Un programme socialiste révolutionnaire est nécessaire pour s’unir contre l’extrême-droite

Pablo Iglesias

La nette victoire du Parti Populaire (PP, droite) aux élections régionales de Madrid sera une pilule amère à avaler pour les travailleuses et travailleurs, les jeunes et toutes celles et ceux qui ont souffert l’année dernière de la pandémie. Le personnel soignant, qui a vaillamment tenté de surmonter la gestion exécrable et parfois criminelle de la crise par le gouvernement régional du PP, aura tout particulièrement du mal à comprendre ce qui s’est passé. Au début de la crise, en mars, 2020 résidents de maisons de retraite privatisées ont été littéralement laissés à l’abandon par le gouvernement de Madrid.

La participation à ces élections a augmenté de 11% par rapport à 2019 pour atteindre 75,9%, une participation élevée pour une élection régionale. Cela reflète l’atmosphère polarisée de cette campagne. Pablo Iglesias, le dirigeant d’Unidas Podemos qui avait démissionné de son poste de vice-président du gouvernement espagnol pour mener la campagne du parti, et d’autres leaders de gauche ont par exemple reçu des balles par la poste et des menaces de mort.

Il y a clairement des gagnants et des perdants. Le PP dispose de 35 sièges en plus et a obtenu plus de 864 000 voix supplémentaires. Le parti populiste de droite Ciudadanos a perdu ses 26 sièges et plus de 500 000 voix, probablement majoritairement récupérées par le PP. Le parti néofasciste VOX a gagné un siège supplémentaire, et en obtient dorénavant 13, et 35 000 voix de plus. Le PP est en mesure de constituer un gouvernement avec le soutien ou l’abstention de Vox.

Le PSOE, le parti social-démocrate qui dirige le gouvernement espagnol, est le grand perdant. Il est passé du plus grand parti disposant du plus de voix et du plus grand nombre de sièges en 2019 à la troisième place aujourd’hui, derrière Más Madrid, la scission modérée de Podemos. Malgré une campagne très médiatisée menée par Pablo Iglesias, Unidas Podemos (UP) n’a obtenu que trois sièges supplémentaires et une augmentation modérée du nombre de ses voix.

Les élections ne constituent jamais qu’un instantané de l’atmosphère de de la société. Ces élections régionales soulèvent toutefois des questions fondamentales que les marxistes doivent aborder sérieusement.

Un virage à droite à Madrid et dans l’État espagnol ?

Le PP et Vox ont présenté le résultat électoral comme un choix entre la liberté ou le communisme, tandis qu’Iglesias a rétorqué qu’il s’agissait de choix entre la démocratie ou le fascisme. Comme mentionné précédemment, Pablo Iglesias a reçu quatre balles dans un courrier avec une menace de mort contre lui, sa compagne et ses parents. Lors d’un débat à la radio, il a mis au défi la candidate de Vox de condamner les menaces de mort, et quand elle a refusé, il a quitté le débat, suivi par les candidats du PSOE et de Más Madrid.

Pablo Iglesias a eu raison de démissionner de son poste de vice-président pour se présenter aux élections de Madrid et affronter directement le PP et Vox. Sa campagne a réveillé beaucoup de travailleuses et travailleurs et surtout les jeunes face à la menace de l’extrême droite. Mais c’était malheureusement trop peu et trop tard. De plus, Iglesias était entaché par sa participation à la coalition gouvernementale.

Socialismo Revolucionario – section d’Alternative Socialiste Internationale dans l’État espagnol – a fait valoir au moment de la formation du gouvernement de coalition PSOE / Unidas Podemos qu’au lieu de s’y joindre, Unidas Podemos aurait dû soutenir la formation d’un gouvernement PSOE de l’extérieur pour faire barrage à la droite, tout en conservant son indépendance politique en restant dans l’opposition. En faisant partie du gouvernement du PSOE, Unidas Podemos s’est isolé des travailleurs et de la lutte de la rue. Nous disions alors : «Ce retrait de la rue et cette entrée à part entière dans le jeu institutionnel avaient déjà fait perdre à Unidas Podemos de nombreux votes et sièges lors des dernières élections, et sa base de soutien pourrait encore diminuer au profit d’autres forces perçues comme plus « anti-système ». De ce point de vue, l’extrême droite Vox pourrait se positionner comme une force anti-système et rallier encore plus de soutien.» Malheureusement, cette perspective a été confirmée par les événements. Iglesias a maintenant annoncé sa démission de la direction de Podemos, et de la politique tout court, en raison de l’échec de sa stratégie.

