Vaccination obligatoire : une attaque insidieuse au secteur de la santé

Photo : Olivier Jean / La Presse

Le gouvernement caquiste reporte d’un mois sa décision de retirer du travail sans rémunération toute personne intervenant dans le réseau de la santé et des services sociaux ne présentant pas sa preuve de double vaccination contre la COVID-19. Malgré le bien-fondé scientifique de la vaccination obligatoire, la formule Legault est une mesure autoritaire qui cible inutilement le personnel du secteur public. 

Aux dires du ministre de la Santé, Christian Dubé, en point de presse le 13 octobre, la menace de bris de services imminents dans le réseau de la santé l’a poussé à reconsidérer la date du 15 octobre comme entrée en vigueur de la vaccination obligatoire. La veille de son point de presse, il a pourtant déclaré être inflexible sur l’ultimatum qui aurait entraîné la mise en «congé sans solde» de plus de 22 000 employé⋅es. L’obligation vaccinale pour cette date est désormais jugée «irresponsable» par le ministre. Elle sera plutôt imposée le 15 novembre.

Comme l’a souligné la sous-ministre adjointe à la Santé, Lucie Opatrny, le scénario du 15 octobre aurait impliqué la fermeture d’environ 600 lits de courte durée en urgence, la fermeture de 35 des 470 salles d’opération de la province (en plus des 80 déjà fermées à l’heure actuelle) ainsi qu’une réduction importante des services de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Les services auraient aussi diminué dans 35% des centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) ainsi que pour les services de soins à domicile de plusieurs régions.

Gestionnaires et corporations entendues

La volonté du ministre Dubé de «changer la culture» et les méthodes de gestion du secteur public devra attendre au moins un autre mois. Les gestionnaires censés appliquer ce changement de cap semblent l’avoir convaincu de la catastrophe imminente dans laquelle peut basculer le réseau déjà sur le bord de l’écroulement. Cette approche s’harmonise difficilement avec les préoccupations de rétention de personnel ou d’abolition du temps supplémentaire obligatoire (TSO) aussi mises de l’avant par le ministre!

Le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé – Photo : Paul Chiasson / La Presse canadienne

Autre argument de poids pour Dubé: l’annonce faite par différents ordres professionnels de la santé de suspendre le droit de pratique de milliers de leurs membres non adéquatement vaccinées en date du 15 octobre. Si cette menace des Ordres a précipité la vaccination de plusieurs personnes qui œuvrent comme infirmières auxiliaires, médecins ou pharmaciennes, elle n’a pas eu l’effet escompté parmi les autres métiers représentés par le mouvement syndical.

Contestation des syndicats de la santé ignorée

Depuis le début septembre, l’approche vaccinale du gouvernement Legault est contestée par toutes les organisations syndicales présentes en santé (SCFP, FIQ, CSN, APTS). Plus de 90% du personnel du secteur public de la santé et des services sociaux est doublement vacciné. Le nombre grimpe à 96% pour les personnes ayant reçu une seule dose de vaccin. Toutefois, comme le soutient le président du Syndicat CSN des Laurentides, Dominic Presseault, la pénurie de personnel dans ce secteur est tellement importante que le système ne peut pas se passer d’environ 10% de son personnel.

Les syndicats de la santé ont dénoncé l’approche gouvernementale irresponsable qui risquait de  déstabiliser le réseau durant la 4e vague et de provoquer des bris de services. L’absence totale de référence aux critiques formulées par les syndicats de la santé lors du point de presse du ministre Dubé témoigne de deux choses: 

  • d’un exercice de relations publiques cynique visant à effacer toute trace des syndicats dans la gestion de la santé publique au Québec;
  • et d’un mépris des réalités vécues sur le plancher par les bas salarié⋅es, les «anges gardiens», par rapport à celles des membres des Ordres.

Il est évident pour les syndicats de la santé que le projet de vaccination obligatoire attaque le droit du travail de manière insidieuse. 

Une atteinte aux droits des travailleurs et travailleuses du public

De manière générale, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-FTQ) souligne que la vaccination obligatoire caquiste est « une atteinte aux droits fondamentaux ». Elle attaque plus spécifiquement le droit du travail avec sa sanction radicale du «congé sans solde».

Le « retrait du travail sans rémunération » n’est pas un congédiement. Les personnes qui ne sont pas adéquatement vaccinées ne pourront pas se prévaloir du chômage durant cette période, puisque le lien d’emploi existe toujours. Certaines personnes n’ayant qu’une seule dose risquent d’être privées de salaire plusieurs jours à cause des délais nécessaires pour recevoir les deux doses. De plus, un congé sans solde fait baisser la priorité des gens dans les listes de rappel.

