Les Talibans progressent alors que les troupes occidentales se retirent

Avec la date de retrait des forces américaines et de la coalition du contrôle de l’Afghanistan fixée par Biden à la fin du mois d’août, un élan s’est créé derrière les talibans. Une guerre ingagnable, initiée par le président Bush et le premier ministre Blair il y a presque deux décennies, est en train de connaître une conclusion ignominieuse et humiliante pour l’impérialisme occidental. Malgré toutes les destructions, les morts, les milliers de milliards de dollars dépensés et les promesses vides, les États-Unis et leurs alliés n’ont retiré aucun avantage tangible du conflit, et encore moins le peuple afghan.

Le président Ghani et le gouvernement afghan voient leur pouvoir s’évaporer à l’œil nu à mesure que se retire la base de leur soutien, les forces armées américaines et alliées. On assiste à un effilochage de l’autorité centrale. Chaque jour, des rapports font état de défections de troupes de l’armée afghane et de leurs armes au profit des talibans. Des unités entières ont fui à travers les frontières vers le Tadjikistan voisin. Très rapidement, la plupart des postes frontières, de tous les côtés du pays, sont tombés aux mains des talibans. Un tiers des districts sont désormais sous la coupe des talibans, même si, pour l’instant, les principales zones urbaines échappent à leur contrôle direct.

La situation comporte des similarités avec les derniers jours du régime fantoche du Sud-Vietnam en 1975, dont le pouvoir et l’autorité se sont effondrés lorsque les États-Unis ont mis fin à leur intervention militaire directe. Les scènes chaotiques qui ont accompagné le retrait final du personnel américain de Saigon (aujourd’hui Ho Chi Minh Ville) ont longtemps hanté la classe dirigeante aux États-Unis, et il est certainement possible qu’un tel scénario se reproduise plus tôt que prévu à Kaboul.

Les talibans ne peuvent bien entendu pas être considérés comme une force progressiste contrairement aux forces qui ont mené la lutte pour la libération nationale au Vietnam (en dépit de toutes leurs déficiences staliniennes). Ce sont des obscurantistes religieux et des réactionnaires qui ont brutalement persécuté des minorités et les femmes, y compris en leur refusant le droit à l’éducation et au travail. Ils exercent un contrôle répressif sur tous les aspects de la vie des femmes au moyen de punitions barbares telles que la flagellation.

La rapidité et l’ampleur de l’effondrement ont surpris et alarmé une grande partie de la classe dirigeante en Europe et aux États-Unis. Nombreux sont ceux qui, surtout en Europe, espéraient que le nouveau président Biden reviendrait sur l’accord signé à Doha à l’automne 2020 entre l’administration Trump et les talibans, qui marquait la fin de l’intervention américaine directe en Afghanistan. Mais en fait, Biden a doublé la mise sur le retrait des forces, en essayant de faire en sorte que celui-ci prenne place le plus rapidement possible.

L’histoire de l’intervention occidentale est celle d’une guerre brutale menée contre de larges pans de la population rurale, qui, loin de faire reculer l’opposition, a contribué à l’alimenter et à reconstituer le soutien dont bénéficient les talibans. Le pays n’a absolument pas réussi à éradiquer le tribalisme, la corruption et le népotisme, à développer l’économie ou à construire une infrastructure. Pour tous les trillions dépensés par l’Occident en bombes au cours des deux dernières décennies, seule une somme dérisoire a été dépensée pour améliorer la vie des Afghans. Kaboul reste ainsi la seule capitale d’Asie sans gare ferroviaire.

L’espoir de Biden est de rallier les talibans à sa cause. Toute l’argumentaire des États-Unis selon lequel ses intérêts en Afghanistan découlent de préoccupations liées aux droits humains s’effondre.

