Délégué.es de Québec solidaire en instance

Tournant disciplinaire à Québec solidaire

Délégué.es de Québec solidaire en instance

Québec solidaire vient de franchir une nouvelle étape dans sa gestion des débats internes. À 15 ans, le parti se dote de nouvelles régies internes risquant d’étouffer les critiques légitimes en les qualifiant d’attaques personnelles ou d’atteintes au parti et à ses valeurs.

Réuni·es virtuellement les 15 et 16 mai dernier, les 200 délégué·es du Conseil national (CN) de Québec solidaire ont adopté, avec une majorité écrasante, un nouveau Code d’éthique, une nouvelle Politique de résolution des conflits, une nouvelle Politique nationale d’investiture ainsi qu’une motion de blâme contre le Collectif antiraciste décolonial (CAD).

Il est souhaitable et nécessaire d’adopter des politiques claires contre le harcèlement, les agressions et toutes les formes de discrimination afin d’assurer la pleine implication de toutes les personnes membres. Même celles en lutte contre l’exploitation et les différentes formes d’oppressions ne sont pas immunisées contre les préjugés de la société dans laquelle nous évoluons.

Or, contrairement à ce qu’espèrent bien des membres, les politiques adoptées en CN répondront mal à ces besoins. Plutôt que de garantir à toute personne la possibilité d’évoluer dans le parti, elles risquent d’instituer une culture de griefs formels. De plus, elles prêtent flanc à leur instrumentalisation politique. Tels qu’ils ont été adoptés, le Code d’éthique et la Politique de résolution ouvrent la porte à des accusations de «manque d’éthique» pouvant être utilisées pour contourner des confrontations politiques légitimes. Des divergences politiques, essentielles et inévitables dans un parti démocratique sain, pourraient être balayées sous le tapis en accusant un côté de s’attaquer à la dignité d’une personne, de nuire au parti ou d’aller contre ses valeurs.

Plus difficile de critiquer

Le droit à la dissidence inscrit à l’article 4.3 des statuts s’en trouve donc remis en question indirectement. Le Code d’éthique institue désormais en valeur inviolable la protection de la « réputation du parti, des membres et des personnes élues ». Il est maintenant interdit à toute personne membre, instance, réseau ou comité de contrevenir à cette nouvelle valeur, par exemple en critiquant publiquement des déclarations faites par les député⋅es.

Voté lors du CN de mars 2019, le mandat original d’un Code d’éthique et déontologique visait d’abord et avant tout à prévenir le manque de transparence et les conflits d’intérêts qui pourraient toucher les député⋅es, employé⋅es et les autres membres du parti. Le nouveau Code d’éthique s’articule plutôt autour des valeurs morales exigées de la part des membres. À titre d’exemple, rien ne vient limiter les privilèges indus dont les député⋅es bénéficient (ex. salaire de base de 95 704$/an et indemnités additionnelles). En revanche, il est important que tout membre révèle ses liens avec d’autres partis politiques.

De plus, les « manquements éthiques » qui découlent du non-respect des nouvelles valeurs du parti sont mis au même niveau que les actes de harcèlement, d’agression ou de corruption.  

Du côté de la Politique d’investiture, une personne Responsable nationale des investitures nommée par la direction de QS sera chargée d’évaluer si chaque candidature solidaire « adhère aux valeurs du parti ». Cette personne responsable des investitures en est juge et partie, car tout appel de ses décisions revient sur son propre bureau! Ce filtrage pourrait ainsi annuler le choix démocratique d’une candidature choisie en assemblée de circonscription. 

L’approche centralisatrice des nouvelles régies internes de QS le pousse davantage du côté des partis traditionnels de l’Assemblée nationale. Cette avenue, c’est celle qui n’autorise pas à déroger de « la ligne du parti » sans en subir les conséquences. Le CN a d’ailleurs adopté une résolution équivoque en mars 2019 permettant ultimement d’assurer cette ligne de parti au parlement. Elle offre la possibilité au caucus parlementaire « de suspendre une personne membre de la députation en raison de circonstances exceptionnelles » (art. 13.4.1). 

Il n’est pas surprenant qu’une pléthore de chroniqueurs ait pris parti en faveur de la direction de QS dans sa volonté de blâmer le CAD et éventuellement le dissoudre au prochain congrès. Tout le tapage médiatique autour de l’arbre du CAD a participé à cacher l’institutionnalisation que constitue la forêt des nouvelles politiques de régie interne.