Photo : Olivier Jean / La Presse

Le projet de vaccination obligatoire crée également une injustice entre le personnel professionnel (travail social, ergothérapie, psychologie, etc.) et celui administratif, paratechnique, auxiliaire et de métiers. La formule actuelle ouvre la porte à la migration des professionnel⋅les au privé. Par exemple, une travailleuse sociale du réseau public doit être adéquatement vaccinée. Si elle ne l’est pas, elle sera décrétée en congé sans solde. Elle pourrait alors en profiter pour aller exercer dans le privé, puisque sa profession est exemptée de vaccination dans les cabinets privés!

De son côté, une préposée aux services alimentaires d’un hôpital doit être doublement vaccinée pour continuer de travailler, même si elle n’a pas de contact avec des bénéficiaires. Le décret sur la vaccination obligatoire risque d’accélérer la perte d’expertise et la fuite de personnel. 

Le projet de vaccination obligatoire concerne la plupart des personnes intervenant en santé et en services sociaux. Ces personnes exercent principalement dans le réseau public. Pourtant, leur secteur est loin d’être un foyer d’infection alarmant, contrairement à d’autres secteurs de l’économie privée. Depuis le début septembre, le nombre d’éclosions actives en santé et services sociaux est parmi les plus bas au Québec, soit 7 par semaine en moyenne. 

Passe-droit pour les compagnies privées

En revanche, aucune menace de congé sans solde ne plane sur les employé⋅es des secteurs privés où l’on observe les principaux foyers d’infections actifs au Québec. Les taux de vaccination y sont bien plus bas qu’en santé. En moyenne par semaine depuis le début du mois de septembre, les éclosions de COVID-19 sont concentrées dans les industries manufacturières (157), dans l’hébergement et de la restauration (88), dans la construction (81), dans le commerce de détail (78), dans les services aux entreprises (47) et dans le commerce de gros (31).

Le ministre du Travail, Jean Boulet, préfère toutefois ne pas déranger la « relance économique » du privé. Il a plutôt opté pour l’envoi de sympathiques Vaccin-O-bus sur les chantiers de construction. Il a aussi rassuré la Chambre de commerce du Montréal métropolitain concernant le retour au bureau sans grandes restrictions des employé⋅es du centre-ville de Montréal. La vaccination obligatoire pour ces employé⋅es ne serait pas « éthique ».

La formule de vaccination obligatoire du gouvernement Legault est une mesure autoritaire qui cible inutilement le personnel du secteur public. Elle ouvre la porte à d’autres formes d’abus des employeurs. Elle sert d’instrument supplémentaire dans son offensive contre les droits des travailleurs et des travailleuses. Elle s’ajoute à sa réforme réactionnaire du Code du travail et à sa pernicieuse loi anti-manifestation « en lien » avec la pandémie devant les hôpitaux, garderies et écoles. De plus, elle participe à créer des tensions et des divisions entre collègues.

Cette approche répressive apporte de l’eau au moulin des théories conspirationnistes les plus farfelues. Elle polarise l’opinion publique inutilement et nuit à la lutte contre la pandémie. 

Les boucs-émissaires non vaccinés

La chronique des médias bourgeois en a profité pour moraliser et pointer du doigt les personnes non vaccinées, en particulier celles du secteur de la santé. Mais la stigmatisation ou les menaces ne vont pas les convaincre de se faire vacciner.

Compte tenu des variants viraux, la vaccination obligatoire risque d’être imposée plus d’une fois et à bien d’autres couches sociales encore plus réfractaires au vaccin. Contrairement à ce que les gérants d’estrade veulent nous faire penser, la vaccination obligatoire dépasse largement l’enjeu de la volonté individuelle à se faire vacciner ou non. 

Il est vrai que les personnes actuellement intubées en raison de la COVID-19 n’ont pas été vaccinées. Mais les risques que pose le comportement dangereux des personnes anti-vaccin sont marginaux par rapport à ceux que présentent les faibles mesures prises dans les secteurs privés faiblement vaccinés.

La vaccination massive est la meilleure façon de se débarrasser des épidémies. Au Québec, nous ne sommes plus aux prises avec des vagues de poliomyélite, de coqueluche ou de diphtérie en raison de la vaccination massive volontaire. Mais les gens ne perdent pas leur emploi et le système de santé ne s’écroule pas lorsqu’ils refusent leur dose!