Bien sûr, on oublie souvent que les talibans étaient à l’origine des protégés des États-Unis dans les années 1980, agissant de concert avec les services secrets pakistanais, lorsque l’objectif principal était de renverser le régime communiste en Afghanistan, un régime soutenu militairement par l’Union soviétique. Mais, comme pour Al-Qaïda, les talibans se sont très vite retournés pour mordre la bête (américaine) qui les avait nourris.

Le principal intérêt de Biden est de s’assurer que ni Al-Qaïda ni l’État islamique n’établissent une base en Afghanistan d’où ils pourraient diriger des attaques contre les États-Unis. Une guerre de longue haleine et une instabilité continue pourraient rendre ce scénario de cauchemar plus probable. C’est pour cette raison que les États-Unis ne comptent pas simplement sur la survie du gouvernement afghan actuel, mais qu’ils sont prêts à traiter avec les Talibans à condition qu’ils ne soutiennent ni Al-Qaïda ni l’État islamique.

En fait, le régime islamique d’Iran a les mêmes considérations que les États-Unis. Face à la perspective du chaos, le régime iranien vient de conclure des pourparlers à Téhéran avec de hauts représentants des Talibans. Bien que le régime iranien et les Talibans promeuvent deux versions très différentes de l’Islam, Téhéran tient à assurer la stabilité dans la région, à condition que la minorité sunnite des zones frontalières de l’Iran ne soit pas encouragée à faire valoir ses intérêts et que l’État islamique soit maintenu sous contrôle. Rien de tout cela n’est certain, bien que la dernière fois que les Talibans étaient au pouvoir, les deux régimes aient coexisté de manière assez heureuse, opprimant tous deux leurs populations et imposant un islam fondamentaliste – l’un dans sa version chiite, l’autre dans sa version sunnite.

Que va-t-il se passer dans un avenir immédiat? L’armée afghane, formée et armée par l’Occident, semble démoralisée et incapable de monter une campagne militaire sérieuse. Ghani se tourne de plus en plus vers les chefs de guerre discrédités pour qu’ils fassent appel à leurs milices privées afin de mener la guerre. Ces forces ne bénéficient pas d’un soutien populaire, même dans les zones opposées aux talibans.

Le retrait des forces de l’OTAN entraînera également le retrait du soutien logistique de l’armée de Ghani, ainsi que du soutien aérien et d’une grande partie du réseau de renseignement. Selon les estimations des services de renseignement américains, ce n’est qu’une question de mois avant que Kaboul et les autres centres urbains ne tombent aux mains des talibans. Toutefois, cela n’est pas encore certain.

Les talibans eux-mêmes dépendent fortement du soutien des Pachtounes, mais les autres minorités nationales, surtout dans le nord du pays, les considèrent avec hostilité. En outre, dans les zones urbaines, notamment à Kaboul, les talibans sont détestés.

Il semblerait que des milices populaires aient été créées, surtout des milices de femmes, pour se défendre contre les talibans. Bien que ces initiatives n’en soient qu’à leurs débuts, si des milices populaires dotées de structures démocratiques peuvent être créées dans les zones urbaines, une véritable résistance populaire aux talibans pourrait être possible.

Avant tout, comme l’expérience de l’année dernière l’a montré, il ne faut pas compter sur les pays impérialistes, qui défendront toujours leurs intérêts impérialistes en premier lieu. C’est aussi vrai en Afghanistan qu’auparavant au Kurdistan.

Un véritable mouvement de résistance devra reposer sur la classe ouvrière et les pauvres, en liaison avec les comités de femmes, et en toute indépendance des seigneurs de guerre et des chefs tribaux dont l’héritage de corruption et de brutalité a été un facteur important de la résurgence des Talibans. La classe ouvrière en Afghanistan et dans les pays de la région, en Iran et au Pakistan, et au-delà en Chine, en Inde et en Russie, est la clé d’une solution durable à la guerre, à la pauvreté et au sous-développement qui frappent l’Afghanistan depuis si longtemps.


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