D’où viennent les émeutes anti couvre-feux?

Les émeutes de ces derniers jours aux Pays-Bas ont principalement touché les quartiers les plus pauvres et leurs habitants. Les commerçants ont vu leurs petits commerces partir en flammes ou leurs stocks finir aux mains de pillards. Certains d’entre eux vont probablement décider de quitter ces zones, ce qui ne fera qu’aggraver la situation de ces régions déjà à peine habitables. On peut comprendre que la majorité de la population soit dégoûtée par ces émeutes. Mais il ne suffit pas de les condamner, il faut aussi comprendre leur cause.

Bien que les Pays-Bas soient un pays qui n’est pas souvent associé à la révolte, ces émeutes ne sont pas une surprise. L’introduction du couvre-feu de trois semaines par le gouvernement intérimaire néerlandais a joué le rôle de la goutte faisant déborder le vase. Ce gouvernement a été mis en place que Mark Rutte, du Parti populaire, ait été contraint de démissionner à la suite d’un scandale. La mesure elle-même bénéficie d’un large soutien dans la population qui repose sur la compréhension de la nécessité de faire baisser le taux de contamination, d’autant plus que la variante britannique devrait frapper les Pays-Bas vers la mi-février. Si cela devait arriver, à la mi-mars, l’épidémie pourrait devenir incontrôlable et, en avril, les hôpitaux seraient débordés, selon l’Institut national pour la santé et l’environnement.

Après des années successives de privatisation des services publics, parmi lesquels les soins de santé, dues aux conservateurs, aux libéraux et aux sociaux-démocrates, la confiance dans l’élite au pouvoir est au plus bas. Depuis des décennies, les syndicats orientent leur action vers la conclusion d’accords avec les patrons, le fameux « modèle des polders » basé sur la collaboration de classe. La social-démocratie (le PVDA) a joué un rôle terrible dans l’application de l’austérité. Même le parti de gauche Socialistische Partij a, au cours de ces deux dernières décennies, abandonné son interprétation du « marxisme » et même réprimé ceux qui, au sein du parti, se sont opposés à cette évolution. Le parti a lui aussi adopté une position de collaboration de classe. Parallèlement, les scandales se succèdent, révélant comment les riches s’entraident tout en attaquant les pauvres.

Tout cela a permis à la propagande de droite de faire son entrée dans les manifestations. Les multinationales agricoles ont ainsi instrumentalisé la colère des agriculteurs les plus pauvres concernant les restrictions sur l’utilisation des engrais imposées par le gouvernement et ont même organisé des manifestations.

Il existe deux partis populistes de droite : le PVV de Wilders, enclin à soutenir les mesures sanitaires, et le Forum pour la démocratie, qui s’y oppose. Deux formations qui n’ont rien à envier à Trump. Le Forum pour la démocratie a réalisé une percée lors des élections provinciales de 2019, mais il a depuis lors perdu du terrain en faveur du PVV. Alors que de petits groupes de droite ont joué un rôle dans l’organisation des manifestations précédentes, les émeutes actuelles, principalement organisées via les réseaux sociaux, impliquent un mélange d’extrémistes de droite, de « combattants de la liberté » et de jeunes frustrés qui se enfermés dans des écoles, des emplois précaires et leur logement et qui se sont retrouvés pour affronter un ennemi commun, l’État.

Le terreau de ces émeutes est la sinistre situation à laquelle les jeunes sont confrontés dans de nombreuses régions et dans les quartiers les plus pauvres. 30 % de la population active néerlandaise occupe des emplois précaires, soit le niveau le plus élevé de l’Union européenne. Dans la situation actuelle, ils ne peuvent trouver que des emplois mal payés et peu sûrs, voire pas sûrs du tout. L’enseignement aux Pays-Bas est coûteux et de mauvaise qualité, même dans les universités. La pénurie de logements est grave et les loyers sont inabordables. Seuls les jeunes les plus instruits sont en mesure d’acheter une maison, et ils doivent souvent combiner les revenus du couple pour y parvenir.

Les jeunes ont dû accepter le fait qu’ils ne recevront aucune aide du gouvernement pour résoudre leurs problèmes. Et il existe une discrimination flagrante à l’encontre des personnes d’origines différentes. C’est dans ce contexte que le gouvernement a été contraint de démissionner le 17 janvier en raison d’un scandale concernant les allocations pour la garde des enfants.

Les personnes qui ont besoin de services de garderie ont droit à des avantages fiscaux versées sous la forme d’une avance, les frais étant à justifier par la suite. Les autorités fiscales néerlandaises ont mené une véritable chasse aux sorcières des parents, sur base de la double nationalité, de la résidence dans certaines régions spécifiques, etc. Le système fonctionnait de telle manière que si vous soumettiez des données comportant des erreurs mineures, vous deviez rembourser la totalité du montant, soit des dizaines de milliers d’euros dans de nombreux cas.