Les anti-vaccins ne sont pas responsables de l’écroulement du système de santé actuel. Leur manque de solidarité avec le reste de la population est toutefois à l’image de l’individualisme capitaliste. C’est cette mauvaise gestion capitaliste de la santé publique qui est coupable de la situation actuelle. Continuer de mettre la responsabilité d’une sortie de crise sur les épaules des individus ne nous fera pas avancer.

La vaccination est une responsabilité sociale

La santé publique est d’abord et avant tout un enjeu collectif. Le gouvernement a échoué à offrir toutes les ressources nécessaires pour informer, prévenir et traiter équitablement les infections au coronavirus durant les quatre vagues précédentes. Ce n’est pas un hasard si le taux de vaccination baisse avec celui du salaire horaire des gens.

Le premier ministre et sa direction nationale de la santé publique ont un sérieux problème de crédibilité. Les bas salarié⋅es des hôpitaux se rappellent avoir travaillé quatre mois sans masque durant la première vague de la pandémie sous leur recommandation. Ces personnes ont ensuite manqué d’EPI et voient leurs rangs se disperser de jour en jour. Les bas salarié⋅es perçoivent également les primes versées aux infirmières comme un nouvel acte de mépris.

Tant que l’état d’urgence sanitaire est en vigueur, le gouvernement Legault a le loisir de tout décider lui-même pour nous diviser. Les syndicats ont un rôle vital à jouer pour solidariser tout le monde dans la lutte contre la pandémie. Sans une prise en charge syndicale de l’information et de la protection sanitaire, les personnes syndiquées ne seront pas plus ouvertes à la vaccination dans un mois qu’aujourd’hui.

La situation ne sera pas différente dans un mois

Les syndicats ont défendu leur point de vue sur la vaccination obligatoire lors de la commission parlementaire sur le sujet à la fin août. Leur stratégie consiste à favoriser les moyens légaux et le dépôt de griefs pour combattre les sanctions et les pertes de salaires. Bien qu’incontournable, cette approche de grief est toutefois trop limitée. Les suspensions seront légalement contestées, mais entendues trop tard. Cette approche réduit aussi l’enjeu à la défense d’individus isolés

La catastrophe actuelle repose entièrement sur les épaules des partis aux commandes de l’Assemblée nationale. Le système de santé et de services sociaux est étiré au maximum. Le gouvernement a beaucoup de difficultés à recruter le personnel infirmier requis, même avec l’octroi de primes allant jusqu’à 18 000$. Malgré la fin annoncée des négociations dans le secteur public, la situation change rapidement et continue de se dégrader. De nouvelles batailles s’imposent dès maintenant.

La lutte massive pour l’amélioration des conditions de travail dans le secteur public est fondamentale pour sortir de la pandémie. La lutte des infirmières contre le temps supplémentaire obligatoire (TSO) est à l’avant-garde de cette lutte depuis des années déjà. Mais pour régler les problèmes vécus par la majorité du personnel de la santé, il est incontournable de poser la nécessité de nationaliser les agences de placement privées tout comme les grandes compagnies privées liées à la santé (cliniques, pharmaceutiques, matériel médical, résidences pour personnes agées). Une embauche publique massive avec de bonnes conditions pourrait suivre.

Une vaccination massive selon nos termes

Il est temps de défier l’état d’urgence sanitaire et d’instaurer des pratiques qui servent nos besoins réels. Les programmes de vaccination et de dépistage ne peuvent pas être laissés entre les mains de la classe capitaliste qui les instrumentalise dans son intérêt. Ces programmes devraient être décidés, gérés et contrôlés par des organes démocratiquement élus de la classe ouvrière. Nous sommes le nombre, nous sommes ceux et celles qui font marcher le système de santé et de services sociaux. Nous sommes capables de comprendre et d’organiser les véritables alternatives qui répondent aux besoins des gens.

Tant que le discours vaccinal du gouvernement sera élaboré pour le profit, il sera contradictoire et truffé de préjugés non scientifiques. Il est normal que les gens se sentent utilisés par le Big Pharma. Nos gouvernements le sont! Voilà pourquoi le secteur pharmaceutique doit être nationalisé sous le contrôle démocratique des travailleurs et des travailleuses. La confiance dans le déploiement des vaccins serait plus grande si l’on organisait démocratiquement la sécurité sur nos milieux de travail afin d’assurer une production et une distribution équitable de vaccins sûrs. Et on sera capable de se débarrasser définitivement de la COVID-19 lorsque ces efforts seront coordonnés au niveau international.


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