Un processus hors d’atteinte des membres de la base

La mise sur pied de régies internes est tout à fait légitime. Toutefois, elle l’est moins lorsque leur élaboration, leur application et leur contrôle ne sont pas entre les mains des membres de la base. Les processus ayant mené à l’adoption de ces régies n’ont pas suivi les chemins démocratiques habituels. Ils ont plutôt été accélérés et remis entre les mains de comités de rédaction nommés. Le passage par les instances démocratiques habituelles aurait soumis les régies aux amendements directs des membres et au travail du comité synthèse. La formule des consultations non décisionnelles a plutôt été retenue afin d’aider les travaux des comités. Les textes présentés à la mi-mai étaient donc à prendre ou à laisser.

Certes, cette «voie express» émane de la volonté même des délégué⋅es des CN précédents. Les appels à «l’urgence» et au «respect du travail effectué» ont fonctionné. En conséquence, les débats politiques essentiels concernant la raison d’être des régies internes ont été escamotés. Maintenant devant le fait accompli, les membres risquent d’expérimenter un remède pire que le mal.

Par exemple, la nouvelle Politique de résolution des conflits institue un Comité d’éthique parallèle aux structures démocratiques de QS. Ses quatre membres seront ultimement entériné⋅es par la direction du parti, soit le Conseil de coordination national (CCN). Cette distance du Comité d’éthique par rapport au reste des membres est accentuée par la nécessité d’avoir une expertise en gestion relationnelle pour y siéger. Cette exigence de prérequis n’existait jusqu’ici nulle part à QS. Elle a pour effet d’exclure arbitrairement la majorité des membres de ces postes, contrairement à tous les autres postes élus.

En outre, la Politique de résolution stipule que la vérification des « faits » auprès de toutes les personnes ou instances impliquées dans une plainte est facultative. Une personne qui serait « jugée coupable » par ce Comité d’éthique pourra uniquement faire appel à un comité formé de cinq membres de la direction, pas aux instances démocratiques du parti. Certes, une situation de violence présente une asymétrie de pouvoir défavorisant la personne plaignante. Dans les cas d’agression manifestes, des mesures immédiates doivent être prises afin de garantir la sécurité de la personne plaignante. Toutefois, le traitement des plaintes générales doit garantir l’équité en droit à toutes les personnes membres et permettre à toutes les parties de donner leur version des faits.

En outre, la Politique de résolution n’est pas en adéquation avec le cadre de référence de gestion de plainte de la nouvelle Politique d’investiture. Dans cette dernière, on assure minimalement que la partie défenderesse a « le droit de présenter des arguments pour se défendre et donner sa version des faits ».

Une rigidification de la vie démocratique interne

Ces décisions s’inscrivent dans un processus de rigidification de la vie interne du parti, déjà en branle depuis quelques années. La phase de préparation en vue des élections de 2022 est accompagnée d’une série de dossiers disciplinaires traités en CN. On y compte la dissolution de la Commission thématique sur les droits des peuples autochtones, celle du collectif Laïcité et le blâme au CAD. S’ajoute à cela le refus par la direction de QS, après deux ans d’attente inutile, de recommander en CN qu’Alternative socialiste devienne un collectif officiel.

Les accusations de non-respect des valeurs et principes du parti ainsi que celle du « dénigrement de la position majoritaire » et de la « non-reconnaissance du travail accompli » (positions tirées directement des documents d’Option citoyenne) ont déjà été utilisées plusieurs fois dans ces cas.

La nouvelle habitude à organiser des consultations non décisionnelles participe aussi à éloigner les membres du contrôle effectif de leurs propres campagnes, politiques et positions. QS marche ainsi dans les pas d’autres organisations larges de gauche, telles PODEMOS en Espagne ou La France Insoumise.

Si la direction espère répondre à des objectifs d’efficacité en « déchargeant » les membres de certains débats, nous pensons qu’il s’agit d’une erreur. Le parti peut se fortifier dans le cadre des débats politiques internes. L’accumulation d’expérience par les membres du parti s’effectue d’abord et avant tout à travers les luttes concrètes et les débats internes parfois durs.

Opportunités de formation politique manquées

Les consultations et délibérations autour des codes, politiques et blâme n’ont pas permis d’aborder les raisons politiques qui légitiment leur adoption. Dans le cas du Code d’éthique et de la Politique de résolution, des débats et formations sur les racines du sexisme et du racisme auraient pu se tenir dans le but d’offrir une base de compréhension politique commune aux membres. Or, la majorité des associations locales n’ont même pas eu le temps de discuter de ces documents. 

