Trump est-il fasciste?

Des Proud Boys devant le Capitole le 6 janvier. Photo: Amanda Andrade-Rhoades/The Washington Post

Durant ses quatre années de bigoterie présidentielle, Donald Trump et ses adeptes ont été qualifiés par plusieurs de «fascistes». L’assaut du Capitole de Washington sur l’appel de Trump donne un exemple clair de la montée en organisation des forces d’extrême droite. Y a-t-il des similarités entre la situation observée aux États-Unis en 2021 et la montée du fascisme au début du 20e siècle?

Le fascisme apparaît dans un contexte historique spécifique. Au début du siècle dernier, le niveau d’organisation et de mobilisation de la classe ouvrière est à un niveau extrêmement élevé. En Allemagne, le Parti communiste et le Parti Social-démocrate récoltent des centaines de milliers de votes. Ils sont profondément enracinés dans la classe ouvrière avec leurs propres structures syndicales, milices ouvrières, «empires» médiatiques, coopératives ouvrières, etc. Même chose en Italie au début des années 20. Les ouvriers fortement organisés en parti et en syndicat occupent leur usine, parfois en armes. La démocratie ouvrière devient un fait accompli pour un court moment.

Cependant, l’aile réformiste à la tête de ces organisations ouvrières empêche les mouvements ouvriers de prendre une avenue révolutionnaire. C’est dans ces périodes post-révolutionnaires que les mouvements fascistes classiques se forment. 

La bourgeoisie sacrifie la démocratie

La destruction de la guerre en Italie et en Allemagne, la crise économique qui en résulte et les insurrections ouvrières ratées ébranlent la légitimité de la démocratie libérale bourgeoise auprès du peuple. Menacée par les mouvements révolutionnaires, la grande bourgeoisie n’a d’autre choix que d’aller chercher le soutien de formations politiques d’extrême droite jusque-là tout à fait marginales.

Les capitalistes allemands et italiens financent les partis fascistes à coups de millions de dollars. Leur objectif est clair: détruire les forces qui troublent l’ordre social, soit les syndicats, les groupes étudiants, les communistes, les sociaux-démocrates, etc. Ce qu’ils réussissent à faire un fois au pouvoir.

Quand la petite-bourgeoisie veut la stabilité

Avec les partis fascistes, les monopoles cherchent à mobiliser les petits propriétaires ainsi qu’une partie de la classe ouvrière afin de stopper le momentum révolutionnaire en cours. En temps normal, la petite bourgeoisie préfère la stabilité. Mais, lors de crises sociales aiguës et prolongées suite à l’échec du mouvement ouvrier, celle-ci se tourne vers les mouvements fascistes.

Ces mouvements incarnent un retour à l’ordre ainsi que le «courage» d’utiliser la violence à cette fin. Une partie de la classe ouvrière se laisse charmer par ces promesses. Comme les libéraux avant eux, les fascistes tentent d’acheter le soutien et la passivité de la classe ouvrière à l’aide de réformes limitées, sans lui donner de place à la table des décideurs.

Les bases matérielles du fascisme en 2021

Nous sommes dans une nouvelle ère de crises économiques, politiques, écologiques et sociales. Avant même l’arrivée de la COVID-19, les économistes de partout sur la planète prévoyaient une crise de surproduction économique mondiale. Cette crise risquait d’être encore pire que celle de 2008, étant donné que les États étaient beaucoup plus endettés qu’à cette période. Et c’est effectivement ce qui se passe. Le système capitaliste craque de partout comme jamais auparavant.

L’instabilité politique moderne et la montée de Trump

Avec la crise mondiale de 2008, une conscience critique du système capitaliste s’est développée chez des millions de personnes. Le Tea Party libertarien et le mouvement Occupy Wall Street se sont développés après le sauvetage des banques. Rappelons-nous que c’est durant la présidence de Barack Obama qu’a commencé le mouvement Black Lives Matter. En 2016, des millions de personnes ont voulu tirer un trait sur huit ans de politiques institutionnelles démocrates. Trump est sorti vainqueur de cette tendance anti-establishment.

Sous Trump, des millions de personnes indignées par le sexisme et la misogynie dans le cadre du #MeToo ont manifesté contre les violences sexuelles le lendemain de l’investiture de Trump. Le 21 janvier 2017 est ainsi devenu le plus grand jour de manifestations de l’histoire américaine. En 2018, en Virginie occidentale, un État républicain, les enseignantes et enseignants ont organisé une grève sauvage et obtenu des gains salariaux significatifs. Ralentis momentanément par la pandémie de la COVID-19, les mouvements de protestation massifs redécollent en ce moment.

En contrepartie, tous ces mouvements sont loin de représenter la menace que constituait le mouvement ouvrier des années 20 et 30. Ils prennent forme, mais ne sont pas organisés sur un programme politique clair qui s’attaque au pouvoir capitaliste. Le mouvement syndical n’a plus le projet politique combatif de l’époque. Le mouvement étudiant est presque rayé de la carte. La gauche politique n’a qu’un réformisme étatique nationaliste à proposer.

