Le monde est en état de crise. Celle-ci est causée par de multiples éléments. Certains sont uniques à la situation actuelle, d’autres sont des contradictions de longue date qui refont surface. Le capitalisme se montre incapable de résoudre ces problèmes, car il est limité par le cadre de la propriété privée et de l’État-nation. Les processus internationaux actuels participent à fragmenter ces États-nations et à accentuer les tensions nationales et internationales. Pourtant, le contexte urgent de notre époque requiert une coopération internationale.
Les grandes puissances impérialistes se livrent actuellement une guerre économique qui déstabilise l’équilibre géopolitique des dernières décennies. La grande récession de 2008 a déjà vu l’irruption de conflits nationaux qui étaient partiellement dormants durant la période précédente.
La nouvelle Guerre froide entre les États-Unis et la Chine, doublée du nationalisme économique de la déglobalisation et de la course aux équipements sanitaires, alimente les processus centrifuges de fragmentations nationales. Les tensions concernant les droits démocratiques, les droits linguistiques, les frontières et les statuts nationaux s’en trouvent accentués. Désormais, l’intégrité territoriale de certains des plus vieux États-nations, comme l’Espagne ou le Royaume-Uni, sont menacés par des mouvements nationalistes. La banqueroute des capitalistes à résoudre les questions nationales se révèle plus saillante que jamais.
Alimentée par les tensions nationales, la tendance à la fragmentation demeurera de première importance dans la lutte des classes durant la prochaine période.
Le repli protectionniste s’accentue
Les capitalistes ont une existence nationale légale qui leur octroie un contrôle sur un certain territoire et un certain marché. De nouvelles divisions territoriales, politiques et légales représentent une menace à leurs intérêts matériels. C’est pourquoi la conception des nations qu’elles contrôlent est «indivisible». Cette approche est en contradiction avec l’expérience d’une nation multiforme et en développement réellement vécue par les masses et la classe ouvrière.
Depuis la crise de 2008, les différentes couches qui constituent les bourgeoisies nationales se sont disputé la reconfiguration des places de domination dans le processus d’accumulation capitaliste national. Le repli protectionniste et nationaliste entamé par plusieurs États s’est accentué avec la pandémie. Les États capitalistes ont été forcés de jouer un rôle très présent pour sauver leur économie nationale durant l’année 2020. Plusieurs États centraux forts profitent de la situation pour réaffirmer leur autorité de manière répressive.
Tensions impérialistes
Plusieurs états impérialistes autoritaires ont recours à la violence armée depuis le début de la pandémie pour gérer des conflits nationaux. En Chine, l’État s’attaque directement aux droits démocratiques fondamentaux de la minorité de Mongolie intérieure afin d’opérer une assimilation linguistique, culturelle et économique. L’État chinois s’en prend également aux Ouïghours de la province du Xinjiang. Il les enferme dans des camps de travail et les soumet à un génocide au nom d’une guerre contre le terrorisme.
La réponse du régime chinois aux mouvements de masse pro-démocratie débutés en 2019 à Hong Kong constitue également un exemple d’oppression nationale. La répression est à son comble avec l’abolition des journaux de masse ou encore l’arrestation de syndicalistes, d’activistes et même de simples démocrates pour des charges de sédition. Le système d’élection est en train d’être arrimé à celui de la Chine continentale. L’appel à l’indépendance de Hong Kong est illégal, même si aucune loi n’est écrite à ce sujet. De plus, la menace d’invasion armée et de guerre contre Taiwan constitue une menace directe aux droits démocratiques nationaux des habitants et habitantes de cette île.
En Inde, le régime ultranationaliste hindou de Modi a aboli le statut spécial du Kashmir en 2019. Il a ensuite adopté une loi anti-musulmane à la fin 2019. L’adoption de cette loi a entraîné plus de 50 morts et l’un des plus vastes mouvements de contestation des dernières années.
À l’automne 2020, une guerre de deux mois a éclaté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, soutenue par la Turquie. Des milliers de personnes en sont mortes. Ce conflit plus que centenaire concerne l’autonomie politique de l’enclave arménienne de Nagorno Karabakh à l’intérieur de l’Azerbaïdjan, une autonomie toujours à faire.
En Asie de l’Ouest, le régime turc d’Erdogan continue d’assassiner les forces du Parti des travailleurs Kurdes (PKK), jugées terroristes. Elles contrôlent la région autonome du Kurdistan du Sud, convoitée car très riche en pétrole.
De son côté, le régime d’Israël a causé une nouvelle flambée de violence en déplaçant des familles palestiniennes dans le quartier de Sheikh Jarrah, dans l’est de Jérusalem. Des décennies de politiques d’occupation, de discrimination et d’oppression nationale continuent d’approfondir la pauvreté des Palestiniens et Palestiniennes.
Tous ces conflits, en plus de la guerre qui perdure en Ukraine orientale depuis 2014, rappellent la gravité et la quantité de questions nationales non résolues dans cette partie du monde. Elles peuvent toutes être aggravées par la crise mondiale en cours et provoquer de nouveaux bains de sang. La même situation s’applique sur le continent africain, en particulier au Sahara de l’Ouest, au Yémen, en Libye et en Éthiopie.
