La vague de féminicides du début de l’année 2021 a ébranlé tout le Québec. Cette horrible situation souligne l’incapacité des gouvernements à gérer la crise économique, la crise sanitaire et la flambée de violence qui en résulte. Au cœur de cette incompétence à assurer la sécurité des femmes et des familles réside le refus obstiné de leur garantir l’accès à un logement exempt de violence qui répond à leurs besoins. C’est dans ce contexte que les membres d’Alternative socialiste ont lancé la campagne Pasavendre.ca
Selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), près du deux tiers des situations de violence conjugale ou d’agressions sexuelles se déroulent dans le logement où les femmes résident. Avec les confinements et les couvre-feux imposés par le gouvernement du Québec, plusieurs se sont retrouvées prisonnières de domiciles où règne la violence.
Comment quitter une situation de violence lorsqu’on ne peut pas être hébergée chez un proche, que les places dans les refuges pour personnes violentées sont limitées ou que l’on a peur d’attraper la COVID-19? Comment quitter un conjoint violent quand les visites de logements à louer sont presque impossibles, que les logements sont trop chers et que les locateurs discriminent ouvertement les mères? Quoi faire lorsque l’on perd son emploi, qu’on est mal payées, que les écoles sont fermées et qu’il n’y a pas assez de places en garderie?
Hausse des féminicides à prévoir
Tous ces obstacles se font maintenant sentir de la pire des manières. Durant les 4 premiers mois de 2021, 10 femmes ont été tuées au Québec par un conjoint ou un ex-conjoint, laissant 20 enfants orphelins. Ce nombre dépasse déjà celui des huit féminicides de l’an dernier. Si l’année 2020 a été ponctuée de meurtres en série violents et sordides, les féminicides de 2021 ont été extrêmement brutaux. Le nombre d’accusations reliées à la violence conjugale a d’ailleurs bondi de 45% depuis les 5 dernières années.
Le gouvernement Legault et les autorités sanitaires ont pourtant légitimé l’automne dernier la réouverture des écoles en affirmant que le confinement rend les enfants plus vulnérables aux violences domestiques. Or, cette logique n’a pas semblé s’appliquer aux femmes. On sait maintenant que les retours à l’école – improvisés et sans moyens suffisants – ont produit les foyers d’éclosion de coronavirus les plus importants au Québec, après ceux des milieux de travail. Le vrai objectif de la Coalition avenir Québec (CAQ) n’était pas de garantir la sécurité des enfants, mais bien de « relancer l’économie » en garantissant que les parents puissent aller travailler de nouveau.
Les centaines d’éclosions dans les écoles ont forcé un grand nombre d’enfants à se mettre en isolement à la maison. Et ce sont les femmes qui ont pris sur leurs épaules le poids des congés forcés pour prendre soin de la famille. Celles qui vivaient déjà de la violence domestique se sont retrouvées encore plus coincées chez elles.
La CAQ se sauve la face
On comprend mieux alors le manque de vision à long terme du gouvernement face au financement des maisons d’hébergement pour femmes. Ces dernières n’ont eu que des miettes lors du dépôt du budget annuel de la CAQ le 25 mars. Dans un article publié la veille, Claudine Thibodeau de SOS violence conjugale signalait que dans 30% des cas de demandes d’aide, son organisme demande à la personne de rappeler plus tard faute de place pour la loger. À la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHM) du Québec, on y refuse l’hébergement à 10 000 femmes par année pour la même raison.
La ministre de la Condition féminine, Isabelle Charest, a toutefois eu le culot de participer à la manifestation du 2 avril organisée par les regroupements de maisons pour femmes. Cette journée de mobilisation visait à dénoncer la vague de féminicides et à réclamer davantage de financement gouvernemental pour venir en aide aux victimes de violences conjugales. Des manifestations ont été organisées dans une vingtaine de villes au Québec. Des centaines de personnes se sont rassemblées à Québec tandis que des milliers ont marché à Montréal.
Le gouvernement s’est ravisé à la fin du mois d’avril en annonçant un plan de près de 223 millions $ sur cinq ans pour lutter contre la violence conjugale et les féminicides. Ce financement a été bien accueilli par la FMHM. Ce retournement cache toutefois un angle mort qui touche particulièrement les femmes qui travaillent, qu’elles soient salariées ou non. Il s’agit du déni du premier ministre Legault et de sa ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, à reconnaître la crise du logement actuelle. En jouant à l’autruche de la sorte, le gouvernement de la CAQ continue de mettre en danger la sécurité des femmes et des familles.
Des mères de la classe ouvrière
Il est vrai que la violence conjugale touche les femmes de toutes les classes sociales. Or, les féminicides de 2021 se sont abattus presque uniquement sur des bas salariées ou des mères au foyer par obligation. Parmi les 10 femmes assassinées au Québec jusqu’à maintenant, toutes sauf une étaient des mères. La moitié avaient des familles de plus de 3 enfants. La même proportion travaillait soit en garderie ou en résidence pour personnes âgées, des emplois peu rémunérés.
