mandat qui a marqué un tournant majeur vers l’autoritarisme et une sérieuse accentuation du racisme d’État, la stratégie est plus dangereuse que jamais. En affaiblissant la dynamique autour du Rassemblement National de Marine Le Pen, Zemmour rend un précieux service à Macron. C’est ce qui explique en grande partie les largesses médiatiques à son égard. Mais c’est encore une fois une dangereuse fuite en avant.
Notre camp doit arracher le micro des mains de la droite et de l’extrême droite
Le leader de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a eu raison de s’inviter à un débat télévisé avec Zemmour fin septembre. Ça fait des années que la droite et l’extrême droite ont micro ouvert dans tous les médias sans aucun réel contradicteur. Nous avons été nombreux à accueillir enfin un autre type de discours avec ce débat, où Mélenchon répondait au discours de haine raciste à l’aide du terme de créolisation, exprimant une société où la mixité des cultures et origines permet de créer une plus grande richesse collective. Pour les larges couches qui résistent toujours au discours de division dominant, ce type de réponse à grande audience face à l’extrême droite est un soulagement bienvenu, bien que limité.
Lutter contre les racines de la division
Pour combattre le racisme et la haine, souligner l’intérêt et la richesse de la multiculturalité ne suffira pas. La réponse à Zemmour et Cie est aussi et surtout socio-économique, pour couper court au désespoir social qui l’alimente.
L’Avenir En Commun, le programme de la France Insoumise dont la mise à jour sortira mi-novembre, regorge d’excellentes revendications capables de rassembler autour de la solidarité : l’augmentation du salaire minimum (souhaité par 9 Français sur 10); le rétablissement de l’impôt sur la fortune supprimé par Macron, l’instauration d’une taxe sur les profiteurs de crise, un grand plan d’investissements dans les services publics (souhaités par 8 Français sur 10); le retour de la retraite à 60 ans (souhaité par 7 Français sur 10); etc.
Mais ce programme ne pourra devenir réalité qu’à deux conditions : d’une part, créer un rapport de force dans les entreprises et dans la rue autour du mouvement organisé des travailleuses et des travailleurs. D’autre part, en finir avec la dictature des marchés, ce qui permettrait aussi d’obtenir le financement des mesures nécessaires. L’expropriation et la nationalisation des secteurs-clés de l’économie (dont la finance en premier lieu, notamment pour bloquer la fuite des grands capitaux) permettraient de donner naissance à une approche planifiée pour faire face aux nombreux problèmes sociaux et environnementaux. La planification écologique contenue dans le programme de la France insoumise est à ce titre un pas dans la bonne direction, bien qu’encore timide.
Se battre pour l’unité dans la lutte
Les dernières années n’ont pas manqué de mouvements de masse en France. Depuis l’énorme mobilisation syndicale et sociale contre la Loi travail sous Hollande en 2016, le pays a connu les luttes des travailleurs et travailleuses des soins et des transports en commun; celles des Gilets Jaunes; la lutte de masse contre la réforme des retraites (un des conflits sociaux les plus intenses depuis Mai 68); les mobilisations de la jeunesse contre les violences sexistes, contre le racisme et les violences policières, contre le dérèglement climatique, contre la loi sécurité globale…
Inspirons-nous de ces récentes mobilisations de masse – qui nous rassemblent au lieu de nous diviser – et organisons cette fois-ci davantage notre lutte autour de revendications sociales audacieuses qui ne se limitent pas à ce que permet le cadre étroit du capitalisme et de sa logique de profits. C’est ainsi que l’on pourra construire la confiance dans l’espoir révolutionnaire face au désespoir contre-révolutionnaire. Un autre type de société s’offrirait alors à nous comme fruit de nos luttes : une société socialiste démocratique qui mobiliserait les capacités techniques et les richesses actuelles pour l’épanouissement de toutes et tous dans le respect de l’environnement