Nationalisme et populisme de droite
Dans presque tous les États européens, de nouvelles forces politiques nationalistes et populistes de droite ont canalisé les tendances nationalistes centrifuges depuis la crise de 2008. Ces forces s’en sont prises à des instances supranationales comme l’Union européenne pour réclamer davantage de contrôle sur l’immigration, la taxation des particuliers et d’autres enjeux clivants pour la classe ouvrière privée d’une réponse socialiste.
Face au Capital étranger trop puissant, plusieurs gouvernements, notamment en Europe centrale et de l’est, ont opéré un repli protectionniste d’une partie de leur classe capitaliste domestique sur leurs propres réseaux bureaucratiques. C’est ce genre de gouvernements ultraconservateurs racistes, sexistes et homophobes que l’on retrouvent en Hongrie et en Pologne.
Au Royaume-Uni, la tendance à la fragmentation s’exprime en particulier par un fort soutien à l’indépendance de l’Écosse et un soutien grandissant pour l’autonomie des Pays de Galles. La sortie de l’Union européenne (BREXIT) accentue davantage les divisions nationales et sectaires, en particulier en Irlande du Nord et en Écosse. La question des frontières entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, ainsi qu’entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne est de nouveau au centre des débats, en raison du maintien de l’Irlande du Nord dans l’Union européenne. La violence sectaire est de retour et un référendum de réunification de l’Irlande est demandé par les nationalistes du Sinn-Fein.
D’autres gouvernements dans lesquels la bourgeoisie est plus instable empruntent le chemin de la conciliation entre les particularismes des différentes communautés nationales, religieuses, linguistiques, etc. C’est le cas notamment en Belgique et au Liban, où des pourparlers sans fin mènent à des compromis gouvernementaux extrêmement volatils. Ces échecs à partager le pouvoir soulignent les limites de la gestion particulariste des questions nationales.
Luttes nationalistes démocratiques et anti-austérité
Toutefois, certaines tendances nationalistes se mobilisent contre l’austérité capitaliste à travers la lutte pour les droits démocratiques à l’autonomie et à l’indépendance, notamment en Catalogne et en Écosse. Quant à eux, des mouvements autochtones se mobilisent contre l’accaparement capitaliste de leur territoire, notamment au Canada.
En Écosse, l’appui massif pour l’indépendance politique depuis la crise de 2008 continue de croître avec le BREXIT et la situation pandémique. Il représente un espoir pour la classe ouvrière d’en finir avec l’austérité néolibérale. Le Scottish Nationalist Party (SNP) a bâti un discours radical anti-austérité pour cumuler les appuis à son projet nationaliste petit-bourgeois. Mais le SNP n’a aucune intention de rompre avec le capitalisme ni de contrevenir à ses lois. Considérant l’opposition à la tenue d’un second référendum par les autres partis politiques et forces capitalistes, il est peu probable que le SNP décide de tenir un référendum illégal. La tenue effective d’un 2e référendum repose entre les mains des organisations de la classe ouvrière.
Dans l’État espagnol, la question des «régions autonomes» continue de rythmer la lutte des classes pendant la pandémie. La situation révolutionnaire de 2017 en Catalogne – qui a découlé de la lutte de masse pour son indépendance – a laissé une situation de crise constitutionnelle toujours en cours. La classe ouvrière et la jeunesse ne se sont toutefois pas laissé intimider par la répression tous azimuts de l’État fédéral espagnol. Elles ont répondu par des grèves générales et trois nouvelles victoires électorales pour des partis pro-indépendance. Les développements de la crise mondiale laissent présager de nouvelles périodes de lutte de masse en Catalogne et ailleurs dans la péninsule. Les Pays basques ont d’ailleurs connu des grèves dans l’industrie de l’automobile, dans le secteur de l’éducation et de la santé durant la pandémie.
Au Canada, les combats les plus résolus pour la souveraineté territoriale menacée par les politiques de l’État fédéral sont ceux des communautés autochtones. Ces dernières réclament l’application de leurs droits territoriaux contre la construction de pipelines, de mines, de barrages ou contre la fracturation hydraulique.
Une approche marxiste
Les luttes nationalistes peuvent constituer une résistance populaire contre l’exploitation capitaliste. Dans les exemples cités précédemment, on retrouve des peuples qui en ont assez de voir leurs droits démocratiques bafoués, leurs ressources pillées et leur travail réalisé au profit d’une élite de riches. À titre d’exemple, la classe ouvrière américaine a beaucoup plus en commun avec la classe ouvrière chinoise qu’avec sa propre classe capitaliste.
C’est la classe ouvrière qui veut la distribution de vaccins gratuits, la conservation écologique de nos territoires et de leurs ressources, l’arrêt des guerres ainsi que la défense des droits syndicaux et des droits démocratiques. Ce sont les capitalistes qui veulent tout exploiter en anéantissant les droits et les réglementations pour arriver à leurs fins. Voilà pourquoi notre rôle consiste à pointer du doigt les vrais ennemis de la classe ouvrière et à s’organiser contre eux, autant au niveau national qu’international.
Dans la pratique, cela signifie la discussion et le réexamen constant des slogans et des tactiques que nous mettons de l’avant. Seule l’action de la classe ouvrière utilisant ses propres méthodes de lutte de masse – celles qui visent à faire tomber le capitalisme et à assurer sa prise du pouvoir – peut assurer la résolution des questions nationales. La conquête des droits démocratiques nationaux spécifiques ne peut s’effectuer que par des mouvements ouvriers multinationaux et multiethniques dans le cadre de la lutte pour le socialisme international.