De manière générale, les femmes sont plus nombreuses à occuper des emplois à temps partiel, précaires et non syndiqués. En conséquence, leurs revenus sont plus bas que ceux des hommes. Elles sont donc plus souvent locataires. Elles sont également majoritaires parmi les locataires de logements sociaux. Ce déséquilibre économique s’accentue si la personne se bute aux obstacles et aux discriminations qui affectent les personnes issues de l’immigration, racisées, autochtones ou handicapées. Six des 10 femmes assassinées appartenaient à une minorité visible. Dans le cas de la 8e victime, Kataluk Paningayak-Naluiyuk, comment pouvait-elle quitter un conjoint violent avec 6 enfants, sans moyen financier, sans service ni logement abordable accessible?
Une crise du logement qui s’abat sur les femmes
L’autonomie financière des femmes est centrale pour leur permettre de quitter une relation de violence conjugale et de trouver un logement qui répond à leurs besoins. Au moment d’écrire ces lignes, la classe ouvrière du Québec traverse la pire crise du logement depuis des décennies. Les hausses de loyer abusives, l’explosion du nombre de rénovictions, la pénurie de logements pour les familles ou la décrépitude des logements sociaux affectent majoritairement la situation des femmes travailleuses.
Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) rappelle que déjà en 2018 – avant la pandémie et la crise du logement actuelle – 244 120 ménages locataires avaient des besoins impérieux de logement au Québec. C’est-à-dire que ces ménages habitaient un logement trop cher, trop petit ou en mauvais état. Le dernier budget de la CAQ ne prévoit livrer que 6 000 logements sociaux des 11 000 déjà promis, mais toujours pas réalisés. S’ajoute à cela la promesse de construction de 500 nouvelles unités d’ici 4 ans, pour tout le Québec!
Les élites politiques sont incapables d’assurer aux travailleuses et à leur famille des logements décents en « temps normal ». Tout ce qu’elles trouvent à faire en temps de crise, c’est se mettre la tête dans le sable!
Loger les femmes, loger tout le monde
Dans l’intérêt des femmes et de toute la classe ouvrière, il est essentiel de se battre dès maintenant pour un gel du coût des loyers, leur fixation automatique selon la capacité de payer des ménages et pour une interdiction des rénovictions.
La mise sur pied d’un vaste chantier de logements publics abordables et écoénergétiques est également nécessaire pour répondre aux besoins immédiats. Toutefois, la crise du logement ne se réglera jamais si le privé demeure responsable de l’aménagement, de la construction, de la rénovation, de la gestion en plus d’être propriétaire des terrains et des immeubles du parc locatif. Dans le contexte actuel, tout l’argent gouvernemental d’un vaste et nécessaire chantier public pour le logement social irait directement dans les poches des grandes compagnies privées.
Nos quartiers, nos besoins
Paradoxalement, le privé n’a jamais autant construit de logements résidentiels au Québec que durant les deux dernières années! Mais il s’agit essentiellement d’unités dispendieuses et profitables, pas de logements abordables. Pour s’attaquer à la racine du problème, il faut rompre avec les politiques actuelles qui sacrifient nos quartiers et nos logements aux plus offrants.
Il faut surtout chasser tous ces politiciens et ces politiciennes qui se mettent à genoux devant les spéculateurs immobiliers, les grands propriétaires ou les constructeurs de condos de luxe. Ce soutien de l’élite politique aux forces capitalistes condamne toute réforme en profondeur qui risquerait d’entraver les profits de l’industrie immobilière. Pour briser ce cycle de crises du logement, il sera nécessaire que l’industrie de la construction – tout comme le parc locatif – passe majoritairement entre les mains de l’État. De cette manière, il sera possible de planifier démocratiquement le développement résidentiel selon les besoins en assurant qu’il soit contrôlé par les travailleurs et travailleuses.
D’ici là, des centaines d’unités de logement de luxe sont vides. Autant de terrains et d’immeubles sont vacants, abandonnés ou gardés insalubres par des propriétaires négligents. Exigeons que les pouvoirs publics les exproprient afin de les reconvertir en fonction des besoins des gens!
Organisons-nous politiquement à travers nos syndicats, nos associations étudiantes ou nos groupes de quartiers pour réclamer le contrôle de nos milieux de vie! Les associations locales et régionales de Québec solidaire peuvent aussi jouer un rôle dans cette lutte. Comme c’est le cas avec la campagne Pasavendre.ca dans le Sud-Ouest de Montréal, il est possible pour les membres solidaires de s’impliquer dans leurs communautés, avec patience et en faisant preuve de leadership politique.
Lutter pour l’accès à un logement décent et abordable, c’est lutter contre les conditions qui mènent à la violence domestique. Au-delà des hommages symboliques, posons des gestes concrets pour que les féminicides s’arrêtent!
Joignez la campagne Pasavendre.ca pour vous mettre en action dès maintenant!