De nombreuses personnes ont été ruinées. Des familles se sont séparées sous la pression. Des gens ont été forcés de déménager et ont été expulsés de leur logement. L’administration fiscale, les ministères, les juges et le Parlement ont été impliqués dans cette affaire tandis que les médias ont fermé les yeux sur ce qui s’est passé pendant plus de dix ans. Le scandale a été révélé au grand jour grâce aux efforts individuels de deux parlementaires, l’un du parti démocrate-chrétien et l’autre du parti socialiste.

L’État n’aide pas les travailleurs et la jeunesse, tandis que le scandale des allocations familiales a clairement démontré que les gens sont chassés comme des animaux de proie sans aucune justification. Le Covid-19 est venu s’ajouter à cela et a exposé les résultats désastreux d’années d’austérité néo-libérale. Le gouvernement n’a par exemple pas fourni suffisamment de matériel de protection car il était plus soucieux de respecter la volonté des entreprises privées.

Cela se répète maintenant avec les vaccins. Aucun plan sérieux de vaccination de masse n’a été élaboré. Cela est dû, d’une part, au fait que les entreprises privées ne sont pas disposées à garantir la livraison à un moment raisonnable et, dans une moindre mesure, à la méfiance des jeunes, en particulier, à l’égard des vaccins développés par le secteur privé. Dans ce contexte, les jeunes ont de plus en plus le sentiment que ce sont toujours les mêmes qui sont poussés à faire des sacrifices.

Et maintenant, même certaines des libertés limitées dont disposent encore les jeunes pour au moins se divertir leur ont été retirées. Lorsque les cafés et les concerts étaient fermés, les jeunes travailleurs cherchaient un exutoire dans les fêtes sous les viaducs, les rassemblements dans les parcs, les usines abandonnées, etc. sous le refuge de l’obscurité hivernale. Le couvre-feu leur a enlevé tout ça.

Les émeutes ne sont pas une surprise. Elles ont lieu dans les campagnes, les villages de pêcheurs et les villes depuis des années. Malheureusement, les émeutes n’offrent aucune perspective. C’est une révolte, mais une révolte aveugle.

Les émeutes ont maintenant duré trois jours, ce qui a augmenté le soutien au gouvernement et à la police. Les ministres du gouvernement se bousculent les uns les autres pour condamner les émeutes. Parmi les actes particulièrement stupides qui ont eu lieu, on peut citer la lapidation d’un hôpital à Enschede et l’incendie d’un centre de test COVID dans le village de pêcheurs d’Urk. Des travailleurs de la santé désemparés n’ont pas pu quitter l’hôpital à la fin de leur service…

Si les dirigeants syndicaux et les partis de gauche devaient rejeter la faute sur les véritables responsables – à savoir les grandes sociétés pharmaceutiques, le marché « libre » et le système de profit – cette énergie pourrait servir à construire une lutte positive pour promouvoir les intérêts des familles ouvrières. Malheureusement, les dirigeants syndicaux et les partis de gauche sont complètement invisibles ; les seuls dirigeants syndicaux qui se sont manifestés sont ceux du syndicat de la police. La plupart des partis soutiennent le gouvernement et le maintien du couvre-feu, la seule exception étant certains partis marginaux de droite.

Le parti libéral au pouvoir est maintenant prêt à augmenter sa majorité lors des élections de mars. Toute cette situation renforce le soutien du public à des mesures plus répressives, bien qu’il y ait évidemment une grande différence entre la manifestation pacifique de l’après-midi à Amsterdam, qui a été illégalement réprimée, et les appels à des « émeutes contre le gouvernement » après le couvre-feu dans plusieurs villes, qui ont rapidement dégénéré et se sont soldés par des pillages, des incendies criminels et des pillages.

Il faut contrer ce dangereux mélange de jeunes frustrés et d’extrême droite. Seules la lutte et l’organisation portent leurs fruits. Les syndicats et les partis de gauche sont incapables de se connecter à de nouvelles couches en raison de leur politique de collaboration de classe.

Ce qu’il faut, c’est organiser ces couches, les allocataires sociaux, les travailleurs, les syndicalistes, autour de revendications combatives comme l’augmentation du salaire minimum horaire à 14 euros, la défense de vrais emplois avec de vrais salaires, un salaire décent pour les indépendants, l’abolition de tous les contrats précaires, des logements abordables et la renationalisation de tous les services publics, à commencer par les soins de santé et les grandes entreprises pharmaceutiques, les transports publics, l’immobilier et les institutions financières pour pouvoir utiliser toutes ces ressources afin d’offrir une véritable solution aux problèmes quotidiens.

Nous avons besoin de la propriété publique des secteurs clés de l’économie et d’une planification démocratique sous contrôle et gestion de la collectivité. Nous avons besoin d’un véritable parti socialiste et de syndicats de combat. Il est temps de construire une alternative socialiste.


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