En ces temps de désordre, les grands propriétaires n’ont pas de raison existentielle de soutenir un mouvement fasciste classique qui voudrait abolir ses institutions démocratiques.

 Les institutions bourgeoises attaquées

C’est pour cette raison qu’une partie de la grande bourgeoisie des États-Unis, y compris dans le Parti républicain, a pris ses distances vis-à-vis de Trump dès 2016. Le fossé s’est creusé davantage à la suite de l’assaut du Capitole. Fox News, par exemple, n’a pas supporté les efforts de Trump visant à réécrire les élections de 2020. Plusieurs grandes pointures républicaines s’éloignent de Trump, incluant son ancien vice-président Mike Pence. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le support que Trump a réussi à aller chercher. On sait aujourd’hui qu’il y a eu un financement massif pour cette tentative de coup d’État à même des organisations comme Turning Point USA et d’autres groupes d’extrême droite, eux-mêmes ouvertement fascistes. On a aussi pu voir jusqu’à quel point la police américaine est prête à fermer les yeux sur les agissements violents de la droite radicale, sinon à s’y joindre lorsque les agents ne sont pas en uniforme.

Une force politique instable

Ce combat n’est pas celui de la majorité de la classe capitaliste des États-Unis. Cette dernière mise désormais sur Joe Biden. L’approche politique autoritaire de Trump ne profite qu’à une couche minoritaire de la bourgeoisie. Elle ne bénéficie pas non plus de l’appui de la petite-bourgeoisie. Bien qu’elle possède une base dans la classe ouvrière pauvre, elle est minoritaire.

Trump est très certainement un populiste de droite et un réactionnaire autoritaire. Mais lui et son mouvement ne peuvent pas être taxés de fascistes, pas plus que d’autres leaders de droite radicale comme Vladimir Poutine en Russie ou Jair Bolsonaro au Brésil. 

Certes, le gouvernement Trump a déclenché une série d’attaques contre la classe ouvrière. Il a permis aux racistes et radicaux de droite de se décomplexer. Pour s’inscrire dans le «fascisme» en bonne et due forme, le trumpisme doit avoir comme principal objectif de s’attaquer directement aux organisations de la classe ouvrière afin de les détruire. Le fascisme est un mouvement de masse puis un régime de terreur dans lequel la classe ouvrière n’est plus en mesure de s’exprimer. Un tel mouvement se développe quand la bourgeoisie n’est plus capable de maintenir la démocratie pour sauver le capitalisme. 

Nous sommes plutôt devant une forme de bonapartisme. Le bonapartisme est une approche autoritaire visant à établir la dictature d’une poignée de personnes qui naviguent entre les classes sociales. C’est-à-dire qu’elles donnent puis reprennent à différents groupes sociaux selon les circonstances. Cela donne un caractère fondamentalement instable à ce type de gouvernement. Le bonapartisme nécessite toutefois une base sociale ferme afin de se maintenir au pouvoir.

Et c’est précisément le développement de cette base sociale trumpiste qui fait craindre le pire.

Ne pas répéter les erreurs du passé

La menace du développement d’une mouvance fasciste issue des partisans de Trump est bien réelle. L’élite progressiste américaine, en particulier celle autour du Parti démocrate, a complètement sous-estimé le potentiel des groupes d’extrême droite. Le fait qu’elle se soit détournée de la réalité des travailleurs et des travailleuses a pavé la voie à la montée originelle de Trump.

L’accentuation de la crise et l’inefficacité de l’administration Biden à répondre aux problèmes profonds du capitalisme permettra à l’extrême droite de croître davantage.

Le mouvement ouvrier et les leaders de la gauche radicale n’ont pas un instant à perdre. Aux États-Unis comme au Québec, nous devons organiser une riposte massive contre l’extrême droite. Les discours et les coups d’éclats ne suffisent pas. Des manifestations massives doivent empêcher les fascistes, les racistes et l’extrême droite de marcher dans nos rues. Les petites confrontations avec des éléments violents d’extrême droite ne nous apporteront rien. Nous avons plus que jamais besoin d’un mouvement regroupant des masses de personnes.

Nous devons construire un front uni de toute la classe ouvrière basé sur un programme politique capable de faire face aux crises actuelles. Un mouvement antifasciste conséquent doit défendre un programme capable d’unir les jeunes, les travailleurs et les travailleuses autour de revendications telles des salaires dignes, le retour des primes de risque COVID, un statut de citoyenneté pour toute personne qui travaille, des services publics accessibles, universels et gratuits, un gel des loyers et des hypothèques ou encore le définancement de la police pour réinvestir dans du logement public.


par
Mots clés , , , , .