À bas le tsar, pour une nouvelle année 1917

Membres de l'ISA le 23 janvier, Bannière de SA pour le 23 janvier, Manifestation à Moscou, Moscou, 23 janvier, Une vue du prétendu palais de Poutine

Le 23 janvier, des manifestant·es scandant «Libérez Navalny», «Libérez tous les prisonniers politiques», «Poutine est un voleur» et «à bas le tsar» ont balayé la Russie.

Plus de 100 villes réparties sur neuf fuseaux horaires, de Vladivostok en Extrême-Orient à Kaliningrad sur la côte baltique, de Magadan et Mourmansk à Sotchi sur la mer Noire et Sébastopol en Crimée, en passant par la Yakoutie, où la température était inférieure à -50°C, ont été secouées par les manifestations. Certaines ont impliqué des centaines de personnes, plus souvent des milliers. Le centre de Nizhni-Novgorod était rempli, à Vladivostok les gens s’entassaient sur les toits pour regarder, et dans des scènes rappelant 1917, la perspective Nevski à Saint-Pétersbourg était occupée par des manifestant·es. Selon Reuters, il y en avait 40 000 à Moscou.

À Moscou, cette manifestation était probablement plus petite, bien que beaucoup plus jeune, que les manifestations de la place Bolotnaïa de 2012. Alors, le mouvement avait été largement limité à Moscou. Mais aujourd’hui, les estimations selon lesquelles il s’agit de la plus grande manifestation de la Russie post-soviétique, dans le sens où il y a eu de grandes manifestations dans tout le pays, sont probablement correctes.

Les manifestant·es scandaient «Libérez Navalny», «Libérez tous les prisonniers politiques», «Poutine est un voleur» et «À bas le tsar».

Les autorités semblent paniquées. Quand l’appel à la protestation, lancé seulement quatre jours avant environ, a commencé à se répandre, les directeurs d’universités et d’écoles ont averti les étudiant·es de ne pas participer. Les chaînes de télévision d’État, que les jeunes ne regardent presque plus, ont diffusé des avertissements du maire et du chef de la police de Moscou sur les conséquences d’une participation à une manifestation illégale. Alors que des appels circulaient sur TikTok et d’autres chaînes, l’Agence de protection des consommateurs [sic] a menacé de les fermer. La propagande s’est intensifiée, avertissant que toute personne appelant des jeunes «mineur·es» à participer serait poursuivie au pénal. Un rapport a montré qu’un groupe de membres du parti réactionnaire de droite «Pour la vérité» a été briefé par la police pour agir comme provocateurs, puis a été escorté dans la foule.

Les rues de tout le pays étaient remplies de «cosmonautes», c’est-à-dire de policiers en tenue anti-émeute, prêts à s’engager dans les manifestations. La violence policière était très répandue. Au moment de la rédaction du présent rapport, plus de 3 000 arrestations ont été effectuées. Selon le syndicat des journalistes et des travailleurs·euses des médias, plus de 50 journalistes ont été arrêté·es. À Saratov, un véhicule de police qui roulait à toute allure pour s’occuper des manifestant·es est entré en collision avec une ambulance, tuant le patient qui se trouvait à l’intérieur. Ce qui a été remarqué, contrairement aux précédentes manifestations de jeunes, c’est que les manifestant·es eux-mêmes ont non seulement résisté à l’arrestation mais sont souvent passé·es à l’offensive contre les lignes de police. Un groupe de cosmonautes à Moscou a subi un tel barrage de boules de neige qu’ils ont dû s’enfuir. Plus tard dans la soirée, un autre groupe a tenté de prendre d’assaut un poste de police pour libérer les personnes arrêtées.

La manifestation a été organisée par Alexeï Navalny, le politicien de l’opposition, qui avait été empoisonné par des agents du Kremlin à l’aide de l’agent chimique Novichok. Il avait passé cinq mois à se faire soigner en Allemagne avant d’annoncer son retour à Moscou. Dimanche dernier, quelques minutes avant l’atterrissage de son vol à l’aéroport Vnukovo de Moscou, où des centaines de ses partisan·es l’attendaient, le vol a été détourné vers un autre aéroport. Cela a provoqué les protestations des pilotes des autres avions détournés en conséquence. L’un d’entre eux a même filmé comment son avion a été laissé dangereusement bas en carburant.

Navalny a été arrêté au contrôle des passeports, emmené au poste de police local où un tribunal autoproclamé sans avocat l’a envoyé en prison pour trente jours. Il risque une possible peine de treize ans de prison. Le lendemain, Navalny a publié un long film sur la corruption dans la famille de Poutine, sur un palais qui, selon lui, a été construit spécialement pour Poutine sur la mer Noire au coût de plus d’un milliard de dollars. En une heure, le film avait été vu par plus d’un million de personnes, à la fin de la semaine, cinquante millions de visionnements avaient été enregistrés.