Isabel Díaz Ayuso (figure de proue du Parti populaire) est parvenue à surmonter le scandale des décès dans les maisons de retraite, celui des conséquences des années de sous-investissement dans les services de santé de Madrid responsables de la contamination plus élevée dans la région ou encore celui de leur mauvaise gestion générale de la crise. Ayuso s’est présentée comme une sorte de Trump espagnol en défendant la liberté de maintenir l’économie en marche contre les restrictions du gouvernement du PSOE. En invoquant la liberté des Madrilènes, elle a ignoré les recommandations du gouvernement de fermer la vie nocturne animée de la capitale en réponse à la pandémie. Elle a insisté pour que les bars et les restaurants restent ouverts, malgré des taux de contamination parmi les plus élevés du pays. Ayuso, avec l’aide de la presse, a réussi à mobiliser une couche de petits commerçants en sa faveur.

Ayuso et le leader national du PP, Pablo Casado, présentent leur victoire comme la première étape pour se débarrasser du gouvernement espagnol dirigé par Pedro Sánchez. ¡Madrid es España! (Madrid est l’Espagne) ont-ils crié le soir des élections en recevant les félicitations de Vox. Vox appelle ouvertement à l’interdiction de tous les partis qui soutiennent la rupture de l’État espagnol, y compris les partis indépendantistes de Catalogne et du Pays basque! Le succès de la droite à Madrid ne fera qu’exacerber les questions nationales non résolues.

Ces élections étaient tout autant une opportunité qu’un test pour la gauche. Au début de la campagne, Iglesias a proposé de mener une campagne commune avec Más Madrid pour s’unir contre la droite. Son ancien camarade Iñigo Errejón, aujourd’hui dirigeant de Más Madrid, et son associé Mas Pais au parlement espagnol, ainsi que la candidate madrilène Mónica García ont refusé. La désunion de la gauche est un facteur de démoralisation pour beaucoup de travailleuses et travailleurs et jeunes. Malgré l’augmentation du taux de participation aux élections, plus d’un million de personnes n’ont toujours pas voté.

Les élections de Madrid ont révélé une nouvelle polarisation de la société, entre les classes, les régions et les nations historiques. Elles ont également mis sur la table les politiques réelles du PP et de ses partenaires de Vox. Vox s’est engagé à respecter une série de revendications formulées par l’organisation catholique ultraconservatrice Hazte Oír (Faites-vous entendre) avant les élections. Cette liste en six points comprend un engagement à bloquer l’accès au droit à l’avortement et à l’euthanasie, et à abroger les lois régionales protégeant les personnes contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

En 2019, Hazte Oír a financé un bus pour faire le tour du pays, afin de faire campagne contre les féminazis et la loi espagnole sur la violence sexiste. Le message principal du bus était le suivant : «Ce n’est pas de la violence de genre, c’est de la violence domestique». Le bus comportait également une image d’Adolf Hitler maquillé et portant le symbole du féminisme sur sa casquette militaire, au-dessus du hashtag #StopFeminazis.

Mais il n’y a pas que Vox qui soutient ces idées ultra-réactionnaires. Avant d’être nommée présidente de Madrid la première fois, Ayuso a déclaré à EL PAÍS en janvier 2019 que l’avortement n’est pas le droit de la femme. Ses autres déclarations comprenaient : «Je m’inquiète du fait que le père n’est jamais considéré et que l’avortement est presque utilisé comme méthode de contraception» ou encore «Je ne criminalise personne, mais un pourcentage très élevé [des femmes qui avortent] sont des migrantes ou des femmes sans ressources qui le font pour la deuxième ou troisième fois.» Si Ayuso tente de faire de ces vues rétrogrades une réalité en tant que présidente de Madrid, imaginez la réponse qu’elle obtiendra dans les rues de la part des femmes!