Obtenir une adhésion politique consciente des membres prend du temps et de l’énergie. Mais il s’agit de la meilleure voie à prendre afin de former des membres capables de réellement pratiquer les valeurs du parti dans leur vie militante et d’en convaincre les autres. 

En CN, les débats ont essentiellement porté sur des formalités. Tout s’est déroulé dans l’espoir que les idées contenues dans ces codes et politiques soient assez puissantes en elles-mêmes pour changer les pratiques et garantir le respect des valeurs de QS. De plus, aucun suivi, formation ou atelier ne sont prévus pour offrir aux associations l’opportunité de s’approprier les nouvelles politiques internes.

C’est pourtant à travers la pratique, le dialogue franc et l’expérience de la contradiction que les comportements changent.

Instrumentalisation des identités

Ces codes et politiques ne seront pas sans effet sur la forme que prendront désormais les affrontements politiques dans QS. Avant même l’adoption de la Politique d’investiture, la direction de QS a déjà exposé son approche de démarchage de candidatures pour les associations locales des circonscriptions gagnables en 2022. Des candidatures « de qualité », femmes, racisées et issues de la diversité seront favorisées. 

Il est tout à fait juste de faire des efforts pour présenter des candidatures qui représentent la diversité de la classe ouvrière. En revanche, recruter, former politiquement et proposer des candidatures solides et diversifiées nécessite du travail patient en amont d’une campagne électorale. Ce travail de développement politique implique un enracinement de QS dans les luttes concrètes des groupes concernés.

Sans une adhésion politique consciente et militante de ces candidatures au projet et valeurs de QS, un risque d’instrumentalisation se présente (tokenization). Les attributs d’une personne (genre, couleur de peau, etc.) revêtent alors plus de valeur que ses idées politiques, surtout si ces idées sont critiques envers le parti.

Pour nous, la lutte socialiste ne doit oublier personne. C’est en menant des luttes aux côtés de toutes les communautés qui constituent la classe ouvrière, en particulier celles vivant des oppressions spécifiques, que la diversité et l’inclusion s’organisent dans un parti. La lutte à la violence et aux oppressions s’inscrit dans un travail collectif démocratique qui doit se transcrire dans les orientations stratégiques de construction du parti. Les discours et les candidatures symboliques ne suffisent pas.

Gérer les débats démocratiquement, une approche de classe

Le dernier CN de QS a adopté des documents de manière précipitée en faisant l’économie des débats politiques et démocratiques nécessaires. Ses décisions s’inscrivent dans une stratégie politique qui est à la remorque de celle de l’aile parlementaire. Cette stratégie à courte vue repose sur la quête d’une couverture médiatique dans laquelle QS apparaît comme modéré, uni et où les idées radicales y sont marginalisées. La dernière année est éloquente à cet égard. Les sanctions sont tombées sur les groupes concernés après qu’ils se soient exprimés ouvertement dans les médias. 

D’autres encore estiment qu’éviter ou escamoter les débats internes permet d’être plus efficaces et de donner plus de place aux membres. Voilà bien le comble du paradoxe! 

Rien ne pousse autant le parti à la fragmentation et au mécontentement que le refoulement des critiques. Ces stratégies d’évitement des débats sont contraires à ce qui fait la puissance politique unitaire du mouvement ouvrier et de ses partis: une culture de débats politiques libre, démocratique et patiente destinée à orienter sa pratique sur le terrain des luttes. Il s’agit du meilleur outil pour s’enraciner dans la diversité de toute la classe ouvrière. Il n’y a pas de raccourcis bureaucratiques ou symboliques pour y arriver.

Le rôle de la direction d’un parti de classe est de favoriser une telle culture afin d’élever le niveau politique des membres. Il ne s’agit toutefois pas que d’une question de pédagogie calculable en nombre d’ateliers. C’est un enjeu de pratique politique. Il s’agit de tremper les membres dans la confrontation d’idées et l’action politique concrète. C’est ce genre de capacité qui permet d’aider de larges couches de la classe ouvrière à s’organiser politiquement et à développer ses propres leaders. C’est ce type de culture qui permet à un parti d’aller chercher une adhésion massive à son programme politique et à établir un vrai rapport de force face aux gouvernements pro-capitalistes comme celui de François Legault.

C’est pour cette raison que les membres d’Alternative socialiste s’impliquent aux côtés des membres de QS dans des campagnes de terrain pour défendre les intérêts des travailleurs et les travailleuses, comme avec Pasavendre.ca. En accumulant l’expérience des luttes de cette manière, nous participons à bâtir une force socialiste réellement implantée dans la classe ouvrière.


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