Navalny est un homme d’affaires qui a commencé sa trajectoire politique comme un libéral de droite, voire d’extrême droite, qui a participé à la Marche russe d’extrême droite lors des manifestations de Bolotnaïa en 2012. Mais il a pris un virage intéressant il y a quelques années, s’éloignant de sa position de droite anti-immigré·es. Bien qu’il soit surtout connu comme un militant contre la corruption de l’élite dirigeante russe, il reflète, de manière populiste, ce qui semble clairement être un changement de conscience à gauche de la jeunesse russe qui en a assez des coûts élevés de l’éducation, des salaires précaires et de la position politique générale stagnante et réactionnaire de l’élite dirigeante, et des soi-disant «partis du système», dont le parti communiste qui maintient Poutine au pouvoir. Lorsque Navalny a déclaré, au début de l’année dernière, qu’il soutenait Bernie Sanders, le reste de l’opposition libérale l’a attaqué avec horreur.

Les groupes libéraux pro-capitalistes ne jouent aucun rôle dans ces manifestations et, contrairement aux manifestations de Bolotnaïa, il n’y a pas de présence significative de l’extrême droite. Mais la plus grande faiblesse est qu’il n’y a pas de force de gauche significative avec une organisation suffisamment forte capable de donner l’exemple. Les protestations sont annoncées par le bureau de Navalny et il n’y a pas de structure organisée qui puisse refléter les souhaits de ceux et celles qui y participent. Bien que beaucoup manifestent consciemment pour exiger la libération d’Alexeï Navalny et d’autres prisonniers politiques, et qu’il y ait clairement un état d’esprit contre le régime actuel et la corruption, jusqu’à présent les manifestations démontrent un état d’esprit de plus en plus fort pour le changement sans démontrer une compréhension exacte de ce qui est nécessaire.

Au mieux, une partie du parti communiste adopte une position «neutre», appelant à la libération des manifestant·es, tandis que les dirigeants pro-Kremlin de ce parti considèrent ces manifestations comme faisant partie d’une «guerre hybride» contre la Russie. D’autres, dits marxistes, tant en Russie qu’au niveau international, considèrent cette protestation comme «petit-bourgeois» ou sous «direction libérale», et tant que les masses n’auront pas compris cela, les marxistes ne devraient pas y participer!

La Sotsialisticheskaya Alternativa (ISA en Russie) n’est pas d’accord avec cela. Même si Navalny a évolué «vers la gauche», il reste un homme politique libéral, essentiellement pro-capitaliste, et n’a pas de véritable programme à proposer pour résoudre les problèmes de la société russe. Proposer un «capitalisme honnête» ne résoudra pas les problèmes d’autoritarisme et de corruption, car ils sont causés par le capitalisme lui-même. Il est clairement de la responsabilité de la gauche d’offrir une alternative claire à cela.

Et, bien sûr, jusqu’à présent, le mouvement est en défense d’une personne, et la stratégie et la tactique sont décidées par son équipe seule. C’est plus qu’un problème de simple participation démocratique. Le Kremlin a démontré plus d’une fois qu’il est prêt à recourir à des mesures extrêmes pour faire face à l’opposition. L’ancien vice-premier ministre Boris Nemtsov a été assassiné, comme l’ont été de nombreux autres journalistes et opposants. La tentative d’empoisonnement de Navalny, il y a six mois, démontre que nous avons besoin d’un mouvement qui dispose d’une direction largement élue, ne dépendant plus d’une seule personne.

Seule une lutte contre le capitalisme peut offrir une voie d’avenir. Il est donc nécessaire que les socialistes interviennent énergiquement avec un programme clair dans ce mouvement.

Bien que nous ne puissions pas prétendre avoir atteint les 50 millions de spectateurs et spectatrices qui ont vu le film de Navalny cette semaine, nos publications ont été vues par des milliers, et dans un cas par 17 000 personnes. Nous soutenons que nous devons tout d’abord établir une base solide pour ce mouvement en créant des comités d’action qui peuvent décider de la stratégie et des demandes du mouvement. Bien que le principal soutien de ce mouvement provienne actuellement des étudiant·es et des jeunes dans les universités et dans les emplois précaires, il est nécessaire d’établir un lien solide avec la classe ouvrière au sens large. Nos demandes pour 300 roubles par heure, ainsi que pour une éducation et des soins de santé gratuits seront d’une importance cruciale ici. Bien sûr, nous plaidons pour une assemblée constituante dans laquelle toutes les couches de la classe ouvrière sont représentées afin que nous puissions assurer le démantèlement complet du régime Poutine et son remplacement par une société socialiste véritablement libre et démocratique.

Un nouvel appel à la manifestation a été lancé pour le 30 janvier. La Sotsialisticheskaya Alternativa sera présente.


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