Les tâches qui attendent la gauche

Les élections de Madrid montrent clairement les tâches qui attendent la gauche. La droite et l’ultra-droite sont organisées et ont une vision de ce qu’elles entendent réaliser. Leur discours réactionnaire s’est normalisé dans la presse et même dans les talk-shows en journée.

La gauche doit développer des activistes et des leaders qui ont le courage de faire face aux fascistes, mais qui vont aussi audacieusement au-delà d’une vague et belle défense de la démocratie et qui exposent un programme radical qui apportera un réel changement dans la vie des travailleuses et travailleurs. L’ultra-droite et les idées fascistes seront vaincues par l’unité de la classe ouvrière autour d’un programme de transformation de la société. Un appel à maintenir le statu quo n’inspire pas et ne fera qu’encourager la réaction. En particulier au milieu de la crise sanitaire, la gauche doit mobiliser autour d’un programme capable de fournir des soins de santé gratuits et de qualité pour tous, et de garantir que les revenus et le niveau de vie soient protégés.

En effet, les techniques de propagande utilisées par Vox avaient déjà été testées et éprouvées en Allemagne par les nazis. Vox a attaqué le coût pour la région de Madrid des mineurs migrants non accompagnés sur des panneaux publicitaires géants, et les mots utilisés pour déshumaniser Pablo Iglesias, tels que rat et bossu, reflètent les stratégies utilisées par le parti nazi d’Hitler pour gagner des millions d’Allemand·es désespéré·es dans leur volonté de persécuter et d’anéantir non seulement les Juifs, mais aussi les handicapé·es et les malades.

La victoire de la droite à Madrid est un sérieux coup de semonce, et la gauche doit en discuter ouvertement et de toute urgence avec toutes les sections de la société qui veulent résister. Il est particulièrement urgent d’aborder le meilleur résultat obtenu par VOX dans certains quartiers ouvriers et de lancer des campagnes antiracistes et antifascistes, en particulier parmi les jeunes. VOX a même formé un syndicat réactionnaire, nommé Solidaridad.

Il est clair que le résultat était un vote de protestation contre les politiques de la coalition gouvernementale et leur gestion de la crise du COVID19. Au cours de l’année écoulée, les travailleuses et travailleurs ont mis leur vie en danger et ont assuré la survie de l’économie et de la société, mais il n’y a eu pratiquement aucune voix authentique au Parlement pour exprimer les besoins et les aspirations de la classe ouvrière. Aucune voix ne s’est élevée contre les banques, les multinationales et les grandes entreprises qui profitent de la pandémie et licencient les travailleuses et travailleurs. Malgré la coalition PSOE-UP, il n’y a pas eu de discussion sur un programme socialiste au Parlement pour nous sortir de ce pétrin. La défaite est aussi le lourd tribut payé par la gauche autour de l’UP, pour avoir participé au gouvernement du PSOE qui est basé sur une nébuleuse unité nationale. Cela signifie qu’il n’y a pas eu de véritable opposition politique à la gestion de la crise du COVID19 par le gouvernement régional d’Ayuso Madrid, malgré la colère brûlante des travailleuses et travailleurs, en particulier celles et ceux de la santé de première ligne.

Les socialistes et les travailleuses et travailleurs ne peuvent pas démissionner de la lutte des classes. Beaucoup seront déçus par ce qui s’est passé à Madrid, mais les conditions de la vie quotidienne nous obligent à poursuivre le combat. Une partie de ce combat consiste à comprendre.

Pablo Iglesias se retire de la politique, nous exhortons les militant·es à s’avancer et à rejoindre la lutte pour armer le mouvement d’idées socialistes claires.


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