Suspension de lois antisociales suite aux mobilisations paysannes, mais la lutte continue

Camp de protestation sur une route menant à Delhi. Photo : Wikimedia Commons

La Cour suprême indienne a décidé de suspendre les lois agricoles contestées du gouvernement BJP suite à l’énorme pression sociale exercée pour faire reculer la libéralisation de l’agriculture. Les masses paysannes ne sont cependant pas dupes : la suspension ne suffit pas, ces lois doivent complètement disparaître.

Les mobilisations ont débuté en septembre dernier après que le gouvernement ait adopté diverses lois visant à libéraliser le secteur agricole. Ce mouvement s’est bien organisé et dure déjà depuis des mois, avec notamment des occupations, dont celle des routes qui permettent habituellement d’enter à Delhi après que l’entrée de la capitale elle-même ait été occupée avant de faire face à la répression. Les mobilisations paysannes ont sans nul doute renforcé l’élan vers la grève générale du 26 novembre dernier à laquelle 250 millions de travailleurs ont participé malgré les restrictions liées à la crise sanitaire. Le soutien aux mobilisations paysannes n’a cessé de croître ces dernières semaines. Même l’aile paysanne du RSS, les milices nationalistes hindoues qui exercent un grand contrôle sur le BJP, a été obligée de soutenir la protestation anti-gouvernementale. Dans l’Etat du Madhya Pradesh, le Bharatiya Kisan Sangh (BKS), qui est affilié au RSS, a organisé sa propre manifestation avec 10 000 personnes présentes.

La décision de la Cour suprême est intervenue à la suite du dépôt de plusieurs pétitions. Cette décision accroît la pression sur le BJP au pouvoir. Il ne s’agit que d’une suspension temporaire jusqu’à ce qu’un groupe de quatre experts trouve une « solution » au conflit en cours par la médiation. Cela souligne le manque de consultation lors de l’adoption des lois. Le BJP affirme qu’il a suffisamment négocié avec les organisations paysannes et que les lois résultent de deux décennies de préparation. Les organisations paysannes rejettent l’argumentation. Un grand défilé de tracteurs est prévu ce 26 janvier, jour de la fête nationale. La poursuite des mobilisations est importante, ce serait une erreur de s’en remettre à des experts nommés par un tribunal politiquement désigné. Les organisations paysannes ont fait remarquer à juste titre que ces quatre experts s’étaient déjà favorablement prononcés en faveur de ces lois agricoles !

Les armes les plus puissantes des agriculteurs sont leur propre détermination et le soutien plus large dont ils bénéficient au sein de la population. Leur détermination se reflète dans les manifestations qui se déroulent depuis des semaines, notamment à Delhi où le froid hivernal et la pluie ont déjà causé des dizaines de morts. L’extension des mobilisations paysannes dans tout le pays et la sympathie des travailleurs à leur égard témoignent de ce soutien. Les enjeux de la lutte sont largement compris : même en dehors du secteur agricole lui-même, les conséquences de la libéralisation et de l’ouverture des marchés sont clairement perçues. Des entreprises comme Amazon sont en plein essor et maintenant Tesla veut elle aussi s’implanter en Inde. Le gouvernement BJP mène une politique de privatisation et de déréglementation du marché du travail, ce qui rend l’Inde encore plus intéressante pour les patrons des entreprises locales et internationales. Une petite élite en récolte les fruits : fin 2020, le club des milliardaires a augmenté de dix à 90 personnes, avec une richesse combinée de 483 milliards de dollars, soit 33% de plus qu’un an plus tôt.

Pour mettre fin aux mobilisations paysannes, le gouvernement a cédé face à quelques demandes de moindre importance. Mais les éléments centraux demeurent : l’abolition des ventes réglementées et des seuils de prix minimums. Le gouvernement nie que les seuils de prix minimums seraient impactés par les nouvelles mesures, mais les agriculteurs affirment à juste titre que la libéralisation du marché entraînera également la fin de cette protection. Le problème n’est pas tant le manque de consultation, mais plutôt la question de savoir dans quelle direction les négociations sont possibles. Pour le BJP, les négociations doivent aboutir à l’acceptation de la politique de libéralisation préparée et mise en œuvre depuis 20 ans. Pour les agriculteurs, cela n’est pas possible : cela va à l’encontre de leur revendication élémentaire d’un revenu décent et du respect correspondant pour leur travail.

Tant que la mobilisation poursuit son essor, les tentatives du gouvernement de créer des divisions, y compris sur base de la question nationale, sont vouées à l’échec. Pour obtenir la victoire, un front des paysans et des travailleurs est nécessaire. Qu’attendent donc les syndicats indiens pour soutenir leurs frères et sœurs des campagnes par des actions de grève ? Si l’abrogation pure et simple des lois agricoles était à l’ordre du jour, cela placerait directement le mouvement ouvrier lui-même dans une position beaucoup plus favorable pour résister aux attaques contre les conditions et les conditions de vie des travailleurs.

Les quatre experts de la Cour suprême ont annoncé qu’ils soumettront un rapport dans les deux mois. D’ici là, la question risque de rester bloquée. Dans le même temps, les masses paysannes doivent démontrer qu’elles sont capables de maintenir leur mouvement sur une plus longue période. La journée d’action du 26 janvier ne doit pas être un point final. Un appel à des actions de masse le 26 janvier, associé à un appel à de nouvelles grèves autour des revendications des travailleurs et des agriculteurs, peut renforcer le mouvement. Des comités d’action conjoints composés de travailleurs et d’agriculteurs peuvent coordonner la lutte. Une telle coordination est également nécessaire pour élaborer une plate-forme de revendications et une approche qui permette de mettre fin non seulement aux attaques actuelles contre les agriculteurs et les travailleurs, mais aussi à l’ensemble de la politique des dernières décennies.

Sur fond de terrible crise sanitaire et d’une économie chancelante aux sombres perspectives, le gouvernement BJP jouera encore plus la carte du chauvinisme hindou et de la division. Ses politiques antisociales et son nationalisme vont de pair. Comme l’auteur Arundhati Roy l’a noté dans son dernier livre «Azadi», «les évangélistes économiques néolibéraux et les nationalistes hindous sont arrivés en ville sur le même cheval – un cheval safran flamboyant dont l’emblème est le signe du dollar». Le meilleur moyen de surmonter les divisions propagées par les nationalistes hindous est l’action unifiée des ouvriers et des paysans dans les différents États de l’Inde.

Cette lutte s’oppose à ce que le capitalisme a à offrir aux paysans et aux travailleurs indiens. Il nous faut une alternative à ce système, une société socialiste reposant sur les besoins de la majorité de la population et utilisant les ressources disponibles de manière démocratiquement planifiée. Pour obtenir cette alternative, nous devons nous battre et nous organiser dès